M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un enfant né dans le Gers a-t-il aujourd’hui les mêmes chances de réussir sa vie professionnelle que de jeunes Parisiens, Lyonnais ou Toulousains ? Élu rural, je considère que l’égalité des chances est consubstantielle à la République.

Véritable obligation nationale, la politique des territoires constitue le cœur d’un aménagement du territoire conçu de façon « offensive » par le Président de la République.

Le programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », contient les outils stratégiques pour mener à bien cette politique. Ainsi, l’essentiel des 385 millions d’euros d’autorisations d’engagement et des 378 millions d’euros de crédits de paiement est affecté à la DIACT, qui redevient enfin la DATAR, sigle dont le développement traduit clairement la vocation : délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.

L’action 1, « Attractivité économique et compétitivité des territoires », concerne la prime d’aménagement du territoire, qui permet de créer des emplois durables dans les zones fragiles et défavorisées, comme les ZRR, qui sont essentielles pour créer des opportunités d’implantation de TPE ou de PME. Elle regroupe également les financements octroyés par l’Agence française pour les investissements internationaux, dont l’action prospective pourrait être plus efficace sur l’ensemble du territoire si elle communiquait mieux ; en effet, les élus en ignorent souvent l’existence.

L’action 2 donne priorité au « développement solidaire et équilibré des territoires », grâce au FNADT, aux contrats de projets État-région, dont l’exécution est accélérée par le plan de relance, et aux pôles d’excellence rurale. Ceux-ci, bâtis sur des partenariats public-privé, constituent une très heureuse initiative, car ils valorisent les productions et savoir-faire locaux, et suscitent des emplois. Ils ont insufflé une véritable dynamique rurale.

Monsieur le ministre, vous avez dit, avec réalisme, mais aussi avec prudence et habileté, que vous aviez « toujours pensé qu’un bon budget n’était pas forcément un budget en augmentation ». Avec une hausse de 12 %, vous disposez vraiment de marges pour mener à bien vos actions.

Je m’interroge sur la réalité de la couverture numérique et en téléphonie mobile : si l’aménagement numérique à haut débit couvre 98,9 % de la population, ce qui est un excellent pourcentage théorique, sur le terrain, il en est autrement. Mon département du Gers doit faire partie du 1,1 % restant… Et qu’en sera-t-il du très haut débit ? Où en sont l’application du plan de couverture des zones blanches et la mise en place de la TNT ? Ce sont des éléments essentiels pour donner à ce département, comme à tout département rural, une chance d’équilibrer son économie.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. Le lancement d’un nouveau cycle de PER, dont l’un des champs est la démographie médicale, dynamisera nos territoires.

Les assises des territoires ruraux ouvrent des perspectives pour des zones rurales en mutation et déboucheront sur une nouvelle charte des services publics et au public. Cela est très positif pour le présent et le futur.

Grâce à toutes ces actions, vous donnez vie à la phrase de l’académicien Jacques de Lacretelle : « La ville a une figure, la campagne a une âme. » Je voterai donc ce budget. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de lUMP, ainsi que sur le banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, en quelques mots, saluer le retour de l’État dans la mise en œuvre du plan gouvernemental pour le Marais poitevin, et l’effort financier consenti, qui offre des moyens nouveaux à ce territoire présentant un intérêt écologique, touristique et économique considérable.

Le Marais poitevin intéresse trois départements – la Vendée, pour plus des deux tiers de sa surface, les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime – et deux régions – les Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Composé de marais asséchés et humides, il présente l’originalité, contrairement à certaines idées reçues, d’avoir été façonné par la main de l’homme, qui en a fait une richesse pour son élevage et sa culture, mais aussi une défense contre les crues et les inondations. En retour, la survie du Marais poitevin dépend de cette même main de l’homme, indispensable à l’entretien de ses berges et fossés, qui permettent à l’eau d’irriguer les canaux sans engloutir cet espace remarquable.

