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Application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 53 de M. Jean-Louis Carrère à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur l’application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Louis Carrère attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur l’application de la loi n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

« Les craintes alors exprimées concernant les conséquences du "rattachement" de la gendarmerie au ministère de l’intérieur sont hélas en voie de confirmation. La mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie, les synergies induites par le "rattachement" en matière de matériels et de formation mènent de manière rampante vers une fusion des forces, vers la force unique hors statut militaire.

« La gendarmerie perdra 1 300 emplois en 2010 par l’application brutale de la révision générale des politiques publiques. Cette évolution, faite de réductions d’effectifs et de menaces de fermeture de brigades, est dangereuse pour le maillage du territoire et néfaste pour la présence de la gendarmerie auprès des populations rurales. Il apparaît que ce processus de "rattachement" et ses déclinaisons budgétaires conduisent progressivement au démantèlement du service public de la sécurité.

« Il s’interroge sur la volonté du Gouvernement de maintenir et consolider le statut militaire de la gendarmerie. Il s’interroge sur la détermination du Gouvernement d’avoir une force de sécurité à statut militaire et une force de sécurité à statut civil et de laisser à l’autorité judiciaire le libre choix entre les deux services. Il est nécessaire de faire un bilan d’étape et une première évaluation des conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.

« Il souhaite que la présente question orale avec débat permette de débattre des méthodes et des objectifs de la politique du Gouvernement à l’égard de la gendarmerie. »

La parole est à Mme Virginie Klès, en remplacement de M. Jean-Louis Carrère, auteur de la question.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il était initialement prévu que la question qui nous occupe ce matin soit mise à l’ordre du jour et débattue en février prochain. C’est la raison pour laquelle j’ai l’honneur et le plaisir de poser en lieu et place de notre éminent collègue Jean-Louis Carrère, retenu en province, ce dont il vous prie de bien vouloir l’excuser, cette question sur la sécurité et la gendarmerie nationale, qui traite de sujets qui m’intéressent tout particulièrement.

À l’heure actuelle, la sécurité est de tous les débats, on en entend parler tous les jours, et sans doute la proximité de prochaines échéances électorales n’y est-elle pas étrangère. En tout cas, quelques mois après le rattachement effectif de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, imposé par le Président de la République malgré de nombreux avis contraires exprimés au sein même de la majorité, je m’interroge, et d’autres avec moi, sur l’opportunité d’une telle décision.

Malgré sa volonté, affichée de manière ostensible, de conserver à la gendarmerie nationale son identité, non pas « nationale », mais militaire, quelles sont les intentions réelles du Gouvernement en la matière ?

Quelle est la véritable plus-value de ce rattachement en termes d’organisation, d’efficacité et d’équité territoriale du service public de la sécurité ?

Comment apaiser les tensions ou les inquiétudes qu’a provoquées, tout à fait inutilement à mon sens, ce rapprochement mal préparé et mal compris au sein de nos deux forces de sécurité ?

En tant que femme, je n’ai pas, contrairement aux hommes de ma génération, effectué mon service militaire. Aujourd'hui, tout le monde en est dispensé, et c’est sans doute regrettable. Je me suis donc interrogée sur la signification du terme « militaire » : renvoie-t-il à un statut ou à un état ? En effet, si l’on n’est pas au fait de ce qu’il recouvre précisément, comment apprécier l’importance du maintien de ce que les gendarmes appellent parfois leur « militarité » ?

J’ai alors cherché à comprendre pourquoi et comment cet état militaire était, d'une part, parfaitement indissociable de l’organisation territoriale de la sécurité dans notre pays, et, d'autre part, complémentaire de l’organisation civile des zones dites « de police nationale ».

N’ayant pas la science infuse, je suis allée à la rencontre des militaires. J’ai écouté ce qu’ils avaient à dire, mais aussi lu un certain nombre de témoignages, pour connaître le fond de leur pensée sur leur « état » militaire, car c’est à cela qu’ils font référence et non à leur « statut ».

J’ai d’abord appris, chose non négligeable, à m’y retrouver un tant soit peu dans les différents galons, avant de comprendre, chose essentielle, que le port de l’uniforme ne suffit pas à transformer un civil en militaire.

L’uniforme – que ne dit-on pas de son prétendu « prestige » ! – a certes un rôle indéniable dans la symbolique du rapport du citoyen à la loi et à son représentant, lequel est ainsi conforté dans son autorité, la légitimité et l’exemplarité de son action. Mais il existe bien des uniformes, dans bien des professions, à l’image de la robe dans le monde judiciaire, qui, sans aucune confusion possible, ne « créent » pas cet état propre aux militaires.

