M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion de cet échange autour du pré-rapport de la mission commune d’information, permettez-moi d’avoir une pensée en direction de toutes les familles qui ont été durement touchées par cette submersion marine. Cinquante-trois personnes sont mortes lors de cette tempête, soixante-treize ont été blessées et beaucoup sont probablement marquées pour longtemps par cette catastrophe.

On peut d’ailleurs féliciter les services de secours dont la mobilisation exceptionnelle a probablement évité des pertes plus lourdes.

Plus habituée à traiter les zones inondables le long des fleuves, j’ai pu constater, en travaillant dans le cadre de la mission, que la culture du risque dans ce secteur du littoral était inexistante ou presque. On dirait que l’intérêt de s’installer en bord de mer, l’attrait de la côte, la proximité des plages ont gommé le fait que le risque de submersion marine peut exister, même si l’on n’en a pas gardé la mémoire.

Quelques plans de prévention des risques avaient été prescrits, beaucoup restent à faire. Et on finit par se demander pourquoi la loi « littoral » n’a pas permis d’agir avant l’élaboration des plans de prévention.

N’a-t-on pas cédé quelque part un peu trop aux sirènes de l’immobilier, en particulier touristique, au mépris de l’intérêt humain ? On ne peut donc qu’être surpris de la précipitation avec laquelle le Gouvernement a décidé des zones noires, des zones d’expropriation, en dehors de toutes les règles que nous connaissons en tant qu’élus, pour la détermination de ces espaces considérés comme lieu où un risque mortel peut être encouru par ceux qui y vivent.

La transformation de ces zones noires en lieu de solidarité, qui est une belle invention sémantique, n’efface pas l’impression d’improvisation laissée auprès des habitants, des élus des secteurs concernés, mais aussi du grand public.

C’est un peu comme si l’État avait voulu faire oublier certaines de ses carences dans la gestion du littoral et du risque de submersion ! Je crois que, sans la mobilisation des populations et des élus locaux, nos protestations à nous, élus nationaux, n’auraient pas été suffisantes pour qu’un autre regard soit porté sur leur situation.

Le travail qu’il nous faut faire aujourd’hui nécessite d’analyser tous les dysfonctionnements afin de vérifier d’abord que les outils existants ont été bien utilisés pour prévenir les risques de submersion marine lors d’une tempête et ensuite s’il en manque.

Quand je dis « outils », je parle d’outils réglementaires et législatifs, mais aussi de moyens pour une meilleure connaissance du risque.

A-t-on mis en place des moyens pour simuler – même si, me dit-on, c’est difficile – une submersion sur l’ensemble de la côte atlantique de façon à voir quelles actions doivent être mises en place pour protéger les lieux quand c’est possible, pour interdire la construction quand on voit que le danger peut être mortel, pour réduire la vulnérabilité des biens et des personnes là où l’on décide de maintenir un habitat et des activités économiques ? Il semble bien que non.

Or, pour avoir participé à l’élaboration des plans de prévention des risques le long de la Loire, je dois dire qu’une telle simulation nous a aidés à comprendre comment le phénomène des inondations pouvait impacter notre territoire et comment mieux y répondre à l’avenir.

Je dis bien « nous », car, contrairement à ce qui vient d’être vécu sur le terrain, même si ce n’était pas la démarche de l’État au début du processus, les élus des communes ont, à l’époque, été associés à l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondation, dans une conception non pas seulement d’interdit, mais aussi du devenir des lieux où les règles d’urbanisme changent.

En effet, et c’est un point dont je pense que notre mission doit se saisir pour poursuivre son travail, il est indispensable de prévoir un avenir pour les territoires dans lesquels on pense que le risque est trop grand pour y laisser vivre ou travailler qui que ce soit.

Vous le savez tous, les espaces non gérés deviennent des lieux squattés. La pointe de l’Aiguillon-sur-Mer s’est ainsi couverte peu à peu de petites cabanes qui, avec le temps, se sont transformées en maisons, tout cela sans aucune autorisation, et je pourrais citer d’autres exemples, non seulement sur le littoral mais aussi dans le lit des fleuves.

Aujourd’hui, il faut s’intéresser aux indemnisations des victimes, à leur relogement, à la réinstallation des commerces, à la reprise des voiries et équipements indispensables pour un retour rapide à la vie normale.

