Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est notre collègue Serge Larcher, retenu en Martinique, qui devait s’exprimer sur le présent projet de loi. Je parlerai donc en son nom et en celui de nos collègues Jean-Etienne Antoinette, Georges Patient et Claude Lise.

Après la remise, en juillet 2009, d’un rapport de nos collègues Éric Doligé et Serge Larcher au nom de la mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer, après le lancement des états généraux d’outre-mer par le Président de la République et les conclusions du Conseil interministériel de l’outre-mer le 6 novembre 2009, nous sommes surpris de constater que le Gouvernement a l’intention de traiter les problématiques des territoires ultramarins par voie d’ordonnance.

Ainsi, le Gouvernement demande au Parlement de lui accorder un blanc-seing et de renvoyer à plus tard les mesures qu’il est nécessaire de prendre dans les meilleurs délais pour nos agriculteurs.

Monsieur le ministre, quel n’est pas notre étonnement de voir ainsi renvoyer à une date ultérieure la modernisation de l’agriculture et de la pêche pour nos régions d’outre-mer, et ce malgré l’ensemble du travail accompli dans ce secteur, incluant des diagnostics très précis concernant les difficultés rencontrées sur nos territoires et des solutions ne demandant qu’à être appliquées.

La méthode consistant à conditionner les mesures spécifiques à l’outre-mer à l’adoption d’ordonnances gouvernementales est malheureusement trop fréquente. Mais, cette fois, elle est d’autant plus inacceptable que, je le répète, le diagnostic a été posé et les solutions ont été préconisées, et ce bien en amont.

Monsieur le ministre, lors du débat d’orientation sur l’agriculture et la pêche organisé au Sénat le 28 avril dernier, vous n’avez pas répondu aux préoccupations exprimées par notre collègue Georges Patient quant à l’outre-mer. Cela nous inquiète. Nous espérons que vous répondrez aujourd'hui à nos demandes, s’agissant notamment de la problématique de la pollution des sols, avec le chlordécone aux Antilles et le mercure en Guyane.

Il y a pourtant urgence à agir pour l’outre-mer, au moment où l’Europe semble nous abandonner. En effet, la Commission européenne doit entériner aujourd’hui même un accord européen de libre-échange avec le Pérou et la Colombie, accord qui constitue une menace grave pour nos principales productions agricoles, c'est-à-dire les cultures maraîchères et vivrières, le sucre, le rhum et la banane.

Cet accord pénalisera donc largement nos agricultures déjà fragilisées. De plus, nous craignons qu’il ne soit étendu ultérieurement à l’ensemble des pays d’Amérique latine. Au regard de nos préoccupations sociales et environnementales, dans quelle mesure le gouvernement français défend-il nos intérêts face à la Commission européenne ?

Monsieur le ministre, nous souhaitons que la France s’engage pour les territoires ultramarins, aux échelons tant national qu’européen, à défendre l’agriculture et la pêche, secteurs cruciaux pour nos économies.

Vous ne pouvez pas ignorer la fragilité du secteur agricole outre-mer, encore trop dépendant des filières traditionnelles, comme la canne et la banane. Ces productions méritent notre soutien et un accompagnement dans la diversification des cultures.

Vous ne pouvez pas non plus ignorer la faiblesse de la couverture des besoins alimentaires locaux et notre dépendance commerciale à l’égard de l’Europe !

Nous ne cessons de le répéter, si la richesse de la faune et de la flore est indéniable dans toutes nos régions d’outre-mer, nos ressources naturelles sont insuffisamment exploitées et valorisées.

Ces secteurs sont fragiles et connaissent de lourdes difficultés, marquées par des retards importants en matière d’infrastructures et par de nombreux freins à leur développement. Je pense, notamment, aux difficultés d’accès au crédit, à la rareté du foncier, à la faiblesse de la recherche développement, aux limites en matière de formation, notamment pour la pêche, et au manque d’organisation des filières.

Nous pourrions continuer la liste de nos handicaps et des solutions à y apporter, conformément au rapport de la mission sénatoriale et aux documents du Conseil interministériel de l’outre-mer.

Monsieur le ministre, pourquoi ne pas intégrer de telles mesures dès aujourd’hui dans le présent projet de loi, afin de respecter les engagements du Président de la République et de favoriser un véritable développement endogène des outres-mers ? Les amendements que mes collègues et moi-même avons déposés vont dans ce sens. J’espère que vous y porterez un intérêt particulier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi arrive en discussion au moment où l’agriculture traverse, nous le savons tous, une grave crise.

