M. Claude Bérit-Débat. … qui disparaît d’ailleurs dans ce texte.

Autrement dit, l’objet premier du texte, son fondement même, est en quelque sorte déjà satisfait.

Vous ne manquerez pas d’objecter que l’EURL n’a pas fonctionné comme on l’aurait souhaité, ce qui est vrai. Vous n’oublierez pas de signaler également que la clause d’insaisissabilité n’a pas connu le succès escompté, ce qui est juste aussi. Mais on peut se demander si le nouveau statut introduit par l’EIRL répond à la problématique posée en l’espèce.

Nous aurons l’occasion de revenir sur les dispositions de l’article 4 relatives aux dividendes et à leur exonération de charges sociales, dont parlait à l’instant M. Marini. Ce choix a un coût pour la collectivité. Vous estimez, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait de l’ordre de 50 à 60 millions d’euros. Certains de vos amis, à l’Assemblée nationale, y ont vu une mesure d’optimisation fiscale, voire une niche fiscale…

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. On voit le mal partout !

M. Claude Bérit-Débat. Cela a été dit par deux d’entre vous, et répété tout à l’heure par l’un de vos collègues !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il ne faut pas voir le mal partout !

M. Claude Bérit-Débat. Quoi qu’il en soit, ce choix va entraîner un manque à gagner certain pour l’État, alors que les bénéfices attendus seront nécessairement, quant à eux, plus aléatoires.

Cela est d’autant plus préjudiciable qu’il n’est pas certain, après tout, que les Français rechigneraient tant à créer une EURL s’ils avaient la certitude que les démarches ne sont pas si « compliquées ». Je crois qu’il faut faire preuve de pédagogie à ce sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !

M. Claude Bérit-Débat. Aujourd’hui, on peut créer une EURL en quarante-huit heures : on a vu pire comme parcours semé d’embûches ! C’est vous-même, monsieur le président-rapporteur, qui le faisiez remarquer. (M. le rapporteur s’exclame.) Il y a bien une convergence de vues entre nous !

Par ailleurs, l’EIRL aurait pour objectif de sécuriser la création d’entreprises individuelles et d’en assurer la pérennité. On peut cependant se demander si cet objectif correspond bien aux enjeux actuels de la création d’entreprises.

Je prendrai ici l’exemple des artisans du BTP qui estiment, à juste titre, que le statut de l’auto-entrepreneur provoque une forme de concurrence déloyale dont ils souffrent, même si vous avez essayé de démontrer le contraire tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.

On sait que des chefs d’entreprises encouragent leurs salariés à se faire auto-entrepreneurs pour ne plus avoir à supporter le coût social que représentent les employés. (M. le secrétaire d’État s’exclame.) Oui, cela se fait !

On sait aussi que les Français qui optent pour le statut d’auto-entrepreneur voient surtout dans cette formule une bouée de sauvetage pour ne pas sombrer, et non un outil de promotion sociale. Dois-je rappeler que le revenu moyen perçu par un auto-entrepreneur est de 775 euros par mois ? Qu’un auto-entrepreneur sur trois est déjà salarié ? Que les auto-entrepreneurs sont surreprésentés parmi les plus de 60 ans et les moins de 30 ans ? Qu’un sur deux est un ancien chômeur ? Que beaucoup sont des étudiants ou des retraités qui cherchent seulement à améliorer un quotidien plus que précaire ?

Hier, créer son entreprise, c’était faire un pari sur la réussite économique. Le pari était souvent gagné : cela, je le sais bien ! Mais, aujourd’hui, créer son entreprise, c’est de plus en plus un moyen d’affronter les difficultés sociales du présent. Et votre texte, monsieur le secrétaire d’État, ne tient pas assez compte de cette réalité. Il ne simplifie pas non plus nécessairement l’existant : il y a encore un pas entre ce que vous nous présentez comme l’idéal, et le réel !

Nous vous présenterons donc plusieurs amendements pour essayer de tendre à une cohérence dans le texte entre les objectifs affichés et les dispositions qu’il contient.

Par exemple, nous proposerons d’empêcher la constitution de plusieurs patrimoines affectés. Cette clause permettrait de lutter contre les abus, tout en introduisant un principe de réalisme économique.

Sur ce point, d’ailleurs, je suis en désaccord avec notre président-rapporteur !

Très honnêtement, je ne connais pas d’artisan qui créerait, pour pouvoir exercer son activité, .trois ou quatre entreprises individuelles à responsabilité limitée…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non : deux !

M. Claude Bérit-Débat. … ou même deux, monsieur le rapporteur ! Non, il n’aurait qu’une seule et même entité. Vous avez pris tout à l’heure l’exemple du boulanger-maçon : vraiment un exemple en béton ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas moi qui ai pris cet exemple. C’est un autre de nos collègues !

M. Claude Bérit-Débat. Je trouve pour ma part qu’il n’est pas pertinent !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai cité un autre exemple, qui était, lui, pertinent !

