Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde un sujet fondamental et très important : l’organisation et la pérennité même des services sociaux de notre pays. Chacun sait que la défense des services publics guide tous les votes émis au sein de cette assemblée. C’est précisément la volonté de les préserver de la dérégulation qui nous a amenés à voter contre le traité de Lisbonne.

Force est de le constater, nous avons été les seuls à dénoncer les dangers que ce traité libéral faisait, et fait toujours, courir à nos services publics. Nos craintes étaient malheureusement fondées.

Aux termes de ce traité, la quasi-totalité des activités humaines peuvent être qualifiées d’économiques et ainsi soumises à la sacro-sainte libre concurrence.

Or la directive Services porte en elle la même veine libérale que le traité dont elle est issue. Face au principe de libre concurrence qu’elle réaffirme, elle n’a posé que de fragiles exceptions pouvant, pour la plupart d’entre elles, être remises en question au nom du marché.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui tente donc d’élargir le domaine des exceptions, en soustrayant certaines activités du champ d’application de la directive Services.

Comme nous estimons également nécessaire de renforcer la protection offerte aux services sociaux contre le libre marché, une telle tentative de sauvetage des activités associatives dans le domaine social nous paraît louable. Or, selon nous, cette sécurisation aurait dû intervenir en amont et se traduire par un refus du traité de Lisbonne. Il est maintenant trop tard, et les tentatives de « colmatage » seront sans effet face à ce traité, qui impose ses dérégulations !

Nous sommes d’accord sur le constat, mais nous considérons que la présente proposition de loi n’apporte pas les bonnes réponses à de véritables questions. En effet, même si elle était adoptée, elle ne serait pas en mesure de sécuriser les services sociaux, et ce en raison de l’existence du traité constitutif de l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Cependant, avant d’évoquer la proposition de loi sur le fond, nous voulons dénoncer avec force le déni de démocratie manifeste résultant de la méthode de transposition choisie par le Gouvernement !

Comme vous le savez, mes chers collègues, la plupart des pays de l’Union européenne ont choisi de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale pour transposer la directive. Or, en France, le Gouvernement a opté pour une tout autre méthode : une transposition morcelée, rampante, à travers différents textes législatifs, doublée d’une voie réglementaire, et ce dans la plus grande opacité. À n’en pas douter, l’objectif est de ne pas réveiller certains débats, par exemple le « non » au traité de Lisbonne ou encore la directive Bolkestein !

On ne compte plus le nombre de lois récentes qui contiennent des dispositions de transposition ! Et cela continue ! Ainsi, le 6 avril prochain, l’Assemblée nationale examinera le projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui comporte également des mesures de transposition.

Il y a donc beaucoup à dire sur la méthode.

Certes, l’inventaire que le Gouvernement a transmis à la Commission était prévu. En revanche, l’opacité qui règne dans ce processus ne l’était pas !

Une telle manière de transposer une directive est particulièrement choquante. C’est un déni de démocratie. Nous demandons donc, une fois encore, que le Gouvernement adopte plus de transparence dans la procédure de transposition et se décide enfin à engager un vrai débat sur le sujet devant les deux assemblées. Même si une loi-cadre n’aurait pas forcément plus de poids juridique – je vous ai bien entendue, madame la secrétaire d’État –, elle aurait au moins permis la tenue d’un tel débat tant dans cette enceinte qu’à l’Assemblée nationale !

J’en viens au fond de la proposition de loi. Nous ne pensons pas que les mesures proposées permettent à nos services publics d’être à l’abri des règles européennes de la libre concurrence.

En effet, aux côtés des services d’intérêt général non-économiques, qui sont les seuls à être expressément exclus de la directive Services, certains services dits « services d'intérêt économique général » pourraient également en être exclus, mais seulement s’ils répondent aux conditions cumulatives que vous avez rappelées tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, en l’occurrence concerner un domaine bien défini et être assurés par l’État ou par des prestataires mandatés par l’État.

