M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.

M. Jacques Muller. La question posée est difficile, et je ne peux pas vous cacher que j’éprouve un certain malaise à entendre demander que soient trouvées les meilleures solutions pour répondre aux besoins des plus défavorisés et, surtout, à lire dans l’exposé des motifs de l’amendement que les besoins à couvrir pour les plus démunis seront de plus en plus importants. Cela me laisse quelque peu perplexe.

J’ai participé à une mission à laquelle le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, avait demandé de travailler sur le thème de la « transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation ». Je pense, mes chers collègues, qu’il est de mon devoir de porter à votre connaissance un extrait du rapport officiel remis par la mission, extrait qui traite de la nécessité de « mettre fin aux circuits de consommation discriminant des pauvres » :

« Les distributions alimentaires de toute nature représentent aujourd’hui en France un équivalent quotidien de 2,5 millions de repas. On a donc institué, année après année, un véritable circuit de consommation spécifique pour les pauvres.

« Il est distinct des autres circuits (il faut justifier de sa situation pour y avoir accès).

« Il ne conduit pas au droit commun (dans certains cas, il est d’ailleurs pris en compte parmi les ressources des ménages pour calculer le montant des prestations auxquelles ils auraient droit).

« Il contribue à stigmatiser ceux qui l’utilisent quelles que soient la bonne volonté et la qualité de l’engagement des personnes qui animent ces réseaux. »

Le rapport reproduit ici un témoignage recueilli sur le terrain, et je crois qu’il est bon que parfois nous aussi en entendions : « Quand je vais aux distributions, j’emporte des sacs Carrefour pour que les gens croient que je reviens de vraies courses ». La réalité humaine, c’est cela !

Le rapport poursuit : « La mission demande aux pouvoirs publics de prendre l’engagement de mettre en œuvre, avec l’ensemble de nos concitoyens et, en premier lieu, les acteurs et les bénéficiaires de ces circuits de distribution, les politiques alternatives à ces circuits de distribution dans un délai raisonnable. Ces politiques permettront de limiter le recours à ces modes de consommation aux seuls dépannages ponctuels liés à des situations d’urgence particulières, individuelles ou collectives. »

Monsieur le ministre, ma question est très claire : le Gouvernement est-il prêt à prendre devant la Haute Assemblée l’engagement de mettre en œuvre les politiques devenues indispensables pour limiter le recours à ces modes de consommation alimentaire, qui discriminent certains de nos concitoyens, aux seuls dépannages ponctuels ?

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Il me faut d’abord « digérer » l’intervention de notre ami M. Muller…

Tout le monde a bien conscience qu’au moment de leur création les Restos du cœur et les autres associations œuvrant dans le même domaine pensaient n’être que provisoires.

M. Charles Revet. Oui, et cela fait vingt ans !

Mme Nathalie Goulet. Personne n’a envie de les voir durer, et il n’est dans l’intention d’aucun des acteurs de ce mode de distribution d’exercer une action discriminante. Chacun fait exactement ce qu’il faut, et je peux attester que, par exemple, les responsables des Restos du cœur que je croise régulièrement font tout le nécessaire pour que leur local ait l’apparence la plus normale possible (M. Jacques Muller opine.) et que ceux qui y viennent n’aient pas à faire la preuve de leur indigence, qu’elle soit momentanée ou, malheureusement, plus durable.

La mission évoquée par M. Muller est probablement très intéressante, mais il me semble qu’elle est restée bien éloignée des réalités du terrain. Sans cela, comment aurait-elle pu demander que le Gouvernement engage une action « dans un délai raisonnable » ? Sait-elle ce que c’est que d’être face à des personnes qui ne savent pas de quoi elles-mêmes et leurs enfants déjeuneront ou dîneront ? Je crois que les Restos du cœur, que Charles Revet, sont plus proches de la réalité que le rapport cité !

Cela étant, je comprends bien le problème que posent les associations qui, comme les entreprises, bénéficient de subsides européens. Mais je suis partagée, car, d’un autre côté, permettre aux associations d’acheter et de stocker, c’est aussi, d’une certaine façon, contribuer à maintenir les cours…

Mme Odette Herviaux. Tout à fait !

