Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan. En outre, elle requiert un minimum de durée pour que son efficacité puisse être mesurée.

Voici à cet égard ce que dit l’un des meilleurs experts du contre-terrorisme et de la contre-insurrection, l’Australien David Kilcullen : « Ou bien nous pouvons déployer suffisamment de troupes pour contrôler l’environnement, ou bien nous pouvons communiquer de façon crédible sur notre intention de nous retirer. Les deux peuvent fonctionner. Il me semble que ces options sont toutes dangereusement proches d’un compromis mou, […] et le compromis est une position efficace en termes de politique intérieure, mais pas de stratégie. […] Ou bien on y va, ou bien on s’en va. »

Chacun mesure donc la lourde responsabilité qui pèse sur le président Obama dans le choix qu’il doit effectuer d’envoyer ou non des renforts en Afghanistan.

Cette stratégie suppose également le réaménagement du commandement. Le général McChrystal a donc scindé son état-major en deux. L’état-major de la FIAS aura la responsabilité de toutes les relations latérales avec les organisations internationales, le commandement afghan, les responsables des nations contributives et les autorités américaines. Un second état-major, placé sous ses ordres mais dirigé par le commandant en chef adjoint de la FIAS, lui-même secondé par un général français, sera chargé de la planification et de la conduite des opérations militaires. On attend de cette réforme une meilleure coordination de l’action entre les régions et une plus grande efficacité dans la conduite de la guerre.

Le plus important, le plus essentiel est que la population afghane ait confiance en son gouvernement et en son administration et soutienne leur action. La tâche est immense.

M. Jean-Louis Carrère. C’est certain !

M. Josselin de Rohan. Nous attendons du président Karzaï qu’il institue non pas une république jeffersonienne calquée sur les modèles constitutionnels occidentaux, mais une forme de gouvernement qui permette de réaliser le consensus le plus large autour de son action. Peut-être devra-t-il renouveler la Loya Jirga, la grande assemblée coutumière afghane, et rechercher avec elle les moyens d’obtenir un tel consensus, voire de réformer les institutions actuelles pour parvenir à ce résultat.

Il importe également qu’il s’emploie à bâtir une administration efficace et compétente, car il n’y a pas d’« afghanisation » possible si elle ne repose pas sur un socle administratif solide. Nous sommes en droit d’exiger de lui qu’il s’attaque autrement qu’en paroles aux fléaux qui minent son pays, principalement la corruption des agents publics et le trafic de drogue, et qu’il sévisse contre ceux qui s’y livrent.

À cet égard, il me semble qu’il faut conforter et renforcer l’action du représentant des Nations unies afin d’obtenir une meilleure gouvernance en Afghanistan. Celui-ci doit veiller à ce que les nécessaires réformes de l’administration afghane soient effectivement mises en œuvre et que la lutte contre le trafic d’opium, la corruption et les fraudes en tous genres soit intensifiée.

Une meilleure coordination de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, la MANUA, de la FIAS et de l’Union européenne doit être recherchée.

Il est indispensable aujourd’hui de mettre fin, dans le domaine de l’aide au développement et de la formation des civils et des militaires afghans, à l’empilement des structures et à la concurrence des actions, qui sont source de gâchis financier et de perte d’énergie. La supervision des actions civiles pourrait d’ailleurs incomber à l’ONU et la formation des militaires et des forces de sécurité à l’OTAN, qui devrait simplifier et unifier ses procédures.

Il s’agit non pas d’exercer un protectorat sur l’Afghanistan, mais bien de veiller à ce que les aides de la communauté internationale soient dépensées à bon escient et au profit de la population afghane.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Le 13 novembre dernier, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous indiquiez dans le journal Le Monde  que vous prépariez avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan une stratégie européenne, et vous regrettiez que les pays européens, qui ont engagé plus de 30 000 hommes sur le terrain, en soient réduits à attendre la décision américaine.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. C’est exact !

