M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. J’évoquais à l’instant les assignations des neuf distributeurs. Monsieur Bizet, vous m’avez interrogé sur le sort qui leur sera réservé. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que l’une de ces assignations, pour laquelle j’avais demandé au juge, qui l’a accepté, une procédure de jugement accélérée, a déjà donné lieu la semaine dernière à une première sanction de 300 000 euros prononcée par le tribunal de Lille. Cela prouve que les nouveaux moyens juridiques donnés à l’État par la LME fonctionnent effectivement. Les autres jugements interviendront dans les mois à venir.

Madame Khiari, les soldes flottants ont, me semble-t-il, joué un rôle positif d’animation commerciale durant l’année 2009. Cela étant, je suis prêt à en tirer un bilan plus précis et je vous annonce qu’une évaluation sera menée sur le sujet, avec un rapport à la fin de ce semestre.

Un certain nombre de sénateurs se sont préoccupés, et c’est bien naturel au sein de cette Haute Assemblée, des négociations commerciales dans le secteur de l’agriculture.

Je passe rapidement sur le plan de soutien annoncé par le Président de la République en matière agricole pour centrer mon propos sur les relations commerciales avec les distributeurs, qui relèvent directement de ma mission.

Monsieur Lefèvre, vous avez souligné la nécessité de mieux apprécier et évaluer l’évolution des prix et des marges dans la filière agricole. C’est précisément l’un des objectifs ayant présidé à la création de l’Observatoire des prix et des marges qui a été mis en place au mois de mars 2008. Des chiffres détaillés sur les prix et les marges du porc frais et du jambon cuit, des produits laitiers et des fruits et légumes ont déjà été publiés. Toutes ces données sont accessibles sur le site internet de la DGCCRF.

Contrairement à ce qui a été affirmé par Mme Terrade, la transparence donnée par cet observatoire apporte à chaque publication un peu plus de sérénité, donc de chances de succès, dans le dialogue entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

Je suis partisan de la recherche non pas de boucs émissaires, mais de la justice et de l’équité. Par conséquent, à chaque fois qu’il le faudra, nous interviendrons pour rétablir l’équilibre dans les contrats. Mais il ne faut pas stigmatiser telle ou telle branche de notre économie nationale.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, présentera dans quelques jours le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche pour améliorer les relations commerciales dans la filière. Nous avons travaillé ensemble plus précisément sur la formalisation obligatoire des annonces de prix hors des lieux de vente, l’amélioration de l’encadrement du prix après-vente, l’interdiction – je vous l’annonce – des remises, rabais et ristournes en période de crise conjoncturelle, ainsi que la pérennisation de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.

Madame Khiari, vous avez souligné l’apport de l’indice des loyers commerciaux. Je vous indique au demeurant que cet indice a été créé non pas en 2006, mais bien en 2008, car c’est l’une des mesures de la LME. Il repose sur une base contractuelle. Le Gouvernement, je le précise, n’est pas favorable à l’idée de rendre cet indice obligatoire, car cela induirait une réelle rigidité des baux commerciaux. Mais l’indice délivre aujourd’hui un message clair aux investisseurs institutionnels, et plus particulièrement à certaines banques et assurances. Les institutionnels doivent jouer le jeu et accepter l’application de l’indice à la demande de leurs locataires. Le Gouvernement sera très vigilant à cet égard. Avant la fin de ce semestre, je ferai le point avec leurs organisations professionnelles.

La question de l’urbanisme commercial est majeure. Comme l’a rappelé Mme le rapporteur, la LME a vocation à développer la concurrence. Il s’agit de favoriser non pas la « concurrence pour la concurrence », mais bien la création d’emplois et de richesses, ainsi que la baisse des prix. Ce sont autant de résultats qui peuvent être atteints seulement par un renforcement de la concurrence dans les zones de chalandises locales.

Vous le savez, les règles ont été modifiées en profondeur, avec la création des nouvelles commissions départementales d’aménagement commercial, qui examinent les conséquences des projets sur l’activité commerciale, les flux de transport ou l’environnement.

