M. Bernard Vera. D’autres pays de la zone euro sont sur la liste des cibles des spéculateurs : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande, qui ont en commun un déficit public élevé, une activité économique fortement ralentie, une progression sensible du chômage et une hausse spectaculaire de la dette publique au regard de la production intérieure. Bref, ils sont totalement éloignés des critères de convergence européens.

La convergence des politiques économiques des États membres de la zone euro s’opère, dans le cadre actuel de la construction européenne, sur le fondement d’objectifs erronés, notamment la stabilité de la monnaie. Elle s’accompagne d’une course exténuante au moins-disant social et fiscal, alimentée par une concurrence exacerbée entre les territoires, alors qu’il devrait y avoir coopération.

C’est selon cette logique que l’on précarise le marché du travail et que l’on privatise les services publics, avec les résultats que l’on connaît. Ratifier le traité de Lisbonne, c’est ratifier également les politiques de liquidation du service public, c’est ratifier les politiques budgétaires fondées sur le couple infernal de la baisse des impôts et de la réduction des dépenses publiques, politiques qui conduisent à l’expansion constante des marchés obligataires, aujourd'hui en crise.

La France court-elle le risque d’être victime de la même attaque que la Grèce ? Nous pensons que non, notamment parce que la dette publique française est un bon produit, qui trouve facilement preneur sur les marchés financiers. Par conséquent, finissons-en avec l’idée que le poids de la dette deviendrait insupportable pour les finances publiques. À moins bien entendu que le discours catastrophiste sur la dette publique ne serve à justifier par avance les coupes claires à effectuer dans les dépenses publiques pour revenir aux sacro-saints 3 %, bref la cure d’austérité que l’on s’apprête à administrer au peuple de notre pays…

Venons-en maintenant au grand emprunt, l’un des éléments clés du présent projet de loi de finances rectificative. Certains le critiquent parce qu’il alourdirait la dette. Or cette dette, chers collègues de la majorité, vous en êtes comptables devant les Français, vous qui, depuis 2002, avez voté sans trop sourciller tous les projets de loi de finances qui vous ont été soumis !

À la fin de l’année 2002, l’encours de la dette publique était de 717 milliards d’euros, soit 40 % du PIB ; à la fin de l’année 2009, il s’élevait à 1 148 milliards d’euros, soit 431 milliards d’euros de plus. Ce surcroît de dette, nous le devons à vos choix budgétaires, à vos mesures fiscales, à vos politiques industrielles et économiques. La dette a augmenté malgré des coupes régulières dans les dépenses publiques, malgré la suppression de dizaines de milliers d’emplois publics, malgré les transferts de charges non compensés aux collectivités territoriales. Pour ne rien arranger, la durée de vie moyenne de la dette s’est réduite de cinq mois depuis 2007 : il nous faut aujourd'hui rembourser plus vite encore qu’hier ce qui a été emprunté.

Le collectif budgétaire qui nous est soumis s’inscrit dans la même veine. Le handicap constitué par les mesures fiscales antérieures, au mieux inefficaces, au pire contre-productives, y est délibérément ignoré. De plus, la politique de suppression de dépenses publiques mise en œuvre depuis tant d’années est poursuivie.

Le grand emprunt, c’est autre chose. Pour certains, la France sortirait des « clous » européens en lançant cette opération, ce qui la condamnerait par avance. Tel n’est pas notre sentiment.

Pour notre part, nous nous interrogeons non pas sur le montant du grand emprunt, mais plutôt sur l’utilisation des fonds obtenus. Outre qu’il va servir à financer des projets déjà lancés pour une bonne part, il fera supporter par le budget général de l’État des dépenses de recherche et de développement que les entreprises refusent d’assumer. En clair, cet emprunt n’est qu’une énième déclinaison du principe « privatisation des profits, socialisation des pertes » qui sous-tend les politiques libérales autoritaires de par le monde.

