Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur les retraites.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conséquences de la tempête Xynthia, organisé à la demande de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Bruno Retailleau, président de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la nuit du 27 au 28 février dernier, Xynthia a tué 29 personnes en Vendée, 12 personnes en Charente-Maritime, et 53 personnes au total en France.

Ce bilan est inacceptable et, en ouvrant ce débat, je tiens, au nom de tous les membres de la mission commune d’information, à exprimer aux familles endeuillées notre immense sympathie ; bien entendu, nos pensées vont aussi à ceux qui, depuis hier, sont confrontés à la perte de proches ou d’amis dans le Var.

Je souhaite leur dire que tous leurs disparus habitent nos travaux et que le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est non pas de nous contenter de discours, mais de faire en sorte de tirer toutes les leçons de cette catastrophe pour que, à l’avenir, un tel drame ne se reproduise pas.

C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rapidement mis au travail grâce au président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, qui a proposé la création de cette mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

Nous avons mené plus d’une centaine d’auditions. Très vite, nous sommes allés sur le terrain, en Vendée et en Charente-Maritime, pour rencontrer les sinistrés. Nous nous sommes également rendus dans l’estuaire de la Gironde, à Bruxelles pour convaincre les commissaires de ne pas bloquer les aides promises, notamment aux agriculteurs, aux Pays-Bas pour comprendre comment ce pays, né des eaux par la main de l’homme, organise sa défense contre la mer et contre les crues.

Nos travaux se poursuivront avec la remise du rapport final qui est prévue au début du mois de juillet prochain. Ils ne s’achèveront pas pour autant : nous suivrons jusqu’au bout les mesures qui ont été annoncées ou qui le seront dans les semaines à venir, je pense par exemple au plan « digues », comme on l’appelle encore pour le moment improprement.

Nous avons cependant tenu à engager ce débat en nous appuyant sur ce rapport d’étape qui nous permettra d’enrichir nos réflexions.

Je souhaite remercier Alain Anziani, rapporteur, et tous les membres de la mission commune d’information de l’esprit dans lequel ils ont travaillé. J’ai été heureux de constater que, lorsque l’essentiel est en jeu, nous n’avions aucun mal à dépasser nos différences de tempérament, de géographie ou d’appartenance partisane.

Quels sont les premiers enseignements que nous pouvons d’ores et déjà tirer ?

Le constat est malheureusement sans appel : si Xynthia, comme phénomène climatique extraordinaire, était inévitable, le drame Xynthia, lui, n’était pas une fatalité.

La question des responsabilités est du ressort de la justice, qui est saisie. Toutefois, il est évident que ce drame a pour origine principale l’impréparation de la France au risque spécifique de submersion marine. Celle-ci a conduit à de graves défaillances et à une forte dilution de la responsabilité dans la chaîne de décisions.

Ces défaillances sont de natures diverses.

Elles apparaissent dans la phase de prévision et d’alerte : aucune évaluation des conséquences de la tempête à terre, un système d’alerte insuffisamment explicite, des plans communaux de sauvegarde inexistants, rendant délicates les mesures d’évacuation. Preuve de ce dysfonctionnement, la consigne était de se calfeutrer chez soi ; or, ce faisant, on enfermait les gens dans ce qui allait devenir leur tombeau.

Nous constatons également des défaillances dans la prévention. Pourquoi des maisons avaient-elles été construites, alors qu’il existait un risque naturel majeur avéré ? Pourquoi, en France, les plans de prévention des risques naturels sont-ils si peu nombreux, alors que, dans cette zone, le risque était bien présent ?

Enfin, les défaillances ont également concerné les systèmes de protection. La gestion des ouvrages naturels ou artificiels de défense contre la mer souffre en France de plusieurs maux : fragmentation de la propriété, retrait des financements de l’État, manque d’entretien, lourdeur des procédures, etc.

Sur chacune de ces défaillances, la mission fera des propositions concrètes.

