M. Didier Guillaume. Nous devons intervenir sur les circuits courts et donner les moyens à la restauration collective et scolaire de s’approvisionner sur les territoires. Pour ce faire, il faut absolument modifier les dispositions du code des marchés publics, tout en gardant le cadre général, afin que la puissance publique, les donneurs d’ordre puissent acheter des produits alimentaires, notamment pour la restauration scolaire, sur un territoire plus recentré.

M. Jean-Pierre Plancade. Ce serait bien !

M. Didier Guillaume. En ce qui concerne les calamités et l’assurance récolte, notre spécialiste en chef, Daniel Soulage, en a tout à l’heure beaucoup parlé, et nous y reviendrons à l’occasion de la discussion des articles.

Monsieur le ministre, vous avez signalé lors de votre intervention que, si l’assurance récolte devenait obligatoire, l’Europe ne mettrait plus sur la table les 100 millions d’euros qu’elle pourrait verser au système d’assurance que vous proposez. Nous ne partageons pas votre analyse : il s’agit non pas d’une règle, mais bien d’une question de volonté politique.

Nous devrions appliquer une règle que le Président de la République a déjà évoquée à plusieurs reprises en ce qui concerne l’agriculture : il faut faire plier l’Europe, car ce n’est pas elle qui va dicter aux États ce qu’ils doivent faire aujourd'hui. S’il n’y a pas d’assurance récolte obligatoire interrégionale et interfilières, alors il est à craindre qu’elle ne joue pas pleinement son rôle.

Pour conclure, il faut nous interroger : est-il possible de moderniser l’agriculture en période de crise ? C’est là toute la difficulté, tant il est vrai que les choses auraient été beaucoup plus faciles en phase de croissance. Mais nous devons garder à tout prix la spécificité de l’agriculture française.

Certes, la France a de grandes entreprises : elles se développent à l’export, spéculent et sont présentes sur les marchés internationaux. Mais ce qui fait la force et l’histoire de notre pays, ce sont les petites exploitations agricoles de quelques dizaines d’hectares, les agriculteurs de montagne, ceux qui font de la polyculture. Si nous n’y prêtons pas attention, ce système agricole, qui a fait notre histoire, n’existera bientôt plus. Nous ne pourrons pas vivre dans un pays dans lequel la taille des exploitations agricoles se comptera en centaines d’hectares et où, n’en doutons pas, plus aucun jeune ne s’installera.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette loi, nous devons redonner de l’espoir et offrir des perspectives pour que nos jeunes aient encore envie de s’installer et d’exercer ce beau métier. Nous voulons affirmer avec force que l’agriculture a encore un bel avenir devant elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les orateurs ont souligné les difficultés, parfois mortelles, auxquelles sont soumises les exploitations agricoles. La diminution continue et inexorable de leur nombre l’illustre. Les installations de jeunes agriculteurs suivent aussi, en l’accentuant, cette tendance.

J’orienterai mon propos non pas sur les aléas des marchés, leur organisation et les charges des agriculteurs, mais sur les calamités administratives inventées et produites par Bruxelles.

Imaginez l’état d’esprit d’un agriculteur qui cherche à survivre et à qui on impose des charges administratives absurdes. S’il ne s’y plie pas, il est sanctionné et sa situation s’aggrave. Pouvez-vous comprendre qu’il éprouve, au-delà de l’exaspération, du ressentiment contre une Europe de plus en plus éloignée de ses préoccupations, de ses difficultés, de ses angoisses ?

Monsieur le ministre, si le politique ne reprend pas la main sur l’administratif, vous ne pouvez pas prévoir la violence des réactions.

Avez-vous essayé de remplir un dossier PAC ? Tentez l’expérience, vous allez perdre votre sang-froid ! Je voudrais vous citer quelques exemples des astreintes imbéciles auxquelles vous devrez faire face.

Tout d’abord, armez-vous de patience, du plan de votre exploitation, d’un stylo rouge et d’un stylo vert. Le rouge pour créer, modifier ou supprimer les îlots, le vert pour délimiter et identifier vos parcelles culturales et les surfaces engagées dans des mesures agroenvironnementales ou biologiques. Ne vous trompez pas de programmation, ni d’abréviation et, surtout, n’oubliez aucun formulaire ou justificatif, vous seriez immédiatement sanctionné par une administration autiste qui ne justifie son existence que par son inutile pouvoir de sanction. L’observation satellitaire permettrait la mise en application d’une RGPP agricole à un coût administratif très inférieur.