Les instances locales de décision ont été réformées, et les procédures, simplifiées. Je vous livre des chiffres intéressants : les demandes de plus de 1 000 mètres carrés ont abouti à la création de 2 239 240 mètres carrés au cours des neuf premiers mois de 2009, contre 2 173 257 mètres carrés durant la même période en 2008 et 2 198 651 mètres carrés en 2007. Ainsi, contrairement à ce que certains prétendent, il n’y a pas eu d’explosion des grandes surfaces au-delà de 1 000 mètres carrés.

Vous vous en souvenez, le Gouvernement s’était engagé, au cours du débat parlementaire, à poursuivre la réforme dans le sens d’une intégration totale du droit de l’équipement commercial dans le droit commun de l’urbanisme. À cette fin, une mission d’expertise en septembre 2008 avait été confiée au regretté Jean-Paul Charié, rapporteur de la LME à l’Assemblée nationale, qui avait remis son rapport au mois de mars dernier. Les députés lui ont rendu tout à l'heure un hommage émouvant, auquel j’ai participé, avant de rejoindre le Sénat.

M. Jean-Paul Charié poursuivait ses consultations avec les professionnels et souhaitait présenter une proposition de loi, mais la maladie l’a atteint avant qu’il puisse mener ce projet à terme. Nous allons poursuivre ses travaux avec Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, et en concertation avec les commissions des affaires économiques des deux assemblées.

Je vous indique que la prochaine réforme de l’aménagement commercial devra respecter certaines options fondamentales. Il nous faudra en particulier tenir compte de la réalité actuelle des documents d’urbanisme, qu’il s’agisse des plans locaux d’urbanisme, les PLU, ou des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, dans leurs volets commerciaux. Bien entendu, un basculement du droit de l’aménagement commercial sur le droit commun de l’urbanisme n’est envisageable que si ces documents sont adaptés à une telle tâche.

Il nous faudra également tenir compte des tendances actuelles de l’équipement commercial, c'est-à-dire, d’une part, du développement des petits formats de proximité – les formats de moins de 1 000 mètres carrés sont ceux qui ont le plus augmenté depuis l’adoption de la LME – et, d’autre part, du besoin d’agrandissement et de rénovation des anciens équipements.

Comme Mme le rapporteur le recommande, nous devrons aussi trouver les conditions d’amélioration de notre outil d’observation statistique des équipements commerciaux – c’est pourquoi j’ai souhaité vous faire part de ces quelques chiffres – pour compenser la perte d’information provoquée par l’augmentation du seuil des autorisations à 1 000 mètres carrés.

Lors de son intervention très intéressante sur l’accès au très haut débit, M. Pierre Hérisson a rappelé son attachement à une politique volontariste en matière de couverture du territoire. J’y suis tout à fait favorable.

Il a également évoqué l’extension du service universel au haut débit. C’est effectivement l’une des options offertes. Nous devrons réfléchir à cette question dans le cadre de la transposition du « paquet Télécom » qui a été adopté à la fin du mois de novembre par l’Union européenne.

En outre, j’ai été sensible, à titre personnel, aux propos de M. Pierre Hérisson sur les effets bénéfiques de la baisse du taux de TVA dans la restauration.

Mme Nicole Bricq. C’est bien le seul !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il n’est pas le seul à le reconnaître ! Les restaurateurs seront sensibles à vos propos, madame Bricq !

Madame Goulet, vous m’avez interrogé sur le changement de statut de RFI et ses conséquences. Vous savez que la réforme de l’audiovisuel public extérieur, décidée par le Président de la République, vise à moderniser et à mieux coordonner les entités qui composent cet audiovisuel.

Il est vrai que les conséquences de cette réforme sont importantes, mais la situation est critique. Malgré la qualité de ses journalistes, RFI a perdu beaucoup d’auditeurs ces quatre dernières années. La société a été déficitaire à six reprises au cours de la période 2000-2008. Une restructuration en profondeur est indispensable à sa survie. Tel est le sens du plan global de modernisation de RFI.