Ce texte apportera-t-il des solutions aux agriculteurs ? Ces derniers seront très attentifs aux mesures qui seront décidées par le Parlement. Nous avons, à cet égard, mes chers collègues, une grande responsabilité.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé que vous attendiez beaucoup du Parlement pour enrichir ce projet de loi. Vous ne manquerez donc pas d’accepter les nombreux amendements que nous avons déposés et qui répondent aux attentes du monde agricole.

En tant que président du groupe d’études de l’élevage, mon intervention portera principalement sur les problèmes liés à ce secteur.

Je ferai d’abord un constat. Le commerce extérieur des viandes a diminué fortement, non seulement avec des pays tiers, mais également, de façon plus prononcée, avec les membres de l’Union européenne. Notre cheptel ovin a perdu près de 3 millions de têtes. Aujourd’hui, c’est notre troupeau bovin qui enregistre à son tour une baisse importante de ses effectifs. Enfin, dans le secteur porcin, nous avons acheté à l’Allemagne 17 000 tonnes de porc de plus que ce que nous lui avons vendu.

M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !

M. Gérard Bailly. Cette production souffre des particularités territoriales, comme des fluctuations de prix, en raison, me semble-t-il, non pas d’un manque de technicité des éleveurs, mais plutôt d’une insuffisante rentabilité de la profession, qui doit s’acquitter, j’insiste sur ce point, d’une forte présence journalière.

Ce projet de loi suffira-t-il à changer les choses ? C’est ma question, c’est notre question.

Certes, il apportera des améliorations grâce à un certain nombre de mesures. Je pense à la contractualisation pour les productions vendues, à l’assurance récolte destinée à répondre aux difficultés du secteur herbager. Je pense également à la reconnaissance et à la mise sur le marché des produits locaux, via des circuits courts, ou au contrôle des marges.

Néanmoins, le fossé entre la situation actuelle et l’objectif à atteindre est si profond que les mesures prévues dans le projet de loi ne suffiront pas, je le crains, à le combler totalement.

Pourtant, monsieur le ministre, je reconnais la détermination dont vous faites preuve sur le plan national comme sur le plan européen.

De même, je salue le travail immense réalisé par nos rapporteurs, qui ont auditionné pas moins de deux cent trente-trois personnes. C’est un record ! Il témoigne de l’importance de l’effort de préparation qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, c’est grâce à une meilleure répartition du prix des produits alimentaires entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs que l’on trouvera une partie de la réponse.

Mais elle ne suffit pas. Il importe également de cesser de charger continuellement « la barque » des exploitations agricoles par l’augmentation des charges, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Raffarin voilà quelques instants.

Il faut aussi mettre un terme aux contraintes quotidiennes croissantes des éleveurs, Aymeri de Montesquiou l’a souligné. Les règles franco-françaises allant au-delà des normes communautaires ou plus strictes que celles en vigueur dans les autres États membres augmentent les coûts de production, les salaires et les charges sociales, et ce dans tous les secteurs, social, environnemental, sanitaire, celui des transports, ce qui nous fait perdre de la compétitivité, sans parler des services de proximité de l’État, qui n’ont pas toujours les méthodes de contrôle souhaitables.

Monsieur le ministre, l’élevage aura besoin de crédits, vous le savez. Je veux bien qu’il soit question du bien-être animal, mais je ne souhaite pas que l’on oublie pour autant le confort humain.

M. Gérard Bailly. Les éleveurs ont besoin de bâtiments d’élevage pratiques et adaptés à leurs utilisations, qu’il s’agisse de la traite, de l’évacuation des fumiers ou de l’enfourragement. Cela nécessite des politiques de subventions d’investissement significatives si l’on reste aux prix actuels.

Voilà quelques jours, vous nous avez dit que les éleveurs allemands pouvaient se contenter d’un prix bas du lait parce qu’ils étaient également producteurs d’énergie.

Que de chemin nous reste-t-il à parcourir ! La route sera longue pour utiliser les lisiers, le fumier pour la biomasse, tirer parti des toits pour l’énergie solaire, exploiter les céréales de manière plus significative pour les biocarburants. Là encore, les accompagnements financiers devront être importants.