Mme Nathalie Goulet. … de produits qui sont de première qualité.

Je ne connais pas le rapport qu’a cité M. Muller et, compte tenu des extraits qu’il vient d’en lire, je n’ai pas l’intention de le connaître. Mais je suis sûre d’une chose : je ne supporte pas que soient déversées des caisses et des caisses de nourriture quand, dans le même temps, des gens, afin de pouvoir se nourrir, vont récupérer des produits dans les poubelles du Carrefour dont vous vantez les mérites.

Je ne sais pas comment régler le problème, je ne sais pas comment rendre le stockage possible, mais je suis absolument certaine que l’on peut faire quelque chose, et je suis convaincue que la commission de l’économie, après ce débat ou peut-être même durant ce débat, trouvera une solution.

J’ignore quel sort Charles Revet entend réserver à son amendement et, l’accessoire suivant le principal, je suivrai évidemment son avis. Mais quoi qu’il advienne, monsieur le ministre, nous nous heurtons là à un vrai problème. Alors que certaines personnes ont besoin de nourriture et n’y ont pas accès, on assiste à des crises de surproduction, et l’été va encore nous en apporter son lot !

Il nous faut trouver, par exemple par un biais associatif – mais tout en laissant aux territoires la possibilité de s’organiser –, le moyen, sans passer par l’Europe, d’arrêter ce gâchis permanent qui s’étale sur nos écrans de télévision, en particulier lors de ces manifestations où sont déversés des choux-fleurs bretons, des fruits, des légumes, du lait… La situation est insupportable, et nous devons la régler. On sait le nombre de personnes qui ont besoin de cette nourriture, et il n’y aurait aucune solution pour la distribuer ? Parfois, c’est vrai, son transport coûterait plus cher que sa destruction !

Le problème relève de l’éthique et de la morale : malgré les rapports qui dénoncent le fait que les bénéficiaires doivent prouver leur indigence, il y a urgence. Il faut que la commission se penche sur cette question, ou bien que soit constitué un petit groupe informel dans lequel nous travaillerions sur les moyens alternatifs que vous pourriez nous suggérer. Car dans tous nos départements, mes chers collègues, il y a à la fois des régions de production et des personnes qui, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines, sont dans le besoin. Je suis bien certaine que les associations, les aides à domicile en milieu rural, tout ce que le territoire comporte de forces actives, parviendraient à mettre en contact ceux qui, parce qu’ils ne peuvent pas la vendre, risquent de jeter la nourriture qu’ils produisent avec ceux qui au contraire recherchent de la nourriture pour nourrir ceux qui en ont besoin. Quel que soit le côté discriminatoire que vous y voyez, mon cher collègue, je pense que l’urgence est de régler d’abord ces problèmes-là.

Je me rangerai donc derrière Charles Revet, mais, j’y insiste, nous sommes au cœur d’un vrai problème, auquel nous devons trouver une solution intelligente. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.)

Mme Marie-Thérèse Hermange. On te soutient, Charles !

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, pour explication de vote.

Mme Bernadette Bourzai. Je partage très largement les propos de Mme Goulet, et je serais tentée de dire à M. Muller, avec qui je suis très souvent d’accord, que parfois le mieux est l’ennemi du bien : dans la situation d’urgence où nous sommes, nous ne pouvons pas attendre.

Je voudrais, mes chers collègues, vous faire part de la double expérience qui est la mienne.

J’ai participé pendant quatre ans aux travaux du Parlement européen, et j’ai constaté, année après année, combien la dotation pour l’aide alimentaire était fragile. Chaque année elle est remise en question, et chaque année il faut se battre pour qu’elle soit maintenue. Alors, ne considérons pas que les choses sont acquises une fois pour toutes : c’est beaucoup plus compliqué que cela.

Par ailleurs, j’ai été maire pendant sept ans. J’ai donné aux Restos du cœur de ma petite commune – cela faisait partie de mes priorités – un local leur permettant d’accueillir dignement les personnes qui relèvent de leur aide, qui est notamment alimentaire, mais pas seulement. Et si je comprends bien les réticences que peut susciter l’idée d’institutionnaliser ce régime, je pense que l’on ne peut pas, dans l’état actuel des choses, rester sans rien faire face à des personnes complètement démunies et sans aucun moyen de survie, face à des familles en grande difficulté, notamment des familles monoparentales. Dans ma commune, en sept ans, le nombre de familles, et donc de personnes, ayant bénéficié des aides a doublé.

