Mme Nathalie Goulet. Très bien ! CQFD !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le temps perdu ne se rattrape pas !

Il n’est pas possible d’exporter la démocratie dans un pays étranger, a fortiori quand il s’agit d’un pays aussi différent des pays occidentaux que l’Afghanistan. On ne peut pas plaquer du dehors une constitution à l’occidentale pour imposer à l’Afghanistan nos conceptions en matière de gouvernance et d’État de droit.

C’est l’élection d’un nouveau président américain, Barack Obama, et la rupture qu’il a déclaré vouloir opérer dans les relations des États-Unis avec les pays musulmans qui autorisent aujourd’hui une réévaluation de la situation. L’objectif de l’ISAF ne peut être de s’installer durablement en Afghanistan, où la tête d’Al Qaïda ne se trouve vraisemblablement plus.

Sept ans après son accession au pouvoir, le président Karzaï ne dispose plus d’une légitimité suffisante. La restauration de l’État afghan est le préalable de tout, comme l’a d’ailleurs souligné M. Josselin de Rohan. Le retrait doit donc être affirmé comme l’objectif normal de l’intervention militaire, sous certaines conditions.

Pour cela, il faut redéfinir les objectifs politiques de la présence militaire de l’OTAN.

D’abord, il faut envisager le rejet par la révolte nationale pachtoune du terrorisme internationaliste d’Al Qaïda.

Ensuite, il faut prévoir la constitution d’un gouvernement d’union nationale n’excluant aucune composante du peuple afghan et ratifié par une Loya Jirga, conformément à la tradition du pays.

Enfin, il faut organiser la neutralisation de l’Afghanistan dans le cadre d’une conférence internationale incluant les pays voisins.

C’est seulement en attendant que ces conditions soient réunies qu’il est légitime de maintenir une pression militaire reposant sur un principe d’économie des forces, mais sans engagement de calendrier.

La définition des objectifs politiques ne doit pas être laissée aux militaires : ils demandent toujours des renforts ! L’OTAN doit choisir une stratégie soutenable à long terme, avec des moyens limités. L’opinion publique occidentale doit pouvoir, en effet, soutenir cette stratégie et ne pas être pour celle-ci un facteur d’affaiblissement.

Aucune stratégie en Afghanistan, enfin, ne peut faire l’économie de la coopération active du Pakistan, dont la communauté internationale doit soutenir la réorientation démocratique et la modernisation. Pour y parvenir, il faut rechercher la normalisation des rapports indo-pakistanais et sino-indiens. Les pays voisins doivent aider à la restauration de la paix en Afghanistan. C’est d’abord leur affaire, pas la nôtre !

Voilà, monsieur le ministre, la voix que la France devrait faire entendre au président Obama avant qu’il n’arrête sa décision !

La présence en Afghanistan de 3 500 soldats français, au courage et au stoïcisme desquels je veux rendre hommage, vous oblige à prendre, au nom de la France, une position raisonnée. Si elle l’est, et si le Président Sarkozy sait l’exprimer avec force, elle sera entendue.

Ne vous réfugiez pas derrière un papier « européen » qui ne dira rien, à supposer qu’il voie le jour, et dont les Américains, bien sûr, ne tiendront aucun compte !

Faites entendre la voix de la France, monsieur le ministre. C’est comme ça : il faut y croire ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos concitoyens suivent régulièrement, notamment au travers des médias, l’évolution de la situation en Afghanistan et l’engagement de nos soldats dans un environnement difficile.

Les deux déplacements organisés par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, et par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Josselin de Rohan, ainsi que ce débat, nous permettent de dépasser cette simple vision, parfois tragique mais naturellement réductrice, et d’essayer de faire, ensemble, un point le plus objectif possible sur l’état du pays, l’action de nos troupes et les perspectives qui s’offrent, notamment, à la communauté internationale.