Le projet de loi apportera-t-il une réponse à la hauteur de ce challenge pour que nos élevages soient producteurs d’énergie ?

L’élevage, plus que tout autre secteur dans le domaine agricole, devra être particulièrement adaptable à l’adéquation entre production et consommation. En effet, de nombreux produits sont tributaires des conditions climatiques : par exemple, le secteur laitier et fromager enregistre des fluctuations de prix importantes pour peu que la production varie d’un infime pourcentage au-dessus ou en dessous d’un point donné.

Tous les mécanismes de régulation prévus dans ce projet loi doivent permettre une telle adéquation, avec des adaptations régionales.

Par ailleurs, nous devons amplifier nos efforts en matière de recherche, d’élaboration de nouveaux produits alimentaires et d’amélioration du patrimoine génétique, tout en veillant sans cesse à la qualité sanitaire de nos produits.

La France est particulièrement bien placée dans ce domaine, et elle doit le rester ! C’est pourquoi je défendrai avec insistance tous les amendements qui iront dans le sens de l’étiquetage, principalement des lieux de production des produits alimentaires.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Gérard Bailly. En si peu de temps, je ne peux évoquer tous les problèmes de l’élevage français.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, nous devons veiller ensemble à ce que ce secteur puisse absolument retrouver sa compétitivité sur le plan européen, cela a été souligné, afin d’éviter, au moins, les distorsions de concurrence.

Il ne faudrait pas que nous en arrivions dans les prochaines décennies à importer nos produits alimentaires d’Amérique du Sud, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, des États-Unis, voire de pays plus proches tels que l’Allemagne ou l’Espagne. Voyant nos montagnes et nos pâtures vides d’animaux, nos concitoyens comprendraient alors quel fut le rôle des éleveurs en France au début du xxie siècle. Ce serait une belle histoire sans retour !

Il nous revient, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’empêcher que ce scénario ne se réalise ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, monsieur le ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, malgré tous les satisfecit entendus depuis le début de l’après-midi, s’élabore dans la douleur et l’approximation !

Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement sachant que l’agriculture française traverse une crise sans précédent, qui justifie des mesures urgentes pour répondre aux attentes des agriculteurs, dont certains connaissent des situations dramatiques ?

Dans le même temps, monsieur le ministre, vous prétendez, au travers de ce projet de loi, faire changer notre agriculture d’époque pour lui permettre d’affronter les enjeux du xxisiècle.

La procédure accélérée qui a été choisie devait, à vos yeux, répondre à cette double exigence ; mais l’expérience prouve, une fois de plus, qu’il s’agit d’une mission impossible ! Les sénatrices et sénateurs que nous sommes sont bien placés pour le savoir !

Il en résulte une confusion des genres : le texte initial du Gouvernement a été malmené par votre propre majorité au cours d’une discussion où, comme à son habitude, le chef de l’État s’est invité à distance en se lançant dans des initiatives et des prises de position – ce fut encore le cas hier – dont il a le secret et qui ne sont pas de nature à rendre crédible une démarche de fond. Il aurait fallu faire preuve de sérénité et afficher une volonté politique claire.

Pourtant, vous avez, à de nombreuses reprises, évoqué l’idée d’une production agricole où la demande ne serait plus soumise à l’offre, mais où, au contraire, l’offre serait modulée par rapport à la demande.

Nous ne pouvions que nous en réjouir. Malheureusement, l’évolution du texte que nous étudions aujourd’hui rend la portée et la cohérence de vos intentions plus que discutables. Vous subissez, monsieur le ministre, cela a déjà été souligné, la pesanteur des choix idéologiques de vos prédécesseurs, qui ont été les champions de la dérégulation et les tenants de la loi du marché.

Cet héritage est lourd et difficile à porter. Il vous empêche de faire réellement « bouger » les choses, comme vous le souhaiteriez, alors que le consommateur et le producteur ont un besoin vital de se voir clairement proposer des solutions durables.

C’est ainsi que le titre Ier du projet de loi se trouve, d’une certaine façon, disqualifié, alors qu’il a pour objet de « Définir et mettre en œuvre une politique publique de l’alimentation ». De notre point de vue, il ne se préoccupe pas assez d’engager une politique économique au bénéfice des populations les plus fragiles et les plus exposées à la crise.

