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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias
Discussion générale (suite)

Concentration dans le secteur des médias

Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, présentée par M. David Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 590, 2008-2009).

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme  Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’initiative de notre collègue David Assouline doit être saluée pour au moins une raison : elle nous permet d’ouvrir un débat fondamental et salutaire dans une démocratie moderne. En effet, s’assurer de l’indépendance des médias, qui jouent un rôle déterminant dans la construction de l’opinion publique, c’est s’assurer d’un débat démocratique dynamique.

Ce texte me donne l’opportunité de réaffirmer l’attachement de l’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste à un secteur des médias indépendant, pluraliste et de qualité. Ces dernières années, nous n’avons cessé de rappeler ces exigences, à l’occasion de la loi sur l’audiovisuel public ou, avant cela, de la loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.

Si la question posée par notre collègue est donc parfaitement légitime dans son principe, sa proposition est inappropriée dans les faits, et inopportune dans les circonstances de mutations profondes que nous vivons et de crise que nous traversons.

Cette proposition de loi concerne à la fois l’audiovisuel et les journaux d’information.

Nous avons déjà débattu au sein de cet hémicycle, le 17 mars dernier, du secteur de la presse écrite, qui traverse actuellement une crise aiguë. Il s’agissait alors d’évoquer les raisons de cette crise et de formuler des propositions. Nous avions notamment abordé la question de la concentration dans le secteur des médias.

Pour répondre à notre collègue, notre rapporteur a rappelé dans son exposé que les règles anti-concentration étaient déjà très nombreuses dans notre pays. Je vous renvoie aux conclusions des états généraux de la presse écrite, qui se sont tenus l’an passé, notamment aux conclusions du pôle « Presse et société » et du sous-pôle « Pluralisme, concentration et développement ».

J’ai eu l’honneur, pour le compte de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de participer aux travaux de ce dernier. Je puis témoigner que les professionnels engagés dans la réflexion et l’analyse de ce sujet, dans toute leur diversité, ont jugé que le dispositif anti-concentration résultant des lois de 1986 – la loi portant réforme du régime juridique de la presse et la loi relative à la liberté de communication – n’appelait pas de modification substantielle par voie législative. En 2005, les préconisations du rapport de la commission Lancelot faisaient déjà le même constat.

Ils ont par ailleurs établi que la « concentration demeurait faible en France, malgré de récents regroupements dans la presse quotidienne régionale ». En effet, le secteur de la presse en France est un marché particulièrement éclaté, et ce en dépit des regroupements intervenus dans les années quatre-vingt-dix.

La question de l’indépendance de la presse et des journalistes à l’égard du pouvoir politique et du secteur économique a également été abordée lors des travaux du pôle « Presse et société ». Ce pôle a insisté sur la nécessité de lever ces soupçons et a conclu que « les efforts de rétablissement de la confiance devaient passer par une réflexion et une action propres au secteur de la presse et ne pas impliquer les pouvoirs publics ».

En revanche, nul doute qu’il est nécessaire, comme le préconise Patrick Eveno, qui a dirigé ces travaux, de mettre en place des moyens pour assurer la pleine transparence financière des entreprises de presse afin de clarifier d’éventuels liens économiques avec la puissance publique. Il a évoqué la création d’un observatoire du pluralisme et de la transparence dans les médias.

Sur le fond, les états généraux ont conclu que la clé du rétablissement d’une relation de confiance entre la presse et ses lecteurs était à trouver dans une publicité accrue de l’actionnariat des entreprises de presse.

La proposition de loi paraît donc inappropriée, parce qu’elle est en décalage complet avec tout le travail de fond réalisé dans les mois qui viennent de s’écouler.

Elle est également inopportune et présente des risques. Même si, dans le secteur des médias, on est souvent en présence de grands groupes, l’équilibre de ce secteur économique n’en est pas moins fragile : il a ses contraintes techniques et a besoin d’être encouragé pour que se constituent des groupes capables d’affronter la concurrence internationale.

