M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Laurent Béteille. Ce dispositif deviendra, j’en suis persuadé, un outil dont nous constaterons l’efficacité.

La proposition de loi prévoit plusieurs mesures permettant de mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes. C’était incontestablement une nécessité étant donné l’inefficacité des textes précédents dans ce domaine. Elle ne crée nullement une infraction d’intention et, selon moi, des éléments constitutifs clairs permettront d’éviter le risque d’inconstitutionnalité.

Le code pénal est complété afin d’instaurer une circonstance aggravante lorsque certaines violences sont commises, par exemple à l’aide de cagoules, par des personnes qui souhaitent éviter d’être identifiées et poursuivies par la justice. Contrairement à nos collègues, qui se sont indignés de cette mesure, tous ceux qui ont assisté à un certain nombre de violences dans la rue comprennent l’intérêt évident d’une telle mesure.

Les modalités d’application du dispositif figurent dans le texte. En particulier, les services de police judiciaire pourront utiliser des enregistrements audiovisuels. Cette possibilité sera un gage à la fois d’efficacité et de bonnes pratiques policières.

Je me félicite que, sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois ait limité les risques d’atteinte à la vie privée : la transmission des images relèvera de la seule initiative du bailleur, s’effectuera en temps réel et sera strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des forces de l’ordre.

Je ne vais pas reprendre, mesure après mesure, l’ensemble du dispositif.

Je remercie M. le rapporteur d’avoir pris en compte des amendements prévoyant des dispositions pour les violences commises à l’intérieur des stades, notamment celui que j’avais proposé.

La présente proposition de loi permettra de mieux protéger les personnes et les biens, en particulier dans le milieu éducatif, ce qui constituait l’une de nos principales préoccupations.

En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, me réjouir de cette réforme importante et nécessaire proposée par M. Christian Estrosi. Toutefois, nous sommes réunis aujourd’hui non pas pour nous adresser des félicitations, mais pour agir.

Il nous faut adresser un message clair, et si possible unanime, à ceux qui seraient tentés de porter atteinte à notre État de droit et aux fondements de notre République.

C’est la raison pour laquelle le groupe UMP votera cette proposition de loi, telle qu’elle a été enrichie par les excellentes propositions de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voici une proposition de loi que j’ai déjà l’impression d’avoir combattue. En effet, cela fait maintenant sept ans que, régulièrement, nous travaillons sur ce sujet et le Gouvernement apporte inlassablement la même réponse.

Ce discours pourrait être celui que j’ai prononcé en 2002, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, ou celui que je prononce chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances, sur la mission « Sécurité », ou encore celui que j’ai prononcé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Je n’entrerai pas dans le détail ; la liste serait bien trop longue ! En effet, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le quinzième texte en matière de sécurité depuis 2002...

Encore une fois, ce texte fait suite à un fait divers et, en l’occurrence, il fait écho à l’intrusion, dans un lycée professionnel de Gagny, de plusieurs individus portant des cagoules et munis de barres de fer. Il pose la question de la surenchère sécuritaire du Gouvernement, qui durcit la législation pénale à chaque fait divers.

Le discours qui entoure ce texte a d’ailleurs évolué pour s’adapter aux événements survenus à Poitiers en octobre dernier. À cette occasion, M. le ministre de l’intérieur avait déclaré vouloir « dissoudre les groupuscules violents ». De nombreuses personnes, qui s’inquiètent du risque d’extension de l’incrimination concernant les bandes aux nouvelles formes de mobilisation et d’action militantes, nous ont alertés lors de la publication de la présente proposition de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, l’arsenal législatif permettant aux services de renseignements de ce pays d’enquêter et de localiser les individus en question n’existe-t-il pas déjà ? Le contraire serait inquiétant ! Vous vous en tenez, encore une fois, à l’affichage politique dont vous êtes coutumier, afin de flatter une partie de votre électorat, en sachant pertinemment que ces mesures sont soit totalement inutiles, soit dangereuses.