Ainsi, en l’état actuel du droit européen, il est impossible de sécuriser véritablement l’ensemble des services sociaux d’intérêt général. Et vouloir les mettre à l’abri de la directive Services, comme le proposent les auteurs de la présente proposition de loi, en précisant la liste définie à l’article 2.2. j) de la directive et la procédure de mandatement est un leurre, selon nous.

En effet, au nom de sa jurisprudence très libérale, la Cour de justice de l’Union européenne pourra toujours condamner les États qui auront voulu exclure certains services du jeu de la libre concurrence. Par conséquent, la liste des domaines écartés du champ d’application de la directive Services nous paraît, au final, sans effet.

Après réflexion, nous pensons que les précisions apportées à la définition du mandat contenue dans l’article 2.2. j) de la directive constituent une fausse bonne réponse, si je puis dire, à de véritables préoccupations, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, étendre ainsi la notion de mandatement risque de mettre à mal les spécificités du tiers secteur associatif. S’il n’existe pour ces structures que le mandatement, toute initiative associative sera tarie. On voit poindre le risque qu’une collectivité puisse choisir de mandater seulement tel ou tel type de structures pour des raisons politiques.

Ensuite, certains régimes en France – je pense notamment aux procédures d’agrément – ne sont pas assimilables à un mandatement. Pour cette raison encore, le nouveau régime de mandat proposé ne nous semble pas en mesure de répondre aux problèmes auxquels sont aujourd'hui confrontés les acteurs concernés.

Enfin, comment peut-on modifier, via un texte national, la définition du mandat qui figure, elle, dans la directive Services ? En effet, la sécurisation juridique des services sociaux d’intérêt général ne peut venir au préalable que du niveau européen, afin qu’il n’existe pas, au niveau national, de contradiction avec le droit européen, donc de sanctions.

C'est la raison pour laquelle nous suivons une autre démarche. Nous pensons que les services sociaux d’intérêt général doivent véritablement être mis à l’abri du jeu de la concurrence débridée. Nous estimons qu’ils devraient être inclus dans la catégorie des services d’intérêt général non-économiques, la seule catégorie expressément exclue des règles de la concurrence.

Soit dit en passant, de telles activités seront néanmoins toujours soumises aux règles contenues dans le traité constitutif de l’Union européenne. En réalité, c’est ce dernier qu’il faudrait modifier...

Comme nous ne pouvons nous contenter de la directive Services et des exclusions qu’elle prévoit, nous souhaitons qu’une nouvelle directive destinée spécifiquement à protéger les services d’intérêt général non-économiques et incluant les services sociaux soit adoptée.

Dans quelques semaines, nous déposerons donc une proposition de résolution en ce sens. Elle aura pour objet d’inciter le Gouvernement à demander à la Commission de mettre tout en œuvre pour élaborer une directive spécifique aux services sociaux d’intérêt général non-économiques.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi illustre la volonté des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés de préserver la spécificité du modèle social français.

Les services d’intérêt général et les services sociaux ne sont pas seulement au cœur de ce modèle social ; ils en sont la colonne vertébrale permettant de garantir la cohésion sociale et territoriale de notre pays ! Ils représentent plus de 10 % des emplois en France.

En cette période de difficultés économiques et sociales persistantes et alors que le schéma de sortie de crise reste particulièrement flou, les services d’intérêt général et les services publics constituent le rempart indispensable contre la précarité, le déclassement et l’exclusion. En définitive, ils sont le bouclier social auquel les Français ont témoigné leur attachement lors des élections du 21 mars dernier.

La présente proposition de loi part d’abord d’un constat de carence : la passivité du Gouvernement est patente en matière de services d’intérêt général. La présidence française du Conseil de l’Union européenne s’est achevée sans qu’aucune initiative ait été prise en faveur des services d’intérêt général. En ce domaine, elle s’est réduite à la tenue d’un forum auquel aucune suite n’a été donnée. Pourtant, nous avions déjà déposé à l’automne 2008 une proposition de résolution par laquelle nous demandions à la Commission européenne de prendre toutes les initiatives permettant de conforter le statut des services d’intérêt général, notamment d’inscrire l’élaboration d’une législation-cadre dans sa stratégie politique annuelle pour 2009. Parallèlement, nous demandions au chef de l’État français, alors président du Conseil de l’Union européenne, d’impulser un agenda européen pour l’élaboration d’un tel outil juridique.