M. Josselin de Rohan. Une stratégie commune suppose la définition de règles d’engagement communes. Or nous savons par exemple que celles du contingent allemand diffèrent notablement des nôtres.

Cette stratégie, monsieur le ministre, est-elle différente de celle qu’a définie le Conseil européen du 27 octobre dernier ? Le plan d’action pour l’Afghanistan et le Pakistan qu’a adopté l’UE nous semble, il faut bien le dire, très vague dans ses objectifs et plutôt révélateur de nos indécisions et de nos divergences.

Comment nous Européens pouvons-nous être vraiment crédibles quand la mission EUPOL, chargée de former la police afghane, cherche toujours des volontaires et ne compte que 236 personnes au lieu des 400 promises pour 2008 ? Or la formation de la police afghane est l’un des axes majeurs de l’entreprise de sécurisation du pays.

Enfin, la reconquête par le Pakistan de son autorité sur ses provinces du Nord-Ouest doit être encouragée et soutenue avec force par la communauté internationale. Nous savons tous que, tant que les insurgés afghans et les chefs d’Al Qaïda continueront de trouver refuge, armes et appui au Waziristan ou dans d’autres portions du territoire pakistanais, l’insurrection ne prendra jamais fin. L’armée pakistanaise mène sur son sol un combat courageux et méritoire contre les talibans : il doit être poursuivi jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à l’élimination définitive d’Al Qaïda et de ses complices. La communauté internationale se doit de soutenir cet effort.

L’Inde doit donner au Pakistan l’assurance qu’elle n’exercera pas de pressions sur ses frontières, afin de permettre à ce dernier de consacrer les forces nécessaires au succès de son offensive à l’ouest. Notre diplomatie pourrait s’employer, avec d’autres, à favoriser la reprise du dialogue entre l’Inde et le Pakistan ébauchée lors des rencontres entre le président Zardari et le Premier ministre Manmohan Singh.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d’accord !

M. Josselin de Rohan. Les différends entre les deux pays du sous-continent indien retentissent sur la solution du conflit afghan, et il est de l’intérêt de tous de les aplanir.

Messieurs les ministres, ne soyons pas insensibles aux demandes de fourniture d’armements destinés à combattre le terrorisme qui émanent des autorités pakistanaises. Veillons simplement à ce qu’ils ne soient pas détournés de leur destination. Sous cette réserve, répondons à l’appel qui nous est lancé.

Nos interlocuteurs pakistanais, indiens, russes ou chinois rencontrés lors de nos missions en Inde, au Pakistan ou aux Nations unies, ont souligné à l’envi combien notre présence et celle de nos alliés américains étaient indispensables en Afghanistan pour éviter que le pays ne retombe sous l’influence des djihadistes et des terroristes. Leurs exhortations contrastent avec leur absence d’engagement militaire ou politique, exception faite du Pakistan.

Notre départ ne conduirait pas seulement à replonger l’Afghanistan dans l’univers rétrograde et barbare des islamistes : il mènerait inéluctablement à la reconstitution de son sanctuaire par la centrale du crime qu’est Al Qaïda. Il ébranlerait profondément la région, où les djihadistes, confortés par leur victoire, disposeraient de relais et de complices qui déstabiliseraient les États voisins.

Qu’adviendrait-il de la paix dans la région si le Pakistan, puissance atomique, tombait aux mains des islamistes extrémistes ?

Cependant, si nous devons continuer la guerre, nous ne pouvons la mener seuls. Le combat des pays de l’OTAN en Afghanistan n’est pas exclusivement celui des membres de l’Alliance atlantique, il est aussi celui de l’ensemble de la communauté internationale : prenons garde qu’il ne soit présenté comme le combat des Occidentaux contre les Orientaux ou des « infidèles » contre l’islam.

La lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme est l’affaire de tous, tout particulièrement des pays proches et riverains de l’Afghanistan. Le trafic de l’opium a transformé en narco-États certains pays d’Asie centrale et a considérablement accru la consommation d’héroïne en Iran, en Chine et même en Russie. À titre indicatif, 40 % de l’opium produit en Afghanistan est exporté au Pakistan, 30 % en Iran et 25 % en Asie centrale.