Après plus de dix années d’invasion soviétique, de combats particulièrement meurtriers et destructeurs, l’Afghanistan a connu la chape de plomb du régime taliban et s’est transformé en base arrière et en camp de formation des terroristes d’Al Qaïda.

Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis sont intervenus militairement, chassant les talibans de Kaboul, les repoussant dans les montagnes et au Pakistan, et traquant les groupes terroristes d’Al Qaïda.

Une force internationale d’assistance à la sécurité, appelée FIAS ou, en anglais, ISAF, a été mandatée par la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies pour stabiliser le pays et créer les conditions d’une paix durable. Cette sécurisation, on le comprend, est le fondement de toute perspective crédible de reconstruction et de développement.

Aujourd’hui, les observateurs internationaux comme les pays engagés relèvent des progrès en matière d’infrastructures, de développement économique, d’éducation – notamment pour ce qui concerne les filles, mes chers collègues – et de santé, ainsi que dans la mise en place des institutions.

Cependant, face à la dégradation de la sécurité et au net durcissement des actions des talibans, ils constatent aussi les limites et les échecs de la stratégie passée ainsi que, reconnaissons-le, l’inadaptation du modèle démocratique occidental à un pays en guerre depuis trente ans, aux ethnies multiples, parfois antagonistes, aux traditions tribales fortes.

Les raisons de ces échecs sont multiples. J’en soulignerai quatre.

Premièrement, l’effort sécuritaire que nous avons réalisé dès 2003 était insuffisant, notamment en raison de l’intervention américaine en Irak, et inadapté, car essentiellement militaire.

Deuxièmement, l’aide internationale, pourtant très importante, n’a pas bénéficié d’une stratégie claire et aucun responsable n’a été désigné par l’ONU pour définir les priorités et piloter ces actions. Les errements dans ce domaine, mes chers collègues, mériteraient à eux seuls un débat !

Troisièmement, la reconstruction de l’appareil de l’État n’a pas suffisamment été considérée comme faisant partie des priorités.

Quatrièmement, cela a déjà été indiqué par les orateurs qui m’ont précédé, la dimension régionale de la crise afghane a été sous-estimée.

La volonté de tirer les enseignements de ces erreurs et de modifier radicalement notre action se dessine au niveau tant politique que militaire. Le sommet de l’OTAN de Bucarest, en avril 2008, a arrêté des principes majeurs : détermination partagée de maintenir un engagement dans la durée ; soutien aux autorités afghanes pour leur permettre de prendre en charge, progressivement, leur sécurité ; approche globale internationale tant militaire que civile, puisque la sécurité et la reconstruction sont les deux piliers indispensables ; accroissement de la coopération régionale avec les pays voisins.

Le rapport du général McChrystal, qui commande tout à la fois les troupes américaines de l’opération Enduring Freedom et les soldats des quarante-deux pays alliés au sein de l’ISAF, va dans le même sens, même si les médias n’ont souvent retenu que la demande d’un renfort de 40 000 hommes qu’il a adressée au président Obama.

Je tiens à souligner, comme M. Josselin de Rohan avant moi, que le volet civilo-militaire du rapport du général McChrystal est déjà décliné par le contingent français, qui, après avoir préparé cette transition en amont, vient de remettre le commandement et la responsabilité de la région de Kaboul à l’autorité militaire afghane, en liaison avec les Turcs.

Quelle est donc la situation réelle des troupes françaises en Afghanistan ?

Notre dispositif est divers et en cours d’évolution. Il comporte un contingent air, soit 450 hommes environ, à Kandahar et à Douchanbé, au Tadjikistan ; une centaine de personnels de la mission Héraclès mer ; 3 100 soldats, très majoritairement de l’armée de terre, qui assurent des missions de sécurisation. Celles-ci, d’abord concentrées dans la région de Kaboul, ont été progressivement étendues à l’est de la capitale, dans la province de Kapisa et le district de Surobi, secteur dans lequel nous recentrerons notre action, au début du mois de décembre, grâce à la mise en place de la brigade La Fayette.