Avec le grand emprunt, nombre de politiques publiques essentielles – dans les domaines de l’énergie, des transports et des nouvelles technologies – dépendront dangereusement du seul bon vouloir des entreprises leaders du secteur. De plus, il risque fort d’orienter les travaux des établissements de recherche vers les projets susceptibles de bénéficier d’un financement, au détriment des autres.

Par ailleurs, il y a fort à parier que les engagements pris en matière de recherche dans le cadre du grand emprunt serviront à justifier, dans les années à venir, une réduction des dépenses publiques d’équipement et l’extinction programmée du budget civil de recherche et développement. Le Gouvernement ne lance aujourd'hui ce grand emprunt que pour mieux réduire demain ses dépenses, l’objectif étant de venir au secours de la rentabilité d’opérateurs choisis… Il serait tout de même dommage que les 500 millions d’euros prévus pour la numérisation documentaire ne servent qu’à assurer les bénéfices de Google ! Voilà pourtant bien ce que l’on nous propose aujourd'hui.

Cette situation est d’autant plus regrettable que l’on aurait pu se passer de cet emprunt en entrant au capital des banques en difficulté, par exemple, ce qui aurait permis d’orienter plus précisément leurs choix en matière d’investissements. Au lieu de cela, on réduit l’impôt sur les sociétés, on fiscalise le financement de la sécurité sociale en exonérant les entreprises de cotisations sur les bas salaires, on supprime la taxe professionnelle et on choisit de créer un déficit de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, sans que de telles mesures règlent en rien les problèmes en termes de localisation des activités, de maintien de l’emploi et d’investissement des entreprises.

Ainsi, l’État a versé l’an dernier plus de 30 milliards d’euros de remboursements divers au titre de l’impôt sur les sociétés, alors que l’investissement productif s’est réduit de 7,6 % en un an !

Entre croissance de la dette, reprise molle et grand emprunt à visée utilitariste, ce projet de loi de finances rectificative ne répond en aucune manière aux exigences du temps. Aucune des difficultés que connaît aujourd'hui notre pays ne sera véritablement résolue, bien au contraire. Demain, pour cause de dette, de grand emprunt, de réduction des déficits, on s’attaquera au droit à la retraite à 60 ans, au statut de la fonction publique et, plus généralement, aux garanties dont bénéficient encore les salariés. La cure d’austérité que l’on nous promet afin d’être en mesure de respecter les normes européennes en 2013 ou en 2014 s’annonce aussi amère que celle que les Grecs ne vont pas tarder à subir…

Les privilèges accordés aux grands groupes et aux ménages les plus fortunés ne sont aucunement remis en question, malgré leur incidence désastreuse sur les comptes publics et sur la situation sociale et économique de notre pays. C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer !

Tel n’étant nullement l’objet de ce collectif budgétaire, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission n’est évidemment pas très enthousiaste, d’autant qu’elle pense avoir analysé de manière aussi pertinente que possible le texte qui nous est soumis. Elle trouverait vraiment trop frustrant de devoir classer son rapport, ainsi d’ailleurs que ceux des commissions saisies pour avis, sans les avoir utilisés comme supports de nos débats !

C’est donc avant tout pour respecter le travail effectué au sein des commissions qu’il convient de ne pas adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. Je m’abstiendrai de donner toute autre motivation. Il me semble urgent d’entamer la discussion des articles !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Il est urgent pour la France que nous entamions la discussion de ce projet de loi de finances rectificative, afin de pouvoir mettre en place le programme d’investissement qu’il porte. Par conséquent, il n’est pas opportun d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

En ce qui concerne la situation de la Grèce, elle n’est évidemment pas comparable à celle de la France, pour de multiples raisons. L’Eurogroupe, qui se réunit aujourd’hui, donnera sans doute suite aux récentes recommandations du Conseil européen.

