M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en ce 9 décembre 2009, nous débattons de la consultation des populations de la Martinique et de la Guyane sur l’évolution institutionnelle et statutaire de ces départements.

Cette consultation aura lieu les 10 et 24 janvier prochains. Le 10 janvier, les citoyens auront à se prononcer sur la transformation de nos départements en collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. S’ils répondent par la négative, ils seront de nouveau convoqués le 24 janvier afin de dire s’ils souhaitent que la région et le département fusionnent dans une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution.

Je suis à la fois heureux et inquiet de cette consultation et des conditions de son organisation par le Gouvernement. Je vais m’efforcer de vous expliquer ces sentiments mitigés, en insistant sur la situation que je connais le mieux, celle de la Martinique.

Je suis heureux de l’organisation de cette consultation principalement pour deux raisons.

La première est que je suis depuis longtemps convaincu que la forme organisationnelle de nos territoires est inadaptée. Les limites de cette organisation étaient posées, dès l’origine, dans le principe même de la région monodépartementale. Comment gérer efficacement un territoire où se superposent totalement ces deux collectivités, à plus forte raison lorsque ce territoire, pour paraphraser Aimé Césaire, tient dans « la calebasse d’une île » de quatre-vingts kilomètres sur trente ? Cette difficulté originelle n’a malheureusement pas été démentie par les faits. Les conseillers régionaux et généraux de la Martinique se sont plusieurs fois réunis en congrès pour conclure à la nécessité d’une collectivité unique, et une fois pour s’accorder sur une synthèse entre le schéma régional de développement durable et l’agenda 21 conçu par le département.

Si cet effort de synthèse est louable, il est tout de même symptomatique qu’il n’intervienne qu’au terme d’un travail de plusieurs années réalisé séparément par chacune des deux collectivités. Un document d’orientation incontestable pour une approche globale du développement de la Martinique aurait évidemment gagné à être non pas conclu, mais élaboré par les deux ensemble.

Je suis donc heureux de l’organisation de cette consultation, car quelle que soit l’option qui sera retenue par les populations, je suis confiant qu’elle ne sera pas celle du statu quo institutionnel.

La seconde raison pour laquelle je suis heureux est que cette consultation et les changements qui s’ensuivront devraient enfin nous permettre de dépasser le débat sur le statut de la Martinique.

En effet, depuis 2003 et la première consultation qui avait concerné la Guadeloupe et la Martinique, le débat institutionnel et statutaire est demeuré extrêmement vivace et envahissant sur la scène politique. Si cette vivacité n’est pas problématique en soi, puisqu’elle témoigne de l’attachement des élus martiniquais à trouver la forme statutaire et organisationnelle la plus adaptée au développement du territoire, la place occupée par ce débat est telle que l’on peut légitimement s’interroger sur ses effets pervers. Le temps passé à se déterminer sur la question institutionnelle comme préalable au développement est, de toute évidence, un temps pendant lequel se cristallise le « mal-développement ». Si nous ne parvenons pas à intensifier de façon significative la lutte contre ce mal-développement qui mine nos sociétés, il ne servira à rien d’avoir acquis le meilleur statut du monde.

Nos populations ne s’y trompent pas, qui nous rappellent au quotidien leurs attentes en matière d’emploi, de logement et de lutte contre la vie chère.

M. Serge Larcher. Les événements du début de l’année sont là pour le prouver, et les très nombreux témoignages recueillis en mai dernier, lors des déplacements sur le terrain de la mission d’information que j’ai eu l’honneur de présider, en attestent également.

Il est urgent d’apporter des réponses concrètes à nos concitoyens, sous peine de perdre leur confiance. Plus nous prendrons de temps pour régler cette question d’organisation institutionnelle et statutaire, plus nos populations nous soupçonnerons d’en faire le prétexte de nos difficultés à développer la Martinique et à résoudre les problèmes du quotidien.

Cela m’amène à exprimer mes regrets quant aux modalités d’organisation de ces consultations et mes inquiétudes quant à la phase qui suivra.

Mon premier regret porte sur la « règle du jeu » de la consultation fixée par le Président de la République. En effet, si ce dernier applique l’article 72-4 de la Constitution en consultant les populations concernées, préalablement à l’élaboration d’une loi organique, les conditions de cette consultation n’en sont pas moins discutables.

