Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais oui, c’est vrai, nous, nous sommes simplistes !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Tout débat sur le bouclier fiscal ne peut se faire séparément d’un débat sur notre fiscalité, et en particulier sur l’ISF lui-même.

Qui ne voit le handicap que constitue cet impôt pour l’économie française dans un monde qui bouge, alors même que les pays, les uns après les autres, nos partenaires européens en particulier – notamment les pays scandinaves ou l’Espagne de M. Zapatero – ont abrogé leur impôt sur le patrimoine ?

Qui ne voit que l’évolution des rendements des produits financiers a profondément changé le sens de cet impôt ? Aujourd’hui, le taux marginal de 1,8 % peut imposer, au regard des taux actuels de placement, de céder une partie du patrimoine pour acquitter l’impôt.

En 1981, tandis que le taux marginal de l’IGF, l’impôt sur les grandes fortunes, s’élevait à 1,5 %, les taux de placement étaient plus élevés – par exemple, l’emprunt Delors était émis au taux de 17 %. Il faut donc observer le taux marginal de l’impôt au regard du taux des placements financiers.

Ne vous en déplaise, chers collègues du groupe CRC-SPG, poser la question du bouclier fiscal revient donc à poser la question de l’architecture de notre fiscalité, et en particulier de l’ISF, impôt devenu atypique (M. Thierry Foucaud s’exclame.) dans le panorama fiscal européen.

À cet égard, le président de la commission Jean Arthuis – il vient de quitter l’hémicycle pour se rendre à la conférence sur les déficits publics, tenue à dix heures à l’Élysée –, le rapporteur général Philippe Marini et notre collègue Jean-Pierre Fourcade ont ouvert une piste intéressante à travers le triptyque que vous connaissez : abrogation de l’ISF et du bouclier fiscal, création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu et révision de la fiscalité des plus-values.

En effet – et c’est sans doute une raison supplémentaire pour ne pas adopter ce texte –, aux yeux de la commission des finances, une telle réforme de la fiscalité des personnes ne saurait être examinée dans un cadre autre que celui de la loi de finances de l’année.

De manière générale, la fiscalité et, plus généralement, les décisions affectant le solde budgétaire devraient être débattues en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale afin que le Parlement, quand il vote ce type de mesure, dispose d’une vision correcte de l’état des finances publiques.

Mme Marie-France Beaufils. Comme pour le dernier Grenelle !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. En tout cas, les conclusions de la conférence sur les déficits publics qui se tient ce matin devraient nous y inciter.

La commission n’est évidemment pas favorable à l’adoption de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe CRC-SPG.

Elle souhaite donc le rejet de chacun des articles qui la constituent et de l’ensemble du texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par quelques courtes citations.

La première est d’Alain Juppé : « Cela ne me choquerait pas que l’on demande aux très riches de faire un effort de solidarité supplémentaire vis-à-vis de ceux qui souffrent ».

La deuxième est de Gilles Carrez : « Il faut suspendre le bouclier fiscal le temps que les finances publiques soient assainies ».

La suivante est le titre d’une tribune cosignée par treize députés du groupe UMP : « Il faut suspendre le bouclier fiscal pour redonner du sens à la politique ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas si simple, la majorité…

M. Bernard Vera. La dernière est de Jean Arthuis, président de notre commission des finances : « Le bouclier fiscal est une offense à l’idée que je me fais de la justice ».

Voilà donc, rapidement rappelées, quelques-unes des déclarations produites au sein de la majorité parlementaire sur la question dont nous débattons.

L’affaire serait, nous dit-on, symbolique.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, très symbolique !

M. Bernard Vera. M. Baroin, à peine nommé au ministère du budget, a eu l’occasion de nous indiquer que les 600 millions d’euros du bouclier fiscal n’étaient qu’une goutte d’eau au regard des 140 à 150 milliards d’euros des déficits publics, que des années de cadeaux fiscaux distribués par votre majorité n’ont cessé d’étendre.

Mais alors, madame la secrétaire d’État, si ce dispositif a si peu d’importance, pourquoi s’entêter ? Ou bien l’incidence est négligeable et la suppression du bouclier fiscal ne réduira les déficits que de manière marginale, ou bien la valeur de l’objet est plus importante.