La conférence internationale sur l’Afghanistan qui doit se tenir en janvier prochain à la demande de la France et du Royaume-Uni doit être l’occasion d’impliquer davantage les pays voisins de l’Afghanistan, mais aussi la Russie et l’Inde, dans la lutte contre les extrémistes. (M. le ministre des affaires étrangères et européennes approuve.) Qu’il s’agisse du trafic d’opium, du trafic d’armes ou du terrorisme, seule une coopération étroite et efficace entre toutes les parties intéressées, l’Iran compris, peut y mettre un terme. Les nations riveraines pourraient s’engager à garantir la neutralité et l’indépendance d’un Afghanistan décentralisé, stabilisé et réunifié, et à œuvrer en commun contre le terrorisme et le djihadisme de toute provenance.

En tout état de cause, nous devons mettre en garde tous ceux qui pensent que nous ferons longtemps la guerre par procuration. Les opinions publiques occidentales s’émeuvent de plus en plus devant les pertes occasionnées par des guerres qui leur paraissent distantes et peu compréhensibles. Si les pays les plus proches de l’Afghanistan, pour des raisons diverses, ne s’impliquent pas davantage contre l’ennemi commun, ils courent le risque de voir la lassitude gagner ceux qui, depuis huit ans, supportent le poids de la guerre. Les talibans le savent et misent sur notre découragement.

Le président du Sénat et la délégation qui l’accompagnait, tout comme la mission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ont eu l’occasion de rendre visite à nos troupes en Afghanistan. Nous avons tous été impressionnés par l’ardeur, le courage et la grande compétence dont elles font preuve dans les tâches qui leur sont confiées, qui plus est dans un environnement particulièrement difficile.

Nous pensons particulièrement à ceux qui sont morts cet été, victimes de leur devoir, et nous nous inclinons devant la peine de leurs familles. Rien ne serait plus outrageant pour leur mémoire que de dire que leur sacrifice était vain. (M. le ministre de la défense approuve.) Ces soldats sont morts pour que les terroristes d’Al Qaïda ne trouvent pas de refuge pour perpétuer leurs crimes, pour que les Afghans vivent dans l’indépendance et dans la paix,…

M. Hubert Haenel. Très bien !

M. Josselin de Rohan. … et pour qu’ils puissent accéder aux soins, à l’instruction, à la culture et à la libre expression de leurs opinions. Tel est le sens qu’ils donnent à leur action et à leurs missions quotidiennes. Telle est la raison pour laquelle ils méritent notre gratitude et notre admiration.

À cet égard, permettez-moi ce jour de dire combien j’ai trouvé indigne le titre d’un journal de ce matin : « Afghanistan, l’honneur perdu de la France ». (M. Josselin de Rohan montre depuis la tribune la une de L’Humanité.)

M. Jacques Gautier. Scandaleux !

M. Josselin de Rohan. Non ! La France n’a pas perdu son honneur en Afghanistan ! Les soldats français qui s’y trouvent continuent d’être ceux que Clemenceau appelait les « soldats de l’idéal ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout n’a pas commencé le 11 septembre 2001 !

Pays d’une superficie un peu plus grande que celle de la France, enclavé au carrefour des civilisations persane, turque, arabe, indienne, chinoise et russe, l’Afghanistan, par sa position géostratégique, a toujours entraîné des luttes pour l’appropriation de son territoire.

Mais l’Afghanistan est une forteresse naturelle qui a toujours su résister à l’envahisseur. Tous en ont fait l’expérience, d’Alexandre le Grand, fondateur de Kaboul, de Kandahar et d’Hérat, jusqu’aux Soviétiques dans un passé récent. La coalition y est aujourd’hui confrontée.