Je m’attacherai tout d’abord à vous montrer, mes chers collègues, en quoi ce texte est inutile.

Les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat se fondent sur une étude de la direction centrale de la sécurité publique portant sur les bandes identifiées et dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes que la différence entre un groupe momentané et une bande structurée est difficilement qualifiable. La nature des liens qui réunit les membres est variable, depuis les bandes de quartier qui s’approprient un territoire jusqu’aux groupes très spontanés qui se forment pour en découdre.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’évoque jamais les raisons de ces attroupements violents. À aucun moment, son auteur ne cherche une explication à ces violences. Or leur explosion dans les quartiers défavorisés résulte en grande partie de la politique gouvernementale, qui attise les malaises sociaux, aggrave les inégalités territoriales, accentue la ghettoïsation…

Cette proposition de loi est d’ailleurs une illustration de cette réalité. Elle ne contient aucune mesure de prévention, ne portant que sur le renforcement des sanctions. Lors de son examen en commission, M. le rapporteur a lui-même reconnu qu’il s’agit d’apporter aux forces de l’ordre et aux magistrats « un certain nombre de solutions adaptées à la spécificité des violences commises en bandes ». Il reconnaît donc que cette proposition de loi n’a aucune vue préventive, qu’elle ne concerne en rien la prévention de la délinquance.

L’article 3 est à cet égard caractéristique. Il vise à créer une circonstance aggravante de « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » pour de nombreuses atteintes aux biens et aux personnes. Nous cherchons encore le caractère préventif de cette mesure… Sur le fond, on affirme ainsi qu’un acte est moins grave si son auteur n’a pas cherché à dissimuler son visage ! La justice appréciera !

Ce texte n’a qu’un seul objet : permettre aux forces de l’ordre d’appréhender, d’incarcérer et de ficher. Alors que vous nous parlez beaucoup de vidéosurveillance, monsieur le secrétaire d’État, le système mis en place est en réalité celui de la « fichéosurveillance » !

Les violences qui ont eu lieu à Gagny en mars dernier n’auraient-elles pu être évitées si des adultes avaient été présents en plus grand nombre dans l’établissement ? Mais le Gouvernement choisit de supprimer les postes de surveillant.

Les dégradations qui ont eu lieu à Poitiers n’auraient-elles pu être évitées si les forces de l’ordre avaient été plus nombreuses et mieux préparées ? Ne s’agit-il pas, tout simplement, d’une question de moyens ?

Tous les acteurs de terrain que je rencontre régulièrement l’affirment, le problème particulier des bandes relève non pas de la loi, mais des actions locales des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Quant à la justice, elle doit multiplier les travaux d’intérêt général et prendre des mesures d’éloignement des quartiers. Mais elle n’a pas les moyens de s’engager résolument dans cette voie, ces mesures étant, hélas, onéreuses.

L’inutilité de ce texte apparaît de manière flagrante quand on sait qu’il ne comporte que des incriminations déjà existantes. Les syndicats de magistrats auditionnés par la commission l’ont bien souligné, les dispositions actuelles du code pénal permettent d’ores et déjà de réprimer les infractions visées : délinquance en bande organisée, guet-apens, embuscade, attroupement, rébellion, association de malfaiteurs, violences aux personnes, vols, destructions et dégradations commises en réunion… Tout cela est déjà prévu !

M. le rapporteur rappelle lui-même que le « droit pénal n’était pas totalement démuni face aux violences commises en groupe ». Bel euphémisme ! Il admet plus loin qu’il manque aux autorités les moyens d’agir préventivement contre les bandes.

Néanmoins, je tiens à saluer le fait que M. le rapporteur a tout de même permis la suppression, en commission des lois, des articles les plus mal rédigés de ce texte, dont les dispositions étaient, selon ses propres mots, « déjà satisfaites par le droit en vigueur ». Pire, la commission a dû « restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte ». Par exemple, l’instauration du délit de groupe, tel que défini dans la rédaction initiale, aurait conduit à punir plus sévèrement l’intention de commettre que la commission du délit elle-même !