Précisez scrupuleusement la quantité d’engrais utilisée sur votre exploitation non pour l’ensemble de la surface, mais pour chacune des parcelles. Pour quelle raison ? Il y a quelques années, on épandait sur des semis de blé 150, 180, voire 200 unités d’azote et on ajoutait un raccourcisseur pour que le blé ne verse pas. Cette époque est révolue. Les intrants sont trop chers. Ayez à l’esprit que, aujourd’hui, un agriculteur vise non plus les rendements, mais les marges.

Après avoir épandu un pesticide, n’oubliez surtout pas de reporter sur la fiche son numéro d’autorisation de mise sur le marché et sa date de péremption. Pourquoi ?

Peu importe l’état de développement de vos cultures, la pluviométrie ou la température, attendez les dates autorisées pour répandre l’azote. Or qui mieux que l’exploitant lui-même peut décider du bon moment ? Si vous considérez l’agriculteur comme un entrepreneur, laissez-lui gérer son entreprise comme il l’entend.

Pour établir votre contrat d’assurance, inscrivez scrupuleusement vos rendements moyens et le prix de vente de vos récoltes sur les cinq dernières années. Pour quelle raison ? Il suffit de s’entendre avec l’assureur sur un chiffre d’affaires à l’hectare.

La liste de ces astreintes n’est pas exhaustive, hélas !

Au final, vous aurez passé un temps considérable à remplir des papiers administratifs dont la complexité et l’absurdité confinent au ridicule. La solennité de ces lieux m’interdit d’utiliser des termes plus crus.

Monsieur le ministre, vous avez dit que les idées françaises faisaient leur chemin à Bruxelles. Défendre celle de la simplification administrative est une première urgence.

Vous ne souscrivez pas à ma proposition d’assurance-récolte obligatoire, car elle conduirait l’Europe à supprimer ses subventions. Pourquoi procéderait-elle ainsi si cette assurance obligatoire permet une plus grande mutualisation des risques, donc une vraie solidarité, et la survie des entreprises agricoles en cas d’accident climatique ? L’Europe ne peut pas avoir comme seul argument : « C’est comme ça parce que c’est comme ça ».

Dans l’esprit des contrats, qui sont une bonne idée, ne peut-on garantir un prix sur un rendement donné, par exemple 40 ou 50 quintaux par hectare, et laisser la possibilité de négocier la production supérieure à ce rendement au prix du marché ? Cela permettrait de garantir un revenu minimum aux exploitations. L’Europe était hostile à cette idée il y a une vingtaine d’années. La prise de conscience du rôle essentiel de l’agriculture a pu la faire évoluer.

Monsieur le ministre, les économistes prévoient que, à moyen terme, le monde sera déficitaire en produits agricoles : par conséquent, les prix augmenteront. Mettez en place une politique qui permette aux agriculteurs de survivre jusque-là ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste et de lUMP. – M. Alain Fauconnier applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.

M. Jean-Paul Virapoullé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’agriculture est un secteur vital pour l’économie métropolitaine, elle l’est encore plus pour les RUP, les régions ultrapériphériques, que constituent les départements d’outre-mer.

Ayant milité pour l’intégration de ces derniers au sein de l’Europe, je voudrais souligner ici les bienfaits de la politique agricole commune qui a transformé l’Europe de la pénurie d’après-guerre en une Europe des excédents et fait de la Communauté économique européenne l’une des premières puissances agroalimentaires du monde.

Aujourd'hui, l’Europe traverse une triple crise : financière – nous le savons bien –, politique et, sur le plan agricole, identitaire. En effet, l’application des mesures adoptées dans le cadre du cycle de Doha a abouti à mettre en place une mondialisation que je qualifierais d’hypocrite, car elle n’est pas libérale. Si elle l’était, il n’y aurait ni mesures de dumping monétaire ou social ni manquements aux règles de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, les agriculteurs français sont aujourd'hui confrontés à deux problèmes : la concurrence internationale, qui est faussée, et la concurrence interne. On nous dit ici et là, notamment à Bruxelles, qu’il faut en finir avec la politique agricole commune parce qu’elle coûte trop cher.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que les Européens ne devraient avoir aucun complexe en matière de libéralisme. L’excellent rapport de nos collègues Gérard César et Charles Revet montre que le pays qui subventionne le plus son agriculture est les États-Unis. Cela va des assurances aux agrocarburants…

M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui, tout est subventionné !