En revanche, tous les avis convergent pour reconnaître le caractère remarquable de la gestion de la crise. Les secours, coordonnés par les préfets, ont été massifs et formidablement efficaces. Des centaines de vies humaines ont ainsi pu être sauvées et il faut rendre hommage à tous ceux qui ont fait preuve d’un courage exemplaire, souvent au péril de leur vie : sapeurs-pompiers, gendarmes, militaires, pilotes d’hélicoptères et, dans la phase suivante, secouristes et bénévoles.

C’est ainsi que, dans cette nuit noire de désolation, de nombreux actes de bravoure ou de générosité nous ont rappelé le vrai sens du mot « fraternité », qui est le plus beau, mais aussi sans doute le plus exigeant de notre devise républicaine.

Madame la secrétaire d'État, je souhaite également saluer la réactivité de l’État. Jamais un arrêté de catastrophe naturelle n’a été pris aussi rapidement, presque simultanément, au lendemain de la tempête, le 1er mars dernier.

Très vite, les mesures d’indemnisation et de soutien aux filières économiques ont été annoncées, tandis qu’un formidable élan de solidarité s’organisait entre les collectivités, les associations, les anonymes qu’il faut saluer comme le signe tangible des liens invisibles qui relient entre eux nos concitoyens.

Bien sûr, tout n’est pas parfait et il y aurait beaucoup à redire. À ce stade, je formulerai deux observations.

La première remarque porte sur les mesures de soutien aux filières. Plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, il faut impérativement obtenir le soutien de l’Union européenne, notamment à travers le Fonds de solidarité de l’Union européenne. Il convient également de revoir les délais de versement des aides, notamment pour la filière agricole. Madame la secrétaire d'État, un contrôle administratif tatillon de la Commission européenne s’impose-t-il lorsqu’il s’agit de mesures d’indemnisation et non d’aides susceptibles d’entraîner une distorsion de concurrence ? Il faut je crois replacer les choses à leur juste mesure.

Le problème de l’équité se pose également. Pourquoi existe-t-il un traitement différent pour les conchyliculteurs et les agriculteurs ? Ainsi, le taux de vétusté forfaitaire, de l’ordre de 10 % pour les agriculteurs, sera pris en charge totalement par l’État pour la filière conchylicole.

La seconde remarque concerne les zones d’acquisitions amiables.

La mission est tout à fait favorable au principe selon lequel les terrains exposés à un risque naturel grave doivent être déclarés inconstructibles.

Toutefois, l’application de ce principe juste a souffert de trois problèmes : trop précipitation, pas assez de transparence et beaucoup de confusion dans l’expression publique.

La position que la mission avait définie dès le 14 avril dernier lors de sa visite en Charente-Maritime est sans équivoque et peut se résumer rapidement.

Les périmètres actuels n’ont pas de fondement juridique : ils donnent aux propriétaires la possibilité de vendre leur maison selon une procédure d’acquisition amiable. Je pense qu’il s’agit là d’un point positif pour tous les sinistrés qui veulent tourner la page.

Ces périmètres ne doivent pas être définitivement figés. Il faut au contraire qu’ils soient resserrés au terme des deux prochaines étapes : la constitution du dossier d’enquête publique – il faut profiter des mois qui restent à notre disposition pour mener des expertises complémentaires –, la procédure d’enquête publique avec des expertises contradictoires au cas par cas, parcelle par parcelle, avant l’expropriation.

Nous souhaitons que l’État étudie un mécanisme de compensation fiscale pour les communes qui subiront aussi une destruction de leur base fiscale.

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous n’avons pas fini de gérer les conséquences de cette tempête. Mais il faut dès maintenant préparer l’avenir et ne pas se contenter de réagir à la dernière tempête. Car d’autres événements climatiques de cette nature surviendront, c’est une certitude.

Préparer l’avenir, c’est évaluer précisément les enjeux pour doter la France d’une véritable culture du risque. Ceux-ci sont de trois ordres.