Enfin, je ne voudrais pas achever cette intervention sans vous avoir répondu, madame Bricq, sur la banalisation du livret A.

Je souligne que, durant les onze premiers mois de 2009, selon les chiffres disponibles à ce jour, la collecte nette reste fortement positive, puisqu’elle s’élève à 17 milliards d’euros.

Vous avez fait état de deux sujets d’inquiétude.

Tout d’abord, s’agissant du niveau de centralisation, le Gouvernement est très attentif au fait que les sommes centralisées au fonds d’épargne restent en permanence suffisantes pour répondre aux besoins de financement du logement social, conformément à la disposition figurant expressément dans la loi de modernisation de l’économie. L’Observatoire de l’épargne réglementée, créé pour accompagner la réforme, pourra utilement participer au débat sur le niveau nécessaire de centralisation à compter de 2012. La Caisse des dépôts et consignations est représentée au sein de cet observatoire, ainsi que le mouvement HLM en la personne de son président, votre collègue Thierry Repentin, comme vous l’aurez noté, madame le sénateur.

Ensuite, s’agissant du contrôle de la multidétention, l’administration fiscale adresse mensuellement, depuis août 2009, une liste des cas concernés aux banques afin de permettre à ces dernières d’inviter leurs clients à régulariser leur situation. S’il est trop tôt pour évaluer les effets de cette démarche, cette dernière constitue néanmoins un progrès considérable par rapport à la situation antérieure à la LME.

Pour conclure, vous l’avez d’ailleurs tous souligné, un an et demi après le vote du texte, l’impact de la loi de modernisation de l’économie est indéniable, même s’il est jugé de manière plus ou moins positive par les uns et les autres.

Cette loi a une dimension structurante incontestable. Elle a contribué à bousculer de nombreux conservatismes, dont certains continuent d’entraver notre économie.

Qu’il s’agisse des marges arrière, de la longueur des délais de paiement ou bien de la difficulté à entreprendre, chacun s’accordait voilà encore deux ans à les définir comme des maux spécifiquement français. Nous en étions venus à croire qu’ils faisaient partie du patrimoine national.

La loi de modernisation de l’économie, et j’en suis très fier, a commencé à lever ces obstacles, résolument, mais graduellement, sans brutalité, en établissant les contreparties nécessaires aux libertés nouvellement créées et en prévoyant les modalités pour opérer des transitions en douceur lorsque cela était nécessaire.

Nous pouvons l’affirmer dès aujourd'hui, le résultat de la loi de modernisation de l’économie est extrêmement positif. À l’évidence, cette appréciation ne remet nullement en cause la nécessité d’adapter les dispositifs chaque fois que la réalité nous l’impose.

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. La loi de modernisation de l’économie se voulait une loi pragmatique et non dogmatique.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le pragmatisme restera le mot d’ordre du Gouvernement…

M. Charles Revet. Très bien !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … au moment d’évaluer les impacts et les ajustements qui pourraient se révéler nécessaires. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

11

Moyen-Orient

Débat d’initiative sénatoriale

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat d’initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.

La parole est à M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à la fin de 2008, la commission des affaires étrangères a confié à ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga et à moi-même une mission d’information sur le Moyen-Orient, qui nous a amenés à faire le tour d’une douzaine de pays de cette région.

Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Josselin de Rohan, de nous avoir fait l’honneur de nous confier cette mission, dont je vais vous résumer, aussi brièvement que possible, les conclusions. J’interrogerai ensuite M. le ministre des affaires étrangères sur la politique que notre pays conduit au Moyen-Orient, sur les résultats obtenus et sur ceux qui sont escomptés.