Tel doit d’ailleurs être le cas puisque nombreux sont désormais ceux qui lient la suppression du bouclier fiscal – cela vient d’être rappelé par M. le rapporteur – à une réforme fiscale de plus grande ampleur, sur laquelle je souhaite ici revenir.

M. Bernard Vera. Nous voici en effet face à la tétralogie du président Jean Arthuis, du rapporteur général Philippe Marini et de Jean-Pierre Fourcade : suppression du bouclier fiscal et suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, taxation plus importante des plus-values et relèvement de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu.

Nous sommes d’accord avec cette proposition sur trois des quatre éléments.

Oui à la suppression du bouclier fiscal ! Oui à l’accroissement de la taxation des plus-values ! Oui au relèvement de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu !

Nous sommes favorables à l’accroissement de la taxation des plus-values, au point d’ailleurs que nous souhaiterions, sur le fond, que ces revenus soient traités de la même manière que les traitements, salaires, pensions et retraites sur le plan de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire qu’ils soient soumis au barème progressif.

M. Jean-Pierre Plancade. C’est radical !

M. Guy Fischer. C’est plein de bon sens !

M. Bernard Vera. Il faudra aussi s’interroger sur la taxation – ou plutôt l’absence de taxation – des plus-values d’entreprises, notamment dans le cas des cessions de titres.

Faciliter les regroupements de capitaux ne semble avoir évité à notre pays ni les délocalisations ni les suppressions d’emplois, bien au contraire !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça n’a favorisé que l’enrichissement !

M. Bernard Vera. Par conséquent, oui au relèvement de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu ! Mais, il est utile de l’indiquer, cela repose la question de l’imposition des revenus et celle des patrimoines.

L’INSEE, étudiant le patrimoine des Français, a largement montré que le facteur principal d’inégalité dans notre pays résidait plus dans l’existence d’inégalités profondes de patrimoine que dans celles de revenu.

Vouloir accroître l’imposition des revenus les plus importants ne doit donc se faire qu’en maintenant une imposition du patrimoine, au risque de décourager un peu plus ceux qui, par leur seul travail, sans avoir de patrimoine personnel important au départ, valorisent leurs compétences, exercent des responsabilités et des fonctions raisonnablement rémunérées.

Imposer demain le cadre supérieur, imaginatif, créatif, et porteur d’idées nouvelles, impliqué dans la vie de son entreprise, pour mieux exonérer l’héritier qui se contente de vivre du revenu de son patrimoine et qui s’intéresse de très loin à la vie de l’entreprise dont il détient une partie des actions, ne serait pas de bonne politique.

Protéger les acquis des détenteurs de patrimoine et taxer le travail au moment même où 70 % des Français attendent plus de justice sociale, singulièrement quand on parle du devenir de nos retraites, est tout de même le plus parfait exemple de conservatisme qu’il nous soit donné d’apprécier !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, c’est sûr !

M. Bernard Vera. Si nous sommes opposés à la suppression de l’ISF, c’est précisément en cohérence avec notre volonté de suppression du bouclier fiscal.

L’ISF, assis sur le patrimoine, agit par nature sur le facteur essentiel de développement et de maintien des inégalités sociales dans notre pays.

Nous appelons à l’existence d’un ISF renforcé, équilibré, plus efficace, par la suppression des niches qui l’affectent et en réduisent la portée.

M. Bernard Vera. Supprimer le bouclier fiscal, détruisant de 15 à 20 % de l’ISF mais ne concernant que 1,3 % de ses contribuables, sera le premier pas dans cette direction.

Les plus gros patrimoines, dans notre pays, n’ont qu’un lointain rapport avec le travail et le talent de leurs détenteurs, fussent-ils réels, et beaucoup avec le travail et le talent des autres !

Il n’y a pas de richesse sans travail, et la réussite de l’entreprise ne procède pas de la génération spontanée du capital !

Il est grand temps que la justice revienne un peu dans notre droit fiscal.

L’adoption de cette proposition de loi, simple et opératoire immédiatement, y contribuera utilement. Il faut abroger le bouclier fiscal, cette offense insupportable à la justice fiscale et sociale, rejetée par près de 70 % de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme l’an dernier, comme lors de chaque projet de loi de finances récent, nos collègues, membres du groupe communiste, républicain et citoyen et les sénateurs du parti de gauche, nous proposent d’abroger le bouclier fiscal.