Le Président de la République s’est souvent déclaré favorable à une application par anticipation du nouveau traité. L’élaboration d’une législation-cadre sur les services d’intérêt général pouvait permettre de concrétiser cet aspect du traité de Lisbonne et de donner un contenu au souhait de la France de faire de l’année 2008 l’année du « redémarrage social de l’Europe ». Notre proposition de résolution constituait un rappel de ces objectifs et une invitation à agir.

Faute d’initiative de la France en ce sens, nous avons renouvelé, au mois d’avril 2009, notre proposition de résolution, et rappelé la nécessité d’élaborer une directive-cadre pour les services d’intérêt général. Le Gouvernement et la majorité y sont restés sourds. La construction d’un cadre juridique de niveau européen constituerait pourtant la voie la plus efficace pour garantir la sécurisation et la consolidation des services d’intérêt général et des services sociaux.

À défaut de droit positif en la matière, nous voulons utiliser toutes les dérogations permises par le droit européen, notamment par la directive Services. Par cette proposition de loi, nous souhaitons reprendre l’initiative sur le plan national et parlementaire. Notre objectif est de remettre le Parlement au cœur du processus de transposition de la directive Services. Le Gouvernement a fait le choix d’opérer cette transposition de manière sectorielle. Ainsi, des dispositions de transposition ont-elles été insérées dans la loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires du 21 juillet 2009, dans la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et dans le projet de loi dit « de simplification du droit ».

Pour ce qui concerne les services sociaux, le Gouvernement a procédé par dispositions réglementaires, tenant, de fait, le Parlement à distance : ce dernier n’a pas été associé à ces travaux et n’a pas pu en débattre publiquement. Autant d’exemples qui valident les craintes d’abandon de l’objectif d’une transposition de la directive par une loi-cadre, craintes qu’exprimait le dernier rapport d’information du Sénat, en date du 17 juin 2009.

Je regrette que le Gouvernement ait fait le choix d’un processus de transposition ne répondant pas aux objectifs de transparence et de cohérence.

Mme Catherine Tasca. Surtout, je me demande si ce choix ne traduit pas la volonté du Gouvernement de masquer une absence manifeste de politique globale et cohérente en matière de services d’intérêt général et de services sociaux.

Avec cette proposition de loi, nous plaidons aujourd’hui pour que le Parlement exerce pleinement ses fonctions législatives et de contrôle dans le domaine des services sociaux, sujet sur lequel le Gouvernement n’a pas encore légiféré. Nous appelons le Gouvernement à se saisir, dans le cadre de la transposition, des dispositions positives introduites par le traité de Lisbonne et à utiliser la large latitude que l’article 14 de ce traité et le protocole additionnel n° 26 confèrent aux États membres pour apprécier ce qui relève ou non de la catégorie des services sociaux.

Si, comme cela semble être le cas, le Gouvernement choisit de ne pas se prévaloir des dispositions d’un traité pour lequel il a beaucoup milité, de fait, il se désarmerait. J’espère que ce débat apportera un démenti.

Nous estimons urgente la transposition de la directive Services par une loi-cadre, seule à même de garantir une sécurité juridique véritable, notamment pour les collectivités territoriales, et une protection sociale réelle pour nos concitoyens.

Les auteurs de la proposition de loi soumise à la Haute Assemblée ont fait le choix clair et transparent d’une exclusion large des services sociaux d’intérêt général du champ d’application de la directive Services. La méthode législative est bien préférable au régime d’autorisation négocié au cas par cas, qui s’apparente à un marchandage brouillon entre le Gouvernement et la Commission ; les critères de choix restent obscurs et ne font pas l’objet d’une discussion avec le Parlement.

Nous proposons donc un texte de clarification et de sécurisation pour les services sociaux. Il définit de manière large le périmètre des services sociaux exclus expressément de son champ d’application. Il permet également d’exempter de notification à la Commission européenne des aides d’État au titre du financement public des services sociaux, tout en précisant les modalités concrètes de mandatement. Enfin, il crée une convention de partenariat d’intérêt général pour sécuriser en droit les pratiques de contractualisation des collectivités locales, ce qui permettra d’éviter le recours systématique et non justifié aux procédures de marchés publics.

Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer plus particulièrement votre attention sur l’urgence qu’il y a à apporter aux collectivités des réponses concrètes et rapidement opérationnelles.

La réglementation relative aux aides d’État, d’une grande technicité, est manifestement inadaptée à la vie des communes, notamment à celle des villes de petite et moyenne importance. Les associations d’élus alertent depuis plusieurs années l’État sur ces difficultés.

Le Gouvernement a bien signalé à la Commission européenne « le décalage extrêmement important qui existe entre les préoccupations des collectivités publiques lorsqu’elles organisent les ressorts de leur compétence et la façon dont le droit européen appréhende ces services ».

Les collectivités locales sont toujours en attente de pistes de clarification, d’autant que le traité de Lisbonne leur reconnaît un rôle accru en matière de protection et de définition des services d’intérêt général.

Je souhaite que vous puissiez saisir l’occasion de ce débat pour dessiner ces solutions que ces collectivités attendent tant. Nous ne pourrons nous satisfaire de réponses dilatoires en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi présenté aujourd’hui par Roland Ries et à propos de laquelle Mme le rapporteur a fait preuve d’un vrai souci de pédagogie, répond à une simple nécessité : inscrire dans le marbre de la loi la protection de nombre de nos services sociaux qui risquent, à terme, en tombant sous le coup de la directive Bolkestein, d’être démantelés.

Devant transposer en droit interne la très controversée directive Services, le Gouvernement, comme tous les gouvernements européens, avait le choix de la méthode.

Cependant, à l’opposé de presque tous les autres gouvernements qui ont opté pour une loi de transposition générale, procédé le plus clair, donnant à chaque État la meilleure marge d’interprétation par rapport à la directive, le gouvernement français a préféré une transposition sectorielle. Ce point a déjà été souligné, mais il ne me paraît pas inutile de le répéter : le Gouvernement a fait le choix d’une transposition compliquée, quasiment illisible, sans bruit et sans aucune concertation, bien cachée dans le labyrinthe des codes administratifs. Il a fait ainsi sciemment le choix d’exclure, une fois encore, le Parlement de la discussion.

Quand un gouvernement pourtant très enclin à l’inflation législative fait l’économie d’une loi, en particulier sur un sujet aussi délicat et essentiel que celui dont nous discutons, son attitude n’est plus suspecte, mais constitue déjà un aveu !

Sous couvert d’une complexité juridico-administrative, le Gouvernement a décidé de saisir l’opportunité rêvée que lui fournit la transposition de la directive Services pour mieux creuser le sillon de sa politique d’abandon des services sociaux. C’était la meilleure occasion de libéraliser à bon compte, c’est-à-dire sur le dos de l’Europe, en usant une nouvelle fois de l’éternel argument : « ce n’est pas nous, c’est l’Europe » !

Au contraire, les socialistes estiment que la construction européenne, même dans le contexte ultralibéral actuel, même en l’absence totale de programme social, est bien l’occasion d’asseoir notre attachement à des services sociaux de qualité et accessibles à tous.

Faire entrer dans le champ de la concurrence débridée des services sociaux allant de l’accueil de la petite enfance jusqu’à l’aide à domicile pour les personnes âgées, c’est non seulement mettre en péril la qualité des encadrements de ces secteurs intrinsèquement coûteux, mais aussi programmer la sélection des publics bénéficiaires et organiser l’exclusion des familles les plus fragilisées, car chacun sait que nous ne sommes pas tous égaux devant le marché !

Si nous nous dotons des outils adéquats, nous pouvons éviter d’en arriver là, car la directive ne nous impose en rien de sacrifier nos services sociaux ; c’est uniquement une question de volonté politique. Le Parlement européen l’a bien compris en ouvrant la porte à une interprétation la plus large possible des services exclus de la directive. Le Gouvernement persiste donc à suivre une position manifestement différente de celle de la Commission européenne.

