Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise affecte durement, depuis plus d’un an, toutes les filières de l’agriculture française. Elle ne doit cependant pas nous occulter l’évolution, voire la mutation préoccupante de la dernière décennie.

À titre d’exemple, la diminution du nombre d’exploitations au niveau national, en moyenne de 19 300 par an de 2000 à 2005, s’est accélérée de 2005 à 2007, passant à 30 000 disparitions annuelles. Aujourd’hui, la simple observation locale des conséquences de la crise que nous traversons montre que le phénomène s’est amplifié et que la concentration se poursuit.

Concernant la crise elle-même, l’analyse est largement partagée. L’Europe, initialement ambitieuse dans la place accordée à l’agriculture, s’est détournée de ce qui était alors sa priorité, renvoyant aux États sa gestion courante. L’idée selon laquelle les marchés s’autorégulent dans l’harmonie, dont on perçoit aujourd’hui la naïveté, a placé les producteurs en position de faiblesse.

Quelles ont été les conséquences de la loi de modernisation de l’économie au plan national ? Qui a bénéficié de son application? On peut déjà affirmer que ce ne sont ni les producteurs ni les consommateurs !

C’est dans ce contexte, régi par la crise conjoncturelle, que le Président de la République a annoncé le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

C’est un projet de loi composite, abordant de nombreux sujets, qui se justifie par les réponses ponctuelles qu’il apporte à une profession terriblement ébranlée. C’est un projet de loi de temporisation également, en attendant 2013 avec la réforme de la PAC et 2015 avec la fin des quotas laitiers.

La LMAP est une réponse dictée par les circonstances aux attentes d’une profession désormais sans perspectives.

La commission de l’économie a procédé à de nombreuses auditions. De même, dans nos régions, nous avons noué des contacts avec des représentants professionnels de toutes sensibilités syndicales.

Nous pouvons en tirer un constat : tous jugent le cadre européen pertinent, nécessaire, voire indispensable pour l’avenir de l’agriculture. Ils font également état de l’urgence qui existe à mettre en place des règles d’équité véritablement communes et rétablissant l’égalité des chances entre les producteurs.

Il faut croire que cette nécessité est réelle et urgente puisque le Président de la République en personne s’est déclaré prêt à soutenir une épreuve de force sur le sujet.

Cependant, dans l’immédiat, qu’attendent les agriculteurs ? Ils souhaitent des prix suffisamment rémunérateurs pour assurer l’équilibre économique des exploitations ; leur stabilité et la lisibilité dans la durée, seul moyen de faire des choix de gestion sans avoir le sentiment de jouer au casino ; l’équité dans les rapports commerciaux au sein des filières, car l’asymétrie est évidente. La variable d’ajustement est toujours la production, au bénéfice de la distribution.

Le cœur de ce projet de loi est donc le titre II consacré à la compétitivité, clé de voûte de la régulation vue par le Gouvernement.

J’aborderai en premier lieu la contractualisation qui, c’est le moins que l’on puisse dire, soulève à juste titre les interrogations des agriculteurs. La crainte existe qu’elle puisse déboucher sur l’intégration. Une inquiétude s’exprime également sur la nature du transfert de propriété induite et son extension possible aux droits à produire.

Par exemple, quelle sera la nature exacte de l’obligation d’un industriel à contractualiser ? Dans la perspective de la suppression des quotas, sur quels volumes porteront les contrats ? Qu’adviendra-t-il après 2015 ? Autre grande question : le contrat prévoira-t-il que soit incluse dans les coûts de production la rémunération du producteur ? Quels moyens d’arbitrage seront mis en place pour régler les conflits ?

L’État est attendu sur les moyens qu’il entend se donner afin de veiller au respect de l’équilibre entre les contractants. Enfin, il importe que le contrat soit collectif et non pas individualisé.

Le renforcement des organisations de producteurs est le deuxième point que je souhaite aborder. Si sur le principe personne ne s’y oppose, c’est sur leur organisation, leurs compétences et leur représentativité que portent les interrogations.

L’exemple suisse justifie de telles inquiétudes. Dans ce pays, depuis la fin du système des quotas en 2009, les organisations de producteurs se livrent à une concurrence effrénée. Incapables de parvenir à un accord, elles produisent désormais des volumes de lait supérieurs aux besoins du marché, provoquant par là même la baisse des prix payés aux producteurs. Dans ce contexte, les organisations interprofessionnelles s’avèrent à leur tour incapables d’arbitrer les conflits.