C’est véritablement important, et je partage les grandes lignes des propositions de la mission mais aussi les interrogations du rapporteur sur la capacité du fonds Barnier à faire face aux coûts estimés.

Je m’interroge aussi sur la capacité du FISAC à répondre aux besoins exceptionnels liés à cette catastrophe, alors que de nombreux dossiers nécessitent son intervention régulière dans toute la France.

Nous devons aussi regarder l’avenir.

Il faut, dès maintenant, réfléchir aux projets que toutes ces communes vont pouvoir porter pour ces territoires dont il n’est plus possible de maintenir la destination de zones habitables.

Quelle action peut être menée pour aider les collectivités territoriales ?

Vous le savez, leur situation va être très fragilisée, d’autant que les pertes de ressources ne porteront pas seulement sur cette année, problème d’ailleurs récurrent pour tous les territoires soumis aux risques naturels.

Je voudrais également vous alerter, à l’occasion de ce débat, sur un autre sujet.

Si l’État et ses services élaborent avec les collectivités des plans de prévention des risques d’inondation dans lesquels sont édictées des règles d’urbanisme et des conditions de constructibilité, cela nécessite de redonner des capacités d’intervention aux maires sur les transformations réalisées sur un certain nombre de biens.

Les nouveaux textes permettent à un acheteur de transformer son bien sans en informer la commune s’il ne modifie pas la façade du bâtiment. Or, dans le cas d’un redécoupage, si nous exigeons, par exemple, qu’une pièce soit au-dessus des plus hautes eaux connues pour éviter aux populations concernées de courir à nouveau les mêmes risques, il n’y aura aucun moyen de vérifier que le projet est conforme au plan de prévention des risques d’inondation puisqu’aucun dossier n’est à présenter par le propriétaire auprès de la commune où se situe le bien.

Pour terminer, je voudrais en venir à l’alerte, autre sujet ô combien sensible, car c’est grâce à elle, à sa qualité, que l’on peut espérer sauver des vies humaines.

Je partage largement les premières préconisations de la mission, et je veux insister sur la nécessité de messages clairs, décryptés, autrement dit compréhensibles par les non-spécialistes.

La clarté est en effet essentielle pour savoir si l’on déclenche une évacuation ou si l’on invite les habitants à rester chez eux. Cela nécessite également d’avoir les moyens de s’assurer que l’alerte est bien reçue par les responsables.

Cependant, mettre en œuvre les actions préventives dès l’alerte suppose bien évidemment que les plans communaux de sauvegarde soient élaborés. L’État a demandé aux collectivités d’adopter ces plans, mais aucun moyen, particulièrement humain, n’a été mis à la disposition des collectivités pour les réaliser.

Combien de communes de petites tailles, comptant moins de 10 000 habitants, ont la capacité de concrétiser rapidement ces plans ?

Il me semble qu’aujourd’hui, sur cet aspect comme pour les délivrances de permis de construire et pour l’instruction de toutes les autorisations du droit des sols, les collectivités ont besoin d’un accompagnement des services de l’État.

Malheureusement, la révision générale des politiques publiques est passée par là et les personnels de l’équipement sont de moins en moins nombreux pour ces tâches. On voit très nettement la limite de la réduction des effectifs et les risques que ces mesures font peser sur l’application de règles pertinentes pour protéger les populations, les activités économiques et les équipements.

Ne pensez-vous pas qu’il est urgent de revenir sur la saignée de ces services qui avaient pourtant engrangé une expertise dont nous aurions bien besoin pour avancer plus rapidement dans l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondation avec les élus ?

Ces services pourraient utilement apporter leur concours pour aider à définir les mesures qui peuvent répondre à la protection des populations.

Ne pensez-vous pas qu’ils seraient utiles à la mise en œuvre de la directive européenne 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation ?

Celle-ci a été intégrée a minima au sein du Grenelle 2 pour que notre pays se mette rapidement en conformité avec les obligations de transposition.

Le travail des services de l’État avec l’ensemble des partenaires qui doivent être associés devrait, à mon avis, s’appuyer plus largement sur cette directive pour traiter les risques d’inondation sur notre territoire, en tenant compte des diversités de situations, conformément à ce qu’elle préconise.

L’inondation tragique que vient de vivre le Var confirme la nécessité de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour les travaux de prévention des risques et pour la réduction de la vulnérabilité de toutes les constructions afin d’assurer la sécurité des populations qui y vivent.