Par ailleurs, vous avez évoqué, monsieur Vera, un plan d’austérité. Certes, la France souhaite assainir ses finances publiques, et s’est engagée à cette fin dans un programme de stabilité. Confrontés, comme le reste du monde, à une crise sans précédent, nous essayons de réduire le rythme de progression de la dépense. Cette préoccupation, loin d’être spécifiquement française, est internationale.

Pour autant, aucun plan d’austérité n’est en préparation ou dans les esprits. L’idée est simplement de maîtriser la dépense publique. Celle-ci augmentant depuis des dizaines d’années, il est nécessaire de réduire son rythme d’accroissement : la réponse ne peut pas toujours être de dépenser plus d’argent, car à un moment donné il faut bien que quelqu’un paie, et l’on ne saurait trouver sans fin des prétextes pour reporter cette charge sur les autres – qui seront, selon les cas, les ménages, les entreprises, les riches, les fonctionnaires, les voisins…

Le fil conducteur de notre travail sur la dépense et des réformes que nous mettons en place doit être l’équité. La réduction de la dépense et la répartition des efforts doivent être guidées par un souci de justice. L’équité devra d’ailleurs également être au cœur de l’importante réforme des retraites à venir.

Enfin, monsieur le sénateur, le grand emprunt ne servira pas à recycler des projets déjà lancés, comme il apparaîtra à l’expérience, ni à procéder à une forme de privatisation. Au contraire, l’État intervient massivement dans de nombreux domaines souffrant d’un manque de compétitivité. Nous espérons bien que l’amorçage public sera suivi d’investissements privés : l’effet de levier pourrait être très important.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore que je n’ai pas eu le temps d’évoquer, j’invite le Sénat à repousser la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je comprends les raisons qui ont poussé nos collègues du groupe CRC-SPG à présenter cette motion tendant à opposer la question préalable, mais, pour sa part, le groupe socialiste estime qu’il y a lieu de délibérer sur ce texte.

Cela étant, puisque vous avez parlé d’équité, monsieur le ministre, je vous ferai observer une nouvelle fois que vous pouviez tout à fait vous dispenser d’emprunter 22 milliards d’euros sur les marchés financiers, dans la mesure où les niches fiscales représentent plus du double de cette somme !

Vous constituez en réalité un fonds de trésorerie ; vous débudgétisez, tout en gageant les intérêts de l’emprunt sur des réductions de dépenses budgétaires. J’ai pris tout à l’heure l’exemple de l’éducation nationale, mais je pourrais également évoquer celui des plans-crèches, dont les collectivités locales devront assumer les charges de fonctionnement.

Vous créez donc un fonds de trésorerie pour l’investissement, qui pourra d’ailleurs être virtuel, quand seuls les intérêts des dotations en capital pourront être consommés par les opérateurs. Cela vous permet en outre de sabrer dans les dépenses. Or réaliser des investissements sans prévoir les dépenses de fonctionnement correspondantes, c’est vraiment insensé !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Le groupe UMP votera contre cette motion, pour trois raisons.

Premièrement, les premiers indices positifs de sortie de crise que nous percevons sont le fruit d’un certain nombre de réformes conduites ces dernières années. Il serait absurde de ne pas mettre en œuvre cette loi de finances rectificative et le grand emprunt.

Deuxièmement, le montage de l’opération, entre dépenses budgétaires, charges du trésor, crédits consomptibles et crédits non consomptibles, s’avère extrêmement astucieux. Cela nous permettra d’engager sérieusement le processus de réduction du déficit budgétaire. Il apparaît clairement que les agences de notation et les marchés financiers examineront avec beaucoup d’attention notre effort dans ce domaine.

Troisièmement, ce grand emprunt a essuyé un certain nombre de critiques, au motif qu’il aurait pour conséquence d'accroître la dette. À cet égard, il me paraît sage de précompter les intérêts de cette dette, et ceux qui seront servis aux opérateurs, sur les dépenses ordinaires de fonctionnement, et non sur les dépenses d’investissement.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est une condition sine qua non.