Il convient donc de placer les organisations de producteurs au niveau pertinent que constituent les bassins de production, mais également d’introduire le pluralisme syndical dans les différentes instances, seul moyen de les rendre incontestables.

Cette idée, sensée et évidente, fait son chemin dans les esprits. Le moindre des paradoxes ne serait pas que ce qui se pratique partout ailleurs dans le fonctionnement des relations sociales soit considéré comme non applicable à l’agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Il en va de la crédibilité de votre démarche auprès de tous les agriculteurs !

Une dernière question, qui n’est pas sans conséquences, doit également trouver une réponse. Il apparaît en effet que le regroupement des producteurs, même à un stade modeste, serait de nature à contrevenir aux textes législatifs relatifs aux pratiques anticoncurrentielles.

Cela peut prêter à sourire quand on connaît la puissance des cinq ou sept centrales d’achat des principaux groupes de la grande distribution en France. « Selon que vous serez puissants ou misérables… », serait-on tenté de dire !

S’il y a lieu de réglementer, sans doute est-ce du côté de cette concentration anormale du pouvoir économique qu’il faudrait faire porter la vigilance et la rigueur des textes.

Par ailleurs, l’assurance aléas, qu’ils soient climatiques ou sanitaires, consiste à renvoyer au secteur privé la mission d’indemniser les producteurs et, en définitive, à exonérer l’État du rôle qui devrait être le sien. À cet égard, il existe un risque évident de disparité dans le traitement des situations.

Le récent épisode neigeux en Centre Bretagne, qui a touché plus de 1 000 exploitations agricoles, a démontré le caractère variable des réponses apportées par les assureurs.

Sauf à remettre les politiques publiques au centre du jeu, on peut s’interroger sur l’inégalité de traitement qui résulterait de ces propositions.

L’Observatoire des prix et des marges est un instrument utile à la compréhension des rapports économiques au sein des filières, de la production jusqu’à la distribution. Je ne doute pas de l’utilité de sa mise en place ; il conviendra cependant de lui donner des moyens réels de fonctionnement et d’investigation, ainsi qu’une indépendance qui rendra ses rapports incontestables.

Il importe également de connaître l’usage qui sera fait des travaux de l’observatoire. En effet, une chose est de comprendre, une autre est d’agir !

Quelles mesures seront prises, dans le cas, d’ailleurs probable, où des dysfonctionnements ou des anomalies seraient constatées ? Il a été rapporté à la commission une information selon laquelle, alors qu’une centrale d’achat a été condamnée pour abus de position dominante, la décision de justice n’a jamais été appliquée.

Certes, l’établissement d’un rapport par l’observatoire sera intéressant, au même titre que la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, mais il sera sans doute suivi de peu d’effets si l’on en reste là.

Sur le sujet, stratégiquement essentiel, de l’installation des jeunes agriculteurs et de leur accès au foncier, le projet de loi est singulièrement muet. Dans ce domaine, le constat est éloquent et sans appel : il n’y a plus de gestion du foncier agricole.

M. Yannick Botrel. Depuis 2006, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture, les CDOA, dans leur section « structures », ont été vidées de leur contenu et de leur raison d’être : désormais, le contrôle de la plupart des transferts de foncier leur échappe. De surcroît, un usage habile des formes sociétaires d’exploitations permet, par la substitution de l’un des membres, de contourner davantage encore les contrôles.

Mme Odette Herviaux. Tout à fait !

M. Yannick Botrel. Il en résulte une nouvelle concentration des moyens de production au détriment des jeunes qui cherchent à s’installer ou des exploitations en dessous du projet agricole départemental. Dans ce domaine, il faut protéger la profession d’elle-même et de certains comportements. Sur ce sujet, votre parole est attendue, monsieur le ministre.

Mes chers collègues, le modèle agricole qui a été construit est désormais hors de tout contrôle ; aujourd'hui, il dévore les producteurs.

Au-delà de cette constatation, à laquelle on ne peut bien entendu se résoudre, je tiens à dire avec force, avec les membres du groupe socialiste, que nous sommes attachés à la taille humaine des exploitations, que l’agriculture ne peut pas être mise au rang d’une activité économique banale et que, à ce titre, elle doit être organisée et régulée, et, enfin, que sa fonction consiste non seulement à produire, mais aussi à contribuer à la gestion des espaces et des territoires ruraux, dont elle constitue bien souvent la dernière activité économique.

