compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat le rapport sur la mise en œuvre du plan de relance de l’économie pour le premier trimestre 2010, en application de l’article 6 de la loi n° 2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

3

 
Dossier législatif : projet de loi tendant à l'élimination des armes à sous-munitions
Discussion générale (suite)

Élimination des armes à sous-munitions

Adoption d'un projet de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi tendant à l'élimination des armes à sous-munitions
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions (projet n° 113, texte de la commission n° 383, rapport n° 382).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conçues pour disperser une grande quantité de projectiles explosifs, les armes à sous-munitions constituent une grave menace humanitaire, à la fois sournoise et durable, car elles laissent sur le terrain une part significative de sous-munitions non explosées, mais aussi particulièrement lâche, car elles frappent avant tout les populations civiles.

La France est aux avant-postes dans la lutte contre ce fléau. Elle a cessé d’utiliser ce type d’armes dès 1991 et d’en produire dès 2002, et elle a joué un rôle majeur dans l’élaboration de la convention d’Oslo, que nous avons signée le 3 décembre 2008 et ratifiée le 25 septembre 2009.

Nous avons largement anticipé l’entrée en vigueur de cette convention. D’une part, nous avons décidé, dès 2008, de retirer du service opérationnel 22 000 roquettes M26 à grenades du lance-roquettes multiple et 13 000 obus de 155 millimètres à grenades. Ces armes sont stockées en attendant d’être détruites, conformément aux prescriptions de la convention d’Oslo. D’autre part, nous avons présenté, dès le 25 novembre dernier, un projet de loi d’application en conseil des ministres, et c’est précisément ce texte qui vous est soumis aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs.

Madame le rapporteur, je tiens à vous féliciter de l’excellent travail que vous avez fourni. Vous vous investissez depuis longtemps sur le sujet des armes à sous-munitions et votre expertise nous a été extrêmement utile pour élaborer ce projet.

Monsieur le président de la commission, je tiens à vous remercier d’avoir permis que l’examen du texte en commission se passe dans des conditions très satisfaisantes.

Ce projet de loi s’inscrit pleinement dans l’esprit et la lettre de la convention d’Oslo. Il témoigne de notre volonté de respecter rigoureusement les engagements souscrits par la France.

Il prévoit d’abord l’interdiction en toutes circonstances des armes à sous-munitions, qu’il s’agisse d’emploi, de mise au point, de production, d’acquisition, de stockage, de conservation, de transfert, de fabrication, d’offre, de cession, d’importation, d’exportation ou de commerce.

Cette interdiction s’accompagne de lourdes peines et de délais de prescription allongés, dérogatoires du droit commun. Elle s’accompagne également de la possibilité pour la France de poursuivre l’un de ses ressortissants, même si les faits n’ont pas été commis sur le territoire national et même s’ils ne sont pas punis par la législation du pays dans lequel ils ont été commis.

Le texte prévoit aussi la destruction par les armées de leur stock d’armes à sous-munitions dès que possible, dans un délai de huit ans à compter de l’entrée en vigueur de la convention.

Cette destruction sera entièrement financée par le ministère de la défense, pour un coût estimé entre 20 millions et 30 millions d’euros. Elle sera achevée pour nous en 2016.

Conformément aux modalités de la convention, le texte autorise néanmoins la conservation d’un stock d’armes à sous-munitions. Ce stock sera limité aux besoins strictement nécessaires aux activités de formation et de mise au point de techniques de détection, d’enlèvement ou de destruction des armes. Nos sapeurs doivent pouvoir continuer à se former sur ce type d’armes.

Enfin, le projet de loi tend à proposer un suivi rigoureux des stocks d’armes à sous-munitions. D’une part, les compétences de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel, la CNEMA, seraient étendues au suivi de la loi d’application de la convention d’Oslo. D’autre part, le ministère des affaires étrangères serait chargé de réaliser un compte rendu annuel destiné au secrétariat général de l’ONU. Le ministère de la défense apporterait évidemment tout son concours à cet exercice.

Naturellement, conformément aux modalités de la convention d’Oslo, ce projet de loi n’interdit pas les actions de coalition avec des pays non signataires. C’est un point essentiel si nous voulons convaincre nos alliés de nous rejoindre dans notre engagement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France, qui est déjà signataire de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel, est fière d’être aujourd’hui au premier rang des grands pays qui s’engagent dans ce domaine.