Une politique de l’alimentation, qui prétend « assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité nutritionnelle, produite dans des conditions durables » en négligeant de s’adjoindre un volet social, est vouée à l’inefficacité.

Il faut reconnaître, néanmoins, que la majorité de la commission a accepté, au titre Ier, trois amendements déposés par le groupe socialiste.

M. Gérard César, rapporteur. C’est bien !

M. Jean-Jacques Mirassou. Dans le même temps, mon cher Gérard César, les amendements que nous considérions comme les plus pertinents et les plus significatifs sur le plan social ont été rejetés ! La majorité a, par exemple, refusé que le texte mentionne l’accès des citoyens à une alimentation sûre et de qualité, dans des conditions économiquement acceptables pour tous. Transformer l’Observatoire des prix et des marges en un outil réellement opérant constitue pourtant un enjeu essentiel !

Les intervenants précédents l’ont dit, nos travées sont occupées par nombre de spécialistes en matière d’agriculture, qui ont tous à cœur de défendre leur territoire et leur production.

Pour ma part, j’évoquerai le consommateur, dont il n’a pas été suffisamment question et qui devrait rester au centre des préoccupations de chacun.

Je me référerai à deux indicateurs que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et que j’ai cités à de multiples reprises en commission.

Tout d’abord, quelle que soit la variation à la baisse de la rémunération des producteurs de lait ou de porc, les prix à l’étal ne diminuent jamais.

Ensuite, l’explosion du prix du blé voilà trois ou quatre ans a entraîné, parfois par anticipation, une augmentation très sensible du prix du pain. Aujourd’hui, le prix du blé a considérablement chuté. Pour autant, le prix du pain est resté au même niveau.

Ces deux indicateurs sont présents dans l’esprit des 65 millions de consommateurs que compte notre pays. Tant que ces données n’auront pas été modifiées de façon à les rendre plus raisonnables, donc plus admissibles aux yeux de l’opinion publique, ni vous ni nous n’aurons rempli notre mission.

Le consommateur s’intéresse rarement au mécanisme qui fait évoluer les prix de manière parfois exponentielle entre le stade du producteur et lui-même. Son souci, à lui, est de débourser la somme voulue pour acheter des produits de première nécessité.

Au travers de ces deux exemples précis et connus de tous, on peut se rendre compte que beaucoup reste à faire pour revenir à une situation normale.

Pourtant, nous sommes nombreux à être persuadés que, compte tenu des atouts de notre agriculture, il n’est pas illusoire, bien au contraire, d’envisager une réforme qui pourrait concilier les intérêts des deux bouts de la chaîne, c'est-à-dire ceux du producteur, auquel il importe de garantir des revenus décents et des perspectives d’avenir, et ceux du consommateur, qui a le droit de revendiquer des produits de qualité à des prix raisonnables.

Au moment où s’ouvre ce débat, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux pas cacher mon scepticisme, voire mon pessimisme, par rapport au texte qui nous est soumis.

J’en profite également pour souligner que les agriculteurs du Sud-Ouest, particulièrement ceux de la Haute-Garonne, généralement de petits exploitants, ne peuvent pas non plus se reconnaître dans ce projet de loi.

J’espère néanmoins que la suite du débat nous permettra d’évoluer dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la protection du foncier agricole est devenue aujourd’hui un enjeu majeur.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle revêt une urgence de plus en plus grande dans la mesure où, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pas moins de 200 hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour en France.

Vous me permettrez d’insister tout particulièrement sur la protection du foncier forestier. En effet, ce dernier subit une pression très forte depuis la dernière tempête, ce qui peut laisser présager des conséquences environnementales regrettables, notamment pour la région Aquitaine, alors que le « Grenelle de l’environnement » vient d’ouvrir de réelles perspectives pour la filière bois.

On ne peut nier le caractère de service public de l’investissement forestier et tout doit être fait pour maintenir l’intégralité du massif forestier aquitain, puits à carbone et pompe à eau. Vous le savez, monsieur le ministre, après deux graves tempêtes en dix ans, les sylviculteurs du Sud-Ouest ont réellement besoin d’être convaincus de reboiser.

Le plan de soutien que vous avez mis en place a bien prévu des aides pour la valorisation du bois arraché et le reboisement, mais pas de compensation pour les pertes d’exploitation ; or, la forêt n’est pas assurée. Autrement dit, les sylviculteurs devront attendre quarante ans pour voir repousser un revenu futur. Quelles sont les professions qui disposent d’une trésorerie suffisante pour attendre aussi longtemps ? En même temps, le reboisement continu est absolument nécessaire pour maintenir les flux qui conditionnent l’existence de l’industrie du bois.