Tel est, monsieur le ministre, le sens de notre engagement dans ce débat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, je serai donc bref afin de nous faire gagner du temps. Nous partageons tous dans cette enceinte le même constat : la situation de l’agriculture est grave.

Permettez-moi, monsieur le ministre, puisque vous le connaissez bien, de vous parler un peu du département du Gers, où se cumulent tous les problèmes qui ont été évoqués et où, en outre, un certain nombre de dérèglements climatiques ont entraîné des situations extrêmement graves, au point que le revenu des agriculteurs gersois est inférieur au RMI pour près de 40 % d’entre eux et au SMIC dans 55 % des cas. Vous l’avez compris, dans le Gers, le bonheur n’est plus dans le pré ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Mirassou. En Haute-Garonne non plus !

M. Raymond Vall. En effet, mon cher collègue !

Cette situation ne peut perdurer. Tout a été dit sur le poids de l’agriculture dans l’économie, les difficultés du secteur agroalimentaire, les chiffres correspondants.

Pour ma part, j’insisterai sur le problème de la sécurité alimentaire. Cela a été dit, un certain nombre de décisions permettront, notamment, d’assurer une meilleure traçabilité, de faciliter le contrôle, de décerner des labels. Le problème de l’obésité a été évoqué,…

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est un problème majeur !

M. Raymond Vall. … problème certes majeur, monsieur le ministre, mais il faut peut-être avoir le courage d’aller plus loin.

D’autres problèmes existent également. Dans un territoire comme le nôtre, qui compte trois pôles de compétitivité, s’agissant de la sécurité alimentaire, nous pourrions créer une solidarité entre le consommateur et le producteur.

Le pôle de compétitivité Agrimip Innovation, présidé par Alain Chatillon, a réalisé, en relation avec le pôle cancer-bio-santé, des études accablantes sur certains produits arrivant en France et suspectés, au vu des données statistiques, d’être à l’origine de maladies bien plus graves que l’obésité.

Des réponses à ce grave problème de la sécurité alimentaire devront être recherchées, en concertation notamment entre le ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche et celui de la santé et des sports.

D’une manière plus générale, comment se positionner par rapport à ce texte ? Nous en sommes tous convaincus, des solutions doivent être trouvées pour adapter l’agriculture à notre temps et pour sauver les agriculteurs dans l’attente de jours meilleurs. Dès lors, voter contre ce texte reviendrait à repousser des mesures importantes.

Tout d’abord, les relations entre le secteur de la distribution et les agriculteurs sont insuffisamment développées. C’est d’ailleurs étrange, car, sur mon territoire, la grande distribution a accepté de réduire ses marges pour raconter une histoire, celle du commerce équitable ! (M. Jean-Jacques Mirassou rit.)

Je n’ai rien contre le commerce équitable – ma ville compte d’ailleurs quatre-vingts emplois dans ce secteur –, mais je ne comprends pas que la grande distribution réduise d’elle-même ses marges dans un souci humanitaire pour venir en aide aux populations concernées des pays en voie de développement et que, dans le même temps, il faille la contraindre pour qu’elle accepte de sauver les agriculteurs de nos territoires ! Or la situation est si grave en France que les agriculteurs sont désespérés, pour ne pas dire plus. Nous allons peut-être devoir faire face à des actes irréparables. C’est pire que du désespoir !

Sur ce point, notre groupe attend de savoir comment vous allez recevoir nos amendements pour prendre position.

Ensuite, j’évoquerai les filières courtes. Aujourd'hui, certaines situations sont ridicules. Parmi les nombreux exemples, je citerai celui des mandarines qui remontent par bateau jusqu’à Paris avant de revenir, le cas échéant, en Corse ! De même, 80 % de la viande consommée dans la capitale régionale provient de l’extérieur de la région.

Monsieur le ministre, vous venez de vous engager à modifier le code des marchés publics afin de favoriser les filières courtes. Cet engagement devra se traduire de manière concrète avant la fin de la discussion de ce texte. C’est important, car la meilleure manière de sauver les agriculteurs ou de leur donner un peu d’espoir, c’est non pas de leur verser des aides à titre de compensation, mais de leur permettre d’écouler immédiatement leurs produits sur des marchés concrets qui préservent leurs marges.