Mme Nathalie Goulet. Ils ont bien raison !

Mme Catherine Morin-Desailly. Ils renouvellent leur proposition. Nous réitérons donc notre position, maintes fois exprimée et désormais connue : le bouclier fiscal est la mauvaise réponse au mauvais impôt qu’est l’impôt de solidarité sur la fortune. L’abrogation de l’un doit aller de pair avec la suppression de l’autre.

Abroger le bouclier fiscal sans entreprendre une réforme plus large de notre fiscalité reviendrait à traiter un problème global par une réponse partielle.

Le bouclier a été créé parce que l’impôt, et particulièrement l’ISF, revêtait un caractère confiscatoire pour certains contribuables, notamment des foyers modestes. Supprimer la réponse sans traiter le problème est une démarche que nous ne jugeons pas opportune.

Mes chers collègues, comme en témoigne le dépôt de ce texte, quand on aime, on ne compte pas. À nouveau, nous souhaitons donc exprimer à cette tribune les raisons qui nous poussent à proposer une réforme globale et ambitieuse de la fiscalité des ménages.

Le bouclier, tout d’abord, est un dispositif qui doit être profondément repensé. Sont en cause non pas son principe ou son coût, mais certaines modalités et certains effets de sa mise en œuvre. Nous en dénonçons au moins quatre.

Premièrement, il ne répond pas à l’objectif affiché : il visait à ce que nul ne paie plus de 50 % de ses revenus en impôts. Or, c’est le revenu fiscal, et non pas le revenu réel, qui est pris en compte dans le calcul. Par le jeu de trop nombreuses niches fiscales, ce revenu fiscal est parfois très éloigné du revenu réel des redevables, surtout de ceux qui pratiquent activement l’optimisation fiscale. On s’est donc écarté du principe et de l’objectif affiché.

Que certains contribuables réduisent le montant d’impôt qu’ils doivent acquitter en recourant à des déductions fiscales, soit. Mais comment peut-on justifier que ce soit leur revenu fiscal, fictif, et non pas le montant de leurs revenus effectivement perçus, qui soit pris en compte ?

À nos yeux, aucune logique ne le justifie. Le principe inscrit solennellement à l’article 1er du code général des impôts a été dévoyé par les conditions d’application définies à l’article 1649-0 A du même code.

Deuxièmement, le maintien du bouclier conduirait à une situation inacceptable : il semble difficilement concevable que tous les Français sauf les plus aisés, protégés par le bouclier, consentent les efforts contributifs qui vont s’imposer dans les années à venir.

Le problème s’est déjà posé, dès 2008, lorsqu’il a fallu financer la généralisation du revenu de solidarité active. Au vu de la situation de nos comptes publics, il ne fait aucun doute que le problème se posera à nouveau.

Cette semaine, l’annonce de la création d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et les revenus du capital pour contribuer au financement des retraites, hors du périmètre du bouclier, a illustré les contorsions, les bricolages auxquels il faudra de plus en plus se livrer si le bouclier n’est pas révisé.

Ne pas faire participer les plus favorisés de nos compatriotes à l’effort national qui va s’imposer dans les mois et les années à venir n’est pas envisageable.

Troisièmement, le bouclier ne permet pas de rapatrier les exilés fiscaux : la proportion de départs et de retours d’assujettis à l’ISF est restée stable, et faible, entre 2002 et 2008. Donc, l’argument ne tient pas.

Enfin, le dispositif crée des situations choquantes : moins d’un millier de foyers perçoivent 63% du bénéfice du bouclier, soit un chèque moyen de 376 000 euros.

Oui, le bouclier fiscal est un « marqueur ». Mais, un réexamen de ce dispositif s’impose, avec lucidité et sans dogmatisme.

Et ce réexamen doit aller de pair avec une réforme de l’ISF, qui est un mauvais impôt pour une raison très simple : il pèse sur le stock de patrimoine, et non sur les revenus du patrimoine. Nos principaux voisins et partenaires s’en sont rendu compte, et ont fait évoluer leur fiscalité du patrimoine. Nous le pouvons aussi.