Cette exemplarité, nous sommes déterminés à en faire preuve en matière d’armes à sous-munitions. Avec ce projet de loi, nous avons l’opportunité de contribuer plus efficacement à la lutte contre ce fléau. Nous disposons également d’un atout majeur pour convaincre nos partenaires de nous rejoindre dans ce combat. La France est ainsi au rendez-vous de la responsabilité et de l’humanisme. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui constitue la traduction concrète de l’engagement de la France en faveur de l’élimination d’armes qui ont causé, de par le monde, des dommages humanitaires considérables.

Je ne reviendrai pas sur un constat que nous avons déjà pu dresser à plusieurs reprises, que ce soit dans le rapport d’information que j’avais présenté dès 2006 avec mon collègue Jean-Pierre Plancade ou lors de la discussion devant notre assemblée de la convention d’Oslo, en septembre dernier. Rappelons simplement que, en raison de leurs caractéristiques, de leur mode de fonctionnement, de la manière dont elles ont été utilisées par certaines armées, les armes à sous-munitions ont provoqué de manière durable des conséquences désastreuses et inacceptables sur les populations civiles, notamment les enfants, dans de nombreuses zones de conflit.

La convention d’Oslo représente une très grande avancée du droit international humanitaire, puisqu’elle pose le principe d’interdiction de ces armes, à l’exception de celles qui répondent à des critères extrêmement précis et stricts garantissant un effet circonscrit aux objectifs militaires.

C’est avec une très grande satisfaction que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a accueilli ce projet de loi de transposition en droit interne de la convention d’Oslo. En effet, nous avons constaté que le Gouvernement avait très fidèlement veillé à reprendre les obligations découlant de la convention, ce qui traduit la volonté de la France d’en appliquer pleinement toutes les dispositions. Nous nous sommes également félicités de la rapidité avec laquelle la France entend mettre en œuvre cet instrument.

La France a retiré du service les armes interdites par la convention avant même que cette dernière soit signée. Elle a été le vingtième État à la ratifier, neuf mois à peine après sa signature, et nous prenons dans la foulée les mesures législatives nécessaires.

Nous souhaitons évidemment que l’Assemblée nationale puisse très prochainement examiner ce texte après le vote du Sénat aujourd’hui. Cela permettrait en effet une promulgation de la loi avant le 1er août prochain, date à laquelle la convention d’Oslo entrera en vigueur dans tous les États qui l’ont ratifiée.

Ce projet de loi est un texte bref qui vise à insérer un nouveau chapitre dans la partie du code de la défense relative aux armes interdites. Ce chapitre relatif aux armes à sous-munitions vient à la suite de celui qui est consacré aux mines antipersonnel, sur lequel il est largement calqué.

Le projet de loi retient un champ d’interdiction rigoureusement conforme à celui de la convention d’Oslo, renvoyant à celle-ci pour la définition des armes prohibées. Il reprend la clause de la convention relative à l’interopérabilité. Cette clause exclut que la participation à une opération militaire internationale aux côtés d’un pays possédant ou utilisant des armes à sous-munitions tombe sous le coup de l’interdiction, sous réserve qu’il n’y ait pas d’implication dans leur mise en œuvre.

Il s’aligne également sur la convention en ce qui concerne les délais de destruction et il précise le nombre très réduit d’armes prohibées que certains services de l’État pourront conserver, conformément à cette dernière, pour la mise au point des techniques de détection et des contre-mesures et pour la formation au déminage.

Le projet de loi met en place le régime de déclaration auprès du ministère de la défense des armes à sous-munitions détenues, qu’elles soient destinées à être détruites ou à être conservées aux fins de recherche et de formation. Il habilite certains agents du ministère de la défense, ainsi que les fonctionnaires des douanes, à constater les infractions.

Enfin, le régime pénal rigoureux prévu par le texte est analogue à celui qui existe pour les mines antipersonnel. Il lève le principe de double incrimination, ce qui permettra de réprimer les infractions à la loi française commises à l’étranger par un ressortissant français, même si l’État concerné ne possède pas de législation équivalente.

Le texte élaboré par la commission, sur lequel nous délibérons aujourd’hui, incorpore neuf amendements au texte initial du Gouvernement.

Outre quelques amendements d’ordre rédactionnel ou de précision, nous avons voulu compléter la définition des armes interdites, afin d’y inclure les petites bombes explosives, que la convention assimile aux armes à sous-munitions.