Enfin, je souhaiterais que l’on réfléchisse aussi à de nouveaux instruments de type crédit d’impôt carbone pour certaines filières. Il faut en faire bénéficier l’agriculture. Un certain nombre d’initiatives sont déjà engagées. Un pôle d’excellence rurale, appelé pôle d’expérimentation et d’application des techniques satellitaires, ou PATS, que M. le rapporteur Gérard César est venu visiter, est prêt à se lancer dans une expérimentation qui permettrait à certaines filières de bénéficier de ce dispositif. Monsieur le ministre, nous savons que vous vous battez sur ce dossier, qui n’est pas facile.

Au total, le projet de loi qui nous est soumis comporte des points positifs. Néanmoins, le groupe RDSE attendra de connaître le sort qui sera réservé à ses soixante-cinq amendements avant de prendre position sur l’ensemble du texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Leroy. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail accompli par MM. les rapporteurs, mais aussi le vôtre, monsieur le ministre, et, en particulier, votre affirmation selon laquelle l’agriculture reste l’une des grandes spéculations économiques du monde de demain.

M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui ! On mangera toujours…

M. Philippe Leroy. Même le Mosellan que je suis, originaire d’une terre d’industrie, partage cette conviction. En Moselle, territoire de la sidérurgie et du charbon, qui compte plus d’un million d’habitants, l’agriculture reste une spéculation économique d’avenir. C’est dans ce cadre que nous devons réfléchir à la future PAC.

Je commencerai par évoquer les circuits courts. Ils sont importants, car ils permettent de commercialiser les produits agricoles sans recourir aux intermédiaires traditionnels. Le volume de production agricole susceptible de passer par ces circuits est appelé à se développer.

Pour ma part, en tant que président d’une collectivité locale, je suis prêt à vous suivre, monsieur le ministre, pour expérimenter dès que possible, avec d’autres collectivités, la meilleure façon de faire entrer les produits agricoles mosellans ou lorrains dans les cent collèges de mon département,…

M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui ! C’est important.

M. Philippe Leroy. … ainsi que dans les cent dix maisons de retraite, où des milliers de repas sont servis quotidiennement, ce qui est phénoménal. Puisque nous disposons de nos propres cuisines, il n’y a pas loin de la coupe aux lèvres ! Il est donc possible aujourd'hui de passer à l’expérimentation des circuits courts en grandeur réelle. Nous vous remercions, monsieur le ministre, de nous faciliter les choses en modifiant le code des marchés publics.

J’en viens maintenant au thème principal de mon intervention, la forêt, qui a été qualifiée tout à l'heure de belle endormie.

Elle est belle, parce qu’elle a reçu beaucoup de soins pendant des siècles et qu’elle a bénéficié d’investissements colossaux depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le Fonds forestier national, qui a malheureusement été supprimé pour des raisons que je n’ai toujours pas comprises, a permis de traiter plus de cinq millions d’hectares au cours des cinquante dernières années.

Mais la forêt est également fragile, comme nous l’ont démontré les tempêtes.

Cela étant, elle est globalement en bon état.

Mme Évelyne Didier. Pour l’instant !

M. Philippe Leroy. C’est d’ailleurs le constat qui est fait par l’ensemble de nos partenaires s’agissant de la forêt française, comme de la forêt européenne de façon générale, en dépit des blessures qui ont été infligées à ces dernières.

L’ensemble des naturalistes reconnaissent que l’on peut sans danger demander plus de bois à la forêt sans compromettre ses fonctions écologiques. C’est là un point intéressant.

La forêt française couvre quinze millions d’hectares. On s’en soucie peu, mais elle représente tout de même 33 % du pays.

Or ce tiers du territoire national ne coûte pas cher au contribuable français ! (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Quand on donne deux centimes à la forêt, on a l’impression de donner beaucoup ; or, faites le compte, monsieur le ministre, mes chers collègues, la forêt ne coûte pratiquement rien.

Par ailleurs, on entend souvent dire que la forêt est complètement endormie. Permettez-moi d’objecter que la filière bois, forêt et industrie du bois, emploie aujourd'hui autant de salariés qu’il y a trente ans. Peu de secteurs réalisent une telle performance. En réalité, la forêt offre quantité de possibilités.

Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, mais le discours du Président de la République à Urmatt montre que les pouvoirs publics et le Gouvernement ont bien compris que l’on pouvait éveiller cette belle endormie, avec prudence s’entend.