J’ai approfondi mes recherches pour bien comprendre ce qui distinguait le militaire du civil. J’en suis sortie confortée dans ma conviction de l’absolue nécessité – je pèse mes mots – de conserver, dans notre démocratie, deux forces de sécurité sur le territoire, sauf à bouleverser complètement l’organisation de la sécurité et à oublier les caractéristiques géographiques, sociales et démographiques de la France, ses contrastes entre zones urbaines, zones rurales et, aujourd'hui, zones rurbaines.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais m’inscrire en faux contre cette idée du gendarme qui ne serait militaire que lorsqu’il participe à des OPEX, qui ne serait officier de police judiciaire que lorsqu’il est saisi d’une enquête par l’autorité judiciaire, et qui pourrait donc s’apparenter à un policier civil lorsqu’il accomplit des missions de sécurité sous l’autorité du préfet.

Un gendarme est un militaire du matin au soir, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, sa famille est une famille de militaire, sa vie est celle d’un militaire. Son état ne peut se définir uniquement par les missions qui lui sont confiées, ni par le simple port de l’uniforme ou le respect de certaines valeurs.

Un soldat de l’armée de terre qui effectue des patrouilles à la gare Montparnasse – j’en croise souvent – devient-il civil par la seule nature de cette mission ponctuelle ? Un policier municipal devient-il militaire par le seul port de l’uniforme ? Un policier national ne respecte-t-il pas les mêmes valeurs et le même engagement au service des autres sans être pour autant un militaire ? Le gendarme qui « gèle » le théâtre d’une infraction et y relève les premières observations n’est-il pas déjà officier de police judiciaire ?

Les gendarmes sont des militaires. Ils ont évidemment de nombreux points communs avec celles et ceux qui, sans être entrés dans le monde militaire, sont aussi au service de la sécurité des Français ; je pense aux professions ou aux volontaires des secours d’urgence, de la sécurité, de la gestion de crise ou de la protection de nos concitoyens.

Les gendarmes ont choisi et accepté les contraintes et les compensations spécifiques de leur état militaire : la disponibilité, la vie en caserne dans un logement concédé pour nécessité absolue de service pour eux et leur famille, l’organisation du commandement, la rigidité de la gestion de leur temps de repos, la mobilité. Ce sont ces spécificités qui ont prévalu à l’organisation territoriale actuelle de la sécurité, caractérisée par une grande complémentarité entre la police nationale et la gendarmerie nationale.

Les modes d’action de la police nationale, le règlement d’emploi de ses services sont adaptés à la concentration urbaine. La police nationale est composée de femmes et d’hommes dont l’action est sous-tendue par les mêmes valeurs, le même souci de la sécurité publique, mais qui ont fait le choix, eux, de rester civils, avec les contraintes et les compensations de ce statut de fonctionnaire et une organisation spécifique. Ses moyens sont concentrés dans des circonscriptions de sécurité publique, à effectif souvent minimal de 55 agents environ. Leurs interventions ne sont pas affectées par la distance ou les délais.

À chaque type de territoire – et Dieu sait si la France en est riche ! – correspond une organisation optimale. Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, de nombreux articles de presse développent aujourd’hui la décision du ministre de l’intérieur de mettre en place des polices d’agglomération avec des objectifs cohérents au vu de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, et selon un concept de territoire similaire à celui qui est développé par la gendarmerie nationale. Y aura-t-il des actions similaires en zone de gendarmerie par le transfert de responsabilités de circonscriptions de sécurité publique isolées, confrontées à des difficultés de fonctionnement, dans la logique affichée d’équilibre entre nos deux forces, logique réaffirmée dans le discours de l’Arche ?

Dans ces zones gendarmerie, zones rurales donc ou rurbaines, comment organiser la sécurité selon le modèle de la police nationale, alors que la continuité de l’engagement de la gendarmerie nationale est marquée par la dispersion dans le temps et dans l’espace ?

On compte aujourd’hui 3 500 brigades territoriales, dont l’effectif moyen est de 10 militaires par brigade. Et 95 % du territoire, pour environ 50 % de la population, ont accès à un véritable service de la sécurité publique de qualité, parfaitement comparable à celui des zones urbaines couvertes par la police nationale. Ce dispositif n’est possible que grâce à la dualité des statuts militaires et civils des hommes et des femmes responsables de notre sécurité.

