M. Alain Fouché. Si vous aviez été à Poitiers il y a quelques jours, vous auriez vu ce qui s’est passé !

Mme Éliane Assassi. Car si le fait de masquer son visage complique la tâche de la police pour appréhender l’auteur de l’infraction, cela ne peut pas être juridiquement un facteur aggravant. Sinon, selon un raisonnement par l’absurde, le fait de commettre une infraction à visage découvert devrait être une circonstance atténuante.

Le texte tel qu’il est formulé pourrait être utilisé pour remettre en cause la liberté de manifester. Des policiers n’ont-ils pas affirmé eux-mêmes que cette loi ne s’appliquera, dans les faits, que lors de manifestations ?

Voici donc un système qui ne sera en rien utile pour lutter contre les violences de groupes, lesquelles sont pourtant, j’y insiste, un véritable problème, mais qui va permettre de criminaliser l’action sociale.

Cette mesure est dangereuse non seulement pour les libertés publiques, mais également pour la sécurité des personnes lors de manifestations pacifiques, par exemple lorsque des groupes de casseurs s’y seront introduits et que la police « chargera » la foule pour poursuivre les individus cagoulés. Nul doute que cela risque de créer des troubles au lieu d’y mettre un terme.

Mais cette proposition de loi va encore plus loin dans l’atteinte qu’elle porte à l’action militante lorsqu’elle sanctionne d’un an d’emprisonnement « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire ». En effet, ce dispositif qui vise particulièrement les locaux scolaires pourrait être étendu à d’autres lieux publics occupés lors de conflits sociaux.

Je comprends tout à fait la nécessité de trouver des solutions pour protéger les personnes chargées d’une mission de service public, mais il ne me semble pas que ce texte y réponde. À mon sens, il s’agit ici, pour le gouvernement, de redorer son blason devant les enseignants, qui ont largement souffert des « réformes » gouvernementales, avec la suppression de nombreux postes, notamment des postes de surveillants, ce qui a pu entraîner une augmentation des intrusions dans les établissements scolaires.

Il y a donc dans cette proposition de loi de quoi porter une grave atteinte à l’action militante, les manifestants risquant ainsi de se voir poursuivis au nom de la lutte contre les violences de groupes. Ce texte est extrêmement dangereux, j’y insiste, alors même que l’objectif annoncé est de mieux protéger les citoyens. Nous devons souligner son peu de cohérence ; rappelons-le, ce dispositif a été pensé dans l’urgence et manque donc du recul indispensable lorsque l’on traite un sujet aussi délicat. On observe ainsi une grande hétérogénéité dans les mesures qui y sont opportunément insérées. On peut d’ailleurs s’étonner de la présence de certaines dispositions qui n’ont qu’un rapport ténu avec le sujet, pour ne pas dire aucun rapport.

Il semble que vous preniez prétexte de cette proposition de loi pour y rattacher certaines mesures comme la vidéosurveillance ou encore la possibilité donnée aux agents des propriétaires et gestionnaires d’immeubles de se munir d’arme. Il y a donc un risque de multiplication des bavures et, de fait, vous affichez votre volonté de privatisation de la sécurité, alors que l’on peut voir les dangers de ce système dans les pays qui y ont recours.

La faculté donnée à ces mêmes propriétaires de transmettre les images de vidéosurveillance dans les parties communes qui sont « susceptibles » de nécessiter l’intervention des forces de l’ordre va dans le même sens et entretient un climat de tension.

Enfin, qu’ajouter de plus à ce qui a déjà été dit concernant la disposition visant à réécrire le délit d’occupations des halls d’immeubles ? La nouvelle formulation que vous proposez ne la rendra toujours pas applicable.

Cette proposition de loi, qui a été élaborée dans l’urgence, je l’ai dit, est peu cohérente et rassemble surtout de nombreuses dispositions hétérogènes qui n’ont pour réel lien que d’aggraver des sanctions prévues dans d’autres lois.