L’imposition du patrimoine du simple fait de sa détention s’est faite de plus en plus rare en Europe ainsi que dans le reste du monde ces vingt dernières années. Les impôts portant sur l’ensemble du capital détenu par le contribuable ont été supprimés en Autriche en 1994, au Danemark en 1996, en Allemagne en 1997, aux Pays-Bas en 2001, en Finlande et au Luxembourg en 2006, ou encore en Suède en 2007. Tous ces États voisins ont entrepris la même démarche, fondée sur la même analyse.

Plusieurs pistes de réforme existent. Le président de la commission des finances, M. Arthuis, mais aussi le député centriste Charles de Courson ont proposé à de nombreuses reprises d’abroger conjointement le bouclier fiscal et l’ISF, de créer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu, et de revoir à la hausse le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières.

Cette piste de réforme, ainsi que d’autres, devra être examinée dans le cadre de la prochaine loi de finances. Comme la commission des finances l’a rappelé, les questions fiscales ne devraient être traitées qu’en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale. Cette discipline nous semble nécessaire à la bonne visibilité du Parlement sur les dispositions qui affectent les comptes publics.

Pour cette raison de forme mais surtout pour les raisons de fond que j’ai exposées, l’Union centriste ne soutiendra pas cette proposition de loi. En revanche, lors de l’examen de la prochaine loi de finances, les membres de ce groupe proposeront à nouveau une réforme globale qui correspond à notre vision de la justice fiscale. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Palais du Luxembourg est devenu depuis quelques mois un Palais des lamentations.

En effet, nombre de nos collègues ayant voté en faveur du bouclier fiscal voilà maintenant quelques années se lamentent à longueur de temps : « comment avons-nous pu voter un dispositif aussi injuste ? ». Et ces lamentations sont entendues bien au-delà du Palais du Luxembourg. Nos concitoyens, pour 67 % d’entre eux, considèrent que le bouclier fiscal est totalement injuste, cependant que 87 % jugent qu’il faut demander aux plus riches de participer davantage à la solidarité fiscale, bien nécessaire aujourd’hui.

C’est dire que la suppression de ce bouclier se justifie pleinement. Nous l’avons demandée à maintes reprises dans le cadre des amendements que nous avons pu présenter lors de l’examen des lois de finances.

À l’Assemblée nationale, nos collègues socialistes ont également déposé une proposition de loi qui est débattue ces jours-ci. Nous sommes donc en cohérence avec nos collègues quant à la réponse à apporter : il faut supprimer le bouclier fiscal, et c’est pour nous une évidence.

Mais, au-delà de cette suppression, il faut remettre en cause la politique fiscale mise en œuvre depuis 2002. Au fond, ce bouclier fiscal n’est pas un avatar d’un dispositif qui aurait été imaginé par Michel Rocard, Dominique Strauss-Kahn ou d’autres encore ; c’est une composante d’un tout, et les mêmes objectifs ont été développés depuis 2002 pour justifier cette politique fiscale.

Je rappelle les objectifs visés : encourager l’initiative et l’investissement, et rechercher de la croissance supplémentaire. Tout cela a été dit depuis 2002 ! Je vous rappelle que la France, au sortir de l’expérience Jospin, avait l’un des meilleurs taux de croissance de l’Europe !

Mais on nous a dit alors qu’on allait faire encore mieux en matière de croissance, le dispositif fiscal devant contribuer à amplifier cette dernière ; on nous a dit que le dispositif permettrait de faire revenir en France des exilés fiscaux, véritable manque à gagner pour notre pays, et qu’il favoriserait l’implantation d’entreprises multinationales et la domiciliation en France de cadres ayant tendance, du fait de notre dispositif fiscal, à se domicilier dans d’autres pays européens.

Cette politique fiscale a-t-elle produit des effets ? Une chose est sûre, c’est qu’elle a coûté très cher au budget de l’État ! Le rapport de la Cour des comptes, présenté l’an passé par le regretté Philippe Séguin, nous indiquait déjà que, dans le déficit total de 140 milliards d’euros, le déficit structurel s’élevait à 70 milliards d’euros, l’essentiel de ce dernier étant dû aux décisions prises par les gouvernements depuis 2002 en matière de baisse des recettes.