Malheureusement, la crise est là ; malheureusement, il y a trop d’exclusion. Il faut les combattre, il faut mettre en place des politiques, et le Gouvernement doit s’y attacher encore plus dans cette période de crise. L’urgence est grande, et je partage tout à fait l’opinion de M. Revet : les organisations non gouvernementales, les ONG, comme on les appelle, ont la possibilité d’utiliser comme elles l’entendent l’aide alimentaire que leur apporte l’Europe.

Par ailleurs, ce moyen de stockage ne me paraît pas négligeable pour la régulation des prix. (MM. Claude Bérit-Débat et Didier Guillaume, ainsi que Mmes Nathalie Goulet et Marie-Thérèse Bruguière applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.

M. Jacques Muller. Mes chers collègues, au risque de vous surprendre, je dois vous dire que je suis d’accord avec vous.

Moi aussi, dans ma commune, je travaille avec les Restos du cœur, moi aussi je connais ces personnes, et je suis d’accord avec vous lorsque vous évoquez les gaspillages.

Je voulais simplement me faire ici l’écho de ce qui est tout sauf un groupuscule, puisque la mission a été présidée par le président de l’association ATD Quart Monde France – c’est loin d’être une association marginale et elle fait « remonter » la parole des plus pauvres, de ceux qui ne s’expriment jamais. Ils considèrent qu’institutionnaliser ce type de disposition ne va pas sans difficultés.

Aujourd’hui, il nous faut avant tout répondre aux besoins urgents, nous sommes tous d’accord sur ce point, et cela passe par le maintien de ce dispositif. Pour autant, il importe que, dans le même temps, nous nous fixions un cap, car ce n’est pas une bonne chose qu’une société comme la nôtre s’accommode, finalement, de la mise en place institutionnalisée des modes de consommation et de distribution en question.

C’était là tout le sens de mon propos.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je partage évidemment les remarques qui ont été formulées sur la gravité de la situation, sur les gâchis auxquels on assiste depuis maintenant des décennies et qui, en matière alimentaire, ne cessent d’augmenter pour atteindre, dans certains pays développés, des taux de 40 % à 60 %. (M. Jacques Muller acquiesce.)

Qu’il faille remédier à cette situation, j’en suis tout à fait convaincu. Que le ministère puisse ouvrir une discussion avec des parlementaires, voire envisager une mission parlementaire sur ce sujet, pourquoi pas ? Je suis ouvert à toute proposition.

Cependant, lorsque nous avons abordé l’examen du titre Ier du projet de loi, j’ai souligné qu’il s’agissait ici de jeter les bases de cette politique publique de l’alimentation que nous mettons en place, d’en fixer certains principes, de prévoir un certain nombre d’obligations, comme les règles nutritionnelles. Nous modifions également les règles des marchés publics afin que ces obligations soient véritablement contraignantes et que les circuits courts puissent être favorisés. Nous avons donc déjà posé certains jalons.

En revanche, sur l’amendement n° 32 rectifié bis et le sous-amendement n° 673, je voudrais vraiment me faire le relais de la demande de retrait formulée par M. le rapporteur.

Soit cet amendement et ce sous-amendement sont redondants par rapport à la situation actuelle – puisque, acheter des produits alimentaires en période de surproduction quel que soit le domaine de production, les associations le font déjà, de la même manière qu’elles font déjà du stockage –, et la loi, qui ne fera qu’entériner l’existant plutôt que de proposer des choses nouvelles, restera probablement en deçà des attentes qu’expriment, notamment, les associations sur le terrain. Soit on va encore un peu plus loin et on cite les dispositions financières prévues par l’Union européenne, et alors, j’insiste vraiment sur ce point, nous prenons un risque important vis-à-vis du principe de subsidiarité. À partir du moment où l’État français, par voie législative, établit que les associations doivent ou peuvent stocker, l’Union européenne sera fondée à arguer que nous ne respectons plus le principe de subsidiarité, puisque nous prenons en charge cette politique à sa place, pour retirer les subventions qu’elle accordait pour l’achat ou le stockage de denrées alimentaires par les associations. Je ne veux pas faire courir ce risque juridique-là aux associations !