Mes chers collègues, vous êtes tous conscients que, de toutes les régions du monde, le Moyen-Orient est celle dont l’Europe est la plus proche. Elle en importe une grande partie de son énergie et elle y écoule une fraction substantielle de ses exportations. Le terrorisme y trouve son origine directe ou indirecte. Enfin, une communauté de destin lie l’Europe au Moyen-Orient, du fait de l’installation en Europe de plusieurs millions de musulmans et de juifs.

Les relations que les États européens entretiennent avec les États du Moyen-Orient varient, bien entendu, d’un pays à l’autre. Elles sont parfois bonnes, souvent tendues, toujours difficiles, et ce pour trois raisons.

En premier lieu, le souvenir du colonialisme, qui n’a duré que quelques décennies, de la fin de l’empire ottoman à l’indépendance, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste gravé dans les esprits.

En deuxième lieu, le retour de la religion se traduit moins par une grande passion religieuse que par une pratique plus ostentatoire de la prière, par le respect du jeûne et le retour en force du voile islamique. À cet égard, il me paraît important d’éviter les contresens : la religion ne débouche pas forcément sur l’intolérance ; elle offre à ses adeptes, pour l’essentiel, un ancrage identitaire ; elle apporte une réponse aux générations humiliées par les défaites du monde arabe face à Israël. De ce fait, l’Islam s’est progressivement imposé comme le territoire de la dignité retrouvée.

Le retour en force du port du voile, maintes fois évoqué, n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, le signe d’une régression sociale. En réalité, le voile permet aux femmes, surtout lorsqu’elles sont issues de milieux conservateurs, d’exercer des activités professionnelles. Ce constat vaut même pour l’Arabie saoudite, où nous avons pu rencontrer un certain nombre de femmes d’affaires qui jouent un rôle important.

En troisième lieu, la rapidité et la profondeur des évolutions sociales contrastent avec l’immobilisme des régimes politiques avec lesquels l’Occident a partie liée. Ce décalage est à l’origine de nombreuses tensions.

Ces évolutions tiennent tout d’abord au choc démographique.

Ce choc est avant tout quantitatif : la population du Moyen-Orient a doublé depuis l’indépendance et elle devrait encore augmenter de 40 % au cours des deux prochaines décennies, entraînant un accroissement de près de 150 millions d’habitants.

Ce choc a également une dimension qualitative, révélée notamment par la concentration urbaine. La population du Caire est passée de 9 millions à 18 millions d’habitants entre 1976 et 2006, c’est-à-dire sur une période très brève. La ville de Ryad, qui n’existait presque pas au début du XXe siècle, compte aujourd’hui 5 millions d’habitants.

La transition démographique est en cours : le taux de natalité a rejoint à peu près celui des pays européens, en tout cas celui de la France. Malheureusement, mais c’est la force des choses, les effets de ce ralentissement ne se font sentir que progressivement.

Ensuite, un second changement mérite d’être souligné : l’évolution rapide du statut des femmes, qui exercent désormais, dans tous les pays, un rôle économique important.

Naturellement, leur ascension ne va pas sans susciter résistances et retours en arrière, mais la progression est inexorable, alimentée d’ailleurs par la scolarisation qui atteint 50 % des femmes en moyenne. L’Iran compte plus de femmes que d’hommes dans ses universités.

Face à ces évolutions, que l’on pourrait détailler, on est frappé par l’extrême immobilisme politique. Moubarak est Président de l’Égypte depuis vingt-huit ans. En Tunisie, le Président Ben Ali gouverne depuis vingt-deux ans. En Lybie, Kadhafi a pris le pouvoir en 1969 et son fils s’apprête, semble-t-il, à lui succéder. Il en va de même en Syrie avec les el-Assad, père et fils. En Jordanie, en Arabie Saoudite, dans les Émirats du Golfe, au Koweït, au Maroc, des dynasties sont en place depuis l’indépendance.

Nulle part dans ces pays la démocratie ne s’est implantée, malgré la pression exercée, en son temps, par le Président Bush. Des élections ont bien lieu, mais elles ne sont jamais pluralistes ni concurrentielles. Elles sont administrées par des régimes résolus à en contrôler les résultats, par le biais de la manipulation des lois électorales et l’interdiction des partis des candidats d’opposition.