À la fin des années soixante, la famine et ses 100 000 morts, l’apparition de groupes révolutionnaires tant communistes qu’islamistes, sonnent le glas de la monarchie afghane et font le lit du coup d’État du mois d’avril 1978, puis de celui du mois de décembre 1979 et, enfin, de l’entrée des troupes soviétiques venues, selon les déclarations officielles, « soutenir » le gouvernement de Kaboul dans sa lutte contre les moudjahidin.

Le déclin du pouvoir soviétique, l’arrivée de Ronald Reagan, l’aide militaire et financière de la CIA aux groupes fondamentalistes, l’aide pakistanaise, modifient les données du conflit.

Des centaines de milliers, voire des millions d’Afghans se réfugient au Pakistan et en Iran. Leurs enfants sont pris en main par les ultra-islamistes dans les madrasa, écoles où leur sont enseignés le Coran et la fabrication des bombes.

Après dix ans de guerre, 620 000 combattants soviétiques qui s’y sont succédé, 25 000 morts et 50 000 blessés, les 118 000 soldats soviétiques présents se retirent d’Afghanistan en 1989.

La guerre civile se poursuit jusqu’en avril 1992, date de la prise de Kaboul par une coalition de Tadjiks, d’Ouzbeks et de Hazaras soutenue par le Pakistan et les États-Unis.

Un nouveau mouvement armé est fondé au mois d’août 1994 par le mollah Omar : le mouvement des talibans, c’est-à-dire des « étudiants en théologie » issus de ces écoles coraniques. Financés par l’Arabie saoudite, soutenus par l’armée et les services secrets pakistanais, les talibans reprennent Kaboul en septembre 1996 aux troupes du commandant Massoud. Ils contrôlent alors les deux tiers du pays. Leur pouvoir reste cependant fragile en raison de l’opposition armée persistante dirigée par le commandant Massoud jusqu’au 9 septembre 2001, date de son assassinat par les talibans.

Ce n’est que le surlendemain, le 11 septembre 2001, qu’ont lieu les attentats à New York et à Washington, qui font plus de 3 000 morts.

Quel lien réel existe entre ce pays martyrisé, dirigé par des extrémistes, et ces attentats ? Une chose est certaine : le gouvernement américain accuse aussitôt l’Afghanistan et son protégé, le Saoudien Oussama ben Laden, d’en être responsables.

Le 7 octobre 2001 à dix-huit heures quarante-cinq, heure française, les bombardements commencent sur l’Afghanistan. Le prix est lourd : entre le 7 octobre et le 10 décembre, on dénombre 3 767 tués parmi les civils, auxquels s’ajoutent les 10 000 morts militaires afghans. Le premier objectif des Américains, punir et chasser les talibans, est vite atteint.

Le 22 décembre 2001, le pouvoir est confié à Hamid Karzaï.

L’incapacité des Américains à installer un pouvoir stable à Kaboul et la haine naturelle envers l’occupation étrangère ont vite permis aux talibans de revenir sur le devant de la scène, au point qu’ils seraient déjà revenus à Kaboul si la capitale n’était défendue par la coalition occidentale.

Pour sortir de la guerre, qui vise à instaurer en permanence un équilibre entre les pouvoirs locaux et entre ceux-ci et le pouvoir central, il faudrait inventer un espace nouveau, fondé sur une nouvelle solidarité.

Quelle doit en être la base ? La tribu ? L’ethnie ? Ce n’est pas évident ! Les tribus en tant que telles ne sont pas présentes partout, et jouer le jeu ethnique reviendrait à s’interdire toute stratégie nationale.

Cette guerre interminable, expression d’un mode de société, est une forme d’équilibre qui suppose un État central suffisamment fort pour préserver le lieu du pouvoir de la convoitise des groupes en conflit, mais aussi, hélas ! suffisamment faible pour laisser les groupes gérer leurs rivalités.