Monsieur le ministre, les articles relatifs à la forêt dans le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche sont à mes yeux extrêmement intéressants. Je vous remercie d’avoir présenté les plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui constituent une innovation. Ils permettront de territorialiser une politique nationale. Cette proposition donne concrètement suite au discours du Président de la République.

À présent, permettez-moi d’évoquer la tempête de 1999 et d’aborder un problème grave. En effet, le Sénat n’a toujours pas reçu le rapport de l’administration forestière sur cette tempête. Or nous avons exigé l’an dernier de pouvoir disposer de ce rapport, car il devrait se révéler assez riche d’enseignements.

En lien, me semble-t-il, avec les services du ministère de l'agriculture et de la pêche, M. le rapporteur Gérard César a déposé un amendement très positif, auquel je tiens beaucoup, visant à instituer un compte épargne d’assurance pour la forêt. Sans un tel dispositif, nous ne pourrons pas disposer, dans les années à venir, des moyens de reconstituer des forêts abîmées par la tempête. Il s’agit donc là d’une grande avancée.

Monsieur le ministre, je sais que vous n’êtes pas opposé intellectuellement à une telle mesure. Pour ma part, je la défends ardemment. C’est la première réponse à apporter aux problèmes soulevés par la tempête.

Je terminerai en abordant un sujet que notre collègue Jean-Pierre Raffarin a également soulevé. Monsieur le ministre, pour que la mobilisation supplémentaire de bois, évoquée tout à l’heure, soit un succès, l’État doit reprendre toute son autorité en matière forestière. Sur ce point, votre administration est excellente, mais insuffisante. Les moyens dont vous disposez, à Paris comme en province, ne vous permettent pas de conduire une politique forestière responsable et respectueuse de la sylviculture.

L’agriculture moderne va revenir aux règles de l’agronomie, nous dit-on. Cette discipline, qui prône le respect des sols et des climats, représente l’avenir de l’agriculture. Étant moi-même agronome et naturaliste ardent, je suis fermement convaincu que, demain, la richesse agricole reposera sur ces techniques.

Il en va de même pour la sylviculture. Simplement, en France, nous sommes en train de l’oublier, car tout le monde aborde cette discipline de manière sectorielle, en se préoccupant de tel ou tel parasite du chêne ou de l’orme, de tel ou tel petit système d’alimentation en oligo-éléments, de tel ou de tel arbre…

Personne ne s’occupe plus de la gestion conceptuelle des grandes populations de forêt, de la sylviculture et de l’aménagement forestier ! Pourtant, compte tenu de tels enjeux, notre action en la matière se doit d’être conçue dans une perspective à vingt, à cinquante, voire à cent ans ! Mais aucun scientifique ne se préoccupe plus d’un tel sujet, pas même au sein de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, ou de l’Office national des forêts, l’ONF ! Depuis quelques années, il existe un formidable déficit de réflexion en matière forestière.

Monsieur le ministre, au-delà de la réflexion sur l’agronomie, soyez donc, et je vous y aiderai de toutes mes forces, l’artisan de la renaissance d’une école de sylviculture et d’aménagement forestier en France ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les problématiques de compétitivité et de revenu, voire de survie, réunissent aujourd’hui l’agriculture et la pêche françaises.

Au cours de leurs interventions respectives, mes collègues Daniel Soulage et Daniel Dubois viennent de fixer le cap et de présenter les mesures concrètes et cohérentes qu’il est impératif de prendre si nous voulons, ensemble, que le présent projet de loi permette aux agriculteurs d’exister encore demain grâce aux revenus de leurs productions, tout en assumant leur mission alimentaire et en poursuivant l’aménagement de notre territoire, dans une démarche de développement durable.

Pour ma part, je soulignerai les questions propres au secteur de la pêche, auquel le projet de loi réserve cinq articles, axés sur la modernisation de sa gouvernance.

La pêche connaît, elle aussi, des temps très difficiles, non seulement parce que les quantités débarquées entre janvier 2009 et janvier 2010 ont diminué de 15 %, mais également parce que ce secteur connaît une balance commerciale fortement déficitaire, à hauteur de 2,5 milliards d’euros.

Les Français consomment bien entendu une partie importante des 730 000 tonnes de poissons pêchés par la France, mais, en réalité, 85 % des poissons sur nos étals sont importés, notamment le saumon et le cabillaud.