Premièrement, en France, comme dans le reste du monde, les populations s’agrègent de plus en plus le long des estuaires et sur le littoral ; une délégation de l’ambassade du Japon le confirmait voilà quelques heures encore. La pression démographique et foncière ne se démentira pas sur ces zones.

Deuxièmement, le changement climatique accroîtra considérablement encore la vulnérabilité du littoral.

Ce changement climatique, qui entraîne une élévation du niveau de la mer, a été constaté dès le xxe siècle. De vingt centimètres au siècle passé, cette augmentation sera comprise entre cinquante centimètres et un mètre au cours du xxie siècle – tous les experts que nous avons rencontrés s’accordent sur cette estimation –, avec des conséquences impressionnantes en termes de surcote, donc de submersion marine, et de période de retour.

Les Néerlandais ont calculé qu’une élévation de cinquante centimètres du niveau de la mer ramenait la période de retour d’un événement centennal à dix ans !

Troisièmement, la culture du risque, c’est aussi la conscience du risque que peuvent avoir nos sociétés.

Or, vous le savez, nos sociétés, qui se considèrent hautement avancées sur les plans technologique et scientifique, ont progressivement tué l’idée même du risque, et par là même effacé la conscience du risque et affaibli la culture du risque.

La culture du risque, ce ne sont pas seulement des règles enfermées dans des codes. Nous sommes d’ailleurs sans doute les champions du monde des règles, mes chers collègues ! (Sourires.) Nous avons les codes de l’environnement et de l’urbanisme les plus fournis. Comme nous l’ont fait remarquer les experts que nous avons auditionnés, nous disposons en France de tous les outils nécessaires. Le problème ne se situe donc pas sur ce plan.

En réalité, la culture du risque ne doit pas être seulement l’affaire de l’État, des collectivités et des élus ! Elle doit aussi être très largement partagée par la population.

Chers collègues, tirer les leçons de Xynthia se résume fondamentalement à trois actions.

C’est d’abord prendre en compte la spécificité du risque de submersion marine, phénomène qui n’est pas en tout point égal à ce que l’on appelle une crue de rivière.

Cela signifie, pour le premier pilier de la prévision, procéder à une véritable évaluation des conséquences sur terre d’une surcote en mer, avec un système d’alerte intelligible, compréhensible, pour que les élus puissent prendre les bonnes décisions.

Concernant le deuxième pilier qui est celui de la prévention, la création de plans de prévention de risques de submersion marine doit obéir à des règles bien particulières. On sait bien que, désormais, l’État n’a pas les moyens de procéder à un contrôle de légalité systématique. Dès lors, il convient que celui-ci se concentre sur sa mission régalienne de protection des personnes. Le contrôle systématique des actes d’urbanisme doit être effectué de manière généralisée dans les zones à risques pour toutes les autorisations d’urbanisme.

Enfin, concernant le pilier de la protection, nous attendons bien sûr le plan « digues », qui portera vraisemblablement un nom différent ; du moins je l’espère.

À cet égard, madame la secrétaire d’État, il faut d’ores et déjà préparer les marées d’équinoxe. Quand le Président de la République est venu à La Roche-sur-Yon – vous étiez également présente –, il s’est engagé à ce que l’État finance 50 % du montant des travaux, non seulement pour conforter les brèches, mais aussi pour préparer les marées d’équinoxe qui doivent se produire à la mi-septembre. Les préfets attendent les délégations de crédits qui leur permettront de donner le feu vert aux maîtres d’ouvrage. Les ordres de service doivent être prêts ! Il faut les signer pour que les entreprises travaillent maintenant si l’on veut pouvoir affronter demain, en septembre, les grandes marées d’équinoxe.

Sachez que, concernant le plan « digues », nous ne sommes pas favorables à une gestion centralisée à l’échelle nationale, car l’État n’en a plus les moyens. En revanche, si la gestion doit être locale, il faut une stratégie nationale.

Le deuxième outil qui doit accompagner la culture du risque consisterait à adopter une approche de la gestion du risque non pas fragmentée – c’est le mal français ! – mais globale, ce qui signifie assurer une meilleure coordination entre les trois piliers de la prévision, de la prévention et de la protection.