Les sylviculteurs ne sont pas des quémandeurs, monsieur le ministre ! Faut-il encore rappeler que 45 millions de mètres cubes de bois ont été abattus le 24 janvier 2009, soit l’équivalent de cinq années de production dans le massif forestier des Landes de Gascogne ? Ces volumes sont gigantesques et il faut une foi à toute épreuve pour envisager encore un avenir dans cette profession !

Faut-il également rappeler que les cours ont chuté de 80 % à 90 % après la tempête de l’an dernier, en raison de la crise financière qui a suivi, et que les prêts bonifiés mis en place pour financer le stockage des bois ont été un échec, les banques ayant hésité à prêter à des exploitations en difficulté ?

La mise en place d’un fonds assurantiel pour la forêt, réclamée après les tempêtes de décembre 1999, est donc devenue aujourd’hui incontournable si nous voulons conserver à nos massifs forestiers leur capacité à produire du bois et à alimenter une industrie. Monsieur le ministre, vous nous avez dit y être favorable, et nous nous en félicitons !

Le Sénat, et notamment sa commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, a en conséquence pris l’initiative d’introduire dans le projet de loi de modernisation de l’agriculture un article additionnel visant à créer un « compte épargne d’assurance pour la forêt », associé à une incitation à la souscription d’une assurance contre le risque de tempête. Ce dispositif s’appuie sur les travaux de la commission sur l’assurance du risque de tempête sur les forêts qui a rendu ses conclusions en février.

Je ne reviendrai pas sur les détails de cet article, qui sera inséré après l’article 16 et que la commission de l’économie a déjà adopté à l’unanimité. Sur ce point, je tiens à rendre hommage au rapporteur de la commission, notre excellent collègue Gérard César, qui n’a pas ménagé sa peine pour aboutir à cette solution à laquelle, bien évidemment, j’apporte mon entier soutien.

Je me permettrai, toutefois, de proposer quelques amendements visant à préciser la particularité de l’activité forestière, afin que cet article 16 bis réponde au mieux aux attentes de la profession.

En conclusion, j’ai plaisir à souligner que le discours du Président de la République à Urmatt, il y a un an, était porteur d’une nouvelle et grande ambition forestière. N’a-t-il pas rappelé que la valorisation du bois de nos forêts était stratégique pour la lutte contre le réchauffement climatique, pour l’avenir de nos territoires ruraux et pour notre économie ?

Aussi, au bénéfice de ces explications, je vous demande avec insistance, monsieur le ministre, de ne pas laisser passer l’occasion que nous offre aujourd’hui la loi de modernisation de l’agriculture ; les sylviculteurs du Sud-Ouest ne le comprendraient pas. Vous avez réglé le problème des ostréiculteurs du bassin d’Arcachon, j’ai plaisir à le rappeler à cette tribune et à vous en remercier encore ; donnez également aux sylviculteurs l’assurance qu’ils s’engagent dans le cadre d’une politique forestière durable ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fauconnier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contexte : il saute aux yeux. Notre assemblée sait mieux que d’autres l’enjeu que représente l’agriculture pour notre espace rural et nos régions.

Je voudrais rapidement attirer votre attention sur trois points particuliers, monsieur le ministre.

Le premier a trait au renforcement de la compétitivité de l’agriculture française. Sur ce sujet, le projet de loi, en l’état actuel, apporte une réponse qui me semble partielle et partiale : l’agriculture n’est pas abordée dans sa diversité, laissant imaginer qu’il n’existe qu’un seul modèle, celui de l’échange macro-économique avec la dureté de ses rapports. C’est oublier une autre agriculture, dont l’espace des échanges est beaucoup plus modeste et dont la finalité ne peut se limiter aux seuls aspects de la production et de la concurrence internationale : c’est l’agriculture de la qualité, de la proximité, de la confiance. Cette agriculture attend certes une juste rémunération par le prix du produit, mais également une reconnaissance économique de son rôle sociétal au sein de son espace. Elle n’attend rien du seul « tout-marché », elle a même tout à en craindre !