Incontestablement, on peut considérer que la politique mise en œuvre depuis 2002 sur le plan fiscal aboutit aujourd’hui à une moins-value de recettes fiscales de 50 milliards d’euros – le chiffre est fourni par la Cour des comptes et ne supporte pas de contestation –, alors que le déficit de la France est de 140 milliards d’euros.

Dans ces conditions, on peut se demander quel était le sens du propos tenu voilà quelques mois par le ministre du budget, avant qu’il n’aille s’occuper des retraites : « il me faut trouver 50 milliards d’euros ». Mais les 50 milliards d’euros sont là ! C’est la politique mise en œuvre depuis 2002 qui a abouti à cette moins-value. Dès lors, il serait facile de s’y retrouver.

Cette politique, qui a coûté si cher, a-t-elle produit les effets escomptés ? La réponse est incontestablement non.

Qu’en est-il de la croissance supplémentaire qui devait être créée ? On voit à quel point la France se traîne aujourd’hui dans l’Union européenne, s’agissant du taux de croissance : notre pays se situe en dessous de la moyenne européenne ! Alors que l’on devait aller chercher « avec les dents » le point de croissance supplémentaire, les dents ne sont pas au rendez-vous !

A-t-on influencé la localisation des investissements internationaux ? Là encore, incontestablement, la France n’a pas été en mesure d’attirer sur son territoire davantage d’investisseurs. Les statistiques nous l’indiquent : il n’y a aucun résultat de ce point de vue.

Enfin, y a-t-il eu un retour d’exilés fiscaux ? Cet argument était fortement agité, rappelez-vous. Selon les données de Bercy, « 821 redevables à l’ISF ont quitté la France en 2008 », soit 102 de plus qu’en 2007, ce qui représente une augmentation de 14 % en une année. Alors que l’on voulait faire revenir les exilés fiscaux, les Français sont plus nombreux qu’auparavant à s’en aller à l’étranger !

Sur ces trois registres, la politique mise en œuvre n’apporte incontestablement aucun résultat. Pis, elle a atteint, par ses effets pervers, des résultats tout à fait regrettables, avec un sentiment accru d’injustice en une période où il faudrait mobiliser tous les acteurs de notre territoire pour améliorer notre situation.

Or, les gens ont été au contraire démobilisés, et ils se sentent peu concernés – on le voit au travers des enquêtes d’opinion – par les appels qui leur sont adressés par le Gouvernement. C’est une politique totalement néfaste ! Elle n’a pas répondu aux attentes mais elle a créé des effets pervers redoutables.

Mes chers collègues, si l’on veut, en définitive, faire un bilan objectif de la situation, il nous faut être attentifs à quelques éléments de synthèse qui nous sont fournis par les économistes.

Premièrement, lorsque l’on analyse objectivement la situation depuis 2002, il n’y a pas eu de baisse des impôts en France. Les prélèvements obligatoires sont restés à un niveau remarquablement stable : autour de 43 % du PIB. En revanche, la hausse des prélèvements sur les uns a financé la baisse de ces derniers sur quelques autres, un déséquilibre étant ainsi créé à l’intérieur des prélèvements.

Deuxièmement, la politique fiscale est marquée par une forte baisse des impôts au profit des ménages les plus aisés. Les deux tiers des baisses d’impôts de la période, représentant donc 20 milliards d’euros par an sur un total de 30 milliards d’euros – ces chiffres sont ceux d’une étude menée sur la période 2002-2008, mais le montant est aujourd’hui de 50 milliards d’euros, et non plus de 30 milliards d’euros –, ont concerné les plus riches.

Troisièmement – c’est le point le plus grave –, cette redistribution est également financée par les prélèvements sur les jeunes et les générations futures.

En effet, les baisses de recettes fiscales ont été en partie financées par l’endettement, via le creusement du déficit budgétaire qui, in fine, devra être remboursé par les générations futures.

Quatrièmement, la politique fiscale a été orientée vers la rente, en contradiction avec l’objectif affiché de revalorisation du travail. Il s'agit là d’une révolution discrète : depuis 2002 la fiscalité du patrimoine et de ses revenus a été considérablement et systématiquement réduite, là encore au profit des ménages les plus aisés.

Cinquièmement, la politique fiscale se révèle d’une grande continuité depuis 2002 : elle a été la même sous les gouvernements Raffarin et Villepin, entre 2002 et 2007, ainsi que, après cette date, sous la présidence Sarkozy.