Alors, que sommes-nous venus faire dans cette galère ? Participons-nous à la lutte de l’Occident contre le terrorisme ? Je pense que non ! Dans le cas contraire, nous serions en guerre aussi avec leurs financeurs…

La base afghane, si elle a compté, n’a joué qu’un rôle accessoire dans l’attentat du 11 septembre 2001, préparé en Occident par des éléments occidentalisés. La coordination policière entre Occidentaux explique bien mieux le reflux du terrorisme que d’obscurs combats dans les vallées du Panchir.

Le problème majeur réside non pas dans le risque d’un Afghanistan islamiste, même s’il faut le combattre, mais bien dans la situation fragile du Pakistan, pays très peuplé, à la gouvernance catastrophique, travaillé par les intégrismes, disposant de l’arme nucléaire et pourtant protégé par les États-Unis.

Obtenir une victoire militaire durable n’a aucun sens en Afghanistan ! C’était vrai pour Alexandre le Grand, cela le reste encore pour nous, deux mille cinq cents ans plus tard.

Les 12 742 tonnes de bombes larguées sur l’Afghanistan entre 2001 et avril 2009 n’ont rien réglé. Les 64 500 soldats venus de 42 pays, sans compter les 16 000 autres aux côtés du gouvernement d’Hamid Karzaï, n’apportent que des résultats peu encourageants, et ce même si nos soldats apprennent vite et bien et même si l’armée française profite de cet engagement dans le cadre de l’OTAN pour maintenir, et c’est nécessaire, son haut niveau de technicité et de performance.

Dans le cadre de l’OTAN et dans l’esprit de la résolution 1378 de l’ONU, nous nous sommes engagés à mettre en place un gouvernement afghan légitime et une administration efficace, dont une armée et une police capables d’assurer leur maintien durable.

La Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, a pour ambition de créer en Afghanistan des conditions de stabilité qui reposent sur quatre principes : la détermination, qui doit se traduire par un engagement à long terme ; le soutien aux populations, qui impose la prise en charge de leur sécurité ; la coordination des efforts militaires et civils par la mise en œuvre d’une approche coordonnée globale ; enfin, une coopération régionale, qui exige l’engagement de tous les États voisins.

Les deux premiers principes sont facilement acceptés par tous. Mais, confrontées aux pertes de la coalition, les opinions nationales des quarante-deux pays membres doutent de plus en plus du bien-fondé de l’engagement et du maintien de leurs troupes sur le sol afghan.

Et, comme le rappelait à l’instant le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. de Rohan, il paraît bien improbable de voir assurer globalement et durablement, en tout cas rapidement, le quatrième principe, c’est-à-dire la coopération régionale, qui est pourtant indispensable.

Le général de Gaulle le soulignait à juste titre : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » Les situations pakistanaise et iranienne montrent le peu d’espoir que l’on peut placer dans ce principe de coopération régionale, mais il n’est point nécessaire d’espérer pour entreprendre… Tout doit être tenté, sans oublier l’implication tant des pays voisins ou proches que des pays qui financent les insurgés : sans eux, rien ne sera possible.

Alors, que faire ? Un proverbe afghan dit : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? ». Mais le même proverbe ajoute : « Si la chance est contre toi, pourquoi te hâter ? ». (Sourires.) Hâtons-nous, mes chers collègues, lentement mais sûrement, et, par une démarche réaliste et exigeante, mettons tout de même la chance de notre côté !

Cette guerre montre la faiblesse des États-Unis et les limites de l’OTAN, qui reproduit les erreurs commises par les Soviétiques. Surtout, elle marque cruellement l’absence totale de politique européenne de sécurité et de défense : certains contingents européens sont paralysés par les restrictions de mission qui leur sont imposées par leur gouvernement, leur Parlement ou leur Constitution !

À mon sens, les Britanniques ont une vision trop « grand large » de l’Europe et de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.

Cette guerre fait apparaître la méfiance persistante des États-Unis à l’égard de leurs alliés, ceux qui n’appartiennent pas à la « bande des quatre », au sens de la règle « four eyes only ». Ces réticences font même naître chez certains des alliés la crainte d’être un jour abandonnés, comme au Liban.