M. Jean-Paul Virapoullé. … en passant par le coton, qui est d’ailleurs subventionné au-delà de la valeur du produit de la récolte.

Si je soutiens le projet de loi qui nous est présenté, c’est parce qu’il s’agit d’un premier volet et que d’autres réformes plus importantes vont suivre : celle de la politique commune de la pêche, en 2012, et celle de la politique agricole commune, en 2013.

Le décor étant planté, je veux maintenant remercier vos services, monsieur le ministre, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé cette année, ainsi que vous-même, qui avez été l’un des principaux artisans d’une décision qui devrait sauver l’économie sucrière de la Réunion, à savoir la valorisation à sa juste valeur de la biomasse de la canne. Je me réjouis que le Premier ministre ait arbitré en ce sens. La prime bagasse, qui évoluera certainement avec le temps, représentera donc un complément de revenus substantiel pour les planteurs.

Je tiens également à saluer les mesures innovantes de ce projet de loi concernant la contractualisation et l’assurance. Je souhaite que nous puissions être associés à l’ordonnance, prévue au titre V, qui sera prise concernant l’application de ce texte aux départements d’outre-mer.

Dans la perspective de la réforme de la politique commune de la pêche et de la politique agricole commune, sachez qu’un outil est à votre disposition pour aider les régions ultrapériphériques, je veux parler du traité de Lisbonne, qui reprend les dispositions de l’article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, dans l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il prend en effet en compte notre situation économique et sociale structurelle, notre éloignement, l’étroitesse de notre marché, la proximité des PMA, ou pays les moins avancés, qui, vous le savez, peuvent importer leurs produits chez nous sans payer de droits de douane. Or, comme il s’agit de produits de même nature, l’économie sucrière, la filière bananière et l’agriculture vivrière de nos régions pourraient être anéanties.

La nouvelle politique agricole commune a été voulue par le chef de l’État, par le Premier ministre et par vous-même. Je peux vous dire que nous la soutenons. D’ailleurs, nous vous félicitons de ne pas avoir baissé les bras à Bruxelles et d’avoir lancé l’Appel de Paris, qui a été signé par vingt-deux États membres.

Forts de ce rassemblement, définissons ensemble, grâce au traité de Lisbonne, une nouvelle approche de la politique agricole commune concernant les productions essentielles pour l’outre-mer – la banane et la canne, notamment – ainsi que le positionnement stratégique des RUP françaises par rapport aux PMA. Nous sommes à votre disposition pour y travailler.

Monsieur le ministre, sachez également que vous êtes assis sur un trésor, et que vous ne le voyez pas. (Sourires.) Grâce aux DOM, la France possède un vaste espace maritime, mais elle ne l’exploite pas. En fait, celui-ci est pillé par des navires asiatiques, notamment dans le sud de l’océan Indien.

M. Jean-Paul Virapoullé. Dans le cadre de la réforme de la politique commune de la pêche, en 2012, vous pourriez donc créer un groupe de travail réunissant des parlementaires, des élus des conseils régionaux et d’autres collectivités territoriales ainsi que des représentants de l’État en charge de ces questions afin d’expertiser les ressources halieutiques dans ces régions.

M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Paul Virapoullé. Cet espace nous appartient collectivement. Ne laissons pas des bateaux venus de Taïwan, du Japon ou d’ailleurs piller notre poisson !

Pourquoi ne l’exploitons-nous pas nous-mêmes, me rétorqueront certains ? La raison en est simple : la Réunion est un territoire européen, et nous ne pouvons pas construire de bateaux pour pécher dans les zones économiques exclusives européennes, contrairement aux pirates.

M. Jean-Paul Virapoullé. C’est absurde !

M. Charles Revet, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Paul Virapoullé. Dans le cadre de la nouvelle politique de 2012, faisons adopter un nouveau règlement européen. Car, ne l’oubliez pas, ce qui est valable pour l’hémisphère nord ne vaut pas pour l’hémisphère sud ! Il faut donc autoriser l’armement de navires de l’hémisphère sud et travailler en joint venture avec d’autres bateaux nationaux dans les eaux qui nous appartiennent.