En tant que législateur, notre rôle est de rechercher en permanence l’équilibre nécessaire entre le pluralisme et l’indépendance des médias, mais aussi leur stabilité économique. Au moment où le monde audiovisuel est confronté à des défis sans précédent, avec le passage au tout numérique, l’arrivée de la télévision numérique terrestre, la TNT, et du global media, au moment où la presse connaît une crise de mutation peut-être encore plus profonde, il est irréaliste de vouloir restreindre la propriété des groupes médiatiques.

Le dispositif que vous proposez, monsieur Assouline, est tellement contraignant que je ne vois pas comment les entreprises françaises de médias pourraient trouver les moyens de financer leur développement.

À coup sûr, ce dispositif appauvrirait un secteur aujourd’hui en pleine mutation. Qui viendrait cofinancer le passage au numérique ? Rappelons que les chaînes auxquelles vous faites lourdement allusion y participent de manière conséquente. Si l’on se contentait des chaînes nationales du service public et de quelques chaînes financées par les collectivités territoriales, l’indépendance serait-elle pour autant garantie ?

Pire, à travers les obligations des chaînes historiques privées en matière d’investissement dans la création, c’est tout un pan du secteur de la création audiovisuelle qui serait alors mis en péril ! Avez-vous conscience, monsieur Assouline, de mettre en danger les artistes ?

Encore une fois, tout cela apparaît en complet décalage avec une offre d’information qui n’a jamais été aussi large et diversifiée dans ses supports !

À cet égard, on soulignera le rôle grandissant – et le mot est faible – joué par internet : l’information est partout sur le réseau. Pour certains, on en arriverait même à une surinformation tant l’offre est foisonnante. Chaque mois, de nouveaux sites d’information et de nouveaux blogs, ouverts par des journalistes mais aussi par des intellectuels ou des politiques, témoignent d’une véritable vitalité démocratique.

En matière de pluralisme de l’information, l’offre papier est multiple et couvre le spectre des opinions. Le système des aides publiques y concourt. Nous venons de voter le budget de la mission « Médias » et nous avons pu noter l’effort conséquent du Gouvernement, les crédits concernant la presse ayant augmenté substantiellement.

L’effectivité de ce principe de valeur constitutionnelle, reconnu par les textes internationaux et européens, est donc mise en œuvre et protégée par la puissance publique.

Afin de garantir l’indépendance rédactionnelle des journaux, comme notre collègue rapporteur le suggère, il est indispensable de renforcer les exigences déontologiques de la profession. L’indépendance des rédactions, sur laquelle se fonde la proposition, doit certes être garantie, mais nous avons aussi parfois le sentiment, en tant qu’élus, que l’information manque de rigueur.

Le renforcement de la formation initiale et continue dans le secteur du journalisme est donc important. Lors des états généraux de la presse, il y a eu quasi-unanimité autour de l’idée d’une formation minimale obligatoire aux spécificités de la profession – notamment en termes de droit et d’éthique – dans les deux premières années d’exercice. Il est indispensable de la mettre en œuvre rapidement.

Il faut d’ailleurs saluer l’élaboration, à l’issue des états généraux, d’un code unique de déontologie des journalistes par un comité de sages réunissant une dizaine de personnalités représentant les journalistes et les éditeurs de presse.

Dans ce domaine, je voudrais insister sur le rôle qu’a exercé et que doit continuer à exercer le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, avec la plus grande vigilance. Cette instance de régulation – dont, je le rappelle au passage, Michel Thiollière et moi-même avons souhaité renforcer les pouvoirs de contrôle au sein de la loi sur l’audiovisuel public – effectue un remarquable travail et mérite de voir ses missions approfondies.

D’ailleurs, monsieur Assouline, ni vous ni le groupe socialiste n’avez soutenu ces amendements en commission mixte paritaire.

M. Paul Blanc. Carton jaune !

Mme Catherine Morin-Desailly. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si nous pensons que l’indépendance des médias est une priorité absolue, nous sommes très réservés sur la manière dont cette proposition de loi aborde la question, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.