Enfin, pour respecter mon temps de parole je n’ai pas abordé le plan digues, mais je suis d’accord avec le président de la mission pour dire qu’il ne porte pas très bien son nom… (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’heure où le département du Var est en deuil à la suite des pluies torrentielles qui se sont déversées hier, mes pensées vont aux victimes, à leurs familles et à nos collègues sénateurs de ce département. Qu’ils soient tous assurés de ma compassion et de ma solidarité dans l’épreuve.

Cela dit, le débat qui nous rassemble ce soir concerne les conséquences de la tempête Xynthia.

Le dimanche 28 février dernier, la France s’est réveillée sous le choc, en découvrant les dégâts produits par la tempête sur le littoral atlantique et, plus particulièrement, en Charente-Maritime et en Vendée. La nuit d’angoisse et de mort vécue par nos concitoyens sinistrés, Charentais et Vendéens de l’Aiguillon-sur-Mer et de la Faute-sur-Mer, restera gravée dans nos mémoires.

Les images de la submersion marine et les désastres en chaîne déferlaient sur nos écrans de télévision, au fur et à mesure que le courant électrique était rétabli. L’onde de choc était à la mesure de l’horreur de ce désastre.

En Vendée et en Charente-Maritime, départements les plus violemment touchés, les villes du littoral ont été frappées d’inondations mortelles.

La-Faute-sur-Mer et L’Aiguillon-sur-Mer se sont en partie retrouvées sous un à deux mètres d’eau. Cinquante-trois personnes ont péri, dont vingt-neuf à La Faute-sur-Mer.

Jusqu’à un million de foyers ont été privés d’électricité dans une partie de la Bretagne, le Limousin, le Centre et en Auvergne. On n’en finirait pas de faire la liste des dégâts matériels mettant les sinistrés à la rue et bouleversant toute l’économie agricole, ostréicole, artisanale, commerciale et touristique de ces territoires !

Dès le 25 mars dernier, et sans attendre les conclusions des missions de l’État, le Sénat a décidé la création d’une mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

Le périmètre de réflexion, comme viennent de nous le rappeler nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani, président et rapporteur de la mission, porte sur les systèmes de prévision et d’alerte, sur les dispositifs de prévention et d’indemnisation, sur les règles d’urbanisme et le droit des sols, ainsi que sur le plan de reconstruction et de renforcement des digues.

Je m’associe aux remerciements déjà exprimés a leur endroit, en saluant leur disponibilité et la qualité du travail déjà produit.

En outre, je peux vous assurer, chers collègues membres de cette mission, que j’ai reçu de nombreux témoignages émouvants de Vendéens sinistrés à la suite de la visite qu’ensemble nous avons effectuée au mois de mars auprès des populations.

La première préoccupation étant de tirer les leçons de cette tragédie, la mission s’est donné pour objectif, lors de sa constitution le 31 mars, de formuler des préconisations précises et des mesures concrètes destinées à prévenir le renouvellement d’une telle catastrophe meurtrière.

Dans ce cadre, mon propos a pour objet de rappeler l’obligation de solidarité nationale envers tous les sinistrés, de souligner la « responsabilité partagée » de différents acteurs dans la catastrophe, d’envisager des pistes pour redéfinir la culture du risque qui devrait prévaloir sur notre littoral et, enfin, d’évoquer la question de la protection des populations contre l’action de la mer.

Le plan de soutien annoncé sur place le 16 mars par le Président de La République semble laisser de côté certains sinistrés de la tempête.

Certains attendent toujours des mesures. Je pense notamment aux exploitants agricoles dont les terres ont toutes été recouvertes par de l’eau salée ou à cet éleveur qui a perdu son troupeau de moutons.

Certains se sont vu opposer un refus. Il s’agit d’horticulteurs dont les serres ne pouvaient être préalablement assurées.

Madame la secrétaire d'État, il paraît indispensable, après bientôt quatre mois, de faire le bilan des indemnisations et je vous remercie d’être mon interprète auprès de M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

Les responsabilités à tous les niveaux doivent être établies. Je me refuse en revanche à désigner des coupables.

Je tiens ici à saluer l’esprit qui a guidé la mission, loin de l’effervescence qui a agité certains qui très vite dénonçaient des coupables et proposaient des solutions miracles.

