M. Jacques Mahéas. Attendez que je m’exprime ! (Sourires.)

M. Georges Tron, secrétaire d'État. … le Gouvernement, parce qu’il se trouve dans une position hiérarchique vis-à-vis des agents, se réserve le droit d’introduire dans ce dispositif les amendements qui lui paraîtraient nécessaires pour le bien des personnels et pour le bon fonctionnement de la fonction publique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais achever ce propos sans remercier très chaleureusement M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Vial et Mme Sylvie Desmarescaux du travail qu’ils ont accompli et de la qualité des échanges sur ce projet de loi. Il a régné entre nous une grande franchise ainsi qu’un respect tout à fait conformes à l’idée que je me fais du débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous achevons cet après-midi la discussion d’un texte menée tambour battant puisqu’elle a commencé voilà seulement trois semaines. J’avais alors souligné combien nos échanges avaient été courtois. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, dans cet hémicycle, courtois ne signifie pas nécessairement fructueux, il s’en faut ! C’est à croire que nous n’avons pas la même conception du dialogue. Or cette notion constitue le pivot d’un projet de loi censé porter sur « la rénovation du dialogue social ».

Comme le précise le dictionnaire, le dialogue suppose une « volonté commune d’aboutir à une solution acceptable par les deux parties en présence ». Ce terme ne convient donc absolument pas pour un texte qui comporte des mesures massivement rejetées par les organisations syndicales, alors même qu’il subordonne la validité d’un accord à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales ayant réuni au moins 50 % des voix. Quelle incohérence !

Il en est ainsi du troc « catégorie A contre retraite à 55 ans » imposé aux infirmiers, dispositif issu d’un protocole adopté par un seul syndicat, lequel n’a recueilli que 0,78 % des voix ! (Mme Josiane Mathon-Poinat acquiesce.)

Il en est également ainsi des mesures salariales – intéressement collectif ou grade à accès fonctionnel –, qui ont été unanimement repoussées.

Nous retrouvons le même sens biaisé du dialogue, entre le Gouvernement et le Parlement cette fois, quand on constate que ces mesures salariales, pourtant importantes, ont été introduites à l’Assemblée nationale à la sauvette, par le biais d’amendements gouvernementaux.

Au Sénat, monsieur le secrétaire d'État, l’opposition a pu mesurer les limites de votre affabilité (M. le secrétaire d'État sourit.) puisque vous n’avez soutenu aucun des amendements qu’elle avait présentés et que tous ont été rejetés. Les articles les plus litigieux ont même été adoptés conformes, ce qui a déclenché la colère et l’incompréhension, notamment parmi les infirmiers, qui ont été nombreux à nous contacter dans la perspective de la commission mixte paritaire, espérant encore une amélioration de ce texte.

Enfin, le choix du Gouvernement d’engager la procédure accélérée limite de fait le dialogue. Or ce projet de loi aurait mérité un examen approfondi puisque, grâce à de multiples ajouts, il comporte désormais 46 articles, contre 29 initialement !

Cette décision, au lendemain de la lettre rectificative relative aux infirmiers, montre bien que ce texte n’était pour vous qu’un prétexte pour faire passer, à la veille de la réforme des retraites, un dispositif qui escamote la question de la pénibilité. D’où cette inquiétude légitime : ce texte ne serait qu’un ballon d’essai. En effet, il s'agit d’une technique dont vous avez largement usé ces dernières semaines, aux cours desquelles vous avez laissé courir les rumeurs les plus folles sur la réforme des retraites.

Que les choses soient bien claires : nous sommes parfaitement conscients qu’il est essentiel d’engager cette réforme et que les fonctionnaires doivent en prendre leur part. Pour autant, celle-ci ne sera acceptée par les Français qu’à la condition d’être juste !

Or, en reculant l’âge légal, mais aussi l’âge où l’on peut faire valoir une retraite à taux plein, et en augmentant la durée de cotisation, vous choisissez de frapper principalement ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont bien souvent exercé les métiers les plus éprouvants. Aux termes du document de synthèse du ministère du travail, vous ne prenez en compte la pénibilité qu’« en maintenant la retraite à 60 ans pour les salariés qui, du fait d’une situation d’usure professionnelle constatée (maladie professionnelle ou accident du travail produisant les mêmes effets), ont une incapacité physique supérieure ou égale à 20 % : 10 000 personnes concernées. »

Est-ce à dire que, en France, seules 10 000 personnes, sur vingt-cinq millions de salariés, exerceraient un métier pénible ?

Pis encore, il faudra être physiquement déjà gravement atteint pour pouvoir bénéficier de ce qui constitue aujourd’hui encore un droit pour tous. Quelle régression intolérable ! Les Français ne s’y trompent pas : différents sondages attestent qu’ils sont une majorité à juger ce projet injuste.