Par ailleurs, elle fait peser un soupçon sur les médias dont les propriétaires dépendent de contrats publics. J’ajoute que la tonalité hautement polémique de votre intervention, Monsieur Assouline, qui dresse un portrait caricatural de la situation, n’a pas contribué à nous convaincre.

Honnêtement, aujourd’hui, dans un monde où l’offre d’information est très diversifiée, où la compression du temps et de l’espace privilégie l’immédiateté de l’information plutôt que son analyse ou sa hiérarchisation, les enjeux sont ailleurs : ils sont dans l’éducation, le développement de l’esprit critique chez les plus jeunes de nos concitoyens.

En outre, lorsque l’on voit cette sphère informationnelle gonfler à la vitesse de la multiplication des réseaux et la frontière entre les amateurs et les professionnels se faire évanescente sur la Toile, d’autres questions s’imposent.

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je conclus, madame la présidente.

Je pense à la fiabilité de l’information, à la protection de la sphère privée, mais aussi au droit à l’oubli.

Il faudra réfléchir aux évolutions juridiques qui accompagneront inévitablement les mutations en cours. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Paul Blanc. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne du rejet pur et simple de notre proposition de loi prôné par le rapporteur, Michel Thiollière. Évacuer ainsi le débat sur un sujet aussi important pour le fonctionnement de notre démocratie est un peu rapide !

M. le rapporteur a fondé le rejet de ce texte sur deux arguments : d’une part, l’indépendance éditoriale, qui serait l’affaire des journalistes et des rédactions ; d’autre part, la non-conformité au droit communautaire d’une incompatibilité générale entre le secteur des médias et celui des marchés publics.

Sur le premier point, vous vous appuyez sur la non-demande d’intervention du législateur dans les propositions des états généraux de la presse. Je ne reviendrai pas sur les conditions d’organisation et de tenue de ces états généraux ni sur leur représentativité.

Mais c’est faire bien peu de cas de la mobilisation, depuis 2007, de la profession journalistique pour une loi favorisant l’indépendance des rédactions. Les sociétés de journalistes de vingt-sept médias ont ainsi interpelé le Président de la République en ce sens.

Plus récemment, le 5 novembre dernier, les syndicats de journalistes, dans une lettre ouverte à M. Nicolas Sarkozy, lui ont notamment demandé « d’accéder à leur demande d’une réforme législative qui viserait à reconnaître enfin l’indépendance juridique des équipes rédactionnelles quelles que soient la forme de presse et la taille de l’entreprise médiatique ».

Pourquoi demander une loi ? Parce que les efforts des journalistes pour intégrer à leur convention collective une charte déontologique sont restés sans effet, du fait même du refus des éditeurs. Parce que le code de déontologie qui vient d’être rendu public, en ne s’imposant qu’aux seuls journalistes sans engager l'ensemble des maillons de la chaîne éditoriale et de la hiérarchie rédactionnelle, n’aura aucun effet.

Écoutons les journalistes lorsqu’ils affirment : « Oui, les journalistes ont le devoir d’informer. Mais, pour ce faire, il faudrait leur reconnaître des droits et des conditions de travail compatibles avec un vrai travail d’investigation et de vérification. Une information de qualité se doit d’être libérée du poids des actionnaires, des fonds de pension, des publicitaires et des politiques. Qu’attend la France pour reconnaître par la loi l’indépendance des rédactions face aux groupes industriels qui contrôlent notre profession ? »

En tant que parlementaires, nous devrions tous nous sentir interpellés. M. le rapporteur ne peut se contenter de recommander à la Haute Assemblée de renvoyer les journalistes à un rapport de force avec leur rédaction, le propriétaire de leur média ou ses actionnaires. Tel ne peut pas être le message du Sénat à l’audiovisuel et à la presse !

Voilà pourquoi un rejet pur et simple de notre proposition de loi est un non-sens. La Haute Assemblée n’a-t-elle aucune proposition à formuler pour garantir l’indépendance de nos médias, de surcroît dans une période où l’interpénétration entre pouvoir politique, économique et médiatique ressurgit avec une acuité nouvelle, et où même la liberté d’expression de nos écrivains semble remise en cause ?