C’est un espace peuplé qui n’est donc pas figé. Il est primordial de respecter son environnement, mais les activités humaines qui s’y développent doivent pouvoir coexister de manière harmonieuse.

Le présent projet de loi de finances fait bénéficier le plan gouvernemental sur le marais poitevin d’un niveau de crédits de paiement très supérieur à celui de la loi de finances pour 2009 : 5,1 millions d’euros, soit un accroissement de 81,6 %, qui traduit les autorisations d’engagement précédentes.

Trois objectifs essentiels sont poursuivis.

Le premier concerne la gestion de la ressource en eau, qui fait figure de question centrale. On sait aujourd’hui que les prélèvements d’eau effectués dans le milieu naturel en période estivale peuvent avoir des incidences dommageables sur le marais. La substitution de ces prélèvements par des prélèvements réalisés durant l’hiver ou pendant une période excédentaire en eau préserve le milieu et la ressource.

Je me réjouis tout particulièrement, et avec moi tous les élus du département de la Vendée, de l’engagement de l’État de contribuer financièrement à la réalisation de réserves de substitution.

Le deuxième objectif de cet effort financier est d’avoir une agriculture d’excellence, conforme aux enjeux environnementaux du marais, c’est-à-dire respectueuse des milieux herbagers. L’augmentation des crédits de paiement est, là aussi, nécessaire : il faut des aides à la reconversion agricole et des acquisitions foncières pour reconquérir l’espace qui a été gagné par la nature et qui, faute d’intervention de l’homme, pourrait disparaître.

Enfin, et c’est le troisième objectif de cet effort financier, il faut gérer et aménager le patrimoine du marais pour que ce dernier soit aussi un lieu de tourisme, de loisirs et de découverte de la nature.

Tout cela doit s’effectuer en concertation avec toutes les collectivités présentes sur ce territoire, en associant les élus locaux, qui connaissent très bien ce milieu et qui sont les meilleurs experts pour l’élaboration d’une nouvelle charte en vue d’obtenir la labellisation.

Je voudrais rappeler à ce propos qu’en l’absence de pilotage de l’État depuis le plan de 2006, le conseil général de la Vendée, signataire du protocole en 2003, a poursuivi sa forte implication sur ce territoire, en consacrant plus de 30 millions d’euros de crédits aux différentes rubriques qui le concernent dans le cadre de ce plan.

Pour conclure, je constaterai avec satisfaction que le Gouvernement est décidé à agir, qu’il renforce les moyens que nous réclamons depuis longtemps pour protéger et développer le Marais poitevin.

Il est temps aujourd’hui de retrouver la vocation originelle du Marais poitevin : un espace où l’homme et la nature se servent mutuellement.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous avons à examiner aujourd’hui les crédits de la mission « Politique des territoires », qui reste, comme le souligne le rapporteur, la plus petite mission du budget général assortie d’objectifs de performance.

En effet, il s’agit d’une mission transversale qui touche l’ensemble des secteurs d’intervention de l’État. Par conséquent, les crédits inscrits dans cette mission ne recouvrent pas l’ensemble des actions menées.

Les documents budgétaires qui nous sont soumis concernent principalement le budget affecté à la DIACT, ex et future DATAR, et les actions spécifiques territoriales au sein du programme « Interventions territoriales de l’État ».

Il est intéressant de noter que les exonérations fiscales prévues au titre de l’aménagement des territoires représentent presque le double de l’enveloppe globale affectée à cette mission, puisqu’elles atteignent 622 millions d’euros.

À cet égard, nous nous associons à la demande du rapporteur, qui souhaite la mise en place d’une évaluation de cette dépense fiscale. Je pense notamment à l’utilisation du crédit d’impôt « anti-délocalisation », qui représente un coût total estimé à 140 millions d’euros pour cette année. L’examen de ces crédits devrait donc être l’occasion de faire un bilan sur la désertification des territoires, notamment pour ce qui est des activités industrielles.