M. Jean-Pierre Fourcade. Cela va dans le sens de la réduction de la dépense publique.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Cette motion se fonde sur l’idée que d’autres choix budgétaires sont indispensables pour remettre en ordre les comptes publics.

Le déficit public, ainsi que la dette qui en découle – elle n’est jamais que le cumul des déficits reportés et de la charge d’intérêts qui en résulte –, trouve son origine davantage dans le choix d’alléger la fiscalité opéré depuis une vingtaine d’années que dans la progression de la dépense publique.

Depuis de nombreuses années, les prélèvements obligatoires dévolus à l’État ne progressent plus guère et la part des dépenses budgétaires dans le PIB stagne, voire régresse. Dans le même temps, le déficit budgétaire ne cesse de progresser, et avec lui la dette publique.

Avant de mettre en cause, encore et toujours, la dépense publique – 50 milliards d’euros sur un budget de 330 milliards d’euros en 2009 –, il faudrait commencer par s’interroger sur le premier poste de dépenses, à savoir la dépense fiscale. En l’état actuel de la législation, les mesures relatives à l’impôt sur le revenu coûtent plus de 40 milliards d’euros. Cette dépense est d’une autre ampleur que le crédit d’impôt en faveur de la création de jeux vidéo ou la fiscalisation des indemnités versées aux victimes d’accidents du travail ! Toutes ces niches sont-elles économiquement et socialement efficaces ? C’est aussi la question que nous souhaitions poser à travers cette motion.

L’impôt sur les sociétés est tout autant miné par les dérogations, crédits d’impôt et autres exemptions. Je ne rappellerai pas les abus auxquels donne lieu le dispositif du crédit d’impôt-recherche. De même, une entreprise qui connaît une hausse du nombre d’accidents du travail, et donc une augmentation de ses cotisations au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, bénéficie mécaniquement d’une baisse du montant de son impôt sur les sociétés. On lui octroie, en quelque sorte, une prime de risque… Nous pourrions tout aussi bien parler de la fiscalité du patrimoine, de l’imposition des plus-values, de l’impôt de solidarité sur la fortune.

C’est donc d’abord par une remise en question de la dépense fiscale que nous trouverons les voies et moyens de la réduction des déficits. La question de la dépense publique ne devrait être posée que dans un second temps. On oublie d’ailleurs un peu vite que la dépense publique permet la réalisation de logements sociaux et d’infrastructures collectives. Elle permet également à des fonctionnaires d’assurer leurs missions de service public, à des retraités de disposer d’un juste revenu de remplacement, à des associations de répondre aux besoins sociaux collectifs, à de nombreuses activités économiques de se développer… Réduire la dépense publique de manière dogmatique a donc souvent pour effet d’étouffer la croissance en germe.

Pour ces motifs, nous ne pouvons que vous inviter, mes chers collègues, à voter cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 116, tendant à opposer la question préalable et dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 152 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 211
Majorité absolue des suffrages exprimés 106
Pour l’adoption 24
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Discussion générale

3

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les orientations de la politique de l’immigration en 2009, en application de l’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et sera disponible au bureau de la distribution.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Articles additionnels avant l'article 1er A

Loi de finances rectificative pour 2010

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010.

Nous passons à la discussion des articles.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

RESSOURCES AFFECTÉES

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2010
Article 1er A (Nouveau)

Articles additionnels avant l'article 1er A

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 102, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 1 et 1649-0 A du code général des impôts sont abrogés.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Cet amendement, relatif à la suppression du bouclier fiscal, reprend une demande récurrente de notre groupe.

Comme la discussion générale l’a montré, la situation des comptes publics s’est profondément détériorée. L’endettement de la France s’est accru, et la question des voies et moyens d’améliorer les comptes de l’État se pose donc avec une acuité renouvelée.