Ce texte est également dangereux.

En premier lieu, des dérives restent possibles, les dispositions prévues pouvant concerner les nouvelles formes de contestation et de mobilisation. En effet, le caractère très général des formulations pourrait permettre d’appliquer ce texte bien au-delà de ce que prévoit son exposé des motifs, par exemple aux occupants illégaux de logements vacants qui contestent la politique du logement du Gouvernement, aux faucheurs d’OGM ou à n’importe quel citoyen présent lors de la dispersion d’une manifestation au climat tendu !

Les propos tenus par M. le ministre de l’intérieur après les événements de Poitiers, en octobre dernier, ne nous ont pas rassurés sur ce point, bien au contraire : être suspect, c’est être coupable ; être un opposant, c’est être un délinquant !

En second lieu, cette proposition de loi remet en question la liberté individuelle, à laquelle le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle.

Son article 1er vise à instaurer un délit de groupe, donnant naissance à une responsabilité pénale collective. Or la Cour de cassation a introduit en matière pénale deux principes fondamentaux à valeur constitutionnelle : nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Cet article risque d’établir une responsabilité collective, en permettant de juger une personne pour des actes qu’une autre personne aura eu l’intention de commettre ou aura commis. M. le rapporteur a souhaité le modifier, afin de le rendre plus conforme à nos principes constitutionnels. Cependant, la rédaction adoptée par la commission n’est toujours pas convaincante. Certains juristes plaident déjà pour un recours devant le Conseil constitutionnel, compte tenu des menaces que ce texte fait peser sur les deux principes à valeur constitutionnelle que j’ai rappelés.

De nombreux commentateurs ont comparé cette proposition de loi à la loi dite « anti-casseurs » de 1970. Souvenons-nous : l’application de ce texte avait entraîné des poursuites contre des syndicalistes, et non contre des groupes armés ! C’est la raison pour laquelle François Mitterrand en avait demandé l’abrogation au Parlement dès son arrivée au pouvoir, en 1981.

Nous ne pourrons donc, mes chers collègues, voter un texte si vide de sens et si dangereux pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’examen de cette proposition de loi. En effet, j’ai l’expérience de ces problèmes dans ma ville de Corbeil-Essonnes, où j’ai pu constater maintes fois l’impossibilité, pour la police, de faire condamner des délinquants mineurs, comme si le fait d’être mineur donnait le droit d’être délinquant !

La plupart du temps, les policiers sont dans l’incapacité d’apporter la preuve qu’un délinquant a été l’auteur de tel fait précis. La justice le relâche donc, et il recommence dès le lendemain…

Mes chers collègues, je souhaiterais vous soumettre trois propositions, qui figurent peut-être d’ailleurs dans cette proposition de loi, que je n’ai pas lue dans son intégralité.

M. Charles Gautier. Quel aveu !

M. Serge Dassault. Je propose tout d’abord de ramener l’âge de la majorité pénale de dix-huit ans à seize ans, étant donné qu’aujourd’hui les jeunes de cet âge ont largement la maturité que l’on avait autrefois à dix-huit ans. Actuellement considérés comme mineurs, ils devraient pouvoir être condamnés comme les autres, car pour l’heure leurs aînés, sachant qu’ils ne risquent rien devant la justice, les utilisent pour mener leurs opérations.

Ma deuxième proposition concerne le délit de complicité. Tout individu faisant partie d’une bande qui agresse des policiers ou les empêche d’effectuer leur travail doit être condamné au même titre que les auteurs des actes proprement dits.

Par exemple, il arrive fréquemment que les forces de police, après avoir réussi à stopper une voiture volée, se trouvent aussitôt encerclées par des jeunes qui veulent les empêcher d’arrêter le délinquant. Celui-ci peut alors prendre la fuite, et la police ne peut rien faire ! Il convient donc de considérer ceux qui empêchent la police de faire son travail comme des complices et les punir aussi sévèrement que le voleur.