Concernant l’argument juridique, la commission se fonde sur un récent arrêt de la Cour de justice des communautés européennes portant sur une disposition législative grecque qui empêche la participation à un marché public de tout entrepreneur impliqué, directement ou par intermédiaires, dans les médias d’information. Cette décision appelle deux observations.

Premièrement, notre proposition de loi est construite sur un modèle inverse. Nous n’interdisons absolument pas de participer à des marchés publics, nous souhaitons, au contraire, interdire à toute personne détenant plus de 1 % du capital d’une entreprise privée vivant de la commande publique de se voir attribuer une autorisation d’édition d’un service de télévision ou de radio, ou de procéder à l’acquisition, à la prise de contrôle ou à la prise en location-gérance d’un titre de presse.

Deuxièmement, M. Thiollière le précise lui-même dans son rapport : « Dans le dispositif proposé, ces sociétés garderaient les autorisations dont elles ont déjà bénéficié, mais elles ne pourraient pas, par exemple, disposer d’une nouvelle autorisation pour un service de télévision mobile personnelle. » Nous ne nous situons donc pas dans le cadre d’une interdiction générale.

La législation grecque a été jugée disproportionnée au regard de l’objectif recherché, à savoir la garantie du respect du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence des marchés publics. Pour notre part, nous entendons défendre un principe de valeur constitutionnelle, celui du pluralisme des courants d’expression : cela implique que les téléspectateurs, les auditeurs et les lecteurs soient à même d’exercer leur libre choix, sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions.

Dans ces conditions, dans la mesure où le dispositif proposé vise un objectif tout autre, rien ne permet d’affirmer a priori qu’il serait jugé comme disproportionné.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais insister sur un point : en opposant une fin de non-recevoir à notre texte, le Sénat signifierait que l’indépendance des médias est un non-sujet. Il me semble particulièrement dommageable que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication adresse un tel signal à ceux de plus en plus nombreux qui, dans le contexte actuel, doutent légitimement de l’indépendance de nos médias. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris à la position de M. le rapporteur, qui a démontré le caractère inadéquat de la proposition de loi que nous examinons.

Notre collègue David Assouline et le parti socialiste s’émeuvent d’une concentration croissante des médias français. Selon les termes de la proposition de loi, le « contrôle » économique de certains médias ferait « nécessairement naître des doutes sur [leur] degré réel de liberté et d’indépendance ». De ce fait, le pluralisme de l’information ne serait pas garanti, aussi bien pour la télévision et la radio que pour le secteur de la presse.

Ce jugement peut surprendre quand on sait que notre pays a adopté un dispositif particulièrement protecteur du pluralisme – d’ailleurs reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle – et de l’indépendance des médias.

En ce qui concerne la télévision et la radio, de nombreux articles de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ont fixé des règles anti-concentration précises. Ainsi, la part qu’une même personne peut détenir dans le capital de sociétés de l’audiovisuel est limitée, le cumul d’autorisations de services de radio et de télévision réglementé et la concentration multimédia restreinte. Il faut également souligner que le CSA, in fine, est le garant du respect du pluralisme : il dispose, à cet effet, de pouvoirs d’enquête réels.

En ce qui concerne la presse, on trouve des restrictions à la concentration dans la loi du 30 septembre 1986 précitée, ainsi que dans la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

Il existe actuellement une certaine crise de confiance à l’égard de ce secteur, ce qui nous invite à la réflexion. Et je partage le sentiment de M. le rapporteur quand il estime nécessaire de privilégier un renforcement de l’information accessible au grand public sur l’actionnariat des entreprises de presse, dans une démarche de transparence accrue s’accompagnant du respect par la profession de règles déontologiques fondamentales. Telles sont d’ailleurs les préconisations que les états généraux de la presse, réunis l’an dernier, ont formulées, la profession n’ayant pas jugé utile de proposer la modification du dispositif anti-concentration.