Il nous a paru également souhaitable de mentionner dans la loi, comme le fait la convention, que la destruction des armes interdites interviendra « dès que possible ». À cet égard, je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez confirmé devant la commission votre intention d’achever cette destruction en 2016, deux ans avant la date butoir prévue.

Je rappelle qu’il s’agit de démanteler environ 35 000 obus ou roquettes comprenant près de 15 millions de sous-munitions. Nous sommes sensibles à l’engagement du Gouvernement sur ce point, d’autant qu’il implique un coût de l’ordre de 20 millions à 30 millions d’euros pour le budget de la défense. Nous espérons bien évidemment qu’une filière française de démantèlement pourra être mise en place, à défaut de quoi ces marchés devraient être confiés à des industriels étrangers, ce qui serait bien évidemment regrettable.

La commission a également souhaité mentionner à l’article 5, relatif à l’entrée en vigueur de la loi, la date du 1er août 2010, qui est celle d’entrée en vigueur de la convention, afin de marquer notre souhait d’un achèvement rapide du processus législatif.

Enfin, nous avons adopté un article additionnel, qui permettra d’élargir les attributions de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel, la CNEMA.

Regroupant des parlementaires – j’ai l’honneur d’y représenter le Sénat –, des responsables du ministère des affaires étrangères et du ministère de la défense ainsi que des représentants de la société civile – je pense notamment aux représentants des organisations internationales, qui ont beaucoup milité en faveur de ce texte –, la CNEMA constitue une instance de concertation et de suivi particulièrement utile pour la mise en œuvre de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel. La commission a considéré qu’elle avait naturellement vocation à assurer le même type de travail pour la mise en œuvre de la convention d’Oslo, puisque beaucoup de problématiques sont connexes, notamment le déminage et l’assistance humanitaire.

Pour conclure, je voudrais me féliciter du chemin parcouru en quelques années, depuis la lente prise de conscience suscitée par les organisations humanitaires, auxquelles je rends à nouveau hommage, jusqu’au lancement du processus d’Oslo, en 2007, à la conclusion de la convention et à l’examen, aujourd’hui, de ce projet de loi.

Je voudrais également souligner l’engagement de la France dans ce combat, engagement d’autant plus significatif que, à la différence de beaucoup d’États signataires, notre pays est un acteur militaire de premier rang, engagé et exposé sur de nombreux théâtres d’opérations.

L’adoption du projet de loi mettant en œuvre la convention d’Oslo ne saurait toutefois constituer qu’une étape. Beaucoup reste malheureusement à accomplir en matière de déminage et d’aide aux victimes dans les régions affectées par les sous-munitions. Je pense non seulement au Sud-Liban, gravement frappé lors du conflit de 2006, mais également aux pays du Sud-Est asiatique où les conséquences de l’emploi des armes à sous-munitions continuent à se faire sentir plus de trente-cinq ans après la fin de la guerre du Vietnam.

Il nous faut œuvrer sans relâche à l’universalisation de la convention. Actuellement, 90 % du stock mondial d’armes à sous-munitions est détenu par des États non-signataires. Il est donc indispensable de convaincre certains de nos partenaires internationaux actuellement attentistes ou réticents, tels que les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Pakistan, Israël, la Turquie, ou même certains États de l’Union européenne comme la Finlande, la Grèce, la Pologne ou la Roumanie.

C’est donc en ayant pleinement conscience du chemin restant à parcourir que, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je vous demande, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions que nous examinons ce matin, nous arrivons au terme d’un long processus qui marque une importante avancée du droit humanitaire international, en particulier concernant la protection des populations civiles, qui sont les principales victimes de ces armes.

Nous devons maintenant adapter dans notre droit national les dispositions de la convention dite d’Oslo.

Lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions, ici même en septembre dernier, j’avais eu l’occasion d’évoquer le lent cheminement de plusieurs années qui avait été nécessaire pour aboutir à cette étape significative sur la voie du désarmement.

J’avais également souligné le rôle déterminant joué par les organisations non gouvernementales, sur le plan tant national qu’international, pour sensibiliser les opinions publiques à cette cause et pour peser sur les décisions des gouvernements.

Je ne reviendrai pas sur ces points, car il ne s’agit pas ce matin de rappeler des thèmes que nous avons déjà évoqués, notamment en septembre dernier.