En ce qui concerne plus particulièrement les actions menées grâce à ces investissements, nous notons également que la Cour des comptes émet une analyse critique sur la mise en place des pôles de compétitivité lancés depuis 2004. Là encore, la réalisation d’un bilan est nécessaire.

Ces pôles de compétitivité traduisent au fond conception qu’a le Gouvernement de l’aménagement : d’un côté, des zones attractives où se concentrent l’essentiel des richesses et des moyens, de l’autre, des zones laissées à l’abandon. Il s’agit en quelque sorte d’un développement territorial à double vitesse, qui ne correspond nullement à notre conception de l’aménagement du territoire.

Nous déplorons également que le taux de réalisation des nouveaux contrats de projet État-région soit seulement de 38 %, ce qui se situe largement en deçà des attentes.

Comme je le disais, nous sommes donc confrontés à un exercice difficile dans l’examen de ces crédits puisque l’essence même de la politique des territoires ne peut s’appréhender à la lecture des bleus budgétaires. Je vais donc m’efforcer de situer cette mission dans un contexte plus global, afin d’étudier concrètement l’action de ce gouvernement en faveur des territoires.

Nous nous réjouissons de la création d’un ministère de plein exercice de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Cette décision est la traduction de la prise en considération, par le Gouvernement, de ces thématiques de l’action publique. Dans le même esprit, des assises des territoires ruraux et du service public sont annoncées.

Pour autant, la politique de la rentabilité économique appliquée aux services publics et aux territoires conduit à la suppression de nombreux services publics dans nos campagnes et dans nos villes : hôpitaux, écoles, bureaux de poste, gares ; toutes ces fermetures aggravent les disparités entre territoires et l’accès aux services publics n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire national.

Néanmoins, vous poursuivez avec beaucoup de constance le désengagement de l’État. Je citerai trois exemples.

Premièrement, la suppression de la taxe professionnelle privera les collectivités locales de ressources pérennes, des ressources pourtant nécessaires pour financer les services publics locaux. (Marques de dénégation de M. le ministre.) Vous allez contraindre les collectivités à un choix douloureux : maintenir des services publics de qualité, et donc augmenter les impôts, ou bien diminuer l’offre, alors que la crise devrait inciter bien au contraire à renforcer les solidarités. C’est un choix impossible auquel nombre d’élus vont être très vite confrontés.

Deuxièmement, la réforme des collectivités, dont nous devons débattre prochainement, va conduire à la suppression de nombreuses fonctions électives, notamment dans les territoires ruraux. Ce sont autant d’espaces de démocratie qui vont disparaître.

Troisièmement, je citerai bien évidemment le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales, dont nous venons de débattre, qui concerne directement l’aménagement du territoire. Ce texte, en changeant le statut de La Poste, condamne celle-ci à se plier aux règles du marché et de la rentabilité économique.

La présence de 17 000 points de contact est garantie, mais l’expression « points de contact » recouvre des réalités bien différentes. Je pense notamment à la mission d’accessibilité bancaire, qui ne pourra plus se faire dans nombre de communes rurales.

La création d’agences postales communales est plus ou moins imposée aux communes.

M. Pierre Hérisson. Comment cela ?

Mme Évelyne Didier. Les collectivités qui font ce choix sont obligées de participer au financement et la compensation accordée par le fonds postal national de péréquation territoriale n’est pas à la hauteur.

Que dire également de la pérennité de ce fonds de péréquation, alors même que celui-ci est financé par l’exonération de taxe professionnelle dont bénéficie La Poste ? Connaissant l’avenir de cette taxe, nous avons les plus grands doutes sur l’avenir de ce fonds.

Pour toutes ces raisons, nous avons combattu le changement de statut de La Poste.

Bien d’autres sujets pourraient être évoqués ici.

Ainsi, le plan fret porte en germe l’abandon de l’activité de wagons isolés. Ce plan va porter atteinte à l’attractivité des territoires en privant les entreprises de ce service de proximité.