Par ailleurs, et c’est essentiel, nous assurons la formation d’éléments de l’Armée nationale afghane, qui est passée de 3 000 hommes en 2002 à près de 96 000 hommes aujourd’hui. Nous avons formé durant cette période 6 000 cadres militaires et 3 000 commandos, et nous accueillons maintenant 4 700 soldats afghans pour des périodes de formation accélérée de deux mois.

M. Jean-Louis Carrère. Et combien sont passés chez les talibans ?

M. Jacques Gautier. Parallèlement, plus de 300 officiers et sous-officiers français conseillent les unités afghanes au sein des OMLT, les Operational Mentor and Liaison Teams, vivant avec elles et les accompagnant dans les opérations sur le terrain.

Enfin, cinq groupes de coopération civilo-militaire, dits CIMIC, interviennent dans les zones que nous sécurisons pour réaliser sur le terrain de mini-programmes de reconstruction, en liaison étroite avec les populations et les représentants de l’armée afghane. Je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Lors de notre déplacement, nous avons rencontré des soldats français, notamment dans les Forward Operating Bases, ou FOB, de Kapisa, Nijrab et Tagab. Comme l’ont fait sur place le président du Sénat et les présidents des groupes politiques de la Haute Assemblée, je tiens à rendre un hommage appuyé à ces hommes et à ces femmes, qui sont dotés d’un haut moral et ont une grande conscience de l’importance de leur mission. Nous avons admiré et salué leur professionnalisme, leur détermination et leur sens élevé du service de la France. Vous devez savoir, mes chers collègues, qu’avant la projection en Afghanistan ils bénéficient d’une préparation opérationnelle spécifique de six mois, avec, bien sûr, déclinaison des fondamentaux du combat, mais aussi prise de connaissance du théâtre afghan au travers de nos retours d’expérience.

Après le net durcissement des combats, à l’été 2008, et la généralisation de la pose par les talibans d’Improvised Explosive Devices, ou IED – ces mines artisanales, souvent de forte puissance, qui ont causé 75 % des pertes alliées –, il a fallu faire évoluer nos équipements individuels et nos matériels. C’est chose faite grâce à d’importants crédits d’urgences opérationnelles via la mise en place des « crash programmes » : 108 millions d’euros en 2008 et 180 millions d’euros en 2009. Cet effort a été complété par le déploiement en 2009 de trois hélicoptères Tigre et d’un hélicoptère Caracal supplémentaire et l’envoi de huit canons de 155 millimètres Caesar. Merci, monsieur le ministre de la défense !

Les missions dites en « tache d’huile » sont conduites en collaboration avec le 32e kandak de l’armée afghane, bataillon qui travaille totalement avec nous et bénéficie de conseillers français. Elles permettent, après la sécurisation d’un village ou d’une zone, de réunir une shura, qui est une assemblée de notables, et de rencontrer les sages, les malek, afin de définir avec eux les travaux à réaliser d’urgence dans la zone et de les engager immédiatement avec la participation active des villageois.

Je note d’ailleurs qu’un lien étroit s’établit maintenant dans la région de Kapisa et dans le district de Surobi entre nos troupes et les soldats afghans, d’une part, et la population locale, d’autre part.

Je voudrais citer deux exemples : dans les zones dont nous nous occupons, le taux de participation au premier tour de l’élection présidentielle, le 20 août dernier, a été supérieur à la moyenne nationale ; mais surtout, sur les vingt-quatre derniers IED qui ont été découverts et neutralisés, seize avaient été signalés par les habitants eux-mêmes.

La population afghane en général, et particulièrement dans les zones que nous sécurisons depuis un an, aspire à vivre en paix, à retrouver la tranquillité après trente ans de guerre et refuse majoritairement les talibans.