En revanche, il convient d’apprécier à sa juste valeur le résultat de tous ces efforts. Je voudrais notamment relever le rôle très positif joué par notre pays tout au long de ce processus, bien qu’il ait souvent dû être aiguillonné par des organisations non gouvernementales telles que Handicap international, la Croix-Rouge ou bien encore Amnesty International, comme c’est d’ailleurs leur rôle.

Pour ne prendre que la dernière période, nos armées ont retiré du service les armes interdites par la convention bien avant la signature de cette dernière.

La France a très rapidement ratifié cette convention, et nous examinons les mesures législatives nécessaires à son application avant même la date de son entrée en vigueur sur le plan international.

Je reconnais volontiers que cela témoigne concrètement de la volonté, conforme à nos valeurs républicaines, de parvenir à l’élimination totale de ces armes tellement contraires au droit humanitaire.

L’affirmation de cette volonté pèse d’un grand poids à travers le monde quand on sait non seulement le rôle que joue notre pays sur le plan international en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mais aussi la place qu’il tient parmi les grandes puissances militaires.

Globalement, ce projet de loi d’adaptation dans notre droit national traduit fidèlement l’ensemble des avancées positives contenues dans la convention d’Oslo, que ce soit à propos de mesures précises de transparence sur la destruction des stocks et la rétention de ce type d’armes, de sanctions pénales fortes ou bien encore de l’établissement d’une juridiction extraterritoriale permettant de sanctionner ces activités commises à l’étranger par des ressortissants français.

Le projet de loi va même dans certains cas un peu plus loin, par exemple en élargissant la notion d’assistance aux activités illégales définies par la convention.

Notre commission a utilement précisé et complété quelques aspects portant sur les définitions, la destruction des stocks et surtout l’élargissement du champ d’intervention de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel.

Cela étant, je regrette que, sur certains aspects, et non des moindres, le projet de loi qui nous est présenté ne soit pas plus précis et plus contraignant par rapport à certaines obligations contenues dans la convention.

Je comprends tout à fait que l’urgence soit aujourd’hui de convaincre les nombreux pays n’ayant pas encore signé ou ratifié cette convention – elle constitue un minimum – de le faire. J’estime pourtant que notre pays pourrait, avec d’autres, créer un effet d’entraînement en prenant quelques mesures importantes précisant certaines obligations. Je vise là très concrètement la question de l’interdiction des investissements et des financements par les États signataires des activités qui ont trait aux armes à sous-munitions.

En effet, la convention d’Oslo, dans le paragraphe 1(c), de l’article 1 permet implicitement d’interdire aux États signataires de financer ou d’investir dans des entreprises fabriquant ou commercialisant ces armes. Je dis « implicitement », car cela est évoqué de façon détournée par l’obligation faite aux États de ne pas « assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute activité interdite » par la convention.

Ces formulations très générales entraînent une incertitude juridique qui permet de nombreuses interprétations de nature à échapper aux interdictions. Je regrette donc, monsieur le ministre, que l’on considère l’interprétation assez large de ces notions comme pouvant suffire à interdire partiellement ces financements.

Il me semble pourtant qu’il y a là une ambiguïté qu’il faudrait lever. Ce serait un acte très concret marquant davantage encore notre engagement dans le combat contre les armes à sous-munitions.

Il y a bien une ambiguïté dans cette position, car pourquoi affirmer une interdiction sans se donner tous les moyens de la faire respecter ? Par parenthèse, cette réflexion est également valable pour d’autres domaines de l’action gouvernementale.

Il est évident que le financement ou l’investissement dans ce type d’activités est l’une des conditions de leur existence. Dès lors, il faut que les choses soient clairement énoncées dans la loi.

Monsieur le ministre, écoutez ce que vous disent les associations qui se préoccupent de cette question. Prenez également en compte l’une des recommandations formulées par cette haute autorité administrative indépendante qu’est la Commission nationale consultative des droits de l’homme : « [...] afin de lever toute ambiguïté juridique sur le principe comme sur l’interprétation […], la CNCDH recommande d’inscrire de manière explicite dans la loi l’interdiction des investissements et financements, tant directs qu’indirects, dans des entreprises menant, même partiellement, des activités prohibées et liées aux armes à sous-munitions ».

Une telle mesure traduirait concrètement la ferme volonté de la France d’éliminer ces armes et permettrait de se mettre en conformité avec des réalités existant déjà dans notre pays et à l’étranger.