Par ailleurs, les territoires ruraux sont confrontés à des problèmes sanitaires. À ce titre, les premières mesures de démographie médicale prises dans le cadre de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux n’ont pas apporté de réelles solutions. Celles qui figurent dans la loi « hôpital, patients, santé et territoires », notamment celles qui concernent les maisons de la santé, ne sont pas inintéressantes, mais, si l’on veut mettre en place une véritable couverture médicale et inciter les médecins à s’installer en milieu rural, il faut avant tout raisonner en termes de « bassins d’urgence ». À cet égard, le décret annoncé par Roselyne Bachelot-Narquin, qui supprimera encore des centaines de blocs chirurgicaux, nous inspire les plus grandes inquiétudes.

Il en est de même pour l’aménagement numérique. Au-delà des 4,5 millions d’euros prévus dans cette mission, on y voit une parfaite illustration du modèle de développement que vous proposez : concurrence sur les territoires rentables et intervention publique lorsque les conditions de rentabilité du service ne sont pas réunies. Le schéma est très clair : socialiser les pertes et privatiser les profits.

La logique qui prévaut aujourd’hui est, de notre point de vue, contraire à l’impératif d’un aménagement du territoire solidaire et équilibré. La RGPP en est la traduction la plus évidente.

Pour ces raisons, nous voterons contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, reconnaissons ensemble que c’est la première fois depuis longtemps que l’espace rural et l’aménagement du territoire sont identifiés dans l’action gouvernementale : un ministre pour faire entendre sa voix, un ministère pour appuyer des actions et une nouvelle ambition pour les territoires ruraux.

En effet, la France, mes chers collègues, c’est celle des villes, mais c’est aussi celle des champs, celle de l’espace où des clochers et des frontons de mairie rappellent une vie communale. Voilà donc tout un programme !

Après le lancement des assises pour le développement des territoires ruraux, qui connaissent un succès certain – j’ai eu l’occasion de le mesurer –, et la mise en place d’une nouvelle génération de pôles d’excellence rurale, voilà maintenant venu le moment d’examiner la mission consacrée aux territoires.

Il convient de le rappeler, l’aménagement du territoire est au carrefour de multiples missions permettant d’exprimer un certain nombre de compétences transversales et complémentaires.

La nouvelle génération de pôles d’excellence rurale est très appréciée, car c’est la France d’en bas qui s’exprime par des projets, ce qui est, reconnaissons-le, aussi bien, sinon mieux, qu’une opération « guichets », qui ne trouve pas toujours, localement, une traduction concrète.

Nous le savons, le pouvoir des collectivités en matière d’investissement est déterminant ; celles-ci assurent près de 75 % de l’investissement public. Il nous faut continuer dans cette direction. Il y va de la cohésion de nos territoires et de la compétitivité économique de nos espaces ruraux.

Cela est normal, car nos petites communes comptent des dizaines de kilomètres de chemins ruraux, de voirie, de réseaux, sans parler des équipements à réaliser afin de satisfaire à une certaine parité sociale ou simplement humaine en ce début de troisième millénaire.

Cette France rurale mérite la parité, y compris dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La couverture numérique est loin d’être généralisée à ce jour et, en matière de téléphonie mobile, des zones blanches subsistent.

Le haut débit permettra un développement local indispensable pour permettre le maintien au pays. C’est pourquoi les élus veulent la parité non seulement sociale, mais aussi technique et technologique, afin de pouvoir être compétitifs.

Monsieur le ministre, il faut continuer à simplifier et à clarifier si l’on veut être efficace. Les financements croisés sont appréciables, car plus importants, mais ils sont souvent difficiles à intégrer dans une chronologie efficace et réaliste.

Oui, ces complexités sont souvent décourageantes, voire bloquantes ! Dire la vérité, c’est dire qu’une partie, fût-elle très réduite, de notre administration ne doit pas chercher des parapluies, mais doit nous aider à trouver des solutions légales, réalistes et de bon sens, afin de lever les obstacles.