M. Jean-Louis Carrère. Alors, allons-nous-en !

M. Jacques Gautier. Cependant, l’opinion publique occidentale, spécialement en France et en Grande-Bretagne, se pose toujours la question légitime d’un retrait possible, face à la durée et au durcissement du conflit, notamment après la perte, depuis le début de l’engagement en 2002, de 1 300 soldats, dont 36 Français. Je tiens à saluer la mémoire de ces hommes tombés en Afghanistan pour assurer la mission qui leur a été assignée et participer à la sécurisation et à la reconstruction de ce pays.

Les forces alliées sont fortes de 76 000 hommes, dont 3 694 Français, ce qui fait de notre pays le cinquième contributeur. Elles disposent de moyens militaires importants et d’un niveau technologique élevé, même si le ratio entre le nombre de soldats alliés et la population n’est que de 12 pour 1 000 – je voudrais que vous reteniez ce chiffre, mes chers collègues ! –, alors qu’il s’élève à 29 pour 1 000 en Irak. Même si nous obtenions le renfort demandé de 40 000 hommes, ce ratio n’atteindrait que 18 pour 1 000 : on voit que le général McChrystal cherche à réduire ce différentiel !

Face à ce potentiel, l’insurrection disposerait d’effectifs estimés entre 30 000 et 50 000 hommes. Elle est dispersée et animée par des motivations diverses : religieuses, tribales, politiques, mais aussi mafieuses.

Néanmoins, la force d’une insurrection est ailleurs, et nos concitoyens doivent le comprendre. Les insurgés savent qu’ils ne peuvent pas gagner militairement,…

M. Jean-Louis Carrère. Et nous, le pouvons-nous ?

M. Jacques Gautier. … mais, au travers d’attentats, d’attaques suicides, de destructions par IED ou d’embuscades très ciblées, ils visent directement non pas les militaires, mais les opinions publiques occidentales, pour qu’elles fassent pression sur leurs gouvernements afin qu’ils retirent leurs soldats.

Après nos déplacements sur place, où nous avons participé à des échanges et des rencontres diverses, il apparaît comme évident qu’un désengagement à court terme est inenvisageable. Au-delà de la « défaite médiatique » de l’ONU et de l’OTAN et des répercussions qu’un tel retrait aurait, dans l’avenir, sur les autres crises que ces deux organisations auraient à gérer, il ramènerait l’Afghanistan à la situation de 2001, avec le retour rapide des talibans et la reconstitution d’un refuge pour les terroristes internationaux. Il signifierait pour les populations le retour de l’obscurantisme, la fin des droits de l’homme et, surtout, de la femme. Enfin, la situation serait aggravée, certains l’ont déjà évoqué, par une instabilité accrue dans la région. Pour toutes ces raisons, l’ensemble des voisins de l’Afghanistan et des acteurs régionaux majeurs, telles l’Inde, la Chine et la Russie, souhaitent le maintien dans la durée de notre présence en Afghanistan.

Sur l’initiative de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, une conférence internationale devrait se tenir dans quelques mois, peut-être à Kaboul même, pour acter les grands principes de l’engagement international, mais aussi ceux du gouvernement afghan. Il me semble que notre pays, en s’appuyant sur les préconisations du sommet de Bucarest et le rapport du général McChrystal, fasse preuve de fermeté sur un certain nombre de points.

Premièrement, il convient, en liaison avec l’ONU, de réduire les déficits en matière de gouvernance et d’État de droit, grâce à un gouvernement renouvelé et d’ouverture s’appuyant sur des compétences qui existent dans le pays,…

Mme Michelle Demessine. Cela a échoué !

M. Jacques Gautier. … et d’accomplir un effort significatif dans la lutte contre la corruption et contre la culture du pavot, au niveau aussi bien de l’État central que des provinces, en remplaçant certains gouverneurs devenus des symboles de la corruption.