La frénésie immobilière est le reflet du développement de toutes les zones littorales attractives, de politiques d’investissements touristiques et de développement économique des territoires. La culture de la villa « les pieds dans l’eau » a poussé l’ensemble des acteurs à participer à cette frénésie immobilière.

Reconnaissons-le, l’effervescence du développement économique a aussi créé des emplois et induit des équipements collectifs, amplifiant l’attrait touristique de notre littoral et lui conférant une valeur certaine.

Ainsi, des risques qui ne valaient pas la peine d’être courus pour de l’argent ont-ils été pris et une catastrophe naturelle s’est transformée en catastrophe humaine de dimension nationale.

Pour autant, nous n’avons pas la culture du risque, comme l’ont reconnu l’ensemble des responsables que nous avons auditionnés.

Le paradoxe, c’est que nous pratiquons la politique du parapluie pour éviter toute responsabilité. Ainsi développons-nous trop souvent une surprotection dont la surdimension finit par créer de faux problèmes et un écran de fumée.

Le principe de précaution est aujourd’hui dévoyé. En surréagissant, toute une chaîne de responsabilité, par crainte d’être désignée coupable depuis la judiciarisation de notre société, se couvre et se surprotège.

La culture du risque est une méthode, qui passe par l’identification du risque, son évaluation, la mise en place de moyens, une responsabilité solidaire, le suivi et la vulgarisation.

Nous sommes tous concernés, et c’est donc une approche sereine du risque qu’avec toute la population nous devons collectivement développer. Ainsi ne serons-nous plus tous potentiellement coupables mais tous effectivement responsables et solidaires.

Permettez-moi de faire référence à la contribution, intitulée « Protection des populations contre l’action de la mer », que j’avais rédigée dans le cadre du Grenelle de la mer, et qui a été retenue parmi les 138 engagements en faveur de la mer et du littoral.

Considérant que les risques pour les populations littorales étaient totalement absents des discussions du Grenelle de la mer, j’avais établi ce texte au printemps 2009, près d’un an avant la tempête Xynthia, pour mettre en garde les autorités et le monde maritime contre les effets cumulés de la surélévation du niveau de la mer et des événements climatiques extrêmes, qui accroissent les risques encourus par les populations et les biens dont la sécurité dépend d’une protection naturelle ou artificielle contre la mer. J’ajoutais que la connaissance hétérogène des points faibles, digues ou cordons littoraux, ne suffisait pas à engager des actions de prévention à hauteur des risques encourus par la population.

Il ne s’agissait pas de prémonition, mais seulement d’une réflexion de bon sens, issue de mon expérience du terrain ; je rappelle que je suis un élu du littoral vendéen.

À partir de ce constat, je proposais que la France se positionne comme leader d’un programme international de protection des populations.

Il s’agissait, dans un premier temps, de montrer l’exemple en établissant un recensement rapide, pragmatique, mais méthodique, de nos côtes métropolitaines et d’outre-mer, pour en identifier les points faibles : altimétrie, état des ouvrages, populations concernées... Il convenait, dans un second temps, de lancer un programme national spécial, contractualisé entre l’État et les collectivités, et indépendant des actuels contrats de projets, afin de financer les priorités arrêtées en concertation étroite avec les collectivités.

En effet, si le plan digues concerne l’engagement financier de l’État, la gestion de ces digues et du maintien du cordon dunaire doit être maintenue au niveau local. Il est souhaitable de conforter les collectivités de proximité dans cette mission de gestion.

Le pré-rapport, dont j’ai pris connaissance avec un grand intérêt, mentionne, dans son dernier chapitre, la protection des populations et le renforcement des digues.

Cité dans l’exposé, le recensement général, qui me paraît indispensable, pourrait être repris dans la synthèse des préconisations de la mission. Mais il nous faut encore travailler...

Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et craindre de révéler au grand jour une situation critique ! Le grand recensement que j’appelais de mes vœux, il y a plus d’un an, doit être lancé sans attendre.

Les directions départementales des territoires et de la mer disposent d’archives sur les ouvrages et de diverses études. Elles doivent être sorties des placards ! Il faut en faire un grand inventaire dans des délais très brefs ; compte tenu des enjeux, cette tâche ne devra pas prendre plus d’une année. Aucun territoire littoral ne doit y échapper, de nos îles lointaines jusqu’à la Méditerranée.