Dès lors que la consultation porte sur plusieurs hypothèses et degrés d’évolution, je regrette, pour ma part, qu’elle soit échelonnée dans le temps. Cette consultation par étapes crée une grande confusion dans l’esprit de nos concitoyens. Il eût été plus simple et plus clair de mettre directement « en concurrence », à la même date, les deux ou trois types d’évolution proposés.

Par ailleurs, il est regrettable que les populations concernées soient interrogées sur un simple principe, sans aucun document de présentation de la nature des changements concrets induits dans l’une ou l’autre des hypothèses. Il est entendu qu’il revient à une loi organique de fixer le contenu définitif de l’éventuelle évolution, mais cela ne faisait pas obstacle à la production par l’État d’un projet descriptif des évolutions prévisibles dans l’un ou l’autre cas.

Toutes choses égales par ailleurs, on peut, à cet égard, prendre pour exemple les documents transmis à la population française à l’occasion des référendums sur les traités européens. Bien entendu, il s’agit pour l’État non pas de s’engager dans le débat, mais de fournir à la population des éléments pour comprendre un débat déterminant pour son avenir. Notre mission commune d’information a souligné l’importance d’une telle démarche pédagogique préalable, permettant, pour le plus grand bénéfice de la démocratie, de dissiper les peurs irrationnelles et de clarifier la donne. Mais l’État est resté sourd !

Au final, nous voilà donc invités à nous prononcer sur un changement dont les tenants et aboutissants ne seront effectivement définis qu’après que nous aurons donné notre réponse. Cela pourrait paraître drôle si ce n’était, en réalité, extrêmement grave !

En l’état, il ressort que le passage au régime de l’article 74 comporte trop d’inconnues,…

M. Serge Larcher. … trop d’incertitudes et trop de zones d’ombre.

M. Serge Larcher. Pourtant, comme je le disais précédemment, nous ne pouvons en aucun cas nous en tenir au statu quo, tant la volonté de changement est forte à l’heure actuelle. Mais un changement statutaire aussi important doit résulter d’un désir profond des citoyens.

Dès lors, l’article 73 « aménagé » et la création d’une collectivité unique s’imposent à mes yeux comme une évidence. Selon moi, en effet, cette nouvelle collectivité favoriserait de façon significative la mobilisation des moyens autour d’un projet de développement pour la Martinique. Au-delà, il conviendra que l’État porte désormais plus d’attention à nos demandes en matière tant de développement social et économique que d’aménagement du territoire et de fiscalité.

Mes inquiétudes ont également trait à la suite réservée à ces consultations.

Il n’aura échappé à personne que le contexte général dans lequel nous débattons de ces consultations est particulièrement difficile, et c’est là un euphémisme ! La sévérité de la crise mondiale a eu une incidence particulière dans nos régions économiquement fragiles. Ce contexte a cristallisé, notamment en Martinique, des tensions qui couvaient depuis des décennies, pour déclencher un conflit social sans précédent au début de l’année 2009.

Pour répondre à cette crise, le Gouvernement a fait voter dans l’urgence la LODEOM, destinée à soutenir nos économies d’outre-mer. Mais, près d’un an après son adoption, la LODEOM n’est toujours pas appliquée, madame la ministre !

Mes motifs d’inquiétude sont donc de deux ordres.

Premièrement, le Gouvernement saura-t-il mieux gérer les délais de l’après-consultation que ceux de l’après-LODEOM ? Comme je l’ai dit précédemment, il faut traiter rapidement la question statutaire, afin de concentrer notre énergie sur le projet de développement de la Martinique.

Pour ma part, je souhaite que, quelle que soit l’évolution choisie par nos populations dans les semaines à venir, celle-ci soit traduite rapidement dans les faits. La Martinique ne pourra en aucun cas attendre une mise en œuvre calée sur le calendrier de la réforme des collectivités territoriales annoncée pour 2014 !

Deuxièmement, l’État tiendra-t-il ses engagements en matière de développement économique ? L’exemple de la LODEOM et celui de la réduction des budgets dédiés à l’outre-mer sont, à cet égard, très inquiétants. Le projet statutaire ne saurait être conçu comme l’alpha et l’oméga du développement économique de nos territoires. Il ne faut pas chercher à tromper nos populations sur ce point ! Si une organisation institutionnelle mieux adaptée et des libertés locales renforcées doivent permettre de mieux agir sur le développement de la Martinique, le statut ne peut constituer en lui-même un projet. Ce projet, il revient aux élus, aux acteurs économiques et à la société civile de la Martinique de l’établir, et à l’État de le soutenir en apportant les moyens qui sont de son ressort.