En France, par exemple, à la suite d’une action conjointe menée depuis 2006 par les branches françaises d’Amnesty International et de Handicap International, de grands groupes financiers et d’assurance se sont ainsi publiquement dotés de codes de bonne conduite excluant toute forme d’investissement ou de financement dans ce secteur. Adopter une telle disposition législative ne pourrait donc que les conforter dans leur action.

Parallèlement, d’un point de vue strictement économique et non plus simplement éthique, la position de pays comme le Luxembourg et la Nouvelle-Zélande, qui ont interdit ces financements, ou comme la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui prévoient de le faire, devrait lever la crainte qu’a le Gouvernement de porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises. Je réponds ainsi aux arguments que vous aviez avancés à l’époque.

Enfin, il faudrait à mon avis également compléter cette mesure par l’élargissement de la compétence extraterritoriale de nos juridictions à la possibilité de poursuivre des personnes morales pour ces délits. Tel est le sens des amendements que nous avons déposés sur ce texte.

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche souhaite que vous preniez en compte ces remarques.

Compte tenu de l’importante avancée que représente globalement ce texte en faveur du droit humanitaire international, il votera le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par ce texte, la France avance dans un processus législatif visant à éliminer les armes les plus perverses dont l’usage cause des dommages physiques irréversibles à des populations civiles.

Au nom du groupe socialiste, je tiens à rendre hommage aux organisations non gouvernementales qui ont été à la pointe de ce combat : Handicap International, Amnesty International, la Croix-Rouge. Elles nous ont permis de mesurer à quel point il était urgent de mettre fin à une telle barbarie.

La loi du 21 septembre 2009 a autorisé la ratification de la convention sur les armes à sous-munitions. Il s’agissait de la première partie du processus initié avec la signature par la France de la convention multilatérale relative aux armes à sous-munitions, dénommée « convention d’Oslo », qui interdit l’utilisation, la production, le transfert et le stockage des armes à sous-munitions.

Compte tenu du grand nombre de pays ayant ratifié cette convention, nous pouvons espérer que celle-ci entre en vigueur dès le 1er août 2010. À l’instar de Mme le rapporteur, je pense souhaitable que le texte dont nous débattons aujourd’hui soit promulgué avant cette date.

Ce projet de loi constitue une avancée considérable pour la protection des populations civiles, qui sont les principales victimes de ces armes, et parfois très longtemps après la fin des hostilités. Nous approuvons donc la décision du Gouvernement de le soumettre rapidement au vote du Parlement.

M. Jean-Louis Carrère. C’est rare !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le tribut humain des armes à sous-munitions est bien trop lourd au regard du droit international. L’utilisation massive de ce type d’armes en Asie du sud-est par l’armée américaine et au Liban au cours de l’été 2006 par l’armée israélienne a suscité une véritable prise de conscience. Leur emploi dans des zones habitées et cultivées, conjugué à leur fort effet de dispersion, entraîne un pourcentage très élevé de victimes, notamment parmi les enfants, puisque de nombreux types de bombes ressemblent à des jouets.

Ce type d’armes fait subir aux populations civiles un risque majeur sur le long terme. En raison de leur taux de dysfonctionnement très important, elles restent sur le terrain où elles ont atterri sans avoir explosé et constituent, parfois des années après la fin des conflits, une menace quotidienne intolérable qui interdit, par exemple, la culture des terres.

Cette convention constitue un outil juridique international contraignant qui permet d’aller bien plus loin que les textes antérieurs, telle la convention du 10 octobre 1980 sur l’interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination. Cette convention s’était révélée insuffisante.

La convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, dite « convention d’Ottawa », constitue un modèle d’instrument juridique international contraignant.

Comme ma collègue Catherine Tasca l’avait déjà souligné en septembre 2009 à l’occasion de la discussion sur la ratification de cette convention, je veux saluer le choix de Lionel Jospin, lors de son arrivée aux responsabilités, en 1997, d’inscrire notre pays dans cette dynamique internationale pour le désarmement, que la reprise des essais nucléaires en 1994 et en 1995 avait stoppée.

En œuvrant pour la signature de la convention d’Ottawa et en faisant procéder à sa ratification le 8 juillet 1998, le gouvernement français avait relancé le processus de désarmement pour ces types d’armes. La convention d’Oslo poursuit cette œuvre, et l’on peut saluer la continuité de l’action de la France dans ce domaine, d’un gouvernement à l’autre, d’une majorité à l’autre.