De même, lorsque des policiers sont victimes de jets de pierres, il leur est difficile d’identifier clairement leurs agresseurs. Ils en sont réduits à interpeller au hasard un ou deux membres du groupe. Ceux-ci devraient encourir la même peine que l’auteur des lancers de pierres, qui ne sera pas forcément identifié. On éviterait ainsi à la police de travailler pour rien, en arrêtant des délinquants que la justice relâchera dès le lendemain sans même une admonestation, dont ils n’auraient au demeurant tenu aucun compte !

Le délit de complicité devrait donc être inscrit dans la loi. Tout individu qui participe à une agression contre la police ou l’empêche de faire son travail devrait encourir la même peine que l’auteur principal des faits, même si ce dernier n’est pas identifié. Il est tellement facile de rejeter la responsabilité sur un autre et de prétendre qu’on était là par hasard…

Enfin, ma troisième proposition concernera la lutte contre la délinquance.

Quand on a, à l’instar du Président de la République, la volonté de lutter contre l’insécurité, il faut avoir à l’esprit que si des jeunes deviennent des délinquants, c’est parce qu’ils n’ont pas de métier. Ayant quitté le collège sans avoir rien appris, ils traînent dans les rues, où ils sont pris en charge par de plus âgés et finissent par sombrer dans la délinquance, rejoignant ainsi les troupes des trafiquants de drogue, des voleurs de voitures…

Tout se tient : cette proposition de loi concerne la justice, mais elle devrait également viser l’éducation nationale. Si celle-ci formait les jeunes à des métiers et si l’on supprimait le collègue unique, source de tous ces maux, il y aurait moins de délinquants et moins de problèmes d’insécurité dans nos communes.

Je livre ces trois propositions à votre sagacité, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en espérant qu’elles pourront être retenues, au plus grand bénéfice de la tranquillité de nos quartiers et de l’efficacité de l’action de la police, laquelle fait le maximum mais se trouve légitimement découragée lorsqu’elle voit que les délinquants qu’elle arrête sont relâchés aussitôt, faute de loi permettant de les condamner. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte dont l’origine parlementaire masque difficilement l’empreinte profonde du Gouvernement. Une proposition de loi qui vise, en une dizaine d’articles, à retoucher pas moins de trente-cinq articles du code pénal me semble relever clairement d’une commande du ministre de l’intérieur.

L’entrée au Gouvernement de l’auteur de cette proposition de loi est d’ailleurs édifiante. La séparation des pouvoirs laisse ici la place à la confusion des pouvoirs, avec une finalité à peine masquée : éviter le contrôle du Conseil d’État sur un texte qui opère de graves changements dans notre tradition pénale.

Je ne reviendrai pas sur l’extrême variété des mesures contenues dans ce texte. Je me bornerai à faire quelques commentaires sur celles qui nous semblent les plus scandaleuses.

Une nouvelle incrimination, celle de la participation à un groupement violent, constitue le cœur de cette proposition de loi.

Permettez-moi de faire un petit retour en arrière. Nous nous souvenons tous des épisodes dramatiques de l’incendie du centre de rétention administrative de Vincennes et de la révolte survenue dans celui du Mesnil-Amelot.

À cette époque, M. Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, avait pointé du doigt les associations d’aide aux sans-papiers, les qualifiant de groupuscules d’agitateurs et de provocateurs, ayant pour seul dessein de détruire les centres de rétention administrative. Il avait même déposé une plainte contre un collectif de sans-papiers et interdit une manifestation devant le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot.