Je conclurai en rappelant que ce débat intéresse non pas seulement la Guyane et la Martinique, mais bien l’ensemble des collectivités territoriales qui composent la République. Comme la plupart de mes collègues ici présents, je suis un fervent partisan d’une réforme qui réaffirme et approfondisse le caractère décentralisé de l’organisation de l’État. Comme la plupart de mes collègues ici présents, je serai donc attentif à ce que ma région ne soit pas le laboratoire d’une réforme gouvernementale qui confonde approfondissement des libertés locales et désengagement de l’État ! (M. Daniel Marsin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette fin d’année 2009 constitue la charnière entre deux périodes assurément décisives pour les régions françaises d’au-delà des mers.

Paul Valéry écrivait : « L'histoire, je le crains, ne nous permet guère de prévoir, mais, associée à l'indépendance d'esprit, elle peut nous aider à mieux voir. »

Après l’assimilation commencée dans l’entre-deux-guerres, la départementalisation en 1946, la décentralisation en 1982 et en 2003, et à l’heure de la réforme des collectivités territoriales, le moment est venu, à mes yeux, de franchir une nouvelle étape dans un processus dont l’enjeu, s’agissant en tous cas de la Guyane, est de poser enfin les conditions d’un développement que tout le monde s’accorde à vouloir endogène et durable.

Sur ce point, si nous devons nous garder d’attendre d’un statut ce qui relève d’un projet de société, nous ne devons pas non plus considérer, notamment pour la Guyane, cette question du statut comme anecdotique.

Nous devons faire face à une exigence impérieuse : donner à ce territoire, aujourd’hui à la croisée des chemins, un cadre institutionnel et organisationnel qui rende possible son développement ou, à tout le moins, ne l’entrave pas comme l’ont fait, durant la seconde moitié du XXe siècle, les différentes architectures institutionnelles fondées sur l’identité législative avec le reste de la nation.

Cette identité législative, qui n’a empêché ni les dérogations ni les adaptations, n’a jamais permis le développement, faute certainement de volonté de la part d’un État trop loin de nos réalités, faute de responsabilité des élus locaux, et faute assurément d’un projet véritablement partagé entre les gouvernements successifs de la France et la Guyane.

En effet, si l’image d’une France hégémonique appartient certes à l’histoire, cette grande puissance a bel et bien laissé une chape de plomb sur la Guyane, que, manifestement, elle considère toujours comme une réserve foncière, une zone géostratégique, un argument écologique.

Jusqu’à ce jour, l’exploitation des ressources a été orientée au profit de partenariats sans intérêt majeur pour les populations locales.

En retour, des politiques publiques, qualifiées avec une bienveillante inconscience d’« assistanat », ont entraîné une spirale incontrôlée de destruction de l’énergie d’entreprendre et de l’initiative, conjuguée à des règles inadaptées et à des entraves absurdes, nationales d’abord, communautaires ensuite.

Que l’on ne s’y trompe pas, les plus hautes applications en Guyane de la technologie, celles de l’industrie spatiale par exemple, ne feraient que prolonger la longue histoire des rentes qui en étaient exportées, si l’on ne convenait pas d’un commun accord de transformer en profondeur le cadre relationnel issu d’un passé difficile, qui veut que la Guyane, soixante-trois ans après la départementalisation, se trouve aujourd’hui au dernier rang des régions françaises au regard de presque tous les indicateurs sociaux : santé, éducation, emploi, insertion des jeunes… Partout, la lanterne rouge reste allumée !

Quant à nous, élus, nous sommes trop souvent, hélas ! tombés dans le piège facile du recours à l’État pour tout, interpellant, invectivant, suppliant parfois, manquant maintes occasions de nous battre, tout simplement, au nom des valeurs de la République, plutôt qu’au nom de cette histoire retorse et de ces liens complexes qui se trouvent finalement au fondement de comportements parfois pervers, de part et d’autre.