Une nouvelle fois, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de travailler sur tous les domaines qui ont été ouverts, je suis prêt à examiner l’idée de créer une mission parlementaire, qui peut être intéressante, mais je crois plus raisonnable de retirer l’amendement plutôt que de nous exposer à une contravention au principe de subsidiarité.

M. le président. Monsieur Revet, l'amendement n° 32 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Charles Revet. Monsieur le ministre, je suis assez malheureux, car vous savez combien je vous apprécie et vous soutiens.

Mais il est des moments dans la vie où il faut savoir avancer et prendre des décisions.

Alors, si ce qui vous gêne, c’est la référence aux dispositions financières, il faut supprimer les mots « en bénéficiant des dispositions financières prévues à cet effet par l’Union européenne ».

Qu’il y ait alors redondance, je vous le concède, monsieur le ministre. Serait-ce pour autant la seule dans ce texte ?

M. Didier Guillaume. Oh non ! Et ce n’est pas fini !

M. Charles Revet. Il ne me paraît pas anormal que le Parlement manifeste sa préoccupation, faisant savoir qu’il trouve tout à fait inacceptable qu’on ne prenne pas en compte les demandes et les besoins extrêmement importants des familles en difficulté alors que, dans le même temps, il existe des surplus inutilisés.

Afin qu’il n’y ait pas de référence européenne, je suggère donc à Mme Goulet de supprimer, dans le sous-amendement n° 673, le membre de phrase que j’ai cité à l’instant.

D’ailleurs, cette disposition pourra être modifiée ultérieurement. La discussion de ce projet de loi commence ici. Il sera examiné par l’Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire aura lieu.

Je maintiens par conséquent mon amendement assorti du sous-amendement qui serait ainsi modifié.

M. le président. Le problème demeurera. Madame Goulet, acceptez-vous néanmoins de rectifier votre sous-amendement dans le sens suggéré par M. Revet ?

Mme Nathalie Goulet. Accessorium sequitur principale, je modifie mon sous-amendement en supprimant les dispositions relatives aux aides européennes, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 673 rectifié, présenté par M. Dubois et les membres du groupe Union centriste, et qui est ainsi libellé :

Dernier alinéa de l'amendement n° 32 rectifié bis

Après la première phrase

insérer une phrase ainsi rédigée :

Les associations œuvrant pour l'aide alimentaire aux plus démunis peuvent s'organiser pour acheter des produits alimentaires en période de surproduction quel que soit le domaine de production, et les stocker.

M. Jacques Muller. Je demande la parole.

M. le président. Je ne puis vous la donner, mon cher collègue, car vous vous êtes déjà exprimé à deux reprises.

M. Jacques Muller. Je voudrais sous-amender le texte.

M. le président. Non, on ne peut pas sous-amender un sous-amendement !

Je mets aux voix le sous-amendement n° 673 rectifié.

(Le sous-amendement est adopté. – Mme Renée Nicoux applaudit.)

M. le président. Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 32 rectifié bis.

(L'amendement est adopté. – Mme Catherine Procaccia applaudit.)

M. le président. L'amendement n° 28 rectifié bis, présenté par M. Revet, Mme Henneron et MM. Le Grand, Gouteyron, Vasselle, Beaumont, Pierre, Doublet, Laurent, Trillard, Bécot, Merceron et Bailly, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

IV. - L'article L. 641-19 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Un produit peut porter l'appellation « fermier » dès lors qu'il est vendu en l'état ou que sa transformation en produit fini respectera les méthodes traditionnelles de transformation. Cette transformation peut se faire soit sur l'exploitation elle-même, soit en un lieu où les producteurs se sont regroupés pour assurer l'élaboration du produit fini. Les modalités d'application seront définies par décret. »

La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Nous allons très bientôt examiner l’amendement n° 651 du Gouvernement. Adopté ce matin en commission, il fait référence aux « produits faisant l’objet de circuits courts de distribution, impliquant un exploitant agricole ou une organisation regroupant des exploitants agricoles ».