Ces épisodes auraient pu rester isolés si vous n’aviez pas appelé, à l’époque, à un meilleur contrôle de ces groupements, en évoquant le fichage de leurs membres et la possibilité de les interdire, de manière préventive selon vous : le bouc-émissaire était tout trouvé.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui s’inspire très directement de ces événements. Vous avez beau clamer dans la presse que la nouvelle infraction concernera les bandes violentes, vous savez très bien qu’elle aura vocation à s’appliquer aux associations et collectifs qui œuvrent aujourd’hui dans le domaine de la solidarité – qu’il s’agisse d’aider les sans-papiers ou les mal-logés –, ainsi qu’aux syndicats.

Ne pouvant interdire les regroupements pacifiques spontanés de bénévoles et d’acteurs de la solidarité, la majorité a inventé un « gadget juridique » pour appréhender les membres de ces structures, toujours de manière préventive selon vous, en les condamnant pour des faits qu’ils n’ont pas commis et ne commettront certainement jamais.

Le danger d’une telle infraction de « participation à un groupement violent » réside dans son caractère extensible à toute forme de groupement et, finalement, à toute association ou tout collectif qui projetterait, par exemple, d’organiser l’occupation d’un immeuble à l’abandon pour attirer l’attention des médias sur le mal-logement, notamment des étudiants. Ses membres pouvant désormais être fichés, depuis votre décret datant de la Sainte-Edvige, même s’il a changé de nom, ils seront appréhendés avant même d’avoir mis les pieds dans le logement vacant.

Voici l’objet de cette disposition révélé au grand jour : en recourant aux notions floues de « groupement », de « participation » et de « préparation », vous créez toutes les conditions d’une nouvelle criminalisation des mouvements de solidarité.

Au passage, vous portez atteinte à un principe fondamental du droit pénal : l’exigence d’un élément matériel pour fonder une condamnation. En effet, cette infraction pourra être constituée en l’absence de faits matériels de violence et en l’absence même d’un commencement d’exécution, qui permet normalement de qualifier la « tentative ».

Après la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, destinée, là encore selon vous, à lutter de manière préventive contre la récidive en se fondant sur un supposé état de dangerosité, et non sur un fait établi, vous inaugurez aujourd’hui, avec cette proposition de loi, une nouvelle ère de la justice pénale : celle d’une justice virtuelle, qui se fonde sur les potentialités, les approximations et la dangerosité présumée, au lieu de reposer sur la matérialité des faits.

Introduire une telle infraction dans le code pénal implique un bouleversement, dont le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner le caractère anticonstitutionnel, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Sueur. Cette infraction instaure en effet une présomption de culpabilité difficilement compatible avec la présomption d’innocence.

De plus, ce délit risque de faire l’objet d’une interprétation hasardeuse par les juges, faute d’une incrimination stricte. C’est la porte ouverte à l’arbitraire, puisque les juges devront se fonder non pas sur des faits commis, mais sur un incertain pronostic de passage à l’acte.

Je ne reviendrai pas maintenant sur les autres dispositions de la proposition de loi, toutes aussi farfelues les unes que les autres, mais nous pouvons d’ores et déjà faire quelques constats.

En ouvrant la possibilité de confier des armes aux agents de surveillance, vous transformerez des gardiens d’immeuble en policiers, et demain en shérifs ! À l’inverse, en prévoyant la transmission d’images de vidéosurveillance à la police, vous transformez les policiers en gardiens d’immeuble !

Un tel mélange des genres témoigne de la confusion dans laquelle sont exercées aujourd’hui les missions de sécurité, par une police qui ne cesse de se plaindre de conditions de travail devenues insupportables. Nous reviendrons également sur ce point.

En définitive, si elle concerne effectivement la sécurité, cette proposition de loi n’en demeure pas moins un texte d’affichage médiatique et électoraliste, qui n’apporte absolument rien à la protection des personnes et de leurs biens, ni en termes de prévention. Il se limite à une répétition, assortie d’un léger toilettage, de dispositions qui existent déjà, et ne permettra même pas une meilleure application de celles-ci. Vous donnez l’impression de sans cesse réinventer l’eau chaude…

Il est vrai que, pour vous, il s’agit d’ajouter une couche supplémentaire au mille-feuille sécuritaire indigeste que vous nous fabriquez depuis 2002. À l’approche des élections régionales, c’est un argument électoral de plus pour flatter la fraction la plus dure de votre électorat.