Deuxièmement, cela a déjà été souligné, nous devons encourager une croissance rapide de l’armée nationale et de la police afghanes en développant le recrutement et la fidélisation, liés en partie à la revalorisation des soldes – je rappelle que les soldats et policiers touchent en moyenne de 80 dollars à 100 dollars par mois, alors que les talibans perçoivent 300 dollars ! Il conviendrait également d’améliorer la formation, le tutorat ainsi que l’intégration des unités opérant sur le terrain. Un effort tout particulier doit être réalisé en direction de la police, et je me félicite de l’arrivée de 150 gendarmes français.

Troisièmement, il faut concentrer l’effort de sécurité et de reconstruction dans les secteurs peuplés et, comme le demande le général McChrystal, dans les zones où la population est le plus menacée par la violence, la peur, l’intimidation des talibans, qui éliminent les « barbes blanches », les anciens, et mettent en place des dirigeants radicaux extrémistes.

Quatrièmement, notre pays, pour sa part, doit maintenir ses troupes en Afghanistan au minimum au niveau des effectifs actuels et recentrer son action sur la province de Kapisa et le district de Surobi.

Cinquièmement, au niveau diplomatique, la coalition devrait apporter une réponse régionale à la situation en Afghanistan en obtenant un engagement accru du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme, ce qui suppose aussi une coopération avec l’Inde, dont le Pakistan craint une attaque sur ses zones frontalières. Cette action doit être générale et menée avec l’ensemble des acteurs que j’ai déjà cités, y compris avec l’Iran, qui est envahi par la drogue venue d’Afghanistan.

Sixièmement, l’ONU doit nommer un haut responsable de l’aide internationale, doté de pouvoirs décisionnels, pour organiser, rationaliser, optimiser le flux des centaines de millions de dollars déversés sur le pays. En ce qui concerne l’action de la France, je salue les efforts réalisés dans ce sens en 2008 et 2009, mais il faut aller plus loin et concentrer le plus de moyens possible au plus près du terrain, en liaison étroite avec nos troupes et les CIMIC. Les résultats obtenus dans la vallée de Shamali comme les premiers retours à l’est de Kaboul montrent l’efficacité de ces actions, qui obtiennent l’adhésion des populations ou, au minimum, les incitent à rester neutres. Les travaux de la route Vermont, dans le district de Surobi, financés par les Américains, montrent l’attente des habitants et leur soutien à une infrastructure qui facilitera leurs déplacements, au nord, vers Bagram, puis Kaboul, pour la vente de leurs produits agricoles.

À ce sujet, monsieur le ministre des affaires étrangères, je crois profondément, comme beaucoup d’acteurs sur le terrain, diplomates ou militaires, nous l’ont indiqué, qu’il faut décharger l’Agence française de développement, l’AFD, d’une partie de ses missions et de ses moyens sur place. Si cette agence réussit parfaitement en Afrique et pour les soutiens au gouvernement afghan ou aux ONG, elle n’est pas adaptée au financement de microprojets à réaliser en urgence après la tenue des shuras. Je plaide donc pour le transfert direct de crédits supplémentaires aux CIMIC, peut-être sous le contrôle de l’ambassade.

Enfin, et je rejoins sur ce point le président de notre commission des affaires étrangères, il convient de fixer avec l’ONU et l’OTAN un calendrier contraint et réaliste pour un retrait progressif du pays au fur et à mesure de la réalisation des objectifs arrêtés en commun. Quatre ou cinq ans me semblent constituer une perspective raisonnable, même s’il est certainement nécessaire de prévoir, à plus long terme, une présence minimale d’encadrement des troupes afghanes, de soutien aérien et de renseignement technologique.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jacques Gautier. Aujourd’hui, nous devons donner sans hésitation une chance à l’« afghanisation » de la sécurité, à une meilleure gouvernance, à une certaine démocratisation et à la reconstruction du pays pour les populations. Cela signifie, dans la durée, un effort soutenu de nos soldats, auxquels nous devons apporter, c’est notre responsabilité commune, tous les moyens dont ils auront besoin, en les assurant du soutien de la représentation nationale et de la nation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. « Une sortie d’Afghanistan progressive, calculée et planifiée, mais une perspective de sortie confirmée et débattue », voilà, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce que nous aurait proposé Jean-Pierre Bel s’il en avait eu le temps.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la connivence du régime des talibans avec Al Qaïda constituait, en effet, une grave menace pour la sécurité du monde.