Je m’appuierai sur un exemple simple. Il faut de vraies cartographies, adaptées au bon aléa climatique. Ces cartographies seront utiles à la fois pour le système d’alerte, le plan de prévention des risques et les plans communaux de sauvegarde, ainsi que pour mettre en relation la protection, le système dunaire, les systèmes de protection naturel et artificiel avec les problèmes que l’on peut constater précisément sur ces cartes.

Enfin, il faut associer plus étroitement la gestion du risque à l’aménagement de l’espace.

On ne peut pas – c’est notre conviction –, au nom du risque de submersion marine, sanctuariser de façon systématique tous les espaces littoraux. Cette conception serait vouée à l’échec. À l’inverse, on ne peut pas non plus laisser la pression foncière et immobilière s’exercer au mépris de la sécurité ou de la préservation des espaces naturels fragiles. À cet égard, nous ferons des propositions à Mme la secrétaire d’État dans notre rapport final pour concilier ces deux dimensions.

Pour conclure, les propositions que nous allons désormais développer s’éloigneront résolument de deux positions extrêmes. D’un côté, la vision progressiste et prométhéenne serait celle d’un monde où l’homme moderne prétendrait domestiquer complètement la nature et où l’État protecteur lui offrirait une sorte de garantie tous risques constitutionnalisée dans le principe de précaution. De l’autre côté, diamétralement opposée à la première, la vision régressive et malthusienne imposerait à l’homme de se soumettre et de s’incliner devant mère nature. Si l’on suivait ce point de vue, il faudrait placer en zone noire tout territoire précédemment conquis sur la nature !

Mes chers collèges, le risque fait partie de notre monde et de la société dans laquelle nous vivons. Il serait dangereux de le nier, mais il serait stupide d’en faire une fatalité. C’est un défi qu’il nous faut relever ; depuis Xynthia, nous n’avons cependant plus le droit de faire comme si de rien n’était. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune d’information, mes chers collègues, la tempête Xynthia, ses 53 morts, ses 500 000 victimes, ses 2,5 milliards d’euros de dommages marqueront certainement notre mémoire ; en tout cas, nous pouvons et nous devons l’espérer.

Cette tempête a provoqué l’indignation : comment se fait-il qu’un pays comme le nôtre n’ait pas été capable de prévenir sa population et de la protéger ? Le fait est là, terrible et indiscutable : nos connaissances n’ont été ni suffisantes ni suffisamment exploitées et notre organisation administrative a failli.

Notre rapport ne peut en effet se réduire à un examen des causes naturelles qui ont été rappelées ; ce serait une erreur considérable. Nous devons bien entendu aller au-delà et déterminer ce qui relève de notre responsabilité.

Celle-ci commence très tôt. Les dommages auraient été certainement très différents si nous nous étions inquiétés depuis longtemps d’un trait de côte fragilisé ou de cordons dunaires rompus.

Cependant, le pire maintenant serait d’oublier. Il est facile et souvent commode d’oublier, en retenant, par exemple, et je reprendrai ici les propos du président de la mission commune d’information, le fait que nous sommes en présence d’un risque centennal. Or, une telle fréquence théorique n’interdit pas que deux tempêtes se succèdent sur un intervalle de temps plus resserré demain, après-demain, l’année prochaine. Surtout, il suffit d’une augmentation de cinquante centimètres du niveau de la mer pour que nous passions d’un risque centennal à un risque décennal.

Xynthia peut donc devenir demain sinon une catastrophe ordinaire, du moins un événement ordinaire. Et c’est à nous, parlementaires, de faire en sorte que cet événement ordinaire ne devienne pas une catastrophe habituelle devant laquelle nous baisserions les bras.

Nous l’avons entendu cet après-midi : les armoires sont remplies de rapports sur les inondations ou les submersions, mais aucune décision n’est prise à l’issue de ces publications. C’est sans doute ce défi que nous devons relever.