Or le démantèlement de cette organisation, le démantèlement de la gendarmerie nationale, est bel et bien programmé : indépendamment même de cet état militaire, vous tenez à mettre en œuvre la révision générale des politiques publiques, la RGPP, dont je continue à contester la logique, exclusivement basée sur des chiffres, sur la comptabilité, sur une logique financière à court terme. La RGPP oublie de prendre d’abord en compte la nécessité et la qualité du service à rendre, qui oublie de se projeter dans le moyen et le long terme !

La mise en œuvre de la RGPP est pourtant un fait qui conduit à la diminution drastique des effectifs, tant pour la police nationale que pour la gendarmerie nationale. Et cependant, le Gouvernement, paradoxalement, se gargarise de chiffres en amélioration – je n’irai pas jusqu’à dire notable - quant aux débordements des nuits de réveillon récentes. Certains de ces chiffres ont été contestés. Je n’entrerai pas dans cette polémique, me contentant de citer ceux du ministère de l’intérieur, monsieur le secrétaire d’État : 1 137 voitures brûlées contre 1 147 l’an dernier. Mais vous oubliez de mentionner les augmentations, elles, plus que significatives du nombre d’hommes et de femmes déployés ! On a gagné un tout petit peu d’efficacité en déployant des milliers d’hommes et de femmes supplémentaires, et pourtant, au nom de la logique de RGPP, on est en train de diminuer les effectifs partout, dans la police nationale, comme dans la gendarmerie nationale !

Par ailleurs, les chiffres de progression de la délinquance sont annoncés en « diminution de la vitesse de la hausse » ou « ralentissement de l’intensité de la dégradation ». Comprenne qui pourra ! En tout cas, pour moi, la formule est trop obscure pour ne pas masquer une certaine gêne sur le sujet.

Revenons à la RGPP et à la diminution des effectifs. Je le rappelle, 1 300 emplois auront disparu en 2010 pour la gendarmerie nationale, 7 400  disparaîtront sur la période 2011-2013, sans compter de nouvelles suppressions confirmées d’escadrons de gendarmerie mobile ! À ces faits, que vous ne pouvez nier, car ils sont malheureusement certains, se rajoute le risque énorme, à probabilité tendant tangentiellement vers un, de la disparition du statut militaire des gendarmes.

Dois-je vous énumérer les conséquences de cette politique ? Les fermetures de brigades sont inévitables, de même que la reconcentration des forces de sécurité dans les centres urbains et l’abandon des zones rurales et rurbaines. Cette conclusion, je la tire logiquement. Comment assurera-t-on la sécurité ? Dans le prolongement de votre logique, les communes rurales et rurbaines assumeront, au terme d’un nouveau transfert, la responsabilité de la sécurité.

Aléas de l’histoire : il fut un temps où l’État imposait à la maréchaussée de se déplacer dans la campagne et de ne pas rester dans les cités. Il fut un temps où les polices municipales ont été créées pour sécuriser les villes. Il fut un temps où elles ont même été étatisées, dans la logique de compétence régalienne et de contrôle par l’État de la sécurité.

Et puis, tout à coup, la décentralisation, si souvent décriée, retrouve à nouveau grâce aux yeux de votre gouvernement ! C’est qu’il s’agit d’assumer de nouveau des dépenses ! L’État, qui économise, a, malgré tout, des dépenses à faire. Demandons donc aux collectivités locales de les prendre en charge ! Demandons aux maires de développer les polices municipales, de recruter et de former des policiers municipaux au statut desquels vous pensez déjà, discrètement, bien sûr : extension de leurs compétences plus ou moins à l’ordre du jour, possibilité de devenir officier de police judiciaire, port d’armes, harmonisation des tenues et des uniformes.

Vous oubliez juste un petit détail : peu de communes ont les ressources financières nécessaires et suffisantes pour créer ou entretenir des polices municipales, quelles que soient les compétences ou missions que l’on pourra demain leur confier.

Le maillage territorial de la sécurité, jusqu’à présent préservé par la gendarmerie nationale, permettait de compenser les différences de richesses des territoires. C’était un gage d’équité quant au droit à la sécurité pour tous. Cette équité va rapidement voler en éclats.

Je sais que vous allez encore protester de votre volonté de maintenir le statut militaire de la gendarmerie nationale, même si vous ne pouvez nier les suppressions d’emplois dont je viens de parler. Mais alors, qu’avez-vous fait, qu’allez-vous faire pour préserver et consolider ce statut, tout en continuant de préconiser le rapprochement entre nos deux forces de sécurité, que nous connaissons et estimons également ?

Ce sont les chefs militaires et la formation militaire dispensée qui sont les piliers du maintien du statut militaire.