Le résultat coule de source : peu de régimes ont une authentique légitimité. Les peuples se soumettent, mais n’accordent le plus souvent à leur gouvernement que peu ou pas de confiance.

Les ressources énergétiques constituent, il est vrai, pour les régimes qui en bénéficient, un atout et un facteur de stabilité. Ne l’oublions pas, les cinq pays du pourtour du golfe Persique détiennent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole et de gaz et fournissent actuellement 30 % du pétrole consommé.

Les achats croissants de la Chine font désormais de ce pays l’un des principaux débouchés du pétrole moyen-oriental, ce qui amène la région à regarder vers l’Asie autant que vers l’Europe. Cette évolution est d’autant plus aisée que la Chine ne pose jamais aucune condition politique et s’abstient de toute intervention, un luxe que l’Europe peut très difficilement se permettre.

En effet, l’Europe est attendue sur au moins trois dossiers essentiels : le conflit israélo-arabe, le programme nucléaire iranien, ainsi que la lente et dangereuse désintégration du Yémen.

Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler un bref commentaire sur ces trois dossiers.

S’agissant du conflit israélo-arabe, son importance centrale et la menace qu’il fait peser sur le destin du peuple palestinien sont au cœur des relations entre l’Occident et le monde arabe.

Ce dernier reproche aux États-Unis et à l’Europe de faire constamment deux poids et deux mesures, de tout accepter d’Israël, notamment de fouler aux pieds les résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, mais de faire preuve d’intransigeance à l’égard des Arabes. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Occident condamne les tirs de roquettes du Hamas contre Israël, mais ne dit rien, ou bien peu de chose, du blocus de Gaza qui en est la cause.

Le paradoxe du conflit israélo-palestinien est que les paramètres d’une solution sont connus. Ils ont été définis en 2000, à la suite de longues tractations conduites sous la présidence de Clinton.

Il s’agit, d’abord, de l’existence de deux États vivant côte à côte, de part et d’autre de la frontière établie en 1967, à l’issue de la dernière guerre israélo-arabe.

Ce tracé devra être corrigé, le moment venu, pour tenir compte des colonies établies par les Israéliens en territoire palestinien, rendant nécessaire une compensation territoriale par des cessions israéliennes aux Palestiniens.

Il s’agit également du partage de la capitale, Jérusalem, entre les deux États.

Il s’agit, enfin, de l’obtention par les réfugiés palestiniens de la reconnaissance d’un « droit au retour » dans les territoires affectés par les guerres israélo-palestiniennes, ce droit au retour étant conditionné par l’accord d’Israël. Or on sait très bien qu’Israël n’est aucunement prêt à accueillir des réfugiés palestiniens, si ce n’est à doses homéopathiques.

Ces paramètres, qui sont connus et sont les seuls sur lesquels on puisse fonder une paix – et à ce titre, ils ne sont pas vraiment discutés – n’ont jamais été mis en œuvre.

Plusieurs raisons expliquent une telle situation.

Tout d’abord, si l’Autorité palestinienne et le Fatah qui l’anime ont, depuis Yasser Arafat, reconnu Israël, il n’en va pas de même du Hamas, qui ne propose qu’une trêve, une oudna, d’une période de dix ans renouvelable.

On sait peut-être moins, et c’est là mon interprétation personnelle, que l’État d’Israël est incapable d’accepter officiellement les concessions minimales qui sont exigées de lui. Celles-ci impliqueraient des décisions que son système politique ne lui permet pas de prendre. En effet, les élections israéliennes ont lieu à la représentation proportionnelle intégrale, système dont on connaît bien les conséquences : des gouvernements de coalition et une paralysie de l’exécutif.

Par conséquent, les colonies connaissent une expansion ininterrompue et, lorsque l’on examine certaines cartes des territoires palestiniens, on voit apparaître une sorte de peau de léopard dont il semble difficile de faire un territoire cohérent et viable.