À ce stade, l’alternative est la suivante : soit les contribuables modestes continuent de payer les taxes diverses pesant sur leur consommation personnelle et familiale –la TVA, les taxes sur les produits pétroliers et peut-être, demain, la taxe carbone –, pour financer des services publics toujours plus réduits, amputés des moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions dans de bonnes conditions, soit on fait contribuer équitablement au financement de la charge publique les ménages aisés et les entreprises, dont la situation financière n’en serait pas pour autant affectée. Je rappelle que l’efficacité sociale du bouclier fiscal est quasiment nulle.

M. le président. L'amendement n° 76 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article premier du code général des impôts est abrogé.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, la suppression en temps voulu d’un certain nombre d’exonérations et de niches fiscales aurait permis d’éviter d’emprunter sur les marchés financiers plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Dans cet ordre d’idées, la mesure la plus symbolique consisterait à supprimer le bouclier fiscal. En effet, ce dispositif, destiné à une certaine catégorie de contribuables, constitue une dérivation de l’impôt de solidarité sur la fortune. Il va à l’encontre de toute logique d’égalité, d’équité et de justice, pour reprendre des mots employés tout à l’heure par M. le ministre. De plus, sa suppression nous rendrait une certaine marge de manœuvre budgétaire.

M. le président. L'amendement n° 78 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L'ensemble des impositions au titre de l'impôt sur le revenu dues par un contribuable au titre de la levée d'une option attribuée conformément à l'article L. 225-177 du code de commerce, de la revente des titres acquis dans ce cadre, au titre des rémunérations différées visées aux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code du commerce, ne sont pas prises en compte pour l'application du plafonnement prévu à l'article 1649-0-A du code général des impôts.

II. - Le I est applicable à partir du 1er mars 2010.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. L’amendement n° 78 rectifié vise à exclure du calcul du droit à restitution au titre du bouclier fiscal les impositions portant sur les revenus issus des stock-options, des parachutes dorés et des retraites dites « chapeau ».

Cet amendement devrait faire plaisir à M. le rapporteur général, qui s’étonnait tout à l’heure que l’on ne parlât point de ce sujet : il suffisait d’attendre la reprise de la séance…

Si cet amendement était adopté, nous introduirions dans le système fiscal français une mesure de justice essentielle, eu égard à la nature et au montant de ce type de rémunérations, et nous limiterions le coût d’un dispositif qui a été élargi en 2008. Nous retrouverions ainsi des marges de manœuvre budgétaires, qui nous permettraient d’éviter d’emprunter plusieurs dizaines de milliards d’euros pour financer ce qu’il est convenu d’appeler les « investissements d’avenir ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Encore un petit effort pour arriver au triptyque : nous sommes d’accord pour supprimer le bouclier fiscal, mais il convient également de supprimer l’ISF et de créer une nouvelle tranche marginale de l’impôt sur le revenu pour compenser les ressources ainsi perdues.

Mes chers collègues, si vous êtes prêts à rectifier vos amendements en ce sens, la commission émettra un avis favorable. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Si vous estimez ne pas pouvoir le faire, ce que je regretterais vivement, je ne pourrai que préconiser leur rejet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Sans aller jusqu’à évoquer une fois encore le fameux triptyque,…

Mme Nicole Bricq. Nous n’y sommes pas encore !

M. Éric Woerth, ministre. … je rappellerai que le Gouvernement s’est déjà exprimé à de multiples reprises sur le bouclier fiscal : il est défavorable à ces trois amendements.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur l’amendement n° 102.

M. François Marc. Les commentaires ironiques sur le triptyque que l’on nous oppose depuis déjà de nombreux mois commencent à nous fatiguer quelque peu…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vos amendements aussi sont fatigants !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. François Marc. Le Gouvernement souhaite trouver de l’argent pour financer des investissements. Or, ces dernières années, comme Mme Bricq l’a démontré tout à l’heure, il a réduit progressivement, mais fortement, la part des dépenses budgétaires consacrées à l’investissement. Pour compenser ce désengagement, les collectivités sont intervenues. Elles assurent aujourd’hui 73 % de l’investissement public en France, et on leur reproche maintenant de trop dépenser !