Telles sont les deux suggestions que je souhaitais vous faire : utilisons le traité de Lisbonne et l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour construire l’avenir des régions ultrapériphériques et définissons une nouvelle politique de la pêche afin que la France soit présente dans les zones qui lui appartiennent. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant plus de deux siècles, la monoculture de la canne à sucre a dominé l’agriculture réunionnaise. Cette culture a forgé l’histoire, l’aménagement du territoire et les rapports sociaux de cette île.

Les crises successives ayant frappé le marché du sucre ont conduit les responsables à s’orienter vers la diversification. Celle-ci s’est appuyée sur la persistance de la culture de la canne, qui assurait aux agriculteurs, dans le cadre du marché sucrier européen, des revenus garantis leur permettant de consacrer une partie de leur surface agricole à d’autres spéculations.

Aujourd’hui, 72 % de la consommation locale de fruits et légumes frais est assurée par la production locale. Les filières agricoles, autres que celle de la canne, tendent à s’organiser, à se moderniser. Cependant, tout le monde considère qu’il est encore possible et nécessaire de réduire la dépendance de la Réunion à l’égard de l’extérieur aussi bien pour les fruits et légumes que pour la viande bovine et porcine. L’effort de diversification doit donc impérativement être poursuivi, d’autant que les crises que nous avons connues et que nous connaîtrons sur les plans tant économique qu’énergétique, climatique ou alimentaire imposent aux Réunionnais d’aller le plus vite et le plus loin possible vers l’objectif de l’autosuffisance alimentaire.

Toutefois, la diversification agricole ne doit pas se faire au détriment de la canne à sucre, qui reste le pivot des unités agricoles. Outre le caractère patrimonial que revêt la filière canne à sucre à la Réunion, celle-ci constitue un savoir-faire mondialement reconnu, exporté à travers le monde tant pour la culture de la canne que pour l’industrie sucrière. Sa multifonctionnalité est également établie dans le domaine environnemental, notamment avec l’utilisation de la bagasse, qui fournit plus de 10 % de l’électricité de l’île. Plus que jamais, les agriculteurs qui acceptent de s’orienter vers la diversification doivent s’appuyer sur l’assurance d’un revenu garanti que seule la canne leur procure actuellement, dans le cadre de l’organisation commune des marchés du sucre.

Ce marché communautaire du sucre, même s’il a vu le prix de cette denrée baisser de 36 % sous la pression de l’OMC, garantit aux planteurs de canne une compensation assurée par l’État français afin que ceux-ci ne subissent aucune perte de revenu. L’autorisation de compensation a été accordée par l’Union européenne au titre de l’article 299, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’OCM du sucre est ainsi un outil de lutte contre les aléas économiques et une assurance de revenus décents pour les agriculteurs : deux ambitions de votre projet de loi, monsieur le ministre.

Cependant, la fin de cette organisation du marché du sucre en 2013 crée une grande inquiétude, non seulement chez les planteurs de canne, mais aussi chez tous les agriculteurs à la Réunion et dans les Antilles. L’avenir de l’agriculture dans les DOM est subordonné à une série de questions à laquelle le texte qui nous est soumis ne répond malheureusement pas.

L’Europe va-t-elle continuer à céder devant la pression de l’OMC pour baisser le prix du sucre ? Si oui, l’Union européenne pourra-t-elle continuer à autoriser les compensations ? Dans ce cas, le gouvernement français est-il prêt à maintenir son aide aux planteurs de canne afin que leurs revenus leur permettent d’accentuer la diversification en vue de répondre aux besoins alimentaires de la Réunion, qui compte 800 000 habitants aujourd’hui et en comptera 1 million demain ?

Nos agriculteurs attendent des assurances dans ce sens, surtout que le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays andins est actuellement en cours de signature à Madrid ; accord qui, selon le Président de la République lui-même, est susceptible de remettre en cause l’ensemble de l’effort communautaire en faveur des RUP.

Concernant le titre IV du projet de loi, nous ne pouvons que saluer la volonté de structurer les activités liées à la pêche. Il en va de même pour la création du Comité de liaison scientifique et technique.