Les Pays-Bas y sont parvenus avant nous. En 1953, ils ont connu une catastrophe qui a provoqué la mort de plus de 1 800 personnes. Ils ont alors changé l’ensemble de leur organisation administrative. Depuis, la submersion marine et les inondations n’ont plus fait une seule victime aux Pays-Bas.

Nous devons sans doute modifier notre manière de voir. J’examinerai avec vous quatre questions auxquelles notre mission a été confrontée.

La première, sans doute la plus médiatique, pas nécessairement la plus délicate, est celle de la délimitation des zones noires. Nous pensons que, dans certains lieux, dans certaines circonstances, il est de notre devoir d’évacuer les populations. Si notre position est claire quant au fond, elle l’est tout autant concernant la méthode : le procédé « à la hussarde » qui a été employé n’est pas satisfaisant. Les zones noires ont été pour 90 % d’entre elles créées en quinze jours, et ce davantage à l’appui de séries statistiques manipulées au sein de cabinets que lors de visites de terrain.

Cette approche technocratique a évidemment provoqué l’incompréhension et même, souvent, la colère, une colère qui perdure aujourd’hui encore. Elle a été perçue comme une sanction, là où était en réalité institué un droit de cession amiable dans de bonnes conditions.

Il me semble qu’il y a eu un manque de pédagogie et peut-être même d’humanité ; qu’il y a eu – excusez-moi pour ce terme, madame la secrétaire d’État – une cacophonie dans le vocabulaire employé par différents membres du Gouvernement ; qu’il y a eu des déclarations péremptoires sans véritable sens, la notion de zone noire n’ayant pas de fondement juridique. Tous ces éléments ont abouti à la confusion que nous avons constatée.

A contrario, dans d’autres départements, notamment dans celui dont Françoise Cartron et moi-même sommes les élus, nous avons eu la surprise de constater que des familles qui se sont retrouvées sur le toit de leur maison ne peuvent pas céder leur bien à l’amiable à l’État, ce qui, évidemment, provoque une inégalité devant la loi.

La deuxième question est celle de l’indemnisation. Elle n’est pas encore réglée.

Selon France Domaine, au 7 juin, 1 367 procédures d’acquisition avaient été engagées. L’estimation totale de l’indemnisation varie fortement : elle atteindrait 800 millions d’euros selon France Domaine, mais le ministre du budget indiquait il y a quelques jours une somme de 400 millions d’euros ; nous estimons pour notre part que le montant serait plus proche de 400 millions que de 800 millions d’euros.

Or, le fonds Barnier, chargé d’indemniser les victimes et de financer les digues, et dont les recettes annuelles ne dépassent pas 150 millions d’euros, dispose d’une trésorerie correspondant à 75 millions d’euros. Comment faire face aux indemnisations avec une telle somme ?

Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Nous pourrions peut-être effectuer un prélèvement exceptionnel auprès de la Caisse centrale de réassurance, ou CCR, ce qui est envisageable dans la mesure où celle-ci dispose de liquidités importantes. Évitons en tout cas de faire appel à de nouvelles taxes comme certains l’ont proposé, en considérant par exemple que l’on pourrait prélever un complément sur les taxes du foncier bâti dans les communes.

Les collectivités locales ont également subi des préjudices, à l’instar des filières économiques, mais je ne reviendrai pas sur ce qu’a déjà développé M. Bruno Retailleau.

J’en viens à ma troisième question, que je tenterai d’examiner le plus rapidement possible : aurions-nous pu éviter les dommages ?

À cet égard, nous sommes face à un paradoxe : la prévision de la tempête a été parfaitement exacte, les cartes de Météo France ont donné des prévisions justes, mais l’impact sur la terre n’a pas été bien calculé, et nous n’avions pas d’informations sur les effets de la submersion dans telle ou telle commune.

Il y a là un manque de connaissances, qui tient sans doute à des raisons techniques, mais aussi au morcellement de l’intelligence. Nous avons constaté au sein de la mission d’information que les personnes intelligentes étaient nombreuses mais qu’elles travaillaient dans des pièces différentes sans jamais se parler ou mettre en commun leurs savoirs.