Nous comprenons très bien la visée électorale de ce texte, alors même que vous tendez à revenir fortement sur le terrain sécuritaire à la veille des élections. Cependant, il ne s’agit pas que d’une simple loi d’affichage : elle fait courir de graves risques au mouvement social. On risque donc de voir se reproduire le même schéma que pour les nombreux textes répressifs qui ont été adoptés ces dernières années et qui ont été détournés de leur esprit initial pour réprimer les acteurs de mouvements sociaux.

C’est pourquoi nous nous opposons fermement à l’adoption de ce nouveau texte. Du reste, nous avons déposé des amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, il s’agit donc de la quinzième loi relative à la sécurité en sept ans, après quatorze textes qui se sont traduits par cent seize modifications du code pénal et en attendant les suivantes. Nos magistrats ont, vous le savez, beaucoup de mal à assimiler ces changements constants.

Le scénario est naturellement toujours le même ; vous le connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État. Il se passe un fait divers crapuleux, un acte de violence ou un acte de récidive, bien entendu inacceptable. Et M. le Président de la République apparaît sur le perron de l’Élysée pour dire toute son indignation et annoncer une nouvelle loi. En attendant la prochaine…

Faut-il perpétuellement légiférer et est-il honnête – j’emploie ce mot à dessein –, eu égard aux problèmes qui se posent, de proposer une législation supplémentaire sans apporter les moyens nécessaires ? Les lois multiples, redondantes et surabondantes sont-elles la bonne réponse ? Ce sont les moyens qui manquent le plus, monsieur le secrétaire d’État.

Faire un article de loi sur la violence dans les enceintes d’établissements d’enseignement scolaire, pourquoi pas ? Mais est-il cohérent de conduire une politique aboutissant à une diminution du nombre d’adultes dans lesdits établissements pour encadrer les jeunes et pour les éduquer ? La lutte contre la récidive est, bien sûr, nécessaire, mais lorsque se multiplient ce que les gardiens de prison appellent les « sorties sèches », sans préparation à la réinsertion professionnelle et sociale, lutte-t-on véritablement contre la récidive ?

Quand les jeunes sont livrés à eux-mêmes, qu’il y a moins de temps scolaire, par exemple le samedi, cela va-t-il dans le bon sens ?

Autrement dit, ce qui compte, ce sont les actes ; ce ne sont pas les juxtapositions et les accumulations législatives.

Ce texte est-il utile ? Vous avez essayé de nous expliquer qu’il l’était, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne suis pas sûr que vous en soyez persuadé. D’ailleurs, je vous ai senti moins convaincu qu’en d’autres temps.

Si la nécessité de lutter contre les bandes violentes n’est pas discutable, il convient de s’interroger sur l’existence d’un vide juridique dans le droit pénal qui empêcherait cette lutte. Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, notre arsenal pénal comporte des lacunes. Mais existe-t-il un vide juridique ? Nous considérons, comme Mme Assassi, que tous les comportements que cette proposition de loi prétend viser sont déjà constitutifs de délits dans l’état actuel du droit pénal.

Au regard des multiples incriminations déjà existantes, l’introduction d’un délit de bandes soulève la question de sa conformité au principe consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Les dispositions que vous nous proposez sont-elles nécessaires?

Je prendrai un premier exemple. La protection des enceintes scolaires et des personnels qui œuvrent à l’éducation et à l’encadrement des jeunes dans les établissements scolaires. Vous proposez une mesure nouvelle, qui est surabondante par rapport à ce qui existe.

Monsieur le secrétaire d’État, nous allons vous faire une proposition concrète ; c’est notre amendement n° 11 : il prévoit d’appliquer aux personnels qui travaillent dans les enceintes scolaires, mais aussi à toutes les personnes chargées d’une mission de service public, victimes d’une infraction ayant entraîné une interdiction temporaire de travail, commise à raison de leurs fonctions, les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale, lequel prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité.

Proposer, comme vous le faites, une mesure qui existe déjà et qui ne sert à rien, c’est facile. Mais vous nous tenez, vous et vos collègues, monsieur le secrétaire d’État, des discours sur les victimes ! Quand des personnels chargés d’une mission de service public sont victimes, pensez-vous qu’il est juste de leur appliquer les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale qui prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité ?