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur Hyest, le milieu artisanal et commercial, je le connais bien, et même parfaitement : j’y ai travaillé pendant trente ans ! Mais nous reprendrons ce débat lors de l’examen des amendements.

Nous présenterons donc, disais-je, plusieurs amendements pour essayer de tendre à une cohérence dans ce texte ; nous proposerons, par exemple, d’empêcher la constitution de plusieurs patrimoines affectés et, surtout, d’éviter que la création d’EIRL ne serve de paravent à des situations d’inégalité manifeste entre des donneurs d’ouvrage et les entrepreneurs individuels. Si l’EIRL doit remplacer, dans la pratique, les liens entre patrons et employés, elle ne constituera pas un progrès, loin s’en faut !

Vous le voyez, nous entrons dans ce débat avec une attitude constructive. Ce texte est plus complexe que le principe qui le guide. D’ailleurs, M. Xavier de Roux lui-même indique dans le rapport auquel nous avons souvent fait référence qu’ « inventer une EIRL reviendrait à créer une personne distincte de l’entrepreneur et reviendrait pratiquement à l’EURL si décriée ». (M. le secrétaire d’État ainsi que M. le rapporteur opinent.) Je l’ai cité, et je le prends au mot !

Si le principe est bon, nous attendons que le dispositif permettant sa mise en application le soit également. C’est à cette condition seulement que nous nous prononcerons sur un texte qui peut certes introduire un progrès, mais risque surtout de se révéler un très beau trompe-l’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, répondant à un engagement fort du chef de l’État, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui institue un nouveau régime juridique pour les entrepreneurs individuels qui, comme vous le souligniez, monsieur le secrétaire d’État, « vient rompre le dogme biséculaire de l’unicité du patrimoine ».

Ainsi, en permettant de séparer le patrimoine dédié à l’activité professionnelle du patrimoine personnel de l’entrepreneur, ce texte répond à deux ambitions majeures.

D’une part, il permet de mieux protéger les biens personnels de l’entrepreneur en cas de faillite. En effet, nous ne pouvons plus tolérer les situations dramatiques que peuvent connaître artisans, commerçants ou indépendants qui se retrouvent ruinés et sans perspective pour se rétablir.

Ces situations nous apparaissent profondément injustes. En effet, si la prise de risque est au cœur de la volonté d’entreprendre, il est totalement anormal qu’elle puisse entraîner la ruine de nombreuses familles parce que l’entrepreneur a choisi d’exercer son activité en nom propre et au lieu d’adopter la forme d’une société.

Il est bien de notre responsabilité de parlementaires de ne pas laisser au ban de la société cette catégorie de la population qui regroupe, il faut le rappeler, plus de 1,5 million de personnes et près de la moitié des entreprises françaises.

D’autre part, ces entrepreneurs contribuent à l’essor économique de la France. Favoriser la création d’entreprises, c’est progresser dans le traitement de la crise économique qui a touché si durement notre pays.

Pour ces entrepreneurs individuels, le patrimoine d’affectation doit être simple à constituer ; en même temps, il doit aussi être protecteur. C’est là le fondement de ce projet de loi qui concilie simplicité et sécurité.

À ce titre, je tiens à souligner l’excellent travail de notre rapporteur et président de commission, à l’initiative duquel plusieurs modifications ont permis de parvenir à un texte équilibré. Je soulignerai ici quatre d’entre elles, qui sont à mes yeux essentielles.

Tout d’abord, la réaffirmation du principe de non-rétroactivité des créances est primordiale. La disposition permettant de rendre opposable l’affectation aux créanciers antérieurs, introduite par les députés, me paraît totalement antinomique par rapport à la nécessité d’offrir une plus grande sécurité juridique.

En revenant à la rédaction initiale du projet de loi, nous nous sommes attachés à écarter, outre le risque de non-conformité à la Constitution, les risques d’instabilité juridique, d’instabilité économique et de fraude qu’entraînerait cette disposition. Il était très important de le faire !

Ensuite, le rétablissement de la déclaration d’insaisissabilité va dans le bon sens. En effet, pourquoi imposer un changement de statut aux entrepreneurs qui ont opté précédemment pour la forme de l’EURL ? De plus, si l’EIRL rencontre le succès que nous espérons, cette déclaration tombera en désuétude d’elle-même.

En même temps, je me réjouis de la disposition permettant la pluriactivité des patrimoines affectés. Au contraire de ce qu’ont proposé les députés en permettant la pluralité d’activités au sein d’un même patrimoine, la pluralité des patrimoines n’implique pas une solidarité financière et comptable artificielle, qui serait réalisée par l’affectation à différentes activités sans rapport entre elles.