Mes chers collègues, en tant qu’élus de terrain, vous savez comme nous que des pans entiers de nos services sociaux sont assurés par le tissu associatif. C’est le cas, par exemple, de 90 % des actions menées dans le secteur du handicap.

Vous savez que sans ce tissu et sans la sécurisation de ses relations avec les collectivités territoriales, des secteurs complets de l’action sociale disparaîtront.

Pourtant, ni les associations ni les collectivités territoriales n’ont été consultées. Selon les axes retenus par le Gouvernement, à l’inverse de plusieurs pays européens, les collectivités locales françaises ne sont même pas reconnues comme mandataires. Elles ne pourront donc pas remplir leur mission et seront assurément les premières victimes de cette transposition. D’ailleurs, l’Association des maires de France, l’AMF, a exprimé officiellement ses craintes à ce sujet.

En précisant l’objet des services sociaux qui seront exclus de la directive Bolkestein, en définissant explicitement la notion de service social d’intérêt général et le droit la concernant, en instaurant une exigence de mandatement pour la gestion des services sociaux sur la base d’une définition exacte de l’acte de mandatement ou en inscrivant dans la loi les principes fondamentaux applicables aux services sociaux d’intérêt général – l’accès universel, la continuité, la protection des utilisateurs –, la présente proposition de loi entend à la fois assurer efficacement la transposition de la directive Services, sécuriser le financement public de ces services et offrir aux Français un arsenal législatif mieux à même d’assurer la pérennité de nos services sociaux.

À l’instar de nos concitoyens, nous pensons que les services sociaux ne sont en aucune façon des services marchands, au service du profit. Ils sont au contraire au service de tous.

Mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, la plupart d’entre vous êtes ou avez été élu local. En tant que tel, vous avez eu la volonté de créer un grand nombre de services concernés par la directive, pour répondre aux attentes de nos concitoyens et pour améliorer leur qualité de vie. Ayant moi-même été maire, il me semble que c’est ce qui fait l’intérêt et la noblesse de ces mandats.

Ne vous laissez pas déposséder : soutenez et votez cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.

Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, mon propos a pour objet d’illustrer les précédentes interventions.

Nous nous interrogeons sur les éléments qui ont amené le Gouvernement à arbitrer en faveur de l’exclusion de la directive ou de l’inclusion en son sein de certains services.

Le pouvoir exécutif a ainsi choisi de protéger le logement social en renforçant le mandatement de ce secteur.

Toutefois, il utilise la directive Services pour déréguler d’autres marchés tels que l’accueil de la petite enfance, l’aide à domicile ou le soutien scolaire. Il le fait en catimini, en l’absence de toute transparence et de lisibilité, et sans associer le Parlement à cette démarche.

Comment expliquer que les établissements médico-sociaux, notamment ceux qui accueillent des personnes âgées dépendantes ou handicapées, soient exclus de la directive et non les services d’aide à domicile, qui interviennent pourtant auprès de la même population ?

Force est de constater que les choix du Gouvernement d’inclure ou d’exclure certains secteurs relèvent uniquement de ses propres objectifs politiques et n’obéissent pas à une grande cohérence juridique.

Une fois encore, le Gouvernement n’assume ni ses responsabilités ni ses choix. Il profite de la directive, et plus largement de l’Europe qui fait office de bouc émissaire, pour justifier cette dérégulation.

Je me refuse à ce que l’Europe porte une responsabilité qui n’est pas la sienne. Le nivellement et l’harmonisation vers le bas de notre système social ne sont ni inévitables ni souhaités par l’Union européenne.

Contrairement à la France, dont l’interprétation de la directive est restrictive, de nombreux pays européens – je citerai l’Allemagne – ont fait d’autres choix, notamment celui d’exclure du champ de la directive tout le secteur de la petite enfance.

L’accueil de la petite enfance doit-il être considéré comme un service d’intérêt général et d’utilité sociale ou bien s’agit-il d’un service comme un autre, soumis aux lois de la concurrence et du marché intérieur ?