S’il est vrai que l’histoire aide à mieux voir, alors nous devons voir cette réalité paradoxale d’une Guyane riche de potentiel, mais exploitée et entravée ; nous devons, tout simplement, sortir de l’impasse.

J’ai suivi les échanges qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, et écouté attentivement les interventions de mes collègues, en particulier celle de Serge Larcher. Nous avons tous appris à l’école la fable de La Fontaine intitulée Le Loup et le chien. Sans l’évoquer, les partisans de l’article 73 de la Constitution en utilisent fort bien les images. La transition dans la sécurité de l’article 73 est ainsi opposée au saut dans l’inconnu de l’article 74, comme si le choix qui nous était proposé était de devenir soit le chien bien portant, mais en cage, soit le loup affamé, mais libre. En agitant ainsi le spectre de la perte des droits sociaux ou des fonds européens, on joue sur les peurs de notre cerveau reptilien, en énonçant des contrevérités et en méprisant notre capacité à l’objectivité.

En réalité, et particulièrement pour les Guyanais, ce ne sera ni forcément le chien gras ni forcément le loup maigre. Les Guyanais ne sont pas des dogues gras et polis, et l’alternative n’est pas pour eux d’être affamés ou d’être attachés. Affamés, en Guyane, certains le sont déjà ; attachés, nous le resterons dans les deux cas, avec deux seules certitudes : le maintien des garanties de base de la Constitution et celui du statut de région ultrapériphérique de l’Union européenne.

Pour le reste, avec l’article 73 comme avec l’article 74, nous aurons toujours à nous battre. Aujourd’hui, nous nous battons pour que les droits constitutionnels a priori garantis ne restent pas purement théoriques sur le terrain. Demain, peut-être nous battrons-nous pour négocier ces mêmes droits au travers d’une loi organique. Au moins seront-ils effectifs une fois acquis, parce que ce sont les Guyanais eux-mêmes, élus et population, qui auront la responsabilité de les édicter et de les mettre en œuvre. C’est là que réside toute la différence ! Cette ouverture ne vaut-elle pas un saut, non pas dans l’inconnu, ni même vers la liberté, mais bel et bien vers la responsabilité ? Qu’avons-nous donc à perdre que nous n’ayons déjà perdu, à part, peut-être, nos dernières illusions sur l’égalité et la fraternité ?

Depuis que je suis sénateur, c’est-à-dire depuis un an maintenant, je constate, loi après loi, la difficulté de faire voter, ne serait-ce que par le biais d’un amendement lorsque l’outre-mer est carrément oublié dans le texte d’origine, ces fameuses adaptations qui, aujourd’hui, sont présentées par certains comme la panacée et associées à l’identité législative !

Pas plus tard qu’hier, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, des amendements que je croyais de bon sens, n’ayant aucun caractère partisan et pas même d’incidence financière immédiate, visant simplement l’amélioration des conditions d’aménagement du territoire par les collectivités, ont été rejetés par le Sénat. Ils étaient pourtant inspirés par le rapport Doligé, dont chacun se plaît à vanter l’excellence ! Combien de fois un département d’outre-mer a-t-il pu faire usage, de manière satisfaisante, de la capacité d’habilitation ? Combien de plans outre-mer spécifiques, combien d’études, de rapports et de décrets attendent d’être traduits par des mesures concrètes sur le terrain ? Qu’avons-nous donc à perdre ?

Ce que je vois, ce que je sais, c’est que nulle folie de liberté, nulle frénésie parricide, nulle velléité idéologique de rupture avec la République n’animaient les élus de Guyane réunis en congrès le 2 septembre dernier, mais plutôt la conscience d’une grave responsabilité à prendre. Ils avaient le sentiment de ne pas pouvoir, de ne pas devoir reculer devant ce qu’on peut considérer aujourd’hui comme une opportunité, une avancée démocratique, une fenêtre ouverte sur la possibilité de mieux faire, si les décisions prises pour la Guyane sont prises en Guyane, par la Guyane et dans l’intérêt de la Guyane, dans quelque domaine de compétence que ce soit.

Le régime de spécialité législative prévu par l’article 74 de la Constitution permet une telle avancée. Pour moi, c’est assumer un rendez-vous avec l’histoire que de voter « oui » le 10 janvier 2010 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Paul Virapoullé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention sera brève, car du fait de l’intelligence des grands électeurs de la Martinique et de la Guyane, les quatre sénateurs qui représentent ces territoires sont apparentés au groupe socialiste (Sourires), lequel a fait le choix de donner à nos collègues ultramarins le temps de s’exprimer relativement longuement.