Cet inventaire sera la première étape d’un bilan de santé des rivages, qui devra être achevé dans deux ans et qui permettra d’évaluer les risques pour les populations.

Nous devons faire ce travail ! À défaut, comment pourrions-nous expliquer à nos concitoyens que rien n’a été fait depuis la tempête Xynthia si, l’hiver prochain ou le suivant, devaient se reproduire des événements similaires, dont la probabilité d’occurrence augmente.

Je tiens à vous rappeler, à la suite de Bruno Retailleau, que les prochaines marées d’équinoxe auront lieu en septembre prochain. Le plan digues, annoncé par le Président de la République, ne suffira pas à faire face à cette nouvelle menace. Nous devons mener une véritable course contre la montre !

Nous attendons toujours l’engagement du financement de l’État, à hauteur de 50 %, pour lancer de toute urgence les ordres de service en vue de la réalisation des travaux.

En conclusion, permettez-moi de saluer le courage des bénévoles, des professionnels et des collectivités qui se sont mobilisés pour secourir et aider les sinistrés de Xynthia. Je remercie également nos concitoyens pour leur élan de solidarité et leur générosité.

Il ne m’a pas été possible, faute de temps, de souligner à quel point il est indispensable de revoir la coordination des systèmes de prévision et d’alerte, ni d’aborder l’épineuse question des zonages et de la démolition de toute habitation située dans ces zones dites « noires ». J’apporte mon soutien aux propositions présentées par nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur ces deux points, qui sont repris dans le rapport d’étape.

Tirer les leçons de la catastrophe humaine qui a meurtri le littoral atlantique, pour ne plus jamais revivre une telle situation, telle est notre mission. Prendre les bonnes mesures pour protéger nos concitoyens des aléas climatiques, tel est notre devoir. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État., mes chers collègues, les épreuves vécues la nuit dernière, dans le Var, avec leur cortège de drames humains, donnent tout son poids à notre débat.

Comment ne pas avoir une pensée émue pour ces familles endeuillées ? Comment ne pas assurer de notre solidarité tous ceux et toutes celles qui, à l’occasion d’une tempête ou d’une inondation d’une gravité extrême, ont vu leur vie basculer en un instant.

Je ne suis pas de l’un de ces départements cruellement touchés par la dépression météorologique majeure, d’un type tout à fait exceptionnel, qui a dévasté plusieurs zones côtières, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, avant de poursuivre son œuvre destructrice en Auvergne et dans les Pyrénées. Mais, comme tous les élus de la République pleinement concernés par ce drame, je m’interroge sur les mesures que nous aurions pu prendre pour éviter une telle catastrophe, et pour en réparer les effets.

Loin de moi l’idée de dresser un bilan accablant tant en termes de prévention que de réparation. Je sais trop que l’on ne peut pas tout prévoir et tout guérir dans l’instant.

Je relève, tout d’abord, que les alertes orange, puis rouge, ont bien été déclenchées, et que les populations ont été invitées à la prudence, et même incitées à s’éloigner de la zone côtière immédiate. Je note aussi l’extraordinaire mobilisation de tous les acteurs concernés, qui n’ont économisé ni leurs forces ni leur énergie pour secourir les dizaines de personnes prisonnières des eaux et leur apporter un peu de réconfort.

Je ne néglige pas non plus toutes les démarches de solidarité qui ont été spontanément engagées pour réparer de façon urgente les dégâts matériels innombrables et, tout simplement, pour permettre à la vie de reprendre son cours.

Nous sommes cependant en droit, ou plutôt « en devoir », de nous interroger sur l’existence éventuelle de dysfonctionnements ou de carences.

Comment expliquer que l’on ait autorisé la construction de maisons dans des zones manifestement inondables ? Méconnaissance des risques, confiance infondée dans un système de digues fragilisées par le temps, pression inconsidérée de promoteurs immobiliers (M. Bruno Retailleau opine), insouciance de propriétaires ayant enfin réalisé leur rêve ? Toutes ces raisons s’additionnent et concourent au désastre que nous avons constaté.

N’existe-t-il pas, pour autant, des garde-fous ? La délivrance de permis de construire n’est-elle pas soumise à des règles, à des normes strictes ? N’y a-t-il pas de plans de protection des risques d’inondation, de dispositifs d’alerte, de plans communaux de sauvegarde, de campagnes d’information des populations ?