La position d’Israël constitue donc, au même titre que celle du Hamas, un obstacle. Pour la résumer en une formule, on peut dire que l’État d’Israël est politiquement trop faible pour faire la paix et militairement trop fort pour en avoir réellement besoin.

Ensuite, une autre cause du blocage tient, à mon sens, aux États-Unis, tout simplement parce qu’ils sont les seuls à pouvoir imposer l’ouverture de vraies négociations et qu’ils font preuve d’une retenue décevante. Contrairement à George Bush, le Président Barack Obama a pris des positions qui rejoignent celles de Bill Clinton, mais il n’a pas réussi, jusqu’ici, à persuader le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ou à lui imposer, de prendre en compte ces concessions.

C’est pourquoi, à l’heure où nous nous réunissons, il est difficile d’apercevoir beaucoup de lumière au bout du tunnel sans fin du conflit israélo-palestinien.

Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si cette analyse pessimiste rejoint la vôtre. Si tel est le cas, qu’envisage le Gouvernement pour tenter de sortir de l’impasse ?

L’accession de l’Iran à l’arme atomique constitue un problème beaucoup plus récent, mais non moins crucial. La menace qu’il représente pour la région est grave.

Ainsi, il est difficile d’imaginer que l’Arabie Saoudite et l’Égypte assisteraient sans réagir à l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Ces pays seraient alors susceptibles soit de développer leur propre programme, soit de s’adresser au Pakistan. Or il tombe sous le sens que la nucléarisation du Moyen-Orient constituerait une nouvelle désastreuse.

Téhéran affirme évidemment que son programme nucléaire est destiné à des fins exclusivement civiles. Mais l’essentiel de la communauté internationale n’en croit rien, et ce pour trois raisons. La première tient au secret dont l’Iran tente ou a tenté d’entourer son programme. Ensuite, l’Iran ne dispose d’aucune installation électronucléaire qui lui permettrait d’utiliser l’uranium enrichi à des fins civiles. Enfin, le pays se dote d’un arsenal de missiles balistiques, qui aurait peu de sens s’il ne s’agissait que de véhiculer des explosifs conventionnels.

Les États-Unis ont opté pour la voie diplomatique, mais n’ont obtenu à ce jour aucun résultat positif. Or Israël estime que la nucléarisation de l’Iran constituerait pour lui une menace existentielle.

(L’orateur est victime d’un bref malaise. Ayant repris connaissance, il tient à poursuivre son intervention.)

C’est pourquoi la nucléarisation de l’Iran, envisageable à l’échéance de 2015, est entre les mains des États-Unis, sauf à imaginer que les failles qui apparaissent dans le régime théocratique de Téhéran n’entraînent, à un moment ou à un autre, son effondrement, ce qui ne paraît pas immédiat.

Reste le problème posé par la désintégration inexorable du Yémen.

(L’orateur ne peut poursuivre son intervention et doit descendre de la tribune. Il quitte l’hémicycle, salué par Mmes et MM. les sénateurs et M. le ministre, qui l’applaudissent.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je propose que Mme Cerisier-ben Guiga lise la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet. (Assentiment.)

La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Avant de lire la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet, je veux rendre hommage à notre collègue. Tout au long de l’année dernière, nous avons fait ensemble des voyages éreintants, au cours desquels j’ai pu admirer la lucidité avec laquelle, en dépit de son âge, il menait notre recherche.

Ce soir, je vais donc vous donner lecture de la fin du texte de son intervention en le reprenant au point concernant le Yémen, qui était le premier thème abordé lors de notre voyage.

« La désintégration inexorable du Yémen porte en elle d’autres dangers.

« Le gouvernement yéménite ne contrôle plus guère que sa capitale, Sanaa. Il ne parvient pas à mâter la rébellion houtiste qui contrôle le nord du pays ni à écarter la menace d’une sécession au sud.