Je voudrais néanmoins rappeler quelques points essentiels.

Tout d’abord, sur le plan intellectuel, le Sénat a accompli un progrès dans la prise en compte des problèmes de l’outre-mer grâce au travail de la mission commune d’information présidée par Serge Larcher. C’est un petit pas dans la bonne direction, mais il y a encore beaucoup à faire en la matière : notre collègue Jean-Étienne Antoinette rappelait à l’instant que, au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, un seul de ses amendements, visant à prévoir la remise d’un rapport, a été adopté, alors qu’un autre, dont l’objet était la réalisation d’une étude permettant d’approfondir la réflexion, a été rejeté sous un prétexte fallacieux.

L’outre-mer doit être évoqué sous l’angle du développement, de l’emploi, de l’éducation, du logement, tous problèmes de fond auxquels sont confrontés au quotidien nos compatriotes ultramarins : il faut aller au-delà du cliché de territoires sympathiques, exotiques, touristiques…

Il faut également prendre en compte la spécificité de chacun de ces territoires. Il n’y a que dans l’Hexagone que l’on peut considérer que la Guyane et la Martinique, c’est presque pareil ! C’est oublier leurs différences géographiques, historiques, sociologiques : excusez du peu ! En outre, la Guyane ne saurait se contenter d’être l’alibi écologique de la France dans les discussions du sommet de Copenhague, tandis que la vocation de la Martinique ne se résume pas à accueillir des catamarans ou des Hexagonaux en mal de soleil…

En matière de développement, les Guyanais et les Martiniquais vont choisir leur avenir : c’est leur problème. Leurs représentants au Sénat ont exprimé avec talent, à cette tribune, leurs convictions, leur identité et leurs spécificités, en affirmant leurs points d’accord et de désaccord.

Madame la ministre, il est de votre responsabilité que l’on parle vrai lors du débat démocratique qui se déroulera dans ces deux territoires.

Nous reviendrons sur cette question lors de l’examen soit d’un projet de loi organique, soit d’un projet de loi ordinaire, après que les populations de la Guyane et de la Martinique auront fait leur choix, sans être influencées, je l’espère, par quelque peur que ce soit, et en s’appuyant sur une information objective et aussi complète que possible. Nous savons en effet, par expérience, que lors d’un référendum, on ne répond pas toujours à la question posée… S’il n’y a rien au-dessus de la souveraineté des peuples, les peuples, nous le savons aussi, peuvent parfois être abusés.

Madame la ministre, je vous conjure donc de faire en sorte que la plus grande vérité règne lors de ces scrutins. Que les Guyanais et les Martiniquais s’expriment : il reviendra ensuite à la représentation nationale de montrer, à l’occasion de l’élaboration d’une loi organique ou d’une loi ordinaire, qu’elle a su les entendre et être attentive à leurs problèmes, qui nous concernent tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’évolution institutionnelle de la Martinique et de la Guyane est un sujet qui concerne la nation, ce qui nous vaut d’en débattre aujourd’hui.

C’est pour moi l’occasion de souligner que le recours au corps électoral, de manière distincte dans chaque département-région, est déjà en soi une avancée vers la responsabilité locale.

Si je me fais un devoir de m’exprimer aujourd’hui, hors de toute volonté d’ingérence dans les affaires de ces deux collectivités, c’est pour témoigner à mes collègues de Martinique et de Guyane, et à travers eux à ceux qu’ils représentent, la solidarité effective de la Guadeloupe dans la démarche que la Martinique et la Guyane ont choisi d’entreprendre.

En effet, s’il est parfaitement légitime de voir aujourd’hui les îliens des Antilles et les continentaux sud-américains du plateau des Guyanes aspirer à des statuts à leur mesure, cela ne saurait gommer les effets de plus de trois siècles de cheminement commun, à plus forte raison lorsque le temps a engendré des liens de solidarité nés d’une histoire partagée, tumultueuse, et construits le plus souvent dans l’épreuve.