Cette guerre montre en outre l’insuffisance préoccupante de la coopération militaire et civile. Les diplomates suivent les opérations financées par leur pays et n’en rendent compte qu’à leur gouvernement. Les organisations non gouvernementales, les ONG, refusent de collaborer avec les militaires, mais ne peuvent opérer sans leur protection. Les militaires, quant à eux, ne sont acceptés par les populations que si leur présence débouche rapidement sur des réalisations concrètes. Voilà la difficulté !

Faut-il envoyer plus de soldats français en Afghanistan, comme le réclame le général McChrystal ? Le Président de la République a répondu non. À mon sens, il a politiquement raison.

Pourtant, il est humainement et matériellement impossible, dans la configuration actuelle de 70 000 hommes, d’atteindre les objectifs fixés. Souvenons-nous que les Soviétiques, avec 118 000 soldats, contrôlaient seulement 20 % du territoire afghan. Or nous sommes encore loin d’avoir mis en place une armée nouvelle afghane, comme le souhaite la coalition.

Chaque jour, l’adage « un Afghan ne se vend pas, il se loue » complique le recrutement, la formation et la fidélisation des militaires et des policiers afghans. Personne ne l’ignore, les talibans paient trois fois plus cher les soldats et les policiers qui les rejoignent…

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Absolument !

M. Nicolas About. Nous sommes très loin de satisfaire le souhait du général McChrystal de recruter, de former et de fidéliser 400 000 policiers et militaires. Comment, sans fournir d’effectifs supplémentaires, répondre à cette exigence de disposer de militaires pour former la future armée et la future administration, sécuriser les villes et les moyens de communication, soutenir les réalisations dans les villes et les villages et permettre aux ONG de poursuivre leurs missions ?

Ce défi n’est pas impossible à relever, au moins pendant un certain temps, si nous soulageons nos troupes des travaux inutiles et en externalisant certaines missions qui ne relèvent pas de la compétence de nos soldats. (MM. les ministres marquent leur étonnement.)

La France doit confier à des entreprises privées les tâches d’accompagnement et de soutien aux contingents militaires. L’intendance, la maintenance et la réparation des matériels, le nettoyage des installations, l’organisation des transports et de toute la logistique, voire certains travaux liés à l’informatique, peuvent faire l’objet de cette politique d’externalisation.

Les Américains, les Canadiens et les Britanniques en font un usage important en Irak, à hauteur de 1 pour 10 000, me semble-t-il. C’est par exemple le cas avec Blackwater et ses filiales, telle Paravant, ou la société Saladin. Cette sous-traitance ne se limite pas à des fonctions classiques vouées à compléter l’action des militaires sur le terrain. Elle touche d’abord d’autres sortes de missions, notamment la réalisation d’ouvrages spéciaux, l’élaboration d’études particulières, la formation et même le renseignement, voire des opérations militaires.

Mais si la France, comme je le propose, s’oriente vers cette solution, qui respecte l’engagement du Président de la République tout en permettant une optimisation de nos soldats présents sur le terrain, il nous faut évidemment interdire la participation de ces sociétés à des opérations de type militaire.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Hervé Morin, ministre de la défense, et M. Jean-Pierre Chevènement. Ah bon !

M. Nicolas About. L’utilisation de nos réservistes pourrait être aussi envisagée pour remplir certaines de ces missions d’accompagnement et de soutien.

Comment conclure ?

Nous avons encore un rôle à jouer en Afghanistan. Notre action doit s’inscrire dans un projet européen. Nos missions, dans le cadre de ce projet, ne peuvent réussir qu’avec le soutien ou pour le moins, dans un premier temps, la neutralité bienveillante des Afghans. Elles doivent s’inscrire dans le cadre non seulement de l’approche globale de la coalition, mais également d’un accord régional élargi.

En outre, nous devons intégrer au projet de la coalition la prise en compte du rôle incontournable des autorités et des chefs de guerre locaux, talibans compris, sans lesquels aucune administration future afghane n’est sérieusement envisageable.