Par ailleurs, la mission a mis en évidence un dispositif d’alertes controversé. Les préfectures considèrent qu’elles ont fait leur travail en transmettant aux maires les informations dont elles disposaient. Les maires que nous avons rencontrés se sont plaints de ne disposer que d’une information disparate ne leur permettant pas de prendre des décisions ; il pouvait s’agir d’une simple carte de Météo France ou d’une indication de surcote d’un mètre pour une commune non déterminée.

Comme l’a indiqué l’un des maires que nous avons interrogés : « trop d’alertes tue l’alerte ». Quand trente alertes sont décrétées au cours d’une année, c’est-à-dire deux ou trois fois par mois, et qu’il ne se passe rien, les populations ne donnent plus de crédit aux élus qui en sont à l’origine.

La prévention s’est révélée quant à elle gravement incomplète.

En Vendée et en Charente-Maritime, deux départements qu’il ne faut pas stigmatiser car cet événement aurait pu toucher d’autres départements, seules 46 communes disposent d’un plan de prévention approuvé et les plans communaux de sauvegarde sont très peu nombreux. Ce laxisme, si on peut dire, a abouti à la construction de 235 000 maisons entre zéro et moins deux mètres en dessous du niveau de la mer. Il faudra évidemment examiner à qui incombe la responsabilité de cette lacune.

La tendance naturelle qui se dessine est donc la suivante : le maire est rendu responsable, il est le bouc émissaire. Une telle logique révèle une méconnaissance totale de la procédure du permis de construire. La demande est, le plus souvent, instruite par les services de l’État, en l’espèce toujours par les services de l’État dans les communes concernées. Le maire, sur l’avis du service de l’État, délivre le permis de construire, puis le service de légalité, qui dépend encore de l’État, juge de la conformité de l’autorisation aux normes en vigueur.

Malheureusement, le service de légalité a failli. Nous avons constaté que sur l’ensemble des actes déférés au tribunal administratif, seulement 0,024 % concernent des autorisations de construire.

L’explication nous a été très clairement donnée : RGPP oblige, faute de disposer des moyens d’exercer le contrôle de légalité qui leur revient, les préfectures ne peuvent plus procéder que par échantillonnage, ce qui explique ce chiffre tout à fait insatisfaisant.

Je terminerai mon propos en évoquant le plan « digues ». Madame la secrétaire d’État, je saisis la chance de votre présence pour vous le dire très nettement : ne renouvelez pas, avec le plan « digues », l’erreur de précipitation qui a été commise avec les zones noires ou les zones de solidarité ! Je vous le dis en toute franchise, si le plan « digues » nous tombe brutalement sur la tête du haut d’un ciel technocratique, ce ciel qui sait tout, cela n’ira pas ! Un bon plan « digues », c’est un plan qui a fait l’objet d’une concertation, notamment avec les élus parfaitement avertis de l’état des ouvrages qui sont les leurs.

Je vous mets également en garde contre le risque de confondre plan « digues » et plan de protection. Il faut absolument qu’il y ait un plan de protection des populations ! Cela commence, par exemple, par le cordon dunaire. Renforçons les cordons dunaires avec du sable, réensablons les plages, comme les Hollandais savent très bien le faire ! Construisons des digues là où il le faut, rehaussons-les, ne serait-ce que pour tenir compte de l’élévation du niveau de la mer. Et puis, derrière ces digues, étudions la possibilité de constructions alternatives, soumises à des normes qui pourront différer des normes habituelles. Peut-être faudra-t-il parfois interdire purement et simplement les constructions.

Contraint par le temps qui m’est imparti, je ne peux évoquer tous les sujets. Je tiens néanmoins à dire que la digue doit être aussi un outil d’aménagement paysager. Qu’elle ressemble à un mur de béton, et elle « tuera », en quelque sorte, la commune où elle est implantée ! Elle doit être intégrée dans le paysage, qu’il soit urbain ou rural. Vous y parviendrez en créant, par exemple, des pistes cyclables sur cet espace, qui peut aussi accueillir des animations. Bref, faisons de la digue un élément qui attire le touriste au lieu de le faire fuir !