Après avoir présenté la réglementation française, je souhaiterais examiner la réalité du paysage médiatique de notre pays aujourd’hui.

En conclusion de son rapport remis en 2005, la commission Lancelot écrit ceci : « La commission n’a pas vu dans l’état actuel de la concentration dans les médias une menace directe pour le pluralisme et la diversité. » Elle relève ainsi que « la liberté de choix [pour le consommateur] a globalement progressé depuis une dizaine d’années ».

Dans le secteur de la télévision, l’offre, qui, comme chacun sait, se réduisait à trois chaînes publiques il y a vingt ans, a littéralement explosé à la suite du lancement de la TNT – dix-huit chaînes – et du développement du câble, du satellite et de l’ADSL. Les téléspectateurs ont aujourd’hui le choix entre plusieurs chaînes d’information en continu.

Ce qui est vrai pour la télévision l’est aussi pour la radio : le paysage radiophonique est également très varié. La moitié des opérateurs privés relèvent du secteur associatif, qui assure une mission de « communication sociale de proximité », pour reprendre les termes de la commission Lancelot, contribuant grandement à la diversité des programmes.

En ce qui concerne la presse, l’offre éditoriale s’est réduite, mais reste très diverse. Il faut souligner l’émergence d’une presse gratuite. Les éditions dominicales rencontrent également un succès grandissant, le nombre de titres de la presse quotidienne du septième jour étant passé de dix-neuf à trente-cinq en dix ans. La révolution technologique a créé un nouveau support, internet, qui donne accès à tout ou partie du contenu des grands journaux étrangers et diversifie considérablement les sources d’information disponibles. La multiplication des blogs contribue également à ce mouvement.

Il ressort de cette analyse que le public est bien en situation d’exercer un choix.

Certes, dans chaque segment, quatre ou cinq groupes se détachent des autres intervenants. Mais, toujours selon la commission Lancelot, « une telle configuration n’est pas nécessairement mauvaise en termes de pluralisme, les poids relatifs des uns et des autres s’y équilibrant davantage que lorsqu’un leader unique domine une concurrence émiettée ».

De plus, je tiens à souligner que M. Assouline semble occulter la réalité économique mondiale.

M. David Assouline. Bien sûr…

Mme Colette Mélot. Ne l’oublions pas, les médias français ont du mal à s’imposer face à de grands groupes étrangers. Il faut penser les médias en termes non pas seulement politiques, mais également économiques, en raisonnant par rapport à la taille critique de l’entreprise et à sa rentabilité.

M. Jean-Jacques Mirassou. Ah ! Nous y sommes !

M. David Assouline. J’attends que vous me donniez un cours, madame !

Mme Colette Mélot. Nous devons, bien évidemment, rester vigilants sur la question de l’indépendance des médias. Ce débat est, me semble-t-il, l’occasion de le rappeler. C’est désormais chose faite.

Cependant, le groupe UMP n’adhère en aucune façon à la vision négative du parti socialiste et suivra donc l’avis de la commission en votant contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également)

M. Paul Blanc. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque trois minutes seulement m’ont été octroyées, je ne pourrai livrer qu’un simple témoignage. Mais je ne voulais pas laisser passer ce débat sur la presse sans intervenir, ayant malheureusement manqué le débat budgétaire sur la mission « Médias ».

Notre collègue David Assouline, avec le talent qui est le sien et son objectivité toute personnelle (Sourires sur les travées de lUMP et de lUnion centriste) a posé une vraie question, ce qu’a reconnu d’ailleurs M. Thiollière à la page 21 de son rapport.

Monsieur le ministre, votre réponse, le 17 novembre dernier, était fort opportune, proportionnée dans la forme et parfaite quant au fond, eu égard au sujet qui nous préoccupe. Je l’avais écoutée avec beaucoup d’attention et j’ai même lu entre-temps le compte rendu qui en a été fait.