Si vous n’acceptez pas notre amendement, nous considérerons que vous ne prenez pas les dispositions nécessaires pour venir en aide aux victimes, que vous êtes un spécialiste des belles paroles. Mais tel n’est pas habituellement votre cas et je suis persuadé que vous allez nous le démontrer.

Ce texte est très largement inconstitutionnel, et je ne vous cache pas, monsieur le secrétaire d'État, que nous étudions la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel.

M. Charles Gautier. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. À cet égard, un remarquable article de M. Hubert Lesaffre paru dans la revue des Petites affiches du mois d’août 2009 est particulièrement éclairant.

Les incertitudes constitutionnelles de ce texte tiennent au fait que le délit de groupe est susceptible de donner naissance à une responsabilité pénale collective et de porter une atteinte disproportionnée à des libertés par ailleurs constitutionnellement garanties.

D’ailleurs, monsieur le rapporteur, votre rapport écrit le démontre, puisque, à la page 19, on peut y lire : « Ce faisant, l’articler premier tend à créer une nouvelle “infraction-obstacle”, s’inscrivant ainsi dans un mouvement contemporain du droit pénal tendant à pénaliser, en amont de la commission d’infractions, les comportements menaçants susceptibles de déboucher sur des atteintes aux personnes ou aux biens. »

Vous le savez bien, la règle fondamentale de notre droit est que l’on punit les actes : tout acte délictueux ou criminel doit être puni. Mais on ne punit pas des intentions !

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Même la « loi anti-casseurs », que nous avons pourtant combattue, monsieur le secrétaire d’État, ne prenait en compte que les actes préparatoires au délit, jamais les intentions !

Je rappelle qu’en matière pénale deux principes fondamentaux issus de la jurisprudence de la Cour de cassation sont intégrés dans le code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » ; « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

Ces principes s’opposent ainsi à l’établissement d’une responsabilité collective, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de M. Yves Mayaud, « une responsabilité qui pèserait sur une personne au titre d’une participation à une infraction commise par plusieurs, mais sans qu’il soit possible de savoir qui, des participants, a précisément réalisé le fait qui en constitue la matérialité ».

Ainsi, à l’article 1er de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous avez remplacé l’expression « en connaissance de cause », qui manque de précision et de clarté, par l’adverbe « sciemment » ; mais c’est encore très imprécis. Cette rédaction permettra d’engager la responsabilité pénale d’une personne pour la simple connaissance de son appartenance, fût-elle temporaire, à un groupement, fût-il fugitif, circonstanciel, inconstitué, dont seuls quelques éléments ont des intentions malveillantes, et quand bien même les intentions de ladite personne ne le seraient pas.

De plus, la rédaction initiale de ce même article mentionnait que le groupement « poursuit le but ». Certes, vous avez là encore modifié la formulation, monsieur le rapporteur, mais cela ne change pas le fond. Il existe un réel risque d’engagement d’une responsabilité pénale pour autrui, ce qui est clairement inconstitutionnel.

L’établissement d’un lien avec un groupe dont certains membres sont effectivement animés d’intentions délictueuses créera, à l’égard de tous les autres, une présomption d’intention. Cet élément se révèle totalement contraire au principe de la présomption d’innocence en vertu duquel « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009.

Concernant la liberté individuelle, le texte prévoit une peine identique pour des faits de nature différente, alors que le code pénal opère une distinction entre les violences ayant entraîné des interruptions temporaires de travail plus ou moins longues, ou encore les dégradations de biens présentant, ou non, un danger pour les personnes.

En outre, l’instauration du délit de groupe conduirait à ce résultat paradoxal que, dans certaines situations, l’intention de commettre un forfait serait punie autant, voire, parfois, plus sévèrement que la commission du délit lui-même.

Vous le voyez, mes chers collègues, tout cela pose un grand nombre de problèmes et ne résout rien.