Enfin, je tiens à souligner la qualité de la contribution de notre collègue Michel Houel qui, au nom de la commission de l’économie, a su enrichir ce texte. En prévoyant le cas de la transmission de l’EIRL par donation entre vifs, en favorisant la réduction du coût de l’affectation d’un bien immobilier reçu par acte notarié ou encore en permettant une plus grande publicité des déclarations d’affectation du patrimoine par leur centralisation au répertoire national des métiers, nous garantissons une plus grande protection à l’entrepreneur et répondons ainsi à l’objectif premier de ce projet de loi.

Par ailleurs, même si l’accès au crédit est un corollaire des dispositions de ce projet de loi et relève du réglementaire, les difficultés d’accès au crédit rencontrées par les entrepreneurs individuels suscitent de fortes préoccupations dans nos rangs.

À ce titre, monsieur le secrétaire d’État, les membres du groupe UMP et moi-même nous réjouissons que vous ayez annoncé, devant l’Assemblée nationale, la mise en place d’un nouveau mécanisme de garantie par l’intermédiaire d’OSEO et des sociétés de caution mutuelle.

C’est un engagement essentiel qui doit permettre d’éviter que le système ne soit contourné par les banques pour exiger une caution personnelle de l’entrepreneur. Si OSEO est habilité à proposer aux banques une garantie à hauteur de 70 % des crédits, la création du patrimoine affecté prend tout son sens. C’est pourquoi nous soutenons totalement l’initiative de notre collègue Michel Houel visant à refonder l’ordonnance d’OSEO afin de prendre en compte ces nouvelles missions.

Ces quelques remarques étant faites, le groupe UMP est favorable au projet de loi tel qu’il a été modifié par notre commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier ceux qui se sont exprimés dans le cadre d’un débat qui me paraît très important.

Je souhaite rendre hommage à l’érudition du président-rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui, invoquant les mânes de Portalis et rappelant le rôle de Colbert, a su replacer ce projet de loi dans une perspective historique, de l’unicité du patrimoine jusqu’à la première forme d’affectation appelée « fortune de mer ».

Comme il l’a souligné, rien ne s’oppose à la création en droit civil français de la notion de patrimoine d’affectation.

Dans ce discours en réponse, je veillerai, cher Yves Pozzo di Borgo, à ne pas multiplier les sigles, toujours un peu barbares, je le reconnais volontiers, et dont vous avez raison de souligner qu’ils n’apportent ni simplicité, ni lisibilité. Pas aux entrepreneurs, en tout cas (Sourires.)

Gérard Cornu a eu raison de rappeler que, si le risque professionnel est un choix assumé, il ne doit pas conduire à la ruine des familles. Le risque est inhérent à l’acte d’entreprendre, mais la prise de risques peut et doit être combinée avec la protection des biens personnels.

Gérard Cornu a également eu raison de nous remettre en mémoire toutes les tentatives avortées de création du régime du patrimoine affecté, y compris en 2005, avec la société civile artisanale à responsabilité limitée qui avait été abandonnée.

Cela n’en rend donc que plus utile le travail que nous menons ensemble aujourd’hui et qui met ainsi un terme à plus de trente ans d’attente de la part des artisans.

Nombreux sont les orateurs qui se sont interrogés sur l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et sur l’entreprise individuelle à responsabilité limitée. Mesdames, messieurs les sénateurs, reconnaissons-le, la création de la seconde tire la conséquence de l’échec relatif de la première.

Comme vous le savez, la création de l’entreprise unipersonnelle date de 1985, mais cette forme sociétale ne s’est jamais véritablement enracinée dans notre pays : Richard Yung l’a souligné à juste titre.

Les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée ne représentaient encore que 10,5 % des créations d’entreprises en 2008 ; reconnaissons-le, ce chiffre est faible.

Malgré tous les efforts - et ils ont été nombreux ! - faits par le législateur pour en simplifier la création et le fonctionnement – création, voilà un peu plus d’un an, par la loi de modernisation de l’économie, des modèles de statut-type, simplification du mécanisme d’approbation des comptes, allégement du régime de publicité légale - le ressenti des professionnels est toujours celui d’une certaine complexité et d’une réticence à créer une personnalité morale distincte d’eux-mêmes pour assurer leurs activités professionnelles. C’est un fait !

Nous avons donc cherché, dans le texte qui vous est soumis, à travers l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, à garder les procédures les plus simples et les plus lisibles possible tout en cherchant à concilier cette volonté de simplicité avec la sécurité juridique, notamment la protection des tiers.

Concernant la procédure accélérée, je voudrais faire une petite mise au point destinée à certains orateurs du groupe socialiste qui ont souligné le caractère quelque peu précipité des choses. Je ne partage pas leur avis.

Monsieur Yung, les élections sont passées, c’est vrai, personne ne peut contester ce fait ! Mais, je vous le rappelle également, ainsi qu’à M. Claude Bérit-Débat, certains de vos collègues députés de l’opposition avaient affirmé, lors des débats à l’Assemblée nationale, que ce projet de loi ne serait pas débattu, après les élections régionales.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument ! On disait même qu’il serait enterré.