Il n’en demeure pas moins vrai que le débat sur la concentration des médias doit être posé, même si, sans doute, il convient d’éviter certains termes, tel celui de « bétonneur ».

Ne devrait-on pas sérieusement revoir le statut des patrons de presse lorsqu’ils occupent ou souhaitent occuper des mandats parlementaires, ou plus simplement les fonctions de simple conseiller général, demain conseiller territorial ? (M. Jean-Jacques Mirassou ironise.) Ce faisant, ils disposent ou disposeraient, au niveau local, d’un outil au service de leur mandat et, partant, d’un réel pouvoir de nuisance au détriment de concurrents éventuels.

La situation dans le sud-ouest de la France…

Mme Nathalie Goulet. … nous en offre un exemple parfait. Et que penser de ce grand quotidien national du matin, dont les éloges ne doivent pas être si flatteurs tant il est vrai que la liberté de blâmer l’action présidentielle et gouvernementale y est réduite à sa plus simple expression ? (M. Paul Blanc s’exclame.)

Dans le grand Ouest, le groupe Ouest-France est propriétaire de plus de soixante hebdomadaires. Il s’agit, certes, d’un journal historique, dont la ligne éditoriale n’est pas sujette à critique, mais une telle quantité d’hebdomadaires laisse tout de même peu de place à la concurrence et à la diversité.

Internet n’est pas la réponse. Nous sommes nombreux ici à être originaires de départementaux ruraux. Le débat de ce matin sur la fracture numérique nous a encore donné un bel exemple des carences observées en la matière, puisque certains territoires n’ont toujours pas accès au très haut débit. De toute façon, les lecteurs ne sont pas tous habitués à lire la presse sur un écran.

Dans mon département, outre le quotidien Ouest-France, six hebdomadaires appartenant au même groupe et diffusant les mêmes articles se « partagent » 293 000 habitants.

Autre sujet de débat, l’intervention de l’État. À ce titre, les crédits budgétaires du programme 180 de la mission « Médias » relatif aux aides à la presse représentent au moins 180 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les montants attribués au titre du plan de relance.

Nous l’avons vu, l’indépendance de la presse est évidemment un gage de sa neutralité.

Monsieur le ministre, je tiens également à vous parler de l’AFP, qui a récemment signé avec l’État un nouveau contrat d’objectifs et de moyens.

Il importe de vérifier l’utilisation des aides à la presse et de conditionner leur versement à la formulation d’objectifs et de moyens. La déontologie est l’une des conditions à respecter par l'ensemble des journalistes : un code de déontologie existe depuis 1939 et le syndicat des journalistes vient de proposer le sien. Point n’est donc besoin d’un autre Grenelle ou de nouveaux états généraux pour connaître les droits et obligations des journalistes, notamment en matière de protection de la presse et de diffamation.

Le droit de la presse n’étant pas un sujet tabou, je ne saurais terminer mon propos sans évoquer l’heureuse initiative de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne sur la protection de la vie privée sur internet. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que nous engagions, dans cet hémicycle, un vrai débat sur le droit de la presse et, notamment, le respect de la vie privée.

M. Jean-Jacques Mirassou. Vous avez raison !

Mme Nathalie Goulet. Je sais qu’il a toutes les chances d’être d’une aussi bonne tenue que celui que nous avons eu récemment sur la numérisation des bibliothèques. C’était un parfait exemple de ce que cette maison est capable de faire, c'est-à-dire travailler sérieusement en évitant de tomber dans les excès ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons touché juste, si j’en crois la dureté inhabituelle des mots de M. le rapporteur et le lyrisme hostile de M. le ministre, évoquant, pêle-mêle, un « procès d’intention », une « doctrine autoritaire », le « pavé de l’ours » ou la « démagogie ».

Pour couper démocratiquement le lien entre l’État et l’information, il avait été fait le choix – contestable – de la privatisation et du financement par de grands groupes industriels, sans prendre la précaution d’éviter les intérêts liés.

M. Thiollière a, dans sa réponse, fait l’amalgame entre le financement public, qui rend libre, et la dépendance de la commande publique, qui peut rendre obligé. Cela n’a rien à voir !