Monsieur le ministre, lors d’une conférence de presse, le 25 janvier dernier, vous avez dit : « On a 50 milliards à trouver. » Ces 50 milliards, je les ai trouvés.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo, monsieur Marc !

M. François Marc. En effet, cette somme correspond au coût des cadeaux, niches fiscales et autres avantages divers accordés depuis 2002. L’an passé, la Cour des comptes avait estimé la dépense correspondante à 39 milliards d’euros. Depuis, avec la réduction de la TVA pour le secteur de la restauration et un certain nombre d’autres avantages, nous en sommes arrivés à 50 milliards d’euros, monsieur le ministre, soit précisément le montant que vous cherchez…

Dans ces conditions, cessez de discourir à perte de vue sur les vertus qu’il faudrait développer à l’avenir, sur la nécessité de réduire les dépenses, de faire preuve de rigueur : les 50 milliards d’euros que vous cherchez étaient disponibles, monsieur le ministre, mais vous avez fait un mauvais usage de l’argent public en distribuant des cadeaux à certaines catégories de contribuables, et aujourd’hui vous êtes effectivement placé face à une situation catastrophique.

Vous avez tellement déshabillé le budget de l’État que vous devez trouver un habillage savant pour masquer la réalité et respecter les critères de Maastricht. Vous recourez ainsi à une « agencisation », mais, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays libéraux, vous allez jusqu’à utiliser cette méthode pour la sélection des projets d’investissement, qui relève normalement de la décision politique.

C’est là où les choses deviennent graves, monsieur le ministre. En effet, si l’on peut à la limite envisager de déléguer à des agences la mise en œuvre d’un certain nombre de décisions d’investissement, comme cela se fait au Canada ou dans les pays nordiques, il est inacceptable de leur confier le soin de procéder à la sélection des projets, qui représentent des sommes considérables ! Où va-t-on, avec cette privatisation de la décision ?

Cet après-midi, nous avons entendu louer la créativité et l’imagination du Gouvernement, mais ces vertus ne suffisent pas à cacher la réalité aujourd’hui obsédante des finances publiques de notre pays. Demain, il nous faudra trouver les moyens de rembourser, et ce sera bien difficile.

Monsieur le ministre, l’échec de la politique menée depuis 2002 est patent, et cela nous conduit aujourd’hui, une nouvelle fois, à exiger la remise en question des avantages indus qui ont été accordés. (Mme Nicole Bricq applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Trop, c’est trop ! Mon cher collègue, venant d’un ancien enseignant d’économie, de tels propos sont confondants !

Premièrement, le coût du bouclier fiscal est de l’ordre de 500 millions d’euros.

Mme Nicole Bricq. C’est le début !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Par conséquent, ne faites pas croire que c’est dix ou vingt fois plus !

Deuxièmement, la majorité qui a été élue en 2002 a augmenté les investissements.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les chiffres figurent dans les rapports des années passées, mais peut-être n’avez-vous pas eu le temps de les relire avant d’improviser cette intervention : après le gouvernement Jospin, il y a eu un redressement de la courbe des investissements de l’État.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai, monsieur le rapporteur général !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est la vérité : reportez-vous aux rapports successifs de la commission, qui établissent ce fait à compter de l’année 2002.

Ensuite, vous êtes tout d’un coup très rigoureux ! Peut-être faudrait-il rappeler toutes les dépenses que vous avez plaidées dans bien des domaines ? Si j’en avais fait la liste au fil de toutes les propositions que vous avez formulées au Sénat depuis 2002, je suis prêt à parier – je vais faire la recherche – que j’arriverais à une bonne cinquantaine de milliards d’euros…

Alors, de grâce, à quoi servent ces postures ? Les positions excessives que vous prenez n’ont aucune espèce d’effet, et reprendre toute cette série d’arguments éculés, pardonnez-moi de le dire – et je ne renouvellerai pas ce type d’intervention au cours de la discussion des articles, je m’y engage –, n’honore pas notre assemblée. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. François Marc. Il n’y a que la vérité qui blesse !