La vraie victoire de la coalition et de nos soldats sera le retour de la paix civile dans un pays reconstruit et administré par les Afghans eux-mêmes. Nos soldats ne sont pas là pour gagner une guerre, mais pour construire les conditions de la paix. Par le même raisonnement, la défaite, l’échec de la coalition serait non pas celui de nos soldats, qui œuvrent de manière exemplaire, mais celui des politiques européens, occidentaux et régionaux.

En attendant de parvenir à cette paix respectueuse du droit des Afghans à décider eux-mêmes de leur destin et respectueuse des droits de l’homme, notre gouvernement doit maintenir l’effort exceptionnel mis en place tout particulièrement depuis deux ans et salué par tous sur le terrain.

La France ne doit pas oublier ses soldats, dont le comportement auprès des populations afghanes et des membres de la coalition est exemplaire.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Nicolas About. En terminant, je veux m’incliner devant tous ceux qui sont tombés encore hier pour servir la France et défendre en Afghanistan les valeurs qui sont les nôtres. Que leurs familles trouvent dans ces quelques mots l’expression de notre reconnaissance et de notre sympathie.

Le cœur de nos soldats était pur ; leur combat était juste. La mort de chacun d’entre eux porte une exigence de paix. Puissent les dirigeants du monde être à la hauteur de leur sacrifice ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, dans l’interview que vous avez donnée il y a deux jours au journal Le Monde, vous affirmez : « Nous en sommes encore à attendre la décision du président Obama sur sa stratégie. On ne va pas s’opposer aux Américains en Afghanistan. Mais pour discuter, nous avons besoin d’une stratégie européenne. »

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. Vous ne sauriez avouer plus crûment votre absence de stratégie ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Vous ajoutez : « Nous préparons un papier à ce sujet, avec des partenaires européens très engagés en Afghanistan. »

Vous vous retranchez derrière une Europe de papier pour ne pas répondre à la question de savoir ce que la France fait en Afghanistan ! Parlez-nous plutôt de la France, monsieur le ministre !

Il est vrai que, dans la même interview, vous déclarez : « S’il y a un haut représentant fort, nous, les ministres des affaires étrangères, nous aurons moins d’importance. »

M. Nicolas About. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Chevènement. Et vous concluez : « C’est comme ça. Il faut croire à l’Europe. »

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. S’il vous plaît !

Mme Dominique Voynet. Hors sujet, c’est du radotage !

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais si vous n’avez déjà plus aucune importance, monsieur le ministre, pourquoi organiser ce débat ?

Je m’étonne, au passage, qu’un gouvernement dont le ministre des affaires étrangères revendique aussi fort son effacement veuille encore nous parler de l’identité nationale de la France et de son indépendance, ravalée au rang des accessoires par le « mini-traité » de Lisbonne.

Faisons un rêve, monsieur le ministre : vous êtes resté le ministre des affaires étrangères de la France. Le Président de la République, dont vous tirez votre légitimité, et vous-même devez faire connaître, avant même que M. Obama ait pris sa décision sur l’envoi ou non de renforts, la position de la France.

Les buts politiques de l’intervention de l’OTAN en Afghanistan, que je distingue de la stratégie militaire, ne sont pas aujourd’hui clairement définis. Il n’est donc pas opportun d’appuyer les demandes de renfort exprimées par le général McChrystal, commandant l’ISAF, l’International Security Assistance Force.

Les raisons de l’intervention de 2001 étaient justifiées au départ : priver Al Qaïda d’un sanctuaire. Elles ont largement évolué depuis lors vers la construction d’un État démocratique, comme cela a été affirmé au sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008, M. Bush étant encore président des États-Unis. Cette tâche est aujourd’hui hors de portée, à supposer qu’elle ait été jamais accessible !

On ne peut en effet occulter l’énorme effet de pollution exercé par l’invasion de l’Irak en 2003 sur l’évolution du conflit afghan. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)