Si telle était vraiment votre volonté, pourquoi ne pas avoir, en amont du rattachement au ministère de l’intérieur, travaillé avec les généraux de région de gendarmerie sur les liens à entretenir avec les préfets, sur les missions et les responsabilités respectives des uns et des autres ? Comment imaginer, par exemple, que les commandants de région conserveront leur motivation, qu’on ne gaspillera pas leurs compétences et qu’ils développeront toujours la même efficacité s’ils sont réduits à des tâches administratives sans plus exercer les responsabilités pour lesquelles ils ont été formés, s’ils ne conservent pas la plénitude du commandement combinant l’action opérationnelle, l’organisation et la gestion des ressources humaines et la logistique, sur un territoire pouvant dépasser les limites d’un département, voire, entrer dans le domaine du judiciaire ? Quid de la souplesse nécessaire pour parfois assurer la sécurité par une manœuvre régionale ou zonale ?

On ne naît pas militaire, on le devient ! Quelle formation initiale et continue pensez-vous offrir aux gendarmes des unités territoriales, alors que vous fermez des écoles de police – Saint-Malo, venons-nous d’apprendre, alors que cette ville voit aussi la suppression de son escadron de gendarmes mobiles – comme des écoles de gendarmerie – Montargis, Libourne, Châtellerault, Le Mans – selon, toujours, une logique d’économie financière et immobilière à court terme et de mutualisation, sans réflexion préalable sur les spécificités de chaque formation, sur le contenu, la cohérence et la continuité de l’offre de formation ?

Oui, bien sûr, des économies et un réajustement de l’outil de formation sont souhaitables. Peut-être mon raisonnement est-il trop logique pour le Gouvernement. Mais il me semble que l’outil restant devra être adapté au service à rendre. Commençons donc par le définir.

Quel est-il ? Comment, où, selon quelle logique, avec quelles obligations de formation pensez-vous que sera maintenue, préservée, protégée, la culture militaire des gendarmes ? Il est vrai que 84 % des gendarmes spécialisés bénéficient aujourd’hui d’une formation continue, mais ce chiffre tombe à 34  % pour les militaires des unités départementales. Fallait-il fermer des écoles avant d’avoir réfléchi à ce problème, ou bien la volonté plus ou moins cachée de fermer demain des brigades sous-tend-elle ces fermetures et les mutualisations annoncées ? Et je vous épargne la comparaison entre le nombre de jours de formation demandés par an aux gendarmes et aux policiers municipaux.

On n’embrasse pas une carrière qui ne présente que des contraintes. Des compensations doivent exister pour continuer d’attirer les jeunes vers le monde militaire : que faites-vous en matière d’immobilier, d’entretien et de rénovation des casernes et des logements ? À nouveau, force m’est de constater le transfert aux communes et aux collectivités locales, avec, qui, plus est, une nouvelle difficulté hypocritement passée sous silence.

En effet, les ajustements du maillage territorial ont conduit à la création des communautés de brigades. Je mentionne, au titre des avantages, une organisation plus efficiente pour la gendarmerie et des économies d’échelle tant en fonctionnement qu’en investissement immobilier pour l’État. Je signale, comme inconvénient, un attachement moins fort de la commune d’accueil pour une gendarmerie qui se trouve « partagée ». De plus, le territoire de compétence de la communauté de brigade n’est pas forcément cohérent avec l’organisation des collectivités locales, notamment en matière d’intercommunalité et de coopération intercommunale.

Tout cela rend difficile, voire aléatoire, l’identification d’un maître d’ouvrage public en matière d’investissement immobilier dans les logements et les locaux de service occupés par la majorité des petites brigades pour lesquelles l’État préfère déléguer plutôt que d’intervenir directement. Quelle politique d’incitation des collectivités locales envisagez-vous afin de leur permettre de continuer à assumer cette charge immobilière qui devrait revenir à l’État, qu’il ne compense jamais totalement, alors même qu’il a bénéficié d’économies grâce à cette organisation en communautés de brigades, même sur les unités spécialisées ?

Le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur ne présage pas d’une fusion des deux forces de police vers une seule force, à statut civil, nous affirmez-vous. Il nous est vraiment difficile de croire des engagements et des convictions à géométrie aussi variable ! Le 3 décembre 2008, alors aux commandes, Mme Alliot-Marie, sans doute aussi sincère qu’elle l’était quand, au ministère de la défense, elle défendait le maintien de la gendarmerie nationale au sein de ce ministère – affirmait : « Il n’est pas question de fusionner les unités d’élite car j’ai besoin des savoir-faire des uns et des autres. Le GIGN et le RAID existeront comme tels. »

Aujourd’hui, 14 janvier 2010, je vous pose la question : jusqu’où ira le rapprochement aujourd’hui affirmé desdits GIGN et RAID ? Absorption et digestion de qui par qui ? Jusqu’où iront les autres rapprochements sans doute médités encore, en silence et en parfaite opacité, par le Gouvernement ?