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Je partage les propos de mon collègue du groupe socialiste. J’irai jusqu’à dire qu’il serait possible de récupérer un peu plus de 50 milliards d’euros, mais que 50 milliards « seulement » nous permettraient déjà de bien relancer l’emploi en France !

M. le rapporteur général soulignait que le bouclier fiscal ne représentait que 500 millions d’euros. Certes, mais ce sont 500 millions d’euros donnés à un millier de personnes, tandis que la taxation des indemnités perçues au titre des accidents du travail rapporte 135 millions d’euros, mais concerne environ 900 000 salariés. Je voulais apporter cette précision pour compléter la démonstration.

Qui plus est, le bouclier fiscal, on le sait, visait à faciliter le retour des exilés fiscaux. Or, monsieur le ministre, vous avez vous-même prouvé, notamment à travers le cas du fichier des exilés fiscaux en Suisse dont nous avons discuté ici au moment de l’examen du projet de loi de finances, que le bouclier fiscal ne servait à rien. De votre propre aveu, 3 000 personnes figurent dans ce seul fichier, c’est-à-dire trois fois plus que ceux qui trouvent quelque intérêt au dispositif dont nous demandons la suppression. Soit dit en passant, monsieur le ministre, nous aimerions obtenir des précisions quant aux procédures de transaction qui semblent avoir été mises en œuvre dans quelques dossiers.

Ce bouclier fiscal est honteux, et il faut supprimer cette niche.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 102.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 76 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 78 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 47 est présenté par M. Alduy.

L'amendement n° 48 est présenté par M. Jégou.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le l) du 1° du I de l'article 31 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° À la deuxième phrase du deuxième alinéa, les mots : « que le locataire est une personne autre qu'un ascendant ou descendant du contribuable et » sont supprimés ;

2° Les trois dernières phrases du deuxième alinéa sont supprimées ;

3° Au troisième alinéa, les mots : «, un ascendant ou un descendant » sont supprimés.

II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

L’amendement n° 47 n'est pas soutenu.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour présenter l'amendement n° 48.

M. Jean-Jacques Jégou. La réduction d'impôt liée à l'investissement locatif, dite « dispositif Scellier », est subordonnée au fait que le locataire ne soit pas membre du foyer fiscal du propriétaire. En revanche, sous cette réserve, la location à un ascendant ou à un descendant est permise.

Or, dans le cadre de l'investissement locatif intermédiaire, la location à un ascendant ou à un descendant n'est pas autorisée. Cette restriction paraît peu cohérente. Il devrait en effet être possible de louer à un ascendant ou descendant, pour peu, bien sûr, qu'il remplisse les conditions de ressources prévues pour le logement social intermédiaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il existe deux types de système de défiscalisation de l’investissement locatif dans le neuf ou assimilé.

Il y a d’une part ce que j’appellerai les régimes « classiques », où les plafonds de loyer correspondent à peu de chose près aux prix du marché et où les contraintes sont relativement faibles. Il en va ainsi du régime Robien de base et du régime Scellier classique. Dans ce cadre, il est interdit de louer aux membres du foyer fiscal, mais il est possible de louer aux ascendants et aux descendants, s’ils ne sont pas membres du foyer fiscal.

Il y a d’autre part les régimes dits « intermédiaires », où les plafonds de loyer sont plus bas et où existent des plafonds de ressources des locataires, en contrepartie d’un avantage fiscal supplémentaire prenant la forme d’une déduction fixée à 30 % des revenus bruts. Dans ce cadre, il est interdit de louer aux ascendants et aux descendants même s’ils ne sont pas membres du foyer fiscal.

Il semble donc que cette différenciation obéisse à une logique. Aussi, sous réserve que le Gouvernement partage mon argumentation, je souhaiterais que notre collègue, après avoir reçu ces éléments d’information, puisse retirer l’amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?