« Quant au centre du pays, dont le relief est presque aussi tourmenté que celui de l’Afghanistan, il permet aux tribus qui y vivent d’ignorer le gouvernement central.

« Du coup, Al-Qaïda y a développé des camps d’entraînement et y a replié une partie des jihadistes contraints de quitter l’Irak.

« Le Yémen est le pays le plus déshérité du Moyen-Orient. Mais avec vingt-quatre millions d’habitants, il en est le plus peuplé. Il constitue une menace pour la tranquillité de l’ensemble de la péninsule arabique. L’Arabie Saoudite en est fort inquiète et construit, pour tenter d’isoler son territoire du Yémen, une barrière électronique, dont l’efficacité future demeure toutefois à démontrer.

« Monsieur le ministre, j’arrête ici mon propos en vous demandant si cette analyse, qui a volontairement mis l’accent sur l’instabilité du Moyen-Orient et les menaces que celle-ci comporte pour l’Occident, rejoint dans ses grandes lignes la vôtre. Le Sénat souhaiterait surtout être éclairé sur les initiatives que la France prend et envisage de prendre pour parer à ces diverses menaces. »

M. le président. Merci, ma chère collègue, d’avoir lu la fin du discours de M. Jean François-Poncet.

Vous avez maintenant la parole pour intervenir au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviendrai à la fois au nom de la commission des affaires étrangères et en tant que membre du groupe socialiste, afin de ne pas allonger le débat.

Je tiens tout d’abord à remercier à mon tour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et particulièrement son président, de l’honneur qu’ils nous ont fait en nous confiant cette mission.

Celle-ci a pu être consensuelle parce que nous recherchions ensemble les faits. Nous espérions présenter un rapport transversal, mais la diversité des situations nous en a empêchés.

Je suis néanmoins heureuse que M. Jean François-Poncet ait repris dans son exposé l’essentiel des grands thèmes qui expliquent les convulsions du Moyen-Orient et les raisons pour lesquelles l’opposition à l’Occident – l’Europe et les États-Unis – y est si forte.

Le seul point sur lequel nous divergeons encore porte sur l’opportunité de sanctions nouvelles à l’encontre de l’Iran.

Alors qu’une grande part du peuple iranien lutte héroïquement pour l’établissement de l’état de droit, serait-il juste et efficace de le sanctionner ?

Le gouvernement iranien exerce une dictature. Il se sert de la menace internationale pour justifier la répression interne. En renforçant les sanctions aujourd’hui, ne renforcerions-nous pas la dictature plutôt que de l’affaiblir ? Il est difficile de se faire une idée, mais le moindre mal serait certainement le mieux.

Si les sanctions échouent et si l’Iran développe vraiment, sans ambiguïté, un programme nucléaire militaire, que ferons-nous ? Irons-nous le bombarder ? Aiderons-nous Israël à le faire, ou le laisserons-nous faire ? Sommes-nous prêts à une quatrième « guerre du Golfe » ? Aucune de ces hypothèses n’est acceptable.

Le réalisme commanderait probablement de s’attaquer au problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. C’est une utopie qui est peut-être plus réaliste que les perspectives de guerre. La miniaturisation des bombes rend la menace plus immédiate pour les peuples désarmés sur lesquels elle pèse. Nous ne serons crédibles qu’en promouvant un traité régional incluant Israël, qui fasse du Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires, comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est. C’est utopique, je vous le concède, mais l’utopie se révèle quelquefois plus sûre que les roulements de tambours !

Monsieur le ministre, vous avez rencontré M. George Mitchell à Bruxelles, et nous sommes heureux que, en dépit de cette journée chargée, vous ayez pu venir ce soir au Sénat pour réagir à nos propos en fonction des toutes dernières évolutions de la situation israélo-palestinienne.

Je m’attarderai sur ce sujet, qui me préoccupe particulièrement en tant que présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens du Sénat.