Pour finir, je voudrais dire quelques mots sur l’article 2 bis, un article dont vous avez essayé de défendre le bien-fondé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État, mais avec beaucoup de mal. D’ailleurs, je dois vous éclairer sur cette disposition, car peut-être n’êtes-vous pas au courant de la déclaration qu’a faite tout à l'heure M. Brice Hortefeux devant la commission des lois. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il était « réservé » sur cet article, …

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur. …qui donne la possibilité à tout agent salarié d’un organisme de logement d’être armé !

Mme Éliane Assassi. Absolument !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, cette question est suffisamment grave pour que vous m’accordiez encore quelques minutes…

Ainsi, tout agent salarié d’un organisme de logement se trouverait potentiellement détenteur d’une arme.

Tout d’abord, cela va poser de nombreux problèmes pour les gardiens d’immeuble, qui seront perçus comme ayant les mêmes attributs que les policiers.

M. Nicolas About. Évidemment !

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne suis pas sûr que cette mesure favorisera le calme dans les cités et aidera ces agents à accomplir la mission qui est la leur.

Ensuite, il faut être sérieux sur ces questions. Il est normal que la police soit armée eu égard aux missions qu’elle assume et à la formation que les fonctionnaires de la police ont reçue. Mais étendre le port d’arme aux agents de surveillance ou de gardiennage présente de grands risques et n’apporte vraiment rien. Aussi suis-je en accord total avec la réserve émise par M. le ministre de l’intérieur. J’espère que le Gouvernement sera cohérent, monsieur le secrétaire d'État. Mais, je n’en doute pas…

En conclusion, ce texte est inutile, redondant et inconstitutionnel. Il s’agit d’un texte d’affichage, qui n’apporte aucun moyen nouveau. C’est pourquoi nous voterons bien entendu contre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes tous contre la violence, contre les violences de groupe, mais aussi, sans nul doute, contre la violence faite à nos principes généraux du droit.

Aujourd’hui, le Sénat est une nouvelle fois saisi d’un texte portant sur la lutte contre l’insécurité. Notre collègue Jean-Pierre Sueur l’a rappelé, il s’agit, pour être précis, du quinzième texte depuis 2002 ! Une telle célérité à faire voter, année après année, ces textes relèverait presque d’une tendance obsessionnelle !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Apporte-t-on une réponse adéquate à un phénomène nouveau ? Tel n’est pas mon point de vue. On lutte contre l’insécurité, qui est d’abord insupportable pour les citoyens les plus faibles, …

M. Charles Gautier. Bien sûr !

M. Jacques Mézard. … non pas en accumulant les lois, mais en mettant en œuvre les moyens prévus par la loi ! Ainsi, est-il sain d’accumuler des textes nouveaux, quitte, ensuite, à accumuler des textes de simplification ? Est-ce cela la clarification ?

M. Jacques Mézard. Est-il raisonnable de voir arriver au Sénat un texte adopté par l’Assemblée nationale comprenant des incriminations déjà prévues depuis un temps immémorial par le code pénal et qui ont finalement été éliminées grâce à la sagesse de M. le rapporteur ?

Plus on a de règles, moins on les applique ; tous les praticiens ont pu expérimenter cet adage.

Les violences de groupes ne sont pas un phénomène nouveau, mais ce phénomène se modifie avec l’évolution de la société et les techniques de communication actuelles.

Le texte qui nous est soumis n’est pas sans rappeler – mais en pire ! – la « loi anti-casseurs » de juin 1970 punissant instigateurs et auteurs de violences de groupes. C’est la loi du 23 décembre 1981 qui l’a abrogée, loi que vous avez votée, me semble-t-il, monsieur le secrétaire d'État !

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jacques Mézard. Mettre hors d’état de nuire les petits caïds, démanteler les bandes organisées tenant certains quartiers, éloigner les sauvageons : tel fut le souhait pertinent de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Les questions de fond sont simples ! L’arsenal juridique actuel suffit-il ? Nous considérons que oui. Les moyens d’assurer la sécurité et la prévention, et d’abord les moyens en personnels sur le terrain, sont-ils suffisants ? Nous estimons que non.