Toutes ces actions complémentaires constituent la politique d’offensive de nos territoires. Cependant, monsieur le ministre, les territoires ruraux ont aussi besoin de soutien. Il faut un SAMU collectif, par exemple dans les zones de revitalisation rurale. Ces zones sont défavorisées et il est normal qu’on les soutienne.

Oui, la France rurale existe, elle ne veut pas rester passive, être assistée ou devenir un « établissement d’accueil généralisé », mais elle veut garder toute sa vitalité.

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes déterminé à nous comprendre et à nous aider. (Vifs applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, au moment où la France démontre qu’elle est capable de prendre le virage du développement durable, elle rate celui de l’aménagement du territoire

La fracture territoriale est en place. Demain, nous aurons deux France : la France du Grand Paris, des grandes métropoles, des TGV et des autoroutes, d’une part, et la France enclavée de la ruralité profonde, d’autre part, une catégorie résiduelle, avec des salaires inférieurs à la moyenne, des emplois saisonniers et l’expatriation forcée des jeunes diplômés, des refuges pour retraités, des services publics fragilisés, des vitrines écologiques, des sanctuaires de biodiversité et des trames vertes.

Obsédés par la compétition entre grandes villes européennes et mondiales, l’État et les élus des métropoles font tout pour entasser autour d’elles encore plus de populations, créant ainsi de nouvelles banlieues, de nouveaux problèmes insurmontables de transports, d’insécurité, de délinquance et de mal-vivre, qui appelleront à leur tour de nouveaux aménagements, qui produiront de nouveaux entassements, créant ainsi un processus cumulatif sans fin que nous ne maîtriserons plus.

Que 70 % de Français vivent en milieu urbain, n’est-ce pas suffisant ? Il faudrait à l’aménagement du territoire une révolution aussi ample que celle de l’écologie, mais ce n’est pas encore à la mode.

Vous pensez certainement que ce langage est ringard (Marques de dénégation de M. le ministre.), qu’il fleure bon la nostalgie, vous me croyez persuadé que le « bonheur est dans le pré » ! Eh bien non, je ne suis pas le « dernier des Mohicans » ! Je sais simplement que nous regretterons un jour de ne pas avoir construit une France plus juste et plus équilibrée dans son territoire.

Déjà, 100 000 personnes, chaque année, le disent avec leurs pieds en quittant les grandes agglomérations pour s’installer dans la France rurale ou dans les villes petites ou moyennes, à taille humaine, en acceptant une baisse très sensible de leur niveau de vie.

Il ne s’agit pas de bloquer autoritairement le développement urbain, il ne s’agit pas de nier que certaines activités ne peuvent éclore et se développer que dans de grandes villes ; il s’agit de donner aussi de vraies chances aux zones rurales. Tous les Français ne sont pas obligés de passer quatre heures par jour dans les transports pour gagner leur barre d’HLM, alors que nombre d’entre eux seraient heureux de goûter la paix et la convivialité de villes moyennes ou de villages.

Mais, pour accomplir cette révolution, il faudrait s’affranchir du seul calcul de rentabilité qui dicte aujourd’hui les décisions en matière de transports et de communications, pour avoir le courage d’ouvrir les espaces ruraux enclavés, afin de rééquilibrer la répartition spatiale des activités et des hommes sur notre territoire.

Je voudrais vous citer deux exemples qui concernent ma région, Provence–Alpes–Côte d’Azur, et le massif des Alpes du sud.

Dans cette région, 90 % de la population s’entasse sur 10 % du territoire, le long du littoral. En choisissant le tracé des villes pour le TGV Paris-Toulon-Nice, monsieur le ministre, vous attirez encore davantage de populations là où il y en a déjà trop et vous désertifiez encore un peu plus l’arrière-pays.