Les élus Verts ne cautionneront pas une telle démarche et voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale, qui a parfois porté sur les intentions prêtées aux uns et aux autres, a été fort intéressante.

Tout d’abord, madame Assassi, il ne s’agit pas d’un texte d’affichage. Cette proposition de loi comporte des réponses extrêmement concrètes à des situations nouvelles. En effet, la délinquance évolue et n’est plus celle que nous connaissions voilà trente ou quarante ans, ou même plus récemment.

L’objet de cette proposition de loi est de permettre de sanctionner des individus qui participent activement – c’est-à-dire matériellement – et sciemment à un groupe ayant l’intention de commettre des violences. Contrairement à ce que vous indiquez, elle n’instaure aucune présomption de culpabilité : il faudra, comme pour toutes les infractions, démontrer une participation matérielle et une intention de commettre des actes délictueux.

Mme Éliane Assassi. Relisez le texte !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai parfois eu le sentiment, peut-être à tort, que la répression d’un certain nombre d’actes vous gênait. Par exemple, je ne vois pas pourquoi nous devrions hésiter à apporter des réponses plus appropriées à des comportements délictueux nouveaux tels que ceux qui ont pu être constatés récemment à Poitiers.

Monsieur Sueur, votre argumentation, talentueuse comme à l’accoutumée, n’en a pas moins été parfois spécieuse, du moins de mon point de vue.

M. Jean-Pierre Sueur. Quand, par exemple ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. À vous entendre, ce texte serait à la fois inutile, parce qu’il créerait des incriminations redondantes avec d’autres qui existent déjà, et néfaste, voire liberticide : il y a là une contradiction !

Nous pensons, pour notre part, qu’il est utile et que nous avons besoin de nouvelles incriminations. En effet, l’infraction d’association de malfaiteurs concerne plutôt la criminalité organisée, surtout orientée vers les trafics. Quant à celle de participation à une bande armée, elle ne permet pas de réprimer les protagonistes d’une manifestation violente dès lors qu’ils ne sont pas armés.

Par ailleurs, le texte, monsieur Sueur, ne consacre pas de responsabilité pénale pour autrui. Il prévoit, à son article 1er, que la participation à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens doit être caractérisée par un ou plusieurs faits matériels. C’est donc bien une participation individuelle, personnelle, que vise la proposition de loi.

À l’article 2 bis, le régime prévu pour les agents de surveillance ou de gardiennage, notamment ceux qui sont employés par des bailleurs sociaux, que nous évoquions avec M. le rapporteur, dont je salue une fois encore la qualité et la précision du travail, nous semble finalement très proche de celui des agents de la SNCF ou de la RATP. Il suffit de relire l’article pour voir que tout se déroulera sous le contrôle très strict du préfet, comme c’est le cas actuellement pour les agents qui peuvent déjà disposer d’armes.

Monsieur Sueur, je ne prétends pas qu’il ne puisse y avoir débat sur la situation dans laquelle ces agents pourraient se trouver placés dans certains cas, du fait qu’ils seront armés. Parfois, le recours à cette possibilité n’aurait aucun sens, mais, dans des circonstances bien particulières, certains de ces agents, de manière très contrôlée, pourraient être armés. Je me réfère encore une fois, à cet instant, au cas des agents de la SNCF ou de la RATP.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faudra que vous en parliez à M. Hortefeux !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Mézard, vous estimez que ce texte est motivé par des considérations démagogiques ou de circonstance. Pour ma part, ma longue expérience de terrain, qui m’a amené à envisager certaines innovations en termes de lutte contre l’insécurité, fait que je ne suis pas choqué que l’on puisse chercher des réponses adaptées aux situations nouvelles auxquelles nous sommes confrontés.