Que sont devenues les promesses d’un ancien ministre de l’intérieur – qui a accédé aux plus hautes fonctions depuis ! –, qui proclamait devant les députés en juillet 2002 que « l’éradication des zones de non-droit livrées à l’économie souterraine et à la loi des bandes constitue un devoir prioritaire » ?

La majorité dispose depuis sept ans de tous les leviers qu’elle voulait pour mettre en œuvre son programme.

M. Charles Gautier. Exactement !

M. Jacques Mézard. Mais les objectifs n’ont pas été atteints, le sentiment d’insécurité entretenu rejoignant au final les données qui confirment une hausse de la délinquance. Et je ne ferai pas de commentaire superflu sur la statistique pénale.

De fait, la présente proposition de loi est l’exemple même de ce que Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, qualifiait en 2005 de « dégénérescence de la loi en instrument de la politique spectacle ».

La formule est simple, mais ô combien ! dangereuse : isoler un fait divers qui émeut l’opinion pour occuper la scène médiatique, stigmatiser le laxisme, rédiger, pour ne pas dire bâcler, le texte, le faire adopter au plus vite, et... plus rien !

À ce propos, les conclusions de l’auteur de la proposition de loi sont éclairantes, puisqu’elles font directement dériver celle-ci d’un fait divers survenu en mars dernier à Gagny, un acte « particulièrement inqualifiable [qui] a suscité un profond émoi chez nos concitoyens ». C’est ce que l’on appelle de la politique émotive : un empilement de textes répressifs, sans même laisser sécher l’encre du précédent, ni même rendre possible leur application, faute d’avoir publié les décrets nécessaires.

Ce texte apparaît non seulement potentiellement inefficace, mais aussi peu compatible avec les libertés publiques.

L’escalade dans la violence, devenue de plus en plus gratuite, est, en revanche, réelle, preuve que le durcissement de la politique pénale depuis 2002 a constitué une réponse inefficace. Les facteurs d’aggravation sont multiples : défense d’un territoire et d’un trafic, ghettoïsation, désocialisation et échec scolaire, conception initiatique du passage en prison, politiques de réinsertion défaillantes.

L’article 1er de cette proposition de loi crée ainsi un délit de participation à un groupement violent. En dépit des améliorations que M. le rapporteur a voulu apporter à la rédaction de ce dispositif, force est de constater que cette nouvelle incrimination institue une responsabilité pénale collective au mépris des principes fondamentaux de notre droit pénal.

Au demeurant, ces dispositions sont parfaitement redondantes au regard de ce que prévoit le code pénal : les articles 222-7 à 222-16-2 du code pénal font déjà des atteintes volontaires à la personne commises en groupe une circonstance aggravante.

On nous a affirmé que cet article était destiné à combler des lacunes juridiques, mais encore faudrait-il nous le démontrer ! S’il vise les bandes délinquantes, en quoi se distingue-t-il de la bande organisée prévue par l’article 132-71 du code pénal ? S’il concerne les groupes spontanés, en quoi se distingue-t-il de la participation délictueuse à un attroupement prévue par l’article 431-3 ? Quelle est la différence avec le guet-apens prévu par l’article 132-71-1 que vous avez créé en 2007 ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas se fonder sur la notion de coaction, plutôt que de créer une nouvelle infraction ? La jurisprudence incrimine déjà le coauteur.

Tout aussi inutiles et inefficaces sont les articles 5 et 7 du texte, censés mieux protéger les personnels des établissements scolaires, alors que des dispositifs législatifs existent déjà. La loi du 17 juin 1998 avait déjà fait des violences, avec ou sans ITT, commises « à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou aux abords d’un tel établissement » une circonstance aggravante.

De surcroît, l’article qui renforce la protection des personnels des établissements scolaires est parfaitement redondant avec la protection dont ceux-ci bénéficient en tant que « personnes chargées d’une mission de service public ».