Outre ses buts militaires reconnus, le Premier ministre d’alors, Lionel Jospin, avait assorti l’intervention en Afghanistan d’objectifs diplomatiques et politiques précis. Au regard de la situation actuelle, il est essentiel de les rappeler : reconstruire l’Afghanistan sur la base du droit, du dialogue et d’un système représentatif ; apporter une aide matérielle et humanitaire aux nouvelles autorités afin d’asseoir leur légitimité ; assécher le narcotrafic et la contrebande de matériaux chimiques ; favoriser la solution négociée et juste des conflits au Proche-Orient afin d’ôter toute légitimation au recours à la violence terroriste.

Je vous laisse juges du résultat et vous pose une première question, puisque vous êtes membres du Gouvernement et que je suis l’un des représentants de l’opposition : comment combattre efficacement les forces insurgées avec un pouvoir central délégitimé ? Comment, dans ce conflit, qui est aussi une guerre civile fratricide entre Afghans, surmonter le sentiment hostile, ou pour le moins négatif, qui grandit au sein de la population à l’égard du gouvernement et de son alliée, la coalition militaire internationale ?

Les propos publiés par le colonel Goya confirment pleinement le constat que je viens d’énoncer : « La coalition apparaît comme une immense machine tournant un peu sur elle-même, et souvent pour elle-même, en marge de la société afghane. »

Le Premier ministre nous avait vanté, il y a un an, les mérites quasi magiques de la politique d’« afghanisation » du conflit. Cependant, nous savons que l’« afghanisation » passe surtout par la formation des militaires de ce pays. Or le dispositif actuel de formation ne marche pas. Plutôt que de multiplier les assertions gratuites, je me permets de citer à nouveau le colonel Goya : « L’ensemble du système de formation de l’armée afghane apparaît comme une machine à faible rendement, alors que la ressource humaine locale, imprégnée de culture guerrière, est de qualité. » Sans parler, mes chers collègues, des désertions au sein de l’armée afghane, qui atteignent des niveaux considérables au fil des mois : 12 % des sous-officiers et 34% des militaires du rang – je m’étonne d’ailleurs de la discrétion qui règne sur ce sujet.

Paradoxe des paradoxes : nos formateurs améliorent la formation de soldats afghans qui, quelque temps plus tard, se retrouvent dans les rangs des talibans et les combattent ! Ne sous-estimez pas cet aspect de la situation ! L’évidence s’impose, messieurs les ministres : il faut changer de stratégie !

La France ne peut pas conserver sa position actuelle, avec un Président de la République qui s’agite au milieu des contradictions : d’un côté, il annonce la volonté de rester en Afghanistan « aussi longtemps que nécessaire » ; de l’autre, il explique qu’il n’envisage pas d’y envoyer de nouvelles troupes françaises tout en approuvant les propositions de l’OTAN destinées à augmenter la présence de la coalition sur place. Que l’on m’explique la trame de la pensée présidentielle !

Alors, messieurs les ministres, quelle est la position de la France ? Faut-il se résigner à une augmentation rampante, silencieuse et cachée des effectifs des troupes françaises ?

Selon les dernières dépêches de presse, le président Obama « réfléchit toujours ». La seule certitude que nous ayons, c’est que les priorités de l’administration américaine dans la région se réorientent vers une stratégie, dite « AfPak », qui, et c’est tout à fait nécessaire, lie les deux théâtres de l’Afghanistan et du Pakistan.