Qu’y a-t-il de commun entre un producteur laitier des Hautes-Pyrénées qui produit 150 000 litres par an et un agriculteur d’un département laitier de plaine qui en produit 500 000 ou, pis encore, avec les « usines à lait » de l’Europe du Nord ? Certes, la réponse économique n’est pas facile mais, si l’on n’instaure pas plus de solidarité, de péréquation et de régulation, le « toujours plus de marché » et son système dominant feront la sale besogne aboutissant à la disparition silencieuse de milliers d’exploitations, avec les conséquences qui s’ensuivront pour nos villages, nos paysages, nos espaces qui se ferment, nos emplois…

Vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont connu les mêmes clivages entre les grandes exploitations du Nord et les petites et moyennes exploitations du bocage, du Midi, de la Bretagne et de la montagne, les uns demandant que leur situation soit confortée, les autres qu’un avenir leur soit ouvert. Cinquante ans après, peu de choses ont changé conceptuellement, si ce n’est le développement de la mondialisation.

Il y a donc urgence à établir une véritable approche régionale, comme l’ont fait tous nos partenaires européens. (Mme Odette Herviaux manifeste son approbation.) La loi, en ce domaine, conserve une approche axée sur l’État central, qui croit pouvoir tout faire ou fait semblant de le croire.

Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les moyens. Monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont eu à assumer de grands bouleversements dans le secteur agricole, mais ils s’étaient donné les outils et les moyens de leur politique. Je sais que vous n’aimez pas que l’on aborde la question des moyens et vous avez le mérite de la franchise !

Vous savez le rôle qu’a joué l’enseignement agricole dans la modernisation de notre agriculture, grâce la vulgarisation agricole, au travers de son maillage de techniciens et d’ingénieurs. Vous savez encore le rôle qu’ont joué les fonctionnaires de votre ministère dans les départements et dans les régions. Il vous reste quelques minces troupes, écrasées par la tâche, croulant sous la réglementation, pour la plupart d’entre eux vacataires, contractuels démotivés, otages de la RGPP. Il ne se passe pas un jour sans qu’une structure utile vienne frapper à la porte de la région ou du département pour se faire payer, ici un technicien, afin d’éviter son licenciement, là une subvention, pour mener à bien ses actions. Telle est la dure réalité du contexte dans lequel vous allez devoir mettre en œuvre votre loi !

Mon troisième point porte sur le pluralisme. Je suis élu du bassin de production du Roquefort : l’organisation interprofessionnelle y est donnée comme exemplaire. Nous y avons connu l’époque du refus de la diversité et de la défense intenable du monopole syndical dans l’interprofession. Puis, face à l’arrivée d’un grand groupe industriel représentant 80 % de la transformation, le bon sens l’a très vite emporté. Aujourd’hui, le syndicat majoritaire et la minorité travaillent de concert et dégagent des consensus pour affronter le géant de l’agroalimentaire avec quelque succès.

La recherche de l’unité dans la diversité est toujours plus efficace que le monopole syndical, taxé de tous les maux et, en fin de compte, à tort ou à raison, de toutes les compromissions. Alors, il faut que votre projet de loi sorte enfin des faux-semblants sur ce sujet.

Je conclurai sur ce témoignage d’Edgard Pisani, qui écrivait en 2004 : « J’ai été quant à moi productiviste... hier. Cela répondait à des exigences. Je n’en ai pas de regret. J’ai la hâte obsédante de voir naître d’autres accomplissements : il nous faut intégrer toutes les variables, assumer les nouvelles complexités : participer à la civilisation moderne, contribuer aux équilibres économiques nationaux, offrir un véritable avenir aux sociétés “paysannes”, sauvegarder la nature et animer l’espace rural, venir à bout de la faim qui accable des centaines de millions d’êtres, assumer, poursuivre le progrès en le passant au filtre d’une sagesse nouvelle. »

Monsieur le ministre, cinquante ans après votre prédécesseur, vous devez relever les mêmes défis. Certes, vous arrivez au pire des moments pour l’agriculture, alors que l’Europe agricole, qui a fait notre prospérité et devrait être notre avenir, doute d’elle-même. Je crains que, malgré votre talent, les remèdes contenus dans votre projet de loi ne suffisent pas à redonner à une profession qui a perdu tout espoir l’espérance en des jours meilleurs. Les débats à venir nous montreront si nous pouvons améliorer cette situation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)