J’aurais également pu évoquer l’article 1er bis, que notre commission a eu l’heureuse idée de supprimer, et dont les dispositions reprenaient celles du 13° de l’article 222-13. Nous voici, par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, en pleine politique d’affichage !

Ce texte est inutile, certes, mais il est également dangereux. Nous nous réjouissons que M. le rapporteur ait supprimé l’article 2, qui plaçait dans la même situation juridique les personnes participant à un attroupement délictuel sans arme que celles portant des armes apparentes.

Tout aussi éloquente est l’analyse faite par M. le rapporteur, pour qui la rédaction votée par l’Assemblée nationale est contraire au principe de responsabilité individuelle, l’un des fondements de notre droit pénal.

Nous sommes aussi très inquiets quant à la finalité de l’article 3, qui vise à aggraver les peines encourues dans un certain nombre d’infractions commises en ayant dissimulé tout ou partie du visage. Les débats que mènent en ce moment nos collègues députés membres de la mission d’information sur le port de la burqa synthétisent parfaitement, par analogie, les problématiques essentielles soulevées par cet article. Il n’est tout simplement pas possible d’imposer à chacun d’être en état de contrôle permanent et de faire de l’espace public une vaste zone de vidéosurveillance.

Cet article soulève surtout des difficultés d’ordre pratique, que même les syndicats de police ont mises en avant. Comment faut-il comprendre les termes « dissimulant volontairement » ? Ne craignez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, d’inciter à une escalade inutile, le port d’une cagoule devenant un signe distinctif de provocation, avec un risque de conflit de jurisprudence, toujours incompris ensuite par les forces de l’ordre ?

Je passerai rapidement sur l’article 4 ter relatif au délit d’occupation abusive des halls d’immeuble, mesure symbolique votée en 2003 et tentative de réparation juridique de bric et de broc. Nous ne voyons pas en quoi le fait de remplacer le mot « entravant » par le mot « empêchant » apportera un début de solution.

Monsieur le secrétaire d'État, nous connaissons votre engagement républicain, votre tolérance. J’ai envie de vous dire, avec infiniment de respect : « Pas vous, pas ça ! ». Vous comprendrez que la majorité du RDSE s’oppose à cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que certains le veuillent ou non, le changement parcouru en sept ans est considérable.

Alors qu’entre 1997 et 2002 la délinquance n’avait cessé d’augmenter d’année en année, une véritable remise en ordre a été engagée, une réelle rupture a été amorcée.

Force est aujourd’hui de le constater, les engagements pris par le président de la République, alors ministre de l’intérieur, sont tenus et nous nous rapprochons vraiment, certes encore insuffisamment, de ce degré de sécurité que les Français ont appelé de leurs vœux lors de l’élection présidentielle.

Grâce au volontarisme du chef de l’État et à la détermination du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, la délinquance diminue de façon significative depuis sept ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la délinquance générale a baissé de 15 % depuis 2002, ce qui représente tout de même deux millions de victimes en moins, et c’est ce qui m’importe. Pour le seul mois d’octobre, elle a diminué de 6 % environ par rapport à octobre 2008.

Si ces chiffres sont, certes, encourageants, il reste malheureusement toujours plus à faire, et la lutte contre l’insécurité reste aujourd’hui une priorité. Les choses vont mieux, mais nous avons encore du chemin à parcourir dans ce combat de tous les jours.

La délinquance est en constante mutation. La société change, la délinquance aussi ; elle prend des formes et une acuité nouvelle, comme en témoigne l’augmentation du phénomène de bandes. Ce phénomène n’est pas marginal. Selon le ministère de l’intérieur, en plus des bandes qui se forment de manière éphémère, il existe deux cent vingt-deux bandes organisées en France, liées notamment au trafic de drogues. Elles comptent environ cinq mille personnes, dont la moitié sont mineures.

Ce phénomène évolue à la fois par son ampleur, son mode d’action, le degré d’intensité de la violence et les dégâts qu’il engendre. Il démontre que la délinquance peut avoir de multiples facettes. Il se traduit par des atteintes à l’intégrité physique de victimes innocentes, mais aussi par la dégradation ou la destruction de biens. En outre, il peut s’agir de violences commises par les membres d’une bande à l’encontre des membres d’une bande adverse, parfois au nom d’une guerre de territoires.