La sécurité ne peut se résumer à la gestion de crise, et le renseignement y participe plus que peu. Le maillage territorial, l’implantation locale de la gendarmerie nationale, l’ancrage rural et rurbain des gendarmes, sont des atouts considérables en matière de collecte d’information et de renseignement, pour « surveiller le prix du chou », comme disent parfois les gendarmes de façon imagée, illustrant l’importance du recueil de détails qui peuvent sembler anodins à qui ne sait les interpréter.

Or le maillage territorial sera, une fois de plus, très prochainement mis à mal ! Et, comme si cela ne suffisait pas, votre gouvernement vient introduire un flou – artisanal, dirai-je, à défaut de pouvoir le qualifier d’artistique – dont tout le monde se serait pourtant bien passé en la matière : quelle organisation du renseignement est aujourd’hui envisagée entre les deux forces de sécurité ? Comment sera défini et encadré le travail confié à la gendarmerie ? En décembre dernier, M. le ministre nous a dit qu’un audit était en cours concernant les services départementaux de l’information générale : qu’en est-il aujourd’hui ?

Faut-il ici demander quelle place auront les gendarmes dans le « Grand Paris de la Sécurité » ? Faut-il reparler aussi de ces gendarmes que le Livre blanc de la défense envoie dans les départements d’outre-mer ou en OPEX en Afghanistan, pour y remplacer ou y aider des militaires des autres armes ? Sur quels effectifs, dans quelles brigades territoriales seront-ils « prélevés » ? De quels matériels disposeront-ils sur place ?

Faut-il reparler du budget, encore une fois en trompe-l’œil, des moyens insuffisants alloués, tant en investissement qu’en fonctionnement, à la gendarmerie nationale ? Quid du renouvellement des hélicoptères Écureuil, des véhicules blindés de la gendarmerie ? Comment agir en toute sécurité quand on en est réduit à prélever des pièces détachées sur les engins hors d’usage pour maintenir en condition, tant bien que mal, des engins et matériels déjà vétustes ?

Le Gouvernement auquel vous appartenez est responsable aujourd’hui d’un malaise profond, d’inquiétudes, de mal-être - je vais jusqu’à utiliser ce terme - tant chez les gendarmes que chez les policiers. Vous pratiquez la politique du chiffre, la réduction drastique des effectifs et la culture d’un résultat dont la définition et les contours ne sont ni clairement définis, ni consensuels, avec des moyens non adaptés et sans arrêt remis en cause.

Les conséquences de cette politique, ce sont la dégradation de l’efficacité de leur action, de leur sécurité même - aussi paradoxal que cela puisse sembler ! - la négation de leur rôle social et l’aggravation du fossé qui se creuse entre la population et des policiers ou gendarmes « à bout de souffle ».

Comment avoir encore confiance dans vos objectifs, dans vos affirmations, dans vos promesses ?

La maîtrise des dépenses publiques est indispensable. Des mesures doivent être prises en ce sens.

S’agissant de sécurité, si les mesures que vous comptez mettez en œuvre sont légitimes, qu’elles sont de nature à assurer un service public de qualité, pourquoi ne venez-vous pas à la tribune nous en convaincre et nous annoncer la mise en place d’un calendrier clair en toute transparence ?

Quand on parle de sécurité, il ne suffit pas de demander s’il est acceptable qu’un fait délictueux puisse être commis pour justifier d’une production accélérée de textes remettant en cause brutalement des équilibres, une organisation entre des forces de sécurité différentes et complémentaires. Il ne suffit pas qu’un homme dise « je veux » pour qu’il ait raison. Il ne suffit pas de parler de Kärcher, de racaille, de « droits-de-l’hommisme » pour être légitime. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Quand on parle de sécurité, on doit le faire de façon responsable et pondérée, …

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Quelle pondération en effet !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Oh oui !

Mme Virginie Klès. … sereine et honnête.

Quand on parle de sécurité, on ne peut le faire sans respecter, écouter et entendre les femmes et les hommes à qui l’on a confié cette responsabilité, ce devoir, qui peut, il importe de le rappeler ici, aller jusqu’au sacrifice de leur vie.

L’ensemble de ces conditions seront-elles réunies un jour ? Allons-nous avoir le droit de parler vraiment de sécurité avec le ministre de l’intérieur ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.