Tous ces dispositifs existent et sont prévus soit par la loi, soit par le règlement. Ils relèvent de la compétence de l’État et des collectivités locales. Étaient-ils en place, et convenablement activés ? La réponse n’est pas, me semble-t-il, uniformément positive.

La procédure de catastrophe naturelle est en soi une excellente chose, qui permet d’indemniser les sinistres dans des délais rapides, et selon des modalités spécifiques. Dans ce cas particulier, elle a été déclenchée dès le 1er mars, soit moins de quarante-huit heures après le passage de la tempête Xynthia. Comment expliquer, dès lors, que des personnes sinistrées en soient réduites, aujourd’hui encore, à reconstituer leur patrimoine et à en justifier l’existence pour obtenir des compagnies d’assurances une indemnisation décente ?

Le Gouvernement s’est engagé, pour sa part, à intervenir auprès des acteurs économiques les plus durement touchés : les agriculteurs dont les sols et les plantations ont été inondés et détériorés par l’eau de mer, les ostréiculteurs qui ont perdu tout ou partie de leurs exploitations, les artisans et les chefs d’entreprises privés de leur outil de travail.

Pouvons-nous obtenir l’assurance que le plan d’aide et d’allégement des charges est pleinement mis en œuvre ? Je serai attentive, madame la secrétaire d’État, aux réponses que vous nous apporterez pour l’ensemble des secteurs concernés.

Comment ne pas évoquer, enfin, cette mauvaise pièce de théâtre à laquelle nous avons assisté, quelque peu abasourdis ? Chacun y est allé de sa tirade, ajoutant maladresses sur maladresses, avant de reconnaître qu’une « erreur de communication » avait été commise.

Était-ce vraiment une erreur de communication que de dire haut et fort que l’État ne laisserait pas se réinstaller dans leurs maisons, si elles présentaient des risques mortels, des propriétaires en pleine détresse, comme de dire, quelques jours plus tard, que les « zones noires », devenues entre-temps « zones de solidarité », n’étaient pas complètement délimitées ? Quelle maladresse, oui, vraiment quelle maladresse, de balayer en un instant la vie entière de personnes fragilisées psychologiquement par le drame vécu !

Je veux donc espérer que les réflexions menées aujourd'hui au plan local, avec les préfets et l’ensemble des acteurs locaux, pour poser de nouvelles bases de travail et établir un zonage d’acquisition amiable, permettront de trouver une voie de rationalité et d’équilibre de nature à répondre aux exigences de sécurité et à satisfaire les attentes légitimes de la population.

J’en viens au plan digues, présenté comme la solution salvatrice. Permettez-moi d’en souligner les difficultés pratiques majeures.

Tout d’abord, quel est le statut de ces digues ? À qui appartiennent-elles ? À l’État ? Aux collectivités locales ? Aux propriétaires riverains ? Qui est chargé de leur entretien, de leur surveillance ?

À cet égard, la loi de 1807 est imprécise. Quant à la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui établit la nécessité de mener des études de dangerosité concernant les digues, elle n’apporte guère de réponses.

Ce plan digues, dont on ignore la forme et le contenu, devrait permettre, au préalable, de clarifier ces points de droit.

Je m’interroge, en outre, sur le plan digues lui-même. Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si des solutions alternatives ont été envisagées ?

Les zones côtières ne présentent assurément pas les mêmes spécificités sur le plan de la géographie physique. Il faudrait peut-être envisager d’autres moyens de défense contre la mer ; je pense, notamment, aux polders.

J’ajoute que ce plan, dont, je le répète, le contenu n’est pas encore défini, entraînera obligatoirement des dépenses. Or le montant des crédits susceptibles d’être alloués à ces travaux n’a pas été évoqué.

Madame la secrétaire d’État, je comprends que l’on réagisse à une situation aussi exceptionnelle, et pour partie imprévisible, à ce grand chaos, de façon également chaotique et désordonnée. Mais personne ne comprendrait, autour de nous, que le Gouvernement ne mette pas tout en œuvre pour en finir avec un système confus de responsabilité collective. Il faut instaurer une véritable culture du risque à laquelle la population doit être associée, par des exercices concrets d’évacuation, par exemple. Ainsi pourra-t-on élaborer une vraie doctrine générale de sécurité civile.

Nous savons, madame la secrétaire d’État, que nous pouvons compter sur vous. (Applaudissements.)