Le tiers des baisses d’impôts consenties au profit des contribuables les plus riches est imputable à la période qui a commencé en mai 2007. Le rythme des cadeaux fiscaux aux plus aisés s’est même quelque peu accéléré : ils représentaient 2,4 milliards d’euros par an entre 2002 et 2007 ; ils s’élèvent à 3 milliards d’euros par an depuis 2007, et ce montant ne cesse d’augmenter.

Cette politique injuste vient se greffer sur un système fiscalo-social qui se caractérisait déjà par sa faible redistributivité. Aujourd’hui, la fiscalité française est devenue régressive. Mes chers collègues, notre système fiscal marche sur la tête !

Sixièmement, et enfin, toujours selon l’étude réalisée par des économistes – je puis vous citer ses auteurs, monsieur le rapporteur –, la politique fiscale a significativement accru les inégalités dans notre pays, renforçant des inégalités de marché qui, pourtant, connaissaient déjà une croissance importante. « Donner plus à ceux qui ont plus » : tel semble être l’étonnant credo suivi, depuis 2002, par la politique fiscale en France, au détriment, notamment, des classes moyennes !

Tels sont, mes chers collègues, certains des enseignements essentiels que nous pouvons tirer s’agissant de la politique fiscale menée durant cette période.

En définitive, et pour conclure, selon les prévisions du ministre du budget, 20 000 personnes bénéficieront du bouclier fiscal en 2010, ce qui coûtera de 650 à 700 millions d’euros au budget de l’État. Un millier de nos concitoyens recevront un chèque individuel de 370 000 euros ; 53 % des bénéficiaires du dispositif toucheront un chèque de 632 euros. On voit à quel point le fossé est en train de se creuser, à quel point l’injustice progresse !

Il s'agit donc là d’une politique qui n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés, qui a été extrêmement coûteuse pour le budget de l’État et qui a creusé d’une façon tout à fait dramatique les injustices dans notre pays.

Aujourd’hui, il faut supprimer le bouclier fiscal, et le plus vite possible. Pourquoi agir avec hâte ? Certains affirment, notamment au sein de la commission des finances, que, au fond, il n’est qu’à attendre la prochaine loi de finances, ou peut-être la suivante, que l’on trouvera un jour une solution, éventuellement sous la forme d’un « triptyque »,…

M. Thierry Foucaud. Une « tétralogie » !

M. François Marc. … ou peut-être mieux encore. Je crois pour ma part qu’il faut procéder au plus vite, et cela pour une raison simple : notre pays, dont la situation d'ailleurs a bien évolué depuis la mise en place de ce bouclier, traverse une crise dramatique pour ce qui concerne ses finances publiques. En outre, il sera confronté à une crise sociale d’une ampleur considérable.

M. Jacky Le Menn. Bien sûr !

M. François Marc. Dans ces conditions, comment mobiliser les Français autour d’objectifs qui permettraient à chacun d’espérer obtenir, à l’avenir, une juste part du gâteau ? Pour y parvenir, mes chers collègues, il faut supprimer les dispositifs de ce genre, qui créent un malaise très profond dans notre société. C’est ainsi, en prenant des décisions courageuses le plus rapidement possible, que nous nous mettrons en ordre de bataille pour affronter la situation très difficile qui nous attend.

C’est pourquoi il faut, dès aujourd’hui, ici et maintenant, supprimer le bouclier fiscal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les pays membres de la zone euro sont confrontés à une crise sans précédent, qui pourrait bien, à terme, remettre en cause la pérennité de notre monnaie.

Cette crise trouve son origine dans les dérèglements dont les marchés financiers ont fait l’objet : à force de rendre toujours plus opaques les échanges, de faciliter la libre et rapide circulation des capitaux et de vouloir se mettre à l’abri du risque en faisant chaque fois porter ce dernier sur les voisins, et surtout de façon camouflée, de telles difficultés étaient inévitables !

Aujourd’hui, cette crise a évidemment des répercussions en France, à telle enseigne que le Gouvernement nous annonce un plan de rigueur ou d’austérité – peu importe le vocabulaire, la réalité sera dramatique ! –, dont nous pouvons craindre, compte tenu de l’expérience passée, que ses mesures porteront principalement sur les classes moyennes et populaires.