S’agissant de la composition de ce comité, qui sera précisé par décret, nous espérons que l’outre-mer pourra avoir un représentant par bassin maritime, car, grâce à ses territoires, la France possède l’une des plus grandes superficies maritimes du monde.

Toutefois, ces mesures n’ont pas l’envergure susceptible d’encourager et de soutenir durablement cette filière à fort potentiel en termes d’emplois, de capacité de pêche et d’exportation à la Réunion. À titre d’exemple, en 2008, la pêche locale a débarqué 11 000 tonnes, contre 8 200 tonnes en 2000, soit une augmentation de 30 %. Plus de 70 % de la production locale a été écoulée vers l’Europe et l’Asie, faisant de la pêche le deuxième poste d’exportations après la canne à sucre.

Ces chiffres dénotent le dynamisme de la filière. Cependant, ils ne doivent pas masquer les handicaps de ce secteur. La double appartenance de la Réunion à l’aire géographique de l’océan Indien et au contexte juridique de l’Union européenne soulève des contradictions entravant le développement de ce secteur.

En effet, les directives européennes réglementant nos zones de pêche sont prises en fonction de la situation de surpêche des mers des pays européens continentaux, où les ressources halieutiques sont menacées. À la Réunion, la situation est différente : les ressources abondantes et l’immensité du territoire maritime exploitable depuis l’île – 2,8 millions de kilomètres carrés, soit dix fois la zone économique exclusive métropolitaine – nécessitent une adaptation des règlements communautaires, rendue possible grâce au traité de Lisbonne et à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

De plus, l’ouverture, par les accords de partenariat économique, des marchés communautaires aux produits compétitifs des pays ACP de la zone sud-ouest de l’océan Indien fragilisera les entreprises réunionnaises, qui doivent déjà faire face aux contraintes d’un marché local exigu et aux frais inhérents à l’éloignement pour les exportations et les importations, notamment d’intrants.

Enfin, alors que l’Union européenne affiche pour les régions ultrapériphériques une grande politique de coopération régionale, certains États européens concluent des accords bilatéraux avec les pays de la zone de l’océan Indien sans passer par la Réunion, qui bénéficie pourtant d’un port de pêche « industrielle », moderne et performant.

Aujourd’hui, la pêche à la Réunion représente environ 1 000 emplois et génère 67,2 millions d’euros. C’est peu au regard de ses potentialités !

Monsieur le ministre, la filière pêche peut être porteuse d’emplois et créatrice de valeur à la Réunion. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, c’est-à-dire prendre en compte ses spécificités pour mettre en place une réelle politique de pêche en outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est censé répondre à la crise structurelle que traverse notre agriculture, laquelle plombe le revenu de nos agriculteurs depuis 2009.

Dans mon intervention, je voudrais m’attacher plus particulièrement au titre II, qui traite de la compétitivité. Il se propose notamment, en s’appuyant sur la filière et le contrat, de mieux réguler les quantités et les prix et, ainsi, de mieux sécuriser les revenus.

Mais ces instruments sont-ils à la hauteur des défis que l’agriculture doit relever sur les marchés européens ? Ces instruments sont-ils suffisants pour que la France reste la deuxième puissance agricole mondiale ?

L’agriculture française connaît, depuis une dizaine d’années, une dégradation de sa compétitivité sur les marchés, alors même que toutes les conditions sont réunies pour en faire un secteur dynamique : d’importantes surfaces disponibles, des sols et un climat assurant un bon rendement, ainsi qu’une réelle compétence technique de nos agriculteurs.

Je commencerai par dresser un tableau de la compétitivité de l’agriculture française.

Nos exportations ont diminué de 20 % entre 2008 et 2009, soit une perte de 3,1 milliards d’euros. Les secteurs les plus touchés sont les produits laitiers, avec une diminution de 16 % ; les vins et le champagne, dont les exportations ont chuté de 22 % ; les céréales et les produits à base de céréales, qui accusent respectivement une baisse de 24 % et de 22 %.

De même, au cours des dix dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 15 %, alors qu’elles progressaient dans le même temps de 21 % en Allemagne et de 22 % aux Pays-Bas. C’est en particulier le cas de la culture des asperges, des fraises, des carottes.

Quant à la production porcine, elle stagne depuis une dizaine d’années, alors que l’abattage allemand de porcs a connu une croissance de plus de 35 % en dix ans.