Comme l’a dit M. Retailleau, il faudra régler la question du financement et mettre en place une gouvernance des digues.

Je voudrais terminer en disant qu’il ne faut pas se tromper d’enjeu. Oui, il nous manque encore certaines connaissances – on peut toujours en avoir davantage ! Oui, il nous manque et il nous manquera toujours de l’argent ! Mais ce qui nous manque le plus, je peux l’affirmer, après tant d’années, après le rapport d’Éric Doligé, après la situation que nous avons connue à Vaison-la-Romaine, après d’autres rapports rendus sur des phénomènes similaires sans être identiques, ce qui nous manque le plus, c’est la volonté politique ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà à peu près vingt ans que je m’intéresse à ces sujets. Pour cette seule année, la France a notamment subi la tempête Xynthia et des inondations toutes récentes dans le Var. Et à chaque fois, au fil du temps, j’ai vraiment l’impression d’avoir parlé dans le vide. Les politiques nationales ont échoué, et les politiques locales n’ont guère eu plus de succès !

On se donne beaucoup de mal pour s’apercevoir qu’au final les choses ne bougent pas beaucoup ! Le titre du rapport d’information, « Xynthia, les leçons d’une catastrophe », m’intéresse beaucoup : j’espère que ce rapport va enfin nous permettre de tirer les leçons d’une catastrophe !

Nous vivons malheureusement dans une société qui ignore la culture du risque, une société dans laquelle l’oubli est particulièrement rapide, une société très individualiste, très émotive, dans laquelle le poids des médias est extrêmement fort.

Chaque fois qu’une catastrophe se produit, on en parle beaucoup, et puis, deux ou trois semaines après, cela passe : on cesse d’en parler et on l’oublie totalement. Et il ne reste que quelques individus – dont certains sont parmi vous – pour travailler sur ces sujets en essayant d’être à contre-courant et de trouver des solutions jusqu’à la prochaine catastrophe.

Bien sûr, celle-ci a été très marquante. Nous sommes à l’aube d’une petite révolution au terme de laquelle vont peut-être lentement réapparaître les rapports qui avaient été enfermés dans des armoires. Et dans toutes ces pages, peut-être trouvera-t-on quelques éléments intéressants qui dissiperont ce sentiment d’avoir travaillé pendant aussi longtemps dans le vide !

Sur les travées de la Haute Assemblée, comme au banc du Gouvernement, je vois un certain nombre de personnes qui travaillent depuis longtemps sur ces sujets et aimeraient voir aboutir les différents travaux auxquels ils ont participé.

Je voudrais élargir quelques-unes des constatations, des réflexions et des propositions d’ordre général formulées par M. le président de la mission et M. le rapporteur.

Comme l’ont dit MM. Retailleau et Anziani, toutes ces catastrophes sont l’illustration d’un urbanisme totalement incontrôlé : il se construit beaucoup de choses qui ne devraient probablement pas sortir de terre – certaines dans la légalité et d’autres à la marge.

Je me souviens d’un préfet de mon département qui, voilà plus d’une dizaine d’années, avait pris, pour les bords de la Loire, un programme d’intérêt général. Ce PIG a créé la révolution ! Les élus ne voulaient pas en entendre parler parce qu’il interdisait de construire – sans qu’il y ait à l’époque d’éléments d’urbanisme suffisants – sur des terrains en zone constructible qui avaient beaucoup de valeur puisqu’ils étaient au bord de la Loire. Personne ne voulait alors croire qu’ils étaient submersibles, alors que tous les documents l’établissaient !

Plus de dix ans après, un certain nombre de personnes se souviennent encore du nom de ce préfet et lui en veulent d’avoir interdit de construire sur des terrains qui sont assurément inondables à tous les coups !