Autre exemple : dans trente ans, le massif des Alpes du sud sera bordé, au nord, par le TGV Paris-Lyon-Turin, qui circulera à plus de 300 kilomètres par heure, et, au sud, par le Paris-Nice, qui devrait filer à la même vitesse. Dans le même temps, on roulera toujours à 60 ou à 80 kilomètres par heure sur l’épine dorsale ferroviaire des Alpes du sud, entre Marseille et Briançon, à la frontière italienne.

Aujourd’hui, en TGV, il faut trois heures et deux minutes pour aller de Marseille à Paris, distantes de 776 kilomètres ; en restant dans la région Provence–Alpes–Côte d’Azur, il faut quatre heures et trente minutes pour aller de Marseille à Briançon en empruntant 300 kilomètres de voie unique.

Dernier exemple, que je vous réserve pour la fin, monsieur le ministre : le projet d’autoroute A51 entre Grenoble et Gap, que vous avez condamné et brocardé à l’occasion du congrès de la montagne, dans les Hautes-Alpes.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Brocardé, sûrement pas !

M. Pierre Bernard-Reymond. D’abord, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement le projet des Hautes-Alpes, c’est un des deux derniers chaînons manquants de la liaison mer du Nord–mer Méditerranée qui évite le bassin parisien et la vallée du Rhône. C’est une relation entre la péninsule ibérique et l’Europe de l’Est. C’est la liaison entre deux régions : Rhône–Alpes et Provence–Alpes–Côte d’Azur.

Si, monsieur le ministre, vous vous êtes moqué de ce projet en disant qu’on en parle depuis trente ans – en fait, depuis vingt-cinq ans. Mais à qui la faute, sinon à l’État ? Ce n’est pas parce que ce dernier n’a pas tenu ses engagements que c’est un mauvais projet !

En outre, contrairement à ce que vous dites, nous n’avons pas attendu que l’A51 se réalise pour prendre d’autres initiatives : la création du pôle universitaire, le technopôle de Gap, la modernisation des stations de sports d’hiver en témoignent. Mais nous sentons bien les limites que nous impose l’enclavement, qui nous condamne au bricolage. Pourquoi l’amélioration des communications serait-elle bonne dans les régions prospères et inutile dans les autres ?

Non, ce projet ne pose pas de problème technique ni même financier au regard des investissements que vous vous apprêtez à faire par ailleurs. Vous n’en voulez pas parce que les Verts en ont fait une question de principe et, dans les circonstances actuelles, vous ne voulez pas passer outre.

Cette autoroute arrive du Nord jusqu’à Grenoble et du Sud jusqu’à Gap. Qu’allez-vous faire entre ces deux villes ? Le relief ne permet pas d’alternative sérieuse et les Hautes-Alpes ne sont pas à vendre. Elles ne demandent pas la charité. Elles veulent qu’on leur propose une autre forme de développement que celle dans laquelle on veut les spécialiser.

Elles souhaitent que l’on cesse de les discriminer et qu’on leur donne, comme on le fait pour d’autres régions, les moyens de participer, dans toutes ses dimensions, au développement durable de la France. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les avances ou les retards dans le déroulement des missions, les reports parfois, s’ils arrangent quelquefois certains ministres, n’aident pas les sénateurs à gérer leur agenda. Je suis donc amenée à remplacer mon collègue Martial Bourquin, qui regrette beaucoup de ne pouvoir être présent ce soir. Je tâcherai d’être fidèle à ses idées et à ses propos.

Le budget « politique des territoires » dont nous discutons aujourd’hui réserve un certain nombre de surprises et de contradictions majeures, tant sur la forme que sur le fond.

Monsieur le rapporteur, vous avez-vous-même reconnu que les chiffres de ce budget – 385 millions d’euros en autorisations d’engagement et 378 millions d’euros en crédits de paiement – ne reflètent pas la réalité des sommes consacrées à l’aménagement du territoire. Vous estimiez même que la somme totale de ces crédits serait plus proche de 5,1 milliards en autorisations d’engagement et 4,9 milliards en crédits de paiement, soit dix fois plus que le budget réel que nous sommes amenés à examiner.