M. Jean-Louis Carrère. C’est à marquer d’une pierre blanche !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La deuxième partie de ce processus concerne, en France, l’adaptation en droit national des prescriptions de la convention. C’est l’objet du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. Il s’agit d’un texte positif, très attendu.

Ce projet de loi procède à une adaptation fidèle en droit interne des préconisations de la convention. Mais, et nous tenons à le saluer, il va parfois encore plus loin que le texte de la convention, en particulier en ce qui concerne la notion d’assistance, les mesures de transparence et la définition des armes concernées. (M. le ministre s’entretient en aparté avec M. le président de la commission des affaires étrangères.)

Monsieur le ministre, je m’efforce de rendre hommage en ce moment à l’action de Gouvernement ;…

M. Didier Boulaud. Point trop n’en faut !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … aussi serais-je heureuse que vous m’écoutiez !

M. Hervé Morin, ministre. Je vous écoute !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L’interdiction d’assister, d’inciter ou d’encourager quiconque à s’engager dans les activités couvertes par la convention implique l’interdiction de la fabrication, de l’offre, de la cession, de l’exportation et de l’importation, du commerce et du courtage, ce qui est une première dans un projet de loi connexe au régime des matériels de guerre, armes et munitions.

Il faut toutefois relativiser un peu ce progrès, dans la mesure où la notion de courtage n’existe pas en droit français, mais nous y reviendrons.

Le projet de loi prévoit des mesures précises de transparence sur la destruction des stocks et la détention d’armes à sous-munitions. Nous vous proposerons d'ailleurs de renforcer un certain nombre de ces orientations de bon sens.

Il conviendrait ainsi d’insister, par exemple, sur l’interdiction faite à toute entreprise de financer d’une manière directe ou indirecte, en France ou à l’étranger, des activités condamnées par la convention d’Oslo. Financer une entreprise fabriquant ou commercialisant des armes à sous-munitions revient à encourager une activité interdite par la convention.

Ainsi, bien que ce point soit implicite, il faut comprendre l’interdiction d’assistance inscrite au paragraphe 1(c) de l’article 1 comme visant les financements des entreprises qui produisent ou commercialisent des armes à sous-munitions. De ce point de vue, les relations très étroites que nous entretenons avec certaines entreprises d’armement israélien qui fabriquent par ailleurs des armes à sous-munitions posent problème. Dès lors, ne respecte pas les obligations prévues par le traité tout établissement financier investissant ou finançant des entreprises engagées dans des activités liées aux armes à sous-munitions prohibées par la convention d’Oslo.

Pour respecter aussi bien l’esprit que la lettre de cette convention et pour éviter tout flou juridique, la France devrait donc prévoir expressément, dans ce projet de loi, l’interdiction de toute forme de financement, qu’il s’agisse de financement direct ou indirect.

Il nous semble également que la définition précise des termes « transfert » et « transit » concernant les opérations de circulation d’armes à sous-munitions d’un État à un autre par voie terrestre, maritime ou aérienne, ainsi que celle de « l’interdiction de courtage » nécessitent quelques explications, la notion de courtage étant peu précisée dans la loi française.

Malheureusement, nous ne pouvons pas ignorer que les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et Israël ne sont pas parties à la convention.

Or, le principe d’interopérabilité inscrit dans la convention autorise bien les États parties à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des bombes à sous-munitions. Ce principe est certes compréhensible du point de vue du réalisme politique et diplomatique, mais il réduit de façon importante la portée juridique et pratique du texte, et nous devons tout faire pour inciter les États non encore signataires de la convention à la ratifier.

Monsieur le ministre, en conclusion, pouvez-vous assurer à la représentation nationale que, à défaut de s’interdire de s’engager dans une coopération et dans des opérations militaires avec des États non parties à la convention – en Afghanistan, par exemple, aux côtés des États-Unis –, la France n’acceptera pas de prendre part à des opérations militaires au cours desquelles seraient employées par nos alliés des armes à sous-munitions ? Si l’on doit comprendre que la France n’exclut pas de s’engager dans des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions, je ne suis pas certaine que cette prise de distance avec l’esprit de la convention serait de nature à inciter les États non signataires à devenir parties à celle-ci. Sur ce point, monsieur le ministre, nous demandons des éclaircissements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)