Pour répondre à cette question, sachez que l’article 2.2.j) de la directive prévoit deux critères cumulatifs d’exclusion. Il exige que ces services reçoivent un mandat des pouvoirs publics et que les publics concernés par ces derniers se trouvent de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin.

Vous conviendrez, mes chers collègues, que les enfants de moins de six ans, a fortiori ceux de moins de trois ans, sont incontestablement vulnérables et doivent faire l’objet d’une attention particulière. Il ne fait aucun doute que leur accueil participe à l’éducation et relève donc des missions d’intérêt général. D’ailleurs, nous parlons bien d’accueil des enfants et non de garde !

L’autorisation d’ouverture délivrée par le président du conseil général ne constitue pas à elle seule un mandatement au sens de la directive Services. Cependant, l’ouverture d’une crèche nécessite, certes, une autorisation mais doit aussi respecter – ne l’oublions pas – les critères définis à l’article R. 2324-17 du code de la santé publique. Ce dernier et les circulaires afférentes précisent les missions des établissements d’accueil des jeunes enfants : obligation d’accueillir des enfants de bénéficiaires de minima sociaux ou porteurs de handicap, respect du barème de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, et réglementation de l’encadrement par les professionnels.

Le Gouvernement a donc choisi une interprétation restrictive. Ce choix, qui n’engage que lui, dont il a la seule responsabilité, ne nous étonne pas. Il s’inscrit dans un ensemble de décisions qui tend vers une dégradation des dispositifs existants.

De multiples expériences telles que les jardins d’éveil et les maisons d’assistants maternels ont été mises en place et encouragées dernièrement afin de respecter l’objectif des 200 000 places d’accueil supplémentaires annoncées à grand renfort médiatique ; mais cet objectif peine à être atteint.

Si, sur le fond, l’effort de développement et d’innovation relatif à l’offre d’accueil du jeune enfant est louable, il ne doit pas aller à l’encontre de la qualité de l’accueil. Je pense, notamment, au décret actuellement en cours de rédaction sur ce point précis. L’offre ne doit pas se développer au détriment des besoins fondamentaux des enfants, des attentes légitimes des familles ou des conditions de travail des professionnels.

Ce choix risque d’avoir des conséquences importantes tant sur le fonctionnement que sur le financement des établissements d’accueil des jeunes enfants. On peut se demander, en effet, comment la Commission évaluera les régimes d’autorisation. Remettra-t-elle en cause la réglementation actuelle ?

Enfin, la transposition effectuée par le Gouvernement ne règle pas la question du mandatement par les collectivités territoriales, collectivités qui n’ont pas été consultées, je tiens à le souligner, alors qu’elles mettent en place des dispositifs permettant aux enfants de bénéficier d’un accueil collectif. Leurs associations représentatives ont d’ailleurs exprimé leurs inquiétudes.

La proposition de loi présentée par notre collègue Roland Ries et par les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés va donc dans le sens d’une sécurisation des services publics.

Elle marque notre désaccord avec le choix opéré par le Gouvernement et témoigne de notre volonté de travailler avec les collectivités, les associations, les professionnels et les usagers contre le démantèlement de ces services. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Je souhaite en cet instant répondre aux arguments avancés par Mme la secrétaire d’État.

En premier lieu, s’agissant du problème de la transposition de la directive Services, madame la secrétaire d’État, vous faites semblant de ne pas comprendre nos propos. L’enjeu démocratique de la transposition ne portait pas sur l’accord du Parlement lors de telle ou telle modification adoptée à l’occasion de la loi de modernisation de l’économie ou de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ; l’enjeu démocratique de la transposition visait l’association du Parlement à l’établissement de la liste des services sociaux exclus du champ d’application de la directive Services. Tout le monde comprend bien pourquoi : seul l’établissement de la liste permet de construire une stratégie globale et une politique de transposition.

Cette liste, le Gouvernement a refusé de la communiquer à l’Assemblée nationale, et le Sénat ne l’a reçue qu’hier alors que nous la demandions depuis plus d’un mois ! Qui sera assez naïf pour croire que cette attitude hésitante ne révèle pas la tentation du Gouvernement d’ignorer les droits du Parlement ?