Désormais, ce n’est plus le savoir-faire, le métier qui comptent, c’est le capital.

Les vendeurs d’eau, d’armes, d’avions ou de bétons contrôlent des canaux audiovisuels ou des titres de presse. En contrôlent-ils les contenus ? Le rapporteur a estimé le débat « opportun » mais la « confiance » lui suffit. Pourtant, la confiance dans la mise en concurrence a bien été trahie par le nivellement par le bas des programmes, l’uniformisation de l’information dissimulée par la variété des titres.

Nous avons confiance dans la déontologie des journalistes, mais les conditions qui leur sont faites les mettent sous tension quand ils font preuve d’indépendance, ou même formulent des critiques ou des doutes quant aux choix du pouvoir. Ils sont vulnérabilisés. Faut-il vous rappeler le licenciement d’un cadre de TF1 ayant eu l’audace d’émettre des doutes auprès de sa députée UMP sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi HADOPI ?

Le code de déontologie que vous avez évoqué, monsieur le ministre, ne met pas en avant la responsabilité des éditeurs, et passe sous silence les conditions de travail et les pressions qui en découlent. Même en oubliant certaines proximités familiales et amicales avec le chef de l’État, nous ne pouvons faire nôtre la confiance que vous prônez avec les grands groupes.

Les principes de séparation des pouvoirs et des rôles sont les bases de la démocratie : la République a confiance dans ses médecins, mais elle limite leur mission à la prescription et leur interdit de vendre des médicaments. La France a confiance dans ses procureurs, mais elle est plus tranquille quand des juges d’instruction indépendants construisent le dossier.

Après les principes, il y a l’expérience. Souvenez-vous de TF1 écrivant dans son Livre blanc le brouillon de la loi sur l’audiovisuel. Souvenez-vous de Bouygues condamné à verser 42 millions d’euros pour entente de prix avec les autres opérateurs de téléphonie mobile. Souvenez-vous du rapport de la Cour des comptes, à l’été 2009, pointant les sondages d’opinion commandés par l’Élysée : la société des rédacteurs du Figaro a contesté qu’on les expurge avant publication.

Seules les règles peuvent éloigner le risque de dépendance des rédactions, les risques de comportements trop zélés ou d’autocensure.

Car elle peut venir vite, l’autocensure ! Quand les prisons de toute une nation vous sont confiées pour 48 millions d’euros par an, vous n’avez pas envie de parler de « politique répressive ». Quand de complaisants arbitrages publics sur les agrocarburants ou sur les véhicules électriques accompagnent vos 100 000 hectares de palmiers à huile ou vos batteries de deuxième génération, alors que vous possédez Direct matin, Direct soir, la chaîne Direct 8, la moitié de Metro et un tiers de 20 Minutes, nous n’y lisons pas que le Grenelle a été en partie trahi. Quand Le Figaro vante le Rafale comme étant « le meilleur avion du monde », ou qu’il insiste sur le futur contrat « historique », on cherche presque au bas de la page le bon de commande !

La fragilité financière de la presse écrite, la baisse des recettes bouleversent le paysage et appellent à rénover la loi anti-concentration de 1986. La position d’industriel-communicant obligé n’est pas déontologique. TF1 contrôlée par Bouygues, Lagardère – Europe 1, Paris Match – actionnaire d’EADS mais aussi administrateur de LVMH – La Tribune –, propriété du groupe Arnault, lui-même actionnaire de Bouygues : plus que de la concentration, c’est un carambolage ! (M. Alain Gournac s’exclame.)

C’est la démocratie qui vacille. Le peuple n’a plus confiance. Il faut des règles. La rupture avec les intérêts liés ouvrirait des opportunités.

Monsieur le ministre, dans vos critiques, vous avez employé un adjectif que nous ne récusons pas : « anachronique », avez-vous dit. Oui, nous préparons demain, nous sommes, à cet égard, anachroniques et nous remettons en cause les recettes spéculatives d’hier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)