Certes, il s’agit d’une première décision, et ses conséquences militaires sont évidentes. Mais nous oblige-t-elle et, dans l’affirmative, jusqu’où nous engage-t-elle ? Messieurs les ministres, avez-vous participé un tant soit peu à la prise de décision relative à cette extension du champ de bataille régional ?

Pour rester bref, je pense que nous devons exiger d’être associés à la redéfinition de la stratégie de la coalition en Afghanistan et dans la région et, pour cela, nous devons faire bloc avec nos amis de l’Union européenne. Concrètement, pourriez-vous, messieurs les ministres, nous préciser comment et dans quelle mesure la France est associée aux décisions du commandement militaire intégré de l’OTAN ? Pourriez-vous nous indiquer les démarches engagées pour harmoniser les positions des pays européens ?

Bien qu’étant pris par le temps, je souhaiterais évoquer, très rapidement, le problème de la drogue. Il ne semble pas retenir toute l’attention nécessaire des membres de la coalition internationale présente en Afghanistan. Pourtant, au-delà de la nocivité même de ce type de trafic et de ses conséquences sur nos populations, la culture du pavot présente pour nous deux autres dangers.

D’une part, la drogue alimente un système de corruption qui traverse toute la société afghane, jusque dans ses cercles les plus élevés, talibans et administration gouvernementale compris. D’autre part, elle est à l’origine d’un trésor de guerre, capté par les talibans, qui trouvent ainsi un financement commode et, pour l’instant, inépuisable. Messieurs les ministres, quelle action le Gouvernement envisage-t-il pour que ce dossier soit pris à bras-le-corps par les forces de la coalition et par les autorités afghanes ?

En conclusion, messieurs les ministres, il est temps de changer de stratégie !

Nous considérons qu’il est crucial de demander au Conseil de sécurité des Nations unies la tenue dans les meilleurs délais d’une conférence internationale élargie à tous les pays voisins de l’Afghanistan, ainsi qu’à l’Inde et aux pays de la péninsule arabique, pour redéfinir les objectifs de l’engagement militaire, exiger du gouvernement de Kaboul une action déterminée contre la corruption, la drogue et le terrorisme, et assurer au peuple afghan le développement économique du pays.

Nous souhaitons qu’une sortie progressive, calculée et planifiée soit définie et effectivement annoncée. Ne tardez plus, messieurs les ministres, vous avez déjà trop tardé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a huit ans, presque jour pour jour, dans la nuit du 12 novembre 2001, un millier de voitures emportaient les chefs et les cadres taliban qui s’échappaient de Kaboul, se scindant en deux colonnes, l’une vers Kandahar, l’autre vers Djalalabad. C’est une énigme, car tous les véhicules qui avaient bravé le couvre-feu américain les nuits précédentes avaient immédiatement été détruits.

Nous devions apporter aux Afghans la paix, la sécurité, la démocratie sous la forme d’élections libres. Aujourd’hui, les combats sont de plus en plus âpres contre des taliban mieux aguerris ; le nombre des victimes collatérales est inacceptable ; des attentats ensanglantent chaque semaine les villes.

Les élections n’ont été qu’une pantomime pour laquelle les électeurs afghans ont risqué leur vie. Ce scrutin devait désigner un chef d’État incontesté. Les nombreuses tricheries soulignées et instrumentalisées par les taliban lui ont ôté toute valeur. Ainsi, des journalistes ont testé les urnes en votant à plusieurs reprises et sous des noms les plus farfelus, figurant sur leur carte d’électeur – Britney Spears, Michael Jackson,... Ces élections, insultantes pour les Afghans, ont infiniment moins de valeur à leurs yeux, et à raison, qu’une loya jirga ou le pachtounwali.

Tout discours sur l’Afghanistan doit être humble !