M. Richard Yung. Très bien !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Comme je l’ai déjà indiqué, ce n’est pas en ignorant le Parlement ou en suscitant une suspicion légitime sur des négociations obscures que vous redonnerez confiance aux citoyens en l’Europe. Cette observation vaut d’ailleurs pour tous les États membres de l’Union européenne.

En second lieu, madame la secrétaire d’État, vous essayez de nous montrer que le Gouvernement s’efforce d’obtenir une évolution de la réglementation des aides d’État en Europe. Mais vous n’êtes pas convaincante et je ne suis pas sûre, d’ailleurs, que vous soyez convaincue. J’en veux pour preuve un fait incontestable : la réglementation des aides d’État date de 2005, c’est-à-dire de l’adoption du paquet « Monti-Kroes ». Très vite, les associations et les élus locaux ont vu et démontré que la réglementation était inadaptée, ce que le Gouvernement lui-même ne conteste pas.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Or que s’est-il passé en 2008 ? Au deuxième semestre, la France a présidé l’Union européenne ; mais qu’a-t-elle fait pour modifier la réglementation des aides d’État ?

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Elle n’a proposé aucun texte, engagé aucune négociation, ni même, à ma connaissance, émis la moindre déclaration sur le sujet.

Que le Gouvernement proteste contre la réglementation des aides d’État dans les rapports qu’il envoie à la Commission européenne, je veux bien le croire. Chacun comprend bien qu’il cherche ainsi à nous faire admettre qu’il juge la question prioritaire. Or s’il s’agissait vraiment pour lui d’une priorité, il ne se contenterait pas de rapports. C’est précisément cette attitude que nous dénonçons : le manque de volonté, d’énergie, de détermination du Gouvernement dans la promotion des services sociaux.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, vous avez utilisé un second argument. Vous nous avez dit que le Gouvernement avait signalé le problème à la Commission européenne, mais que cette dernière n’avait pas répondu et faisait la sourde oreille. Soit ! Je vous propose de vous prendre au mot. Vous n’arrivez pas à vous faire entendre de la Commission européenne ? Nous allons vous y aider ! (Sourires.)

Dans les prochaines semaines, je soumettrai au Sénat, en accord avec la commission des affaires sociales, une proposition de résolution européenne tendant à la révision de la réglementation des aides d’État. Je ne doute pas, après avoir entendu l’ensemble des orateurs précédents, qui ont souligné leur attachement aux services sociaux, que cette résolution sera adoptée à l’unanimité, avec l’avis favorable du Gouvernement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Je m’amuse de constater à quel point vous jetez la suspicion sur l’action gouvernementale et, surtout, sur l’engagement du Gouvernement à aller dans le bon sens.

Mme Raymonde Le Texier. Cela n’a rien d’amusant !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. La contestation peut être amusante, mais, lorsqu’elle est systématique, elle devient risible ! Jeter la suspicion sur l’activité gouvernementale me paraît totalement déplacé.

Mme Raymonde Le Texier. À ce stade, il ne s’agit même plus de suspicion : les faits sont là !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Vous dénoncez un manque de transparence du Gouvernement. Mais, je vous le rappelle, la mission interministérielle a auditionné sur ce sujet tous les acteurs, dont les parlementaires !

Quant au passage en revue de l’ensemble de la législation française, convenez qu’il s’agit d’un travail purement administratif et que, sur ce point, l’administration est la mieux placée pour le réaliser.

S’agissant toujours de la transparence, vous savez très bien que la France a rendu public son rapport trois semaines après la fin du délai de transposition, alors qu’aucun autre État membre n’a été aussi rapide. Je peux vous rassurer, madame le rapporteur, vos collègues de l’Assemblée nationale ont bien reçu les fiches IPM…

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Non, pas les députés…

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Vous les avez reçues, madame, et les députés aussi !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, rapporteur. Hier seulement ! C’était bien trop tard pour nos collègues députés !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Quoi qu’il en soit, ne voyez aucune obsession du secret dans cette démarche, puisqu’il s’agit d’un travail purement administratif !

Mme Raymonde Le Texier. Heureusement qu’il n’y avait pas de secret !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Bien sûr que non !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.