Ce phénomène se caractérise aussi par une délinquance de comportement. Je vise notamment les casseurs qui s’infiltrent dans les manifestations, non pour défendre une idée, mais avec pour unique objectif de troubler l’ordre public et de se confronter aux forces de l’ordre. Très souvent, l’intention n’est pas crapuleuse et les violences sont gratuites, comme en témoignent l’action de l’ultragauche et le phénomène des black blocs, qui ont sévi à Strasbourg, ou encore à Poitiers, le 10 octobre, lors d’une manifestation organisée par un collectif anticarcéral pendant un festival.

Nous observons une multiplication des violences dirigées contre l’autorité républicaine. Ce sont des actes de haine commis notamment à l’encontre d’enseignants, de personnels éducatifs et d’élèves, que ce soit dans l’enceinte ou aux alentours des établissements d’enseignement scolaire. Chaque année, 25 000 cas de violences sont ainsi recensés contre des personnes qui incarnent les institutions de la République. Les récents événements qui se sont produits à Gagny et à Lagny-sur-Marne ne peuvent nous laisser indifférents.

Les violences peuvent être individuelles, mais elles apparaissent encore plus intolérables lorsqu’elles sont collectives. La sécurité concerne l’ensemble de la société : la protection de nos concitoyens contre la violence est un droit fondamental dans un pays démocratique. La justice est le fondement de l’unité de notre société et nous ne saurions laisser certains y porter atteinte.

C’est pourquoi, en avril 2009, le Président de la République a souhaité confier à la représentation nationale l’élaboration d’une proposition de loi. Lors de son discours au lycée de Gagny le 18 mars, il déclarait : « Ce qui manque à notre arsenal, c’est de pouvoir poursuivre et condamner les personnes qui constituent une bande dans le but de commettre des atteintes aux personnes ou aux biens ».

Les personnes qui agissent en groupe savent, en effet, mettre à profit les failles juridiques de notre système ; celles-ci aboutissent à une véritable impunité et favorisent les agissements des bandes.

La loi n’établit pas de responsabilité collective et ne reconnaît que les auteurs, coauteurs ou complices, pour lesquels il faut établir une responsabilité de manière individuelle.

Qu’on le veuille ou non, certaines incriminations sont mal adaptées aux nouvelles formes de violences commises par les bandes. Si les attroupements sur la voie publique peuvent être sanctionnés, cette incrimination ne répond pas aux agissements des bandes qui se caractérisent aujourd’hui par leur grande mobilité. L’incrimination d’association de malfaiteurs concerne la préparation des délits et elle est punissable de cinq ans d’emprisonnement. Mais elle ne correspond pas à la réalité des actes commis par les bandes, à savoir principalement des violences volontaires commises en réunion, causant une incapacité temporaire de travail de moins de huit jours et donc punies de trois ans d’emprisonnement.

Face à ces lacunes, les élus locaux, les forces de l’ordre et la justice elle-même se retrouvent impuissants. Les élus locaux, qui sont les premiers à être confrontés à ces phénomènes et qui vivent l’insécurité au quotidien, ne peuvent rendre compte de leur engagement à leurs électeurs. Police et gendarmerie, confrontées au problème d’identification, sont découragées. La justice, qui ne dispose pas des moyens légaux pour imputer la responsabilité, se retrouve accusée de laxisme.

Or les résultats en matière de sécurité sont tributaires de l’engagement de tous ces acteurs, qui doivent être dotés des moyens d’agir. Cette proposition de loi témoigne de la volonté de répondre à une telle préoccupation.

Le texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen est sous-tendu par un double objectif : mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes à l’égard tant des personnes que des biens et mieux protéger les élèves et les personnes travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire.

Je voudrais féliciter notre rapporteur pour le remarquable travail de remise en forme qu’il a accompli.