Au terme d’une situation quelque peu paradoxale, aujourd’hui, si un produit est vendu à la ferme en l’état ou transformé, il peut porter l’appellation « produit fermier ». En revanche, il perd ce label si les agriculteurs ont choisi, pour une meilleure qualité de vie, de s’organiser en groupement – faculté au demeurant prévue dans le texte – afin de le transformer ensemble, non plus dans l’exploitation mais en un lieu au cœur du village.

C’est absurde ! En effet, l’acheteur d’un produit de ce type se préoccupe non du fait que celui-ci sorte de la ferme ou vienne d’à côté, mais de la méthode de transformation. Ce qui compte pour le consommateur, c’est de retrouver les qualités gustatives du produit, préservées grâce au procédé traditionnel de transformation.

Je suggère donc de maintenir l’appellation « produit fermier » dès lors qu’a été utilisée la méthode traditionnelle, quelle que soit l’origine du produit, dans l’exploitation ou dans le cadre d’un regroupement extérieur à l’exploitation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. Il paraît, en effet, excessivement sévère de ne pouvoir appeler « fermier » des produits issus de la ferme mais transformés ou travaillés, pour des raisons techniques, en dehors de l’exploitation.

Nous craignons toutefois d’affaiblir l’appellation fermière et de compromettre la définition du produit en permettant une trop large diffusion.

Sur cette question importante, nous souhaiterions entendre l’avis de M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. L’article L. 642 du code rural définit déjà le qualificatif « fermier ».

Dans le droit fil de l’amendement, j’insiste auprès de M.  Revet : le législateur doit veiller à ne pas être trop bavard ! Il est très bien de commenter, d’ajouter des choses bonnes et généreuses, mais ce que je souhaite, c’est que la loi soit opérationnelle et efficace. On peut se faire plaisir en ajoutant, ici ou là, des éléments intéressants et utiles, qui renvoient à des vrais débats de société. Mais une loi est faite pour être efficace, pour fixer des règles et nous permettre de créer ce qui n’existe pas aujourd’hui ou de modifier ce qui mérite de l’être. Je le répète : l’adjectif « fermier » est déjà défini par l’article L. 642 du code rural. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de le faire figurer dans cette loi.

Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Revet, l’amendement n° 28 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Charles Revet. Monsieur le ministre, ma préoccupation est-elle satisfaite ? Une réponse positive, qui figurerait dans le compte rendu des débats publié au Journal officiel, dissiperait tout problème d’interprétation. Je répète ma question : si quatre, cinq ou dix agriculteurs se regroupent et mettent en place, en dehors du siège de l’exploitation, dans le cœur du village, une installation qui utilise les méthodes traditionnelles de transformation, me confirmez-vous le maintien de l’appellation « produit fermier » ? 

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Revet, tout cela est déjà défini par le code rural. Je pense vraiment que votre préoccupation est respectée par les textes de loi en vigueur.

Si vous galvaudez le terme « fermier »…

M. Gérard César, rapporteur. Voilà !

M. Bruno Le Maire, ministre. … en ne faisant pas respecter un certain nombre de prescriptions définies dans le code rural quant à la signification du label « fermier », n’importe quel producteur de lait, d’œufs, de volailles va utiliser le label « fermier » pour une production industrielle.

Pour les volailles de chair, il existe un certain nombre de prescriptions, dont je vous épargne le détail, qui permettent d’établir que vous produisez de la volaille « fermière ». Attention à ne pas tirer les producteurs vers le bas en leur laissant entendre que tout peut être « fermier », pourvu qu’ils mettent simplement le label « fermier » !

Parce que le code rural me paraît répondre vraiment à votre préoccupation, parce que tout cela est clairement défini, il ne me semble pas nécessaire de le définir de nouveau dans la loi.

M. Charles Revet. Je retire l’amendement, monsieur le président !

M. le président. L’amendement n° 28 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 29 rectifié bis, présenté par MM. Revet et Etienne, Mme Henneron et MM. Le Grand, Gouteyron, Vasselle, Beaumont, Pierre, Doublet, Laurent, Trillard, Bécot, Merceron et Bailly, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

« ...- La vente sur le territoire national de produits alimentaires ayant utilisé pour la production, la conservation ou la transformation des substances ou des pratiques prohibées en France est interdite. Le non respect de ces dispositions peut être sanctionné d'une amende de mille euros. »

La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Cet amendement, qui va dans le sens de préoccupations clairement manifestées, se justifie par son texte même.

Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut des produits de qualité. La France a édicté un certain nombre d’interdictions d’utilisation de produits soit pour la production, soit pour la transformation. Il serait anormal qu’un produit interdit par les normes françaises puisse être utilisé ailleurs et vendu, une fois fini, à l’intérieur de notre pays.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard César, rapporteur. C’est vrai que nous donnons trop souvent l’impression d’imposer des contraintes qui pèsent sur notre compétitivité alors que nos partenaires ne les subissent pas.

Si l’idée est bonne, le texte présenté par Charles Revet ne peut être retenu. Le contrôle de l’accès aux marchés s’effectue sur la base d’une analyse des résidus. Si les taux limites, qui sont fixés assez bas, ne sont pas atteints, il n’y a aucune raison pour refuser l’entrée des marchandises sur le territoire national.

Cependant, et M. le ministre le confirmera certainement, il serait souhaitable que, dans les négociations internationales, une attention plus grande soit portée aux conditions de production.

Nous demandons le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Toutes les décisions de refus d’importation de produits pour des raisons liées à des règles sanitaires, environnementales ou à des règles de bien-être animal sont strictement définies par le droit communautaire. Il n’est donc pas possible de fixer de nouvelles règles à l’échelle nationale. Ces règles communautaires sont elles-mêmes très strictes.

La vraie question – et je comprends parfaitement votre préoccupation, monsieur Revet – consiste à savoir si les contrôles opérés sur des produits importés en provenance de pays étrangers à l’Union européenne sont suffisants et assez rigoureux.

C’est un débat qui a lieu au sein de la Commission et du Conseil des ministres. Il rejoint la question de la préférence communautaire, à laquelle je suis, pour ma part, très favorable, je ne le cache pas.

On ne va pas demander à nos producteurs agricoles de respecter un certain nombre de règles sanitaires ou environnementales très strictes, dont le coût est très élevé et qui renchérissent le prix de leurs produits, et puis, dans le même temps, importer, sans les soumettre à un contrôle rigoureux, des produits d’Amérique du Sud ou d’Asie qui ne respectent pas les mêmes règles sanitaires.

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Sur ce débat, je vous rejoins parfaitement. Ce problème, nous le réglerons non dans la loi française mais à l’échelle communautaire.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. J’entends bien ce que vient de dire M. le ministre et je rejoins tout à fait les préoccupations qu’il a exprimées.

La question est de savoir quels sont les moyens que l’Union et la France mobilisent pour lutter contre la fraude ou s’opposer à des producteurs qui ne tiennent pas compte des normes européennes.

Il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre, on a fait chuter les cours du blé en France en laissant importer des blés produits en Ukraine dans des conditions sanitaires sans commune mesure avec celles qui sont en vigueur dans notre pays. C’’était de notoriété publique et pourtant, il ne s’est rien passé !

M. Alain Vasselle. Il y a certainement des accords bilatéraux ou des accords passés entre l’Union et des pays extérieurs autorisant l’importation de produits qui viennent concurrencer les nôtres, dont les coûts de production n’ont rien à voir avec ceux de ces pays.

M. Alain Vasselle. Afficher, dans le discours, la volonté de lutter à l’échelon national contre ce type de pratiques, c’est bien. Encore faudrait-il que le niveau européen suive ! J’espère que vous allez rassembler autour de vous une majorité équivalant à celle que vous avez évoquée lors des questions d’actualité au sujet des négociations avec les pays du Mercosur, afin que nous fassions comme ces pays au niveau européen pour tout produit importé !

Nous partageons tout à fait votre philosophie. Nous soutenons votre action. Il reste à savoir si nous sommes capables de mobiliser des moyens pour le faire.

Permettez-moi un parallèle rapide avec l’assurance maladie. Éric Woerth, qui s’est fixé comme ligne de lutter contre la fraude sur le territoire national, a obtenu des résultats tout à fait intéressants. Sachons en faire autant en ce qui concerne la production agricole !