L’Allemagne et les puissances agricoles émergentes de l’Europe de l’Est récupèrent ces parts de marché que nous perdons.

Nos producteurs, en cette période de crise, se voient offrir pour leurs produits un prix d’achat parfois inférieur au coût de revient, et cela sans que le consommateur en tire un quelconque profit !

Face à ce constat alarmant, nous doutons de l’efficacité de la proposition relative aux filières et à la contractualisation pour répondre aux défis que l’agriculture française doit relever sur les marchés européens et mondiaux.

Nous n’ignorons pas que de nombreuses réponses sont bruxelloises et que cette proposition de texte fait partie d’un ensemble plus vaste de mesures. Toutefois, nous considérons que le pilier de la compétitivité n’est pas suffisamment pris en compte dans la démarche présentée.

Nous disons oui à la filière !

Il est évident qu’une meilleure organisation des producteurs leur permettra de peser dans les négociations commerciales, à la condition qu’elles ne soient pas excessivement sectorisées territorialement.

Nous souhaitons que ces filières interprofessionnelles puissent développer des instruments favorisant la compétitivité des produits. Il s’agirait par exemple de soutenir la généralisation du transfert de propriété pour les organisations de producteurs, afin d’en augmenter la capacité commerciale.

Elles pourraient également intervenir comme médiateur auprès des parties à un contrat de vente, dans le but de prévenir les conflits entre les acteurs et non de réparer les pots cassés. Nous nous réjouissons d’ailleurs d’avoir obtenu satisfaction en commission sur ce point.

Nous disons également oui au contrat, qui fixe une quantité, une durée et un prix entre deux cocontractants.

Nous regrettons cependant que, dans des filières qui comptent parfois cinq ou six cocontractants, nous nous limitions à des accords qui prennent insuffisamment en compte le circuit global de la commercialisation.

J’attire également votre attention sur le fait que ces deux instruments, filière et contrat, n’auront une efficacité réelle qu’à condition que notre agriculture retrouve des marges de manœuvre !

C’est pourquoi le troisième étage de la fusée doit être constitué d’un observatoire de la compétitivité qui comprendrait deux sections, celle des prix et des marges et celle des distorsions de concurrence, en réalité très liées.

Pour casser la boîte noire des prix et des marges, la première section aurait la possibilité, donnée par décret, de demander l’affichage des informations et statistiques dont elle dispose devant les caisses des supermarchés dont les centrales d’achat ne jouent pas le jeu de la transparence des marges.

Le name, blame and shame cher aux Anglo-Saxons nous paraît bien plus efficace que de dérisoires amendes. Il imposerait le consommateur comme arbitre des réelles distorsions de marge entre le prix d’achat au producteur et le prix payé par le consommateur.

Enfin, la deuxième section de cet observatoire devra réaliser chaque année une étude exhaustive des distorsions de concurrence imposées à nos agriculteurs, tant dans l’application des directives communautaires que dans les multiples réglementations et normes franco-françaises. Ces dernières ont en effet, au fil du temps, corseté une agriculture à qui on demande de courir un 400 mètres haies pour résister à la crise !

Puisque la situation budgétaire du pays n’admet plus les largesses, donnons de l’air à notre agriculture en demandant à cette section d’établir d’ici à la fin de l’année le diagnostic de ces distorsions. La connaissance des distorsions européennes nous permettra de mieux négocier à Bruxelles ; le diagnostic proprement français pourra lui aboutir à un moratoire visant à supprimer rapidement tous les règlements et les normes qui pèsent anormalement sur la compétitivité de notre agriculture.

Cela rejoint l’annonce faite récemment par le Président de la République de la légalisation du seuil de 44 tonnes pour le transport des produits des secteurs agricole et agroalimentaire.

Sous ces conditions, monsieur le ministre, nous admettons que la filière et le contrat, s’appuyant sur une réelle transparence des marges et sur un réel toilettage des normes qui asphyxient notre compétitivité, pourraient redonner une partie de l’oxygène nécessaire à notre agriculture.

Voilà l’avis du groupe de l’Union centriste sur ce sujet particulier. Nous attendrons cependant la fin des débats et le vote des amendements pour arrêter une position définitive sur ce texte, car nous considérons que filière, contrat, compétitivité et transparence doivent être au cœur du dispositif visant à redonner de l’oxygène à notre agriculture ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de l’UMP.)