Précisément, ce texte offre de nouveaux outils, pour les forces de police, mais aussi pour la défense des libertés publiques. Ainsi, l’article 4 vise l’enregistrement audiovisuel des interventions des policiers ou des gendarmes en vue de restituer le déroulement des opérations, l’objectif étant également d’assurer le plus complet respect des droits des citoyens. Cette possibilité d’enregistrement n’est donc pas liberticide : elle permettra au contraire de protéger tant les policiers que les citoyens.

Par ailleurs, si la rédaction initiale de la proposition de loi comportait peut-être en effet certains risques de doublons ou de conflits en matière d’infractions, le travail de la commission des lois du Sénat a permis d’y remédier.

Vous avez en outre affirmé, monsieur Mézard, que le Gouvernement souhaitait jouer de la circonstance aggravante de dissimulation du visage pour réglementer l’expression dans l’espace public. Cette question ne peut être liée, comme vous l’avez fait d’une façon à mon sens quelque peu malaisée dans votre argumentation, à celle du port de la burqa : les deux problématiques sont tout à fait différentes. Dans cette proposition de loi, la dissimulation du visage est non pas un délit, mais une circonstance aggravante de certaines infractions. Je ne crois pas que le port de la cagoule va devenir une provocation du seul fait de ce texte. Cette pratique constitue déjà un véritable problème, comme en témoignent les agissements violents de certaines personnes cagoulées lors des dispersions de manifestations. Je reviendrai d’ailleurs sur la dénaturation de manifestations pacifiques et démocratiques que peut engendrer ce phénomène.

Monsieur Béteille, je vous remercie d’avoir resitué les vrais enjeux de cette proposition de loi, en écartant certains procès d’intention.

Vous avez eu raison de mettre en exergue le développement du phénomène des bandes, dont la violence, souvent extrême, s’exerce certes contre les forces de l’ordre, mais aussi entre elles. En effet, il s’agit également de protéger des jeunes qui, comme l’a souligné M. Dassault, se sont fourvoyés, et peuvent tout autant être victimes qu’auteurs d’actes de violence.

Comme vous l’avez souligné par ailleurs, ces violences portent souvent atteinte à la liberté de manifester, car les manifestants sont les premières victimes des casseurs, et ce à un double titre : d’une part, en raison des atteintes à leur personne ou à leurs biens ; d’autre part, parce que le message véhiculé par leur manifestation pacifique se trouve dénaturé et brouillé. Dans ces conditions, j’affirme que réprimer de manière plus efficace ces phénomènes relativement nouveaux est une façon de protéger la liberté de manifester.

Enfin, monsieur Béteille, c’est également à juste titre que vous avez souligné que les violences commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, les enseignants et, de façon générale, les personnes chargées d’une mission de service public sont intolérables. Sanctuariser les établissements scolaires, en particulier, correspond à une exigence démocratique.

Monsieur Christian Gautier, vous avez opposé ce texte à la nécessaire prévention de la délinquance. Or les deux sujets sont liés, et apporter des réponses à un type nouveau de délinquance n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre de politiques de prévention.

Par ailleurs, vous avez critiqué le fait que l’arsenal législatif soit modernisé à la suite d’événements ayant choqué l’opinion publique. Or, dans un pays démocratique, l’apparition de nouvelles formes de délinquance qui défraient la chronique constitue un indicateur à prendre en compte, sans qu’il s’agisse pour autant de légiférer sous le coup de l’émotion. Il convient de se donner le temps de la réflexion, même si nos concitoyens sont sensibles à juste titre à ces évolutions. Il en va d’ailleurs de même dans nos fonctions d’élus locaux, qui nous imposent de faire preuve de sang-froid tout en étant réactifs.