L’urbanisme a été relativement incontrôlé. On continue de construire dans des zones fortement exposées aux risques. Chacun sait qu’en région parisienne, à peu près un tiers des permis de construire sont accordés dans des zones inondables – plus ou moins inondables, certes. Sans doute sont-ils « peu inondables » si on raisonne sur une décennie. Mais quels seront les dégâts quand surviendra une inondation centennale, du type de la crue de 1910 ?

Ce qu’il faut retenir d’une inondation, ce sont, bien sûr, les dégâts humains qui, dans le cas d’une submersion marine, sont considérables. Mais il faut aussi savoir que la France aura du mal à se relever d’une véritable inondation nationale ou d’une crue centennale sur l’un de nos grands fleuves.

L’habitat est totalement inadapté aux submersions marines et aux inondations. On laisse construire des habitats qui ne permettent pas d’absorber l’inondation. On ne tient pas compte des caractéristiques spécifiques de chaque type d’inondation. Et l’on a bien vu construire de plain-pied dans des zones inondables ! C’est totalement irresponsable de la part de la société en général. Malheureusement, nous sommes tous responsables de ce qui peut se passer.

Je voudrais encore évoquer quelques points. En matière d’urbanisme, il faut être beaucoup plus ambitieux et courageux. Or notre société manque de courage en matière d’urbanisme. Les maires doivent absolument être au courant des conséquences négatives des mesures qu’ils peuvent prendre dans leur commune. Ils autorisent un certain nombre de choses sans être exactement informés des risques encourus.

Même en l’absence de PPR, il faut les inciter à inscrire dans leurs documents d’urbanisme un certain nombre de contraintes. Ce courage ne doit pas leur faire défaut, quel que soit l’état d’avancement des documents en leur possession.

Xynthia nous montre l’importance d’adapter notre urbanisme et notre territoire aux risques d’inondation.

En matière de financement – peut-être est-ce un sujet qui pèse sur ce dossier –, on a le sentiment de vivre au-dessus de nos moyens. L’existence du fonds Barnier et du régime des catastrophes naturelles laisse à penser qu’on peut être protégé de tout et être remboursé des dégâts susceptibles de survenir à tel ou tel endroit.

Je pense, madame la secrétaire d’État, que le financement est un vrai sujet de réflexion. Il ne faut absolument pas donner aux habitants de nos territoires le sentiment qu’ils sont protégés financièrement et qu’ils n’ont donc pas de mesures à prendre.

Je vous incite à lancer une réflexion sur la pénalisation – non pas pour ceux qui ont déjà construit et l’ont fait dans la transparence – mais pour ceux qui seraient tentés de construire, à l’avenir, sur des terrains exposés aux risques d’inondation sans prendre les dispositions indispensables.

Je terminerai mon propos en évoquant les digues. Les submersions marines que nous avons vécues sont similaires à celles qui ont été subies en 2005 par la Nouvelle-Orléans. Nous nous sommes rendus sur place et avons constaté qu’elle ne s’en est toujours pas remise !

À notre retour, nous avons fait un certain nombre de propositions sur les digues, sur la manière de les financer et sur la gouvernance. Je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, poursuivre ce travail avec plusieurs collègues membres d’associations nationales.

Nous allons créer un groupe parlementaire composé de volontaires. J’ai proposé de le réunir pour travailler sur ce sujet et faire un certain nombre de propositions. Peut-être éviterons-nous ainsi le danger signalé par M. le rapporteur : celui d’un plan « digues » qui nous arriverait sans échanges ni discussions préalables.

Je suis persuadé que nous trouverons les voies et les moyens, notamment en collaboration avec votre cabinet, madame la secrétaire d’État.

Monsieur le président, j’ai conscience d’avoir été un peu bavard, mais nous avons tant à dire sur ce sujet ! J’aimerais que le Parlement et nous tous, nous penchions sérieusement sur ce problème. Nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé hier ou aujourd’hui, mais je pense que nous serions responsables de ce qui se passerait demain si nous ne faisions plus rien. (Applaudissements.)