Certes, le projet de loi n’a pas vocation à changer les habitudes de consommation. Mais nous nous intéresserons aux quelques dispositions qu’il prévoit pour la pêche.

Le secteur halieutique compte quelque 16 000 marins embarqués et induit – je tiens à le rappeler – trois fois plus d’emplois à terre, que ce soit dans la construction navale, le ravitaillement ou la transformation des prises.

Un point positif concerne la mise en place d’un comité de liaison scientifique. En effet, il est indispensable – je porte ce message depuis longtemps – que le monde scientifique et les pêcheurs dialoguent. C’est une nécessité pour mieux appréhender et partager le diagnostic du niveau de la ressource halieutique et pour rendre plus acceptables les décisions de restriction de pêche, qui sont prises pour protéger cette ressource.

Par ailleurs, si le projet de loi modifie l’organisation de la filière, il est fondamental, et j’insiste sur ce terme, que, malgré la disparition des comités locaux, les réalités de terrain des professionnels et les enjeux locaux soient bien pris en compte au sein des comités départementaux et régionaux, comme au sein du comité national. Pour que cela soit possible, il est indispensable que les comités puissent au moins avoir la possibilité de mettre en place des antennes locales. J’ai déposé un amendement en ce sens.

En revanche, si l’échelon local doit être préservé d’une manière ou d’une autre, on ne peut que s’interroger sur la création de comités interdépartementaux destinés à concurrencer directement des comités régionaux. Ce dispositif ne me semble pas favoriser une bonne lisibilité de l’organisation de l’interprofession. De surcroît, il est de nature à occasionner des frais de structure inutiles, que, à mon avis, les professionnels n’accepteront pas de financer.

En outre, pour assurer une organisation efficace de l’interprofession, il conviendrait que les statuts des organes de représentation soient harmonisés et précisés par décret. Sont notamment concernées les indemnités et la couverture sociale. Les dispositions en ce sens que je proposerai d’intégrer dans le projet de loi contribueront à compléter le fonctionnement interprofessionnel du secteur de la pêche. Ce dernier a besoin d’une organisation plus forte, en matière d’écoute comme de prise de décision, pour enrayer l’atonie de son développement économique.

Par ailleurs, je me félicite de voir émerger l’association France Filière Pêche, dont tous les acteurs de la filière économique, de la pêche jusqu’à la distribution, viennent de signer les statuts. J’espère qu’elle saura être force de propositions pour développer et promouvoir la filière française, dans le cadre de la réforme de l’organisation commune des marchés de la filière.

Enfin, je veux souligner les efforts qui pourraient être réalisés au sein de la filière s’agissant des flottes de pêche. La pêche veut sortir des années noires de réduction de sa flotte, qui a été diminuée de moitié en vingt ans, afin de s’adapter à la politique des quotas. Ainsi, dans le port de pêche à l’anchois de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, il ne reste plus que quatre bateaux sur les vingt-quatre qui étaient en activité voilà quatre ans.

À une telle chute s’ajoute le besoin de renouveler la flotte pour des raisons de sécurité, de réduction de la dépendance au gazole et d’expérimentation de nouvelles méthodes de pêche. Heureusement, la flotte représente encore plus de 5 000 bateaux, ce qui implique des investissements colossaux.

Aussi, sur le plan fiscal, nous disposons d’un outil qu’il convient de soutenir. Il s’agit de la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en faveur de l’investissement dans les PME. Dans les faits, la limitation, qui est contraire, semble-t-il, au dispositif législatif, à une holding par secteur d’activité et par an, pénalise la collecte de fonds propres à hauteur de 250 000 euros, soit 50 investisseurs à 5 000 euros, en moyenne.

Quand on sait que, aux Sables d’Olonne, il faudrait construire un navire tous les deux ans et que, pour un navire de vingt-deux mètres, l’investissement dépasse 2 millions d’euros, il devient évident que les holdings ISF dédiés au financement des PME constituent un outil de développement par excellence. Encore est-il indispensable que plusieurs holdings puissent souscrire au capital d’une même PME. Ce serait un signal fort en direction des jeunes, pour des investissements au service d’une pêche durable.

Il existe dans le secteur de la pêche un réel dynamisme, une véritable volonté d’initiative, pour réenclencher une logique de développement. Le Gouvernement se doit de soutenir ces efforts, afin que notre économie de la pêche et de l’aquaculture exprime tout son potentiel, bien supérieur à la santé actuelle de la filière. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)