Le Gouvernement cherche donc non pas à faire de l’affichage, mais à répondre au développement du phénomène des violences de bandes, que nous constatons tous sur nos territoires, que ce soit en région parisienne ou en province. Ces bandes, qui se forment souvent à l’occasion d’un événement particulier, ne sont pas structurées et sont souvent constituées de casseurs voulant éviter d’être identifiés. La présente proposition de loi n’a d’autre objet que de répondre très concrètement à ces mutations des formes de délinquance : lorsque les faits délictueux évoluent, la loi doit également évoluer.

Ces phénomènes de violences de bandes, qu’ils traduisent un rejet radical des représentations de la société ou la volonté de s’approprier un territoire, sont inacceptables dans une société démocratique. Ils intéressent à la fois la sécurité publique et la justice.

Vous contestez, monsieur Gautier, la constitutionnalité de l’infraction de participation à une bande, jugeant que sa création constitue un retour à la loi « anti-casseurs » et l’affirmation d’une responsabilité collective. De tels propos m’étonnent, car il ne s’agit pas d’une nouveauté, cette infraction étant très similaire à celle d’association de malfaiteurs, constituée par le simple fait de s’associer en vue de commettre un délit et que vous n’avez jamais envisagé de supprimer par le passé. Il est important de pouvoir intervenir en amont, à partir d’éléments constitués.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour contrer ces phénomènes de bandes, qui impliquent souvent des jeunes –mais pas uniquement, comme l’ont montré les événements de Poitiers –, plusieurs d’entre vous ont mis l’accent sur la nécessité de conduire des actions de prévention de la délinquance.

Ce sujet me tient très à cœur, à la fois en tant qu’élu local et en tant que secrétaire d’État à la justice. Le Gouvernement est très engagé dans cette démarche. Un rapport sur ce sujet vient d’être remis au Premier ministre dans le cadre du plan gouvernemental de prévention de la délinquance, qui comporte des déclinaisons locales, mises en œuvre sous l’égide des parquets, des représentants locaux de l’État et des collectivités territoriales : les groupes locaux de traitement de la délinquance ou les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance représentent, par exemple, des innovations tout à fait intéressantes.

Toujours en ce qui concerne la prévention, vous avez également insisté, monsieur Dassault, sur les réponses à apporter en matière d’éducation ou d’insertion par le travail, grâce à des formations adaptées, destinées notamment aux jeunes non diplômés. Nous connaissons votre engagement sur ces questions, et c’est à juste titre que vous considérez que des améliorations sur ces différents points auraient des effets positifs sur la vie au quotidien de ces jeunes dans nos cités et limiteraient le risque qu’ils sombrent dans la délinquance.

Nous pensons comme vous qu’il est inadmissible que certains délinquants s’en prennent aux forces de police, dont le rôle est de tous nous protéger. Il n’est pas sain pour notre modèle démocratique et républicain de stigmatiser systématiquement les forces de police au moindre problème, même quand elles ne sont pas impliquées, par exemple dans le cas de violences entre bandes.

Les règles générales applicables en matière de complicité, par ailleurs, permettent déjà de sanctionner ceux qui entravent l’action des policiers. Le présent texte pourra également être utilisé pour sanctionner des groupes qui se constituent dans le dessein de s’attaquer aux forces de police.

Madame Boumediene-Thiery, cette proposition de loi ne vise absolument pas à interdire les groupes pacifiques ou bénévoles. La liberté de manifester n’est pas en cause ; au contraire, ce texte contribuera à mieux la protéger, comme je l’ai dit tout à l’heure. Il ne faut pas attribuer à ses partisans des intentions qu’ils n’ont pas.

Il ne s’agit pas d’un texte de circonstance : il vient compléter et adapter notre dispositif législatif. Nous avons déjà apporté certaines réponses réglementaires, mais il paraît utile de passer également par la loi.

Cette proposition de loi, qui avait déjà fait l’objet d’un très bon travail à l’Assemblée nationale, a également bénéficié d’une réflexion de grande qualité de la commission des lois du Sénat, ainsi que nous pourrons le constater lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)