Voilà un an, presque jour pour jour, le Sénat débattait des conséquences de l’opération punitive de l’État d’Israël contre Gaza, dont mon collègue Jean François-Poncet, moi-même et notre ambassadeur pour les droits de l’homme avons pu constater l’ampleur le 29 janvier 2009.

Cet événement ramenait sous les feux de l’actualité et de l’émotion un conflit occulté par les médias et que beaucoup croyaient gelé.

Après cette année 2009 qui a vu, du fait de l’armée israélienne, la mort de 29 Palestiniens en Cisjordanie, s’ajoutant aux 1 400 tués de Gaza, l’arrestation de 3 456 Cisjordaniens, la destruction de 299 maisons, il n’y a plus ni partenaires pour des négociations ni arbitre. La négociation paraît donc impossible.

Peut-être avez-vous d’autres nouvelles, monsieur le ministre ?

Aujourd'hui, nous assistons à la séparation entre la Cisjordanie occupée et Gaza assiégée, à la division entre le Fatah et le Hamas. Il n’y a donc plus de négociateur palestinien.

Quant aux Israéliens, ils veulent la sécurité plutôt que la paix. Leur majorité gouvernementale est fragile. Jean François-Poncet a bien expliqué pourquoi Israël n’était pas en état de vouloir la paix au point d’en payer le prix : militairement trop fort et politiquement trop faible, il ne peut pas payer le prix de la paix actuellement.

L’absence d’arbitre est l’un des éléments qui font que le conflit dure depuis soixante ans. Actuellement, l’arbitre américain n’est ni neutre ni fort. En outre, Israéliens et Américains excluent tout autre arbitre du conflit, en particulier l’Union européenne. Si je me trompe, dites-le moi, monsieur le ministre !

Par ailleurs, l’Europe, divisée, liée à Israël par un complexe de culpabilité et des relations économiques qui passent avant tout autre considération, n’use pas des moyens de persuasion et de pression dont elle dispose. Pourtant, sa responsabilité est lourde, aux origines historiques de la création d’Israël.

Quand l’Europe défendra-t-elle réellement les droits des Palestiniens qui paient aujourd'hui pour ses crimes passés ?

Pourquoi la France n’utilise-t-elle pas les moyens qui lui sont donnés par l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et Israël en 1995 ? Pourquoi ne pousse-t-elle pas l’Union européenne à prendre des dispositions, en application de l’article 2 de cet accord, qui permettraient de faire comprendre au gouvernement israélien qu’il ne peut pas impunément bafouer les droits de l’homme et la légalité internationale ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. La question palestinienne reste centrale au Moyen-Orient. On nous en a parlé partout. Elle est l’abcès de fixation du ressentiment et des frustrations de toute la région. Si elle était résolue, les autres questions seraient sans doute moins difficiles à régler.

Or la situation dans les territoires palestiniens, en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza, se dégrade.

En Cisjordanie, je citerai les récentes exécutions extrajudiciaires en zone de souveraineté palestinienne, à Naplouse, à la suite de l’assassinat d’un colon ; les arrestations de Abdallah Abu Rahma, coordinateur du mouvement non-violent de Bil’in, de Jamal Juma, coordinateur de la campagne Stop the Wall, et de bien d’autres militants pacifiques ; la détention arbitraire de centaines de Palestiniens, dont les deux tiers depuis plus d’un an, dénoncée par l’ONG Hamoked dans un rapport récent ; enfin, le maintien en détention de notre compatriote Salah Hamouri, illégalement et injustement condamné, dont le Président de la République n’a jamais prononcé le nom. (Mme Dominique Voynet applaudit.)

Nous aimerions qu’il fasse autant d’efforts pour tous les Français injustement privés de leur liberté à l’étranger que pour Gilad Shalit et pour la jeune Clotilde Reiss. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.–Mme Dominique Voynet applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Le récent rapport des diplomates européens en poste à Jérusalem confirme nos observations au cours de notre voyage : toute la politique du gouvernement israélien est orientée vers « l’israélisation » de Jérusalem-Est, en violation de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies.

M. Philippe Marini. Très juste !