Cette consultation fait écho à un mouvement social qui fut historique, tant par sa durée que par son étendue géographique. Nonobstant la diversité des contextes économiques, sociaux et culturels, la crise touche l’ensemble de l’outre-mer. Aujourd’hui, avec un temps de retard, Mayotte y est à son tour confrontée. Hélas, il faut bien le dire, les événements du début de l’année n’ont fait qu’accentuer difficultés et inégalités.

La consultation de la population est une réponse pertinente quand ses représentants l’ont choisie.

La départementalisation des Antilles et de la Guyane, introduite en 1946 en grande partie grâce à l’opiniâtreté d’un Aimé Césaire, fut sous certains aspects un immense progrès pour nos territoires, mais elle reste très largement insuffisante, si l’on considère les situations rencontrées aujourd’hui par les populations. En évoquant cette quête d’une plus grande responsabilité, je ne peux omettre d’évoquer la mémoire du guyanais Justin Catayée.

Les articles 73 et 74 révisés de la Constitution permettent à chaque territoire de définir le chemin qu’il veut suivre vers un supplément d’autonomie, qui doit s’accompagner d’une responsabilité accrue. La décision des congrès des élus départementaux et régionaux de Martinique et de Guyane de progresser en ce sens marque une évolution positive qui anoblit notre République, permettant le maintien en son sein de ces territoires, mais dans le cadre d’un contrat social et politique rénové.

En effet, madame la ministre, mes chers collègues, il faut le reconnaître, l’organisation des institutions n’est pas optimale dans les départements d’outre-mer. Le Gouvernement n’a-t-il pas d’ailleurs un projet de réforme nationale qui tend à corriger des défauts que nous avons mis en évidence depuis bien longtemps chez nous, d’autant que s’ajoute au mille-feuille administratif français cette curiosité qui consiste à superposer conseil général et conseil régional sur un même territoire ? Brouillage des compétences, inefficacité des décisions, incompréhension du public et concurrence politique malsaine entre deux autorités légitimes découlent de cette superposition, au détriment de l’intérêt général, du mieux-être de la population et de l’utilisation optimale des fonds publics.

Le Conseil constitutionnel a rejeté, en 1982, un projet qui n’est pas si loin de ressembler à celui que la Constitution rénovée nous autorise aujourd’hui. Les temps changent, et c’est tant mieux. Les Martiniquais et les Guyanais, tout comme les Guadeloupéens, ont besoin d’un souffle nouveau pour édifier un avenir meilleur. La République peut et doit les y aider.

La création d’une assemblée unique aux compétences pertinentes, bien pesées et clairement définies constituerait un progrès indéniable pour la rationalisation de la prise de décision. C’est un préalable nécessaire, mais pas suffisant. Le projet politique et les compétences des hommes et des femmes qui le porteront restent des données essentielles à mes yeux pour ancrer la pratique d’une meilleure gouvernance locale, démocratique et efficace.

Si, pour le moment, la Guadeloupe n’est pas concernée par les consultations dont il est question, je ne peux, madame la ministre, mes chers collègues, manquer de vous faire part de quelques-unes de mes interrogations.

La première interrogation concerne le calendrier : l’organisation d’une consultation aussi importante, à peine deux mois avant le scrutin régional, ne risque-t-elle pas de brouiller la clarté des enjeux et la nécessaire sérénité des débats locaux dans les deux territoires ? Poser la question, c’est presque y répondre. En cas de réponse positive au référendum, par exemple, comment la campagne électorale régionale va-t-elle s’articuler avec la définition du projet politique qui doit soutenir l’évolution du statut ? Il me semble, à cet égard, qu’il eût été opportun de repousser le scrutin de janvier 2010 à une ère plus sereine, ou alors de ne pas maintenir dans la foulée le scrutin régional ! L’expérience de la consultation de 2003 vient étayer la crainte d’un nouvel imbroglio électoral.

Deuxième interrogation : la consultation de la population marque-t-elle la fin du processus ? À l’évidence, non, d’où une deuxième source d’inquiétude. Le contenu de la loi organique, qui sera négocié entre l’État et les nouvelles collectivités, sera fondamental. Or on peut craindre que la même cause, l’incertitude sur le contenu, ne produise le même effet, la crainte de l’électorat. On sait aujourd’hui qu’il ne peut y avoir d’autonomie politique sans moyens économiques et financiers, ni vision à long terme.