Je suis sûre que vous reconnaîtrez avec moi que nous pourrions améliorer cette présentation.

Plus que jamais, nous avons besoin de lisibilité, de rigueur budgétaire et de lignes politiques claires. Or, comment peut-on évaluer correctement la cohérence et la sincérité d’une mission dont 90% des crédits figurent dans d’autres missions ? La tâche est très difficile.

Dans un premier temps, j’évoquerai les observations qu’appellent les actions qui sont financées dans le cadre strict des programmes. Je consacrerai la seconde partie de mon exposé à examiner plus largement la politique territoriale que nous appelons de nos vœux.

Ce projet de budget prévoit tout d’abord le financement des nouvelles générations de pôles d’excellence rurale alors que nous ne disposons pas d’une complète évaluation du dispositif précédent, sur lequel quelques critiques ont pourtant été formulées.

Les travaux de la commission de l’économie, au mois d’octobre, avaient pourtant permis de mettre en avant, notamment, le manque de lisibilité du montage financier. Plusieurs de nos collègues avaient également souligné que ces pôles d’excellence rurale gagneraient à financer, dans certains cas, des dépenses de fonctionnement et, surtout, d’ingénierie.

Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de tirer des enseignements budgétaires des travaux du Sénat ?

Ce projet de budget prévoit également le passage prochain, le 30 novembre 2011, de l’analogique au numérique, sujet sur lequel nombre de mes collègues sont intervenus.

Nous avons très peu de lisibilité sur les financements du fonds destinés à lutter contre la fracture numérique. Il me paraît utile de nous y intéresser encore plus sérieusement désormais, afin de lisser les coûts et les temps d’intervention. Monsieur le ministre, pourriez-vous, là encore, nous éclairer sur un calendrier budgétaire et détailler l’abondement du fonds consacré à la réduction de la fracture numérique ?

J’en viens au second volet de mon intervention, relatif à la politique territoriale dans son ensemble.

J’ai évoqué dans la première partie de mon propos, la trop grande dispersion des crédits consacrés à la politique des territoires. Pour cerner la politique qui est engagée, nous devons aussi prendre en compte en miroir les effets de la totalité de la politique économique et sociale du Gouvernement en faveur des territoires. Combien de crédits en moins et dans quelle mesure feront-ils défaut à la solidarité territoriale ?

Nous avons le douloureux sentiment – partagé par de nombreux maires et élus – que nous remplissons tous ensemble, avec beaucoup d’énergie, un tonneau sans fond, comme les Danaïdes de la légende grecque.

Pour 380 millions d’euros consacrés aux territoires, combien d’euros d’apparentes économies déstructurent profondément nos espaces et vont à rebours des objectifs initiaux ? Car le Gouvernement n’a cessé, depuis deux ans, de prendre des mesures qui contribuent malheureusement plus à déménager les territoires qu’à en assurer la nécessaire cohésion.

Selon moi, nous ne défendons pas la même conception de la solidarité territoriale. Nous sommes attachés à préserver toutes les spécificités de l’espace français et nous n’acceptons pas qu’un territoire puisse être ou se sentir abandonné par l’État, déserté par des entreprises. Nous défendons une organisation de la France où nos concitoyens, libres et égaux, sont à même de trouver chez eux, dans la ville, le quartier ou le village de leur choix, tous les services qu’ils attendent, y compris les services publics.

Notre conception de la solidarité territoriale passe par le maintien physique de services publics, la préservation d’activités économiques, l’emploi et la péréquation territoriale. Elle implique donc des collectivités locales fortes, soutenues par l’État.

Or la solidarité territoriale telle que nous l’entendons est quelque peu malmenée. Nous avons parfois l’impression que vous entendez privilégier une France qui gagne – je salue tout ce qui a trait aux pôles d’excellence rurale ou aux pôles de compétitivité –, en passant sous silence des territoires qui peinent à survivre.

Trois exemples me viennent spontanément à l’esprit.

Premier exemple : les PER sont certes des vitrines d’excellence rurale mais, dans le même temps, combien de communes se battent au quotidien pour garantir les services nécessaires à leur population, pour préserver et financer la présence de leur bureau de poste ou de leur agence postale communale ?

Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que vous entendiez, à travers les assises de la ruralité, promouvoir un socle de services au public. Mais, dans ce contexte, que vont devenir les services publics proprement dits ? Je considère pour ma part que le combat pour des services publics correctement répartis sur l’ensemble des territoires, avec des moyens suffisants, est déterminant.

Deuxième exemple : comment ne pas interpréter la mise en œuvre aveugle de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, le regroupement à marche forcée d’administrations et la fin d’administrations structurantes pour les territoires comme des attaques en règle contre des territoires ?

Je pourrais citer d’autres exemples comme la construction désordonnée de grandes surfaces au détriment des cœurs de villes ou l’insuffisance de la lutte contre les déserts médicaux.

Un territoire ou, pour reprendre un vocabulaire à la mode, une identité locale ne peut se résumer à une ville-dortoir adossée à son centre commercial ou à un village dépeuplé.

Le troisième et dernier exemple, et non le moindre, tient aux effets pervers de la réforme de la taxe professionnelle. Bien sûr, cette taxe doit être réformée. Mes collègues de la commission des finances ont présenté un grand nombre de propositions afin de rendre cet impôt plus juste, moins pénalisant pour les investissements et d’accroître la péréquation. Mais ils n’ont pas été écoutés.

Comme mon collègue Bourquin, je suis élue d’une région où la crise automobile se fait durement sentir. Aux états généraux de l’automobile, il est ressorti que toute politique industrielle digne de ce nom passait nécessairement par la suppression de la taxe professionnelle.

C’est une idée reçue qu’il faut combattre. La réforme qui nous est proposée est en passe de mettre gravement en difficulté les territoires industriels, les bassins d’emploi.

Le nouveau scénario financier proposé par le Sénat substituera une dotation statique à une ressource dynamique essentielle, soit un manque à gagner crucial pour nos territoires.

À cela, il faut ajouter des dépenses nouvelles, bien évidemment non compensées. Vous obtiendrez ainsi tous les ingrédients d’une fragilisation supplémentaire des bassins d’emploi.

Ainsi, les activités industrielles du département du Doubs, dont M. Bourquin est le sénateur, qui sont déjà durement touchées par la crise se verront octroyer des recettes se réduisant comme peau de chagrin : c’est la double peine budgétaire !

Vous pourrez envoyer sur le terrain tous les commissaires à la réindustrialisation du monde. Je leur souhaite bien du courage lorsqu’il s’agira de convaincre des entreprises de reprendre des sites, alors que les collectivités, qui assurent 73% de l’investissement public, n’auront plus les moyens de les faire travailler et de leur fournir les infrastructures nécessaires à leur installation.

Il leur faudra déployer des trésors d’énergie pour convaincre des collectivités d’accueillir des industries parfois bruyantes ou polluantes.

Le manque de perspectives budgétaires au-delà de 2010 contraindra les collectivités à la prudence, à une gestion raisonnée pour assurer des recettes plus pérennes et réelles. Les collectivités, aux ressources fragiles, devront privilégier le logement à l’activité économique – mais pour combien de temps ? – et seront obligées de limiter leur offre de services, qui sont pourtant nécessaires à l’ensemble de la population.

La réforme de la taxe professionnelle ne contribuera pas, loin s’en faut, au développement harmonieux et équilibré de nos territoires. Cette situation nous désole.

Monsieur le ministre, vous ne serez donc pas étonné que nous ne votions pas les crédits de votre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)