Troisième interrogation : vaut-il mieux un modèle de statut fondé sur l’article 73 de la Constitution, poussé dans ses ultimes possibilités en matière de pouvoir d’adaptation des lois et règlements, ou un régime fondé sur l’article 74, privé de sa substance faute de moyens financiers, dont la discussion n’interviendra qu’a posteriori ? Je m’interroge d’autant plus sur ce point fondamental qu’aucun des départements d’outre-mer n’a pu sérieusement à ce jour utiliser la faculté d’adaptation offerte par l’article 73.

Mes chers collègues, si j’ai souhaité partager mes interrogations, ce n’est pas pour influer sur le débat en Martinique et en Guyane – ce serait d’ailleurs prétentieux de ma part –, mais plutôt parce que je ne doute pas que la Haute Assemblée sera saisie de la même question, dans un futur plus ou moins proche, en ce qui concerne la Guadeloupe.

La Guadeloupe a, pour le moment, choisi une trajectoire différente. Le congrès des élus du 24 juin dernier a opté pour l’élaboration préalable d’un « projet de société ». Si j’ai alors eu l’occasion de faire part de mes réserves sur l’idée d’un « projet de société » unique, qui ne pourrait être ni la source ni l’attribut de la démocratie, je me réjouis que la question institutionnelle soit déconnectée d’un calendrier électoral qui ne manquerait pas de dénaturer le débat. En effet, je souhaite que ce débat fasse émerger une véritable réflexion, dans toutes les couches de la société, sur l’avenir et la façon dont nous assumerons, en responsabilité, notre rôle, à notre place, au sein de la République.

Cette démarche guadeloupéenne s’inscrit dans la maturité acquise après la consultation traumatisante de 2003, car nous avons tous en mémoire les conditions détestables du débat sur la question qui avait alors été posée, marqué notamment par une pression politique et psychologique sur la population, que l’on a clairement voulu effrayer.

À mes yeux, l’évolution institutionnelle dans la République n’a rien d’effrayant. Néanmoins, je suis lucide : apporter une réponse institutionnelle ne suffira pas à résoudre les problèmes de la Guadeloupe, ni, je le crains, ceux du reste de l’outre-mer. Le bien-être des populations ultramarines en général ne peut dépendre seulement du degré d’autonomie du pouvoir local. (M. Jean-Jacques Hyest marque son approbation.)

Pour ma part, en Guadeloupe, j’attends que se noue enfin un vrai débat politique, et que naisse de la confrontation des conceptions de l’avenir une véritable vision programmatique de ce que doit être le développement apaisé de la Guadeloupe dans la République. Sinon, à quoi bon opter pour plus d’autonomie si la coquille, bien que rutilante, se révèle désespérément vide ? À quoi servirait-il de demander toujours plus de dotations à l’État si les crédits devaient être gérés de manière inefficace ? Vous l’aurez compris, je veux battre en brèche cette conclusion du poète Jean Cocteau : « Les révolutions sont belles… les huit premiers jours. » (Sourires.)

Nous sommes donc extrêmement attentifs à la démarche des élus de Martinique et de Guyane, et sommes convaincus de la clairvoyance et du sens des responsabilités des populations martiniquaise et guyanaise, au moment où ce choix déterminant pour l’avenir se présente à elles. Je veux leur adresser des vœux de pleine réussite face à ce nouveau défi. Les destinées des femmes et des hommes des territoires des Antilles et de la Guyane ont longtemps été unies dans une même soumission à une histoire coloniale marquée par l’oppression et l’injustice. Le temps passant, nous avons appris, pas à pas, à prendre conscience des obligations lourdes qu’implique la fonction de gouverner dans le cadre que nous a donné l’État. Je souhaite que si le scrutin traduit la volonté de changement des électeurs, la négociation du nouveau statut se fasse, sinon sur un pied d’égalité avec l’État, du moins sans la distorsion de rapports de force trop déséquilibrés, qui aboutirait à un partage léonin.

Mes chers collègues, nous sommes à l’évidence à un tournant de l’histoire de l’outre-mer, donc de l’histoire de France. Le fruit de nos réflexions est sans doute appelé à valoir pour plusieurs décennies. Mais je suis serein, car persuadé que ce débat constitue l’hommage de notre assemblée aux populations de la Martinique et de la Guyane et que le résultat de ces consultations, quel qu’il soit, sera l’honneur de la République. (M. Jean-Paul Virapoullé applaudit.)