J’en viens au sort réservé aux fonctionnaires. Ceux-ci subiront, comme tous les Français, le relèvement de l’âge d’ouverture des droits à pension et l’augmentation de la durée de cotisation. Ils seront également frappés par le passage de 7,85 % à 10,55 % de leur taux de cotisation. Bien qu’il soit lissé sur dix ans, ce processus se traduira mécaniquement par une baisse de leur pouvoir d’achat, déjà mis à mal depuis quelques années par des augmentations trop faibles du point d’indice, seul élément salarial dont bénéficient tous les agents. Cette hausse du taux de cotisation, sans qu’elle soit accompagnée d’une quelconque compensation, ne fera qu’accentuer cette dégradation salariale !

Cet alignement sur le privé, que vous appelez « convergence entre les régimes », n’est équitable qu’en apparence. J’en profite pour rappeler que, en ces domaines, comparaison n’est pas raison et qu’il faut se garder de toute démagogie consistant à désigner les fonctionnaires comme des privilégiés. En effet, faire circuler des chiffres, parfois spectaculaires, destinés à illustrer de supposées inégalités en faveur du secteur public, c’est oublier quelque peu la différence de niveaux de qualification. Ainsi, on compte 30 % de cadres dans la fonction publique de l’État, contre seulement 16 % dans le privé.

Encore avons-nous échappé au calcul de la pension sur les vingt-cinq meilleures années de carrière, au lieu des six derniers mois de traitement indiciaire !

M. Georges Tron, secrétaire d'État. C’est positif, non ?

M. Jacques Mahéas. Cela s’explique tout simplement par le fait qu’il vous faudrait, sinon, prendre en compte les primes et autres indemnités des agents, qui constituent plus de 20 % de leur rémunération. Or cela aurait évidemment un coût !

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, monsieur le secrétaire d'État, ces réflexions sur la réforme des retraites n’ont rien d’une digression. Sur ce dossier, vous mettez en œuvre, une fois de plus, une méthode peu respectueuse du dialogue social, un simulacre de négociations.

En pleine période de concertation avec les syndicats, alors que le document d’options rendu public par le Gouvernement restait très flou sur la fonction publique, des fuites, bien entendu fortuites (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), évoquaient tour à tour divers leviers d’action, tendant tous à niveler les régimes vers le bas, en ne tenant pas compte de la spécificité statutaire.

« Ballons d’essai », « poissons pilotes » : quelle que soit la métaphore utilisée, il s’agissait évidemment de tester l’opinion, de faire monter une inquiétude telle que, à l’annonce de vos choix, pourtant très politiques, règne une manière de soulagement, invitant à conclure avec humour que « c’est mieux que si c’était pire ! » (Sourires.)

Toutefois, nous ne sommes dupes ni de la manœuvre ni des annonces faites, mercredi dernier, par M. Woerth, lequel semble n’avoir rien retenu des consultations des partenaires sociaux. Il faut dire que ceux-ci n’ont eu connaissance du contenu de ses déclarations que quelques minutes seulement avant qu’elles ne soient rendues publiques !

C’est pourquoi nous avons de sérieuses raisons de craindre que les mesures annoncées ne soient déjà quasi intangibles et que les étapes suivantes ne soient que purement formelles. Cela vaut tant pour les prochains passages devant les différents conseils chargés d’examiner le projet de loi avant sa présentation en conseil des ministres, le 13 juillet prochain, que pour l’examen, à l’automne, du texte par le Parlement, transformé par vos soins en « chambre d’enregistrement express ».

Qu’est-ce qu’un dialogue dont les paramètres essentiels sont déjà arrêtés, sinon une parodie ?

Vendredi dernier, le Président de la République, censé endosser le rôle d’arbitre, a, selon un communiqué de l’Élysée, « demandé à Éric Woerth de lui proposer, au plus tard avant le début du débat parlementaire en septembre, les évolutions qui pourraient être envisagées sur tout ou partie de ces différentes questions,… » – à savoir la pénibilité, les carrières longues, les poly-pensionnés – « …dans le respect de l’équilibre général de la réforme ». En d’autres termes, il s’agit d’une réponse dilatoire, à la marge et au conditionnel, c'est-à-dire inappropriée et dérisoire !

Quant à M. Woerth, il se montre inflexible, excluant toute renégociation du relèvement de l’âge légal de départ et écartant également toute hypothèse de compensation de l’augmentation du taux de cotisation pour les fonctionnaires. Ainsi, dressant le public contre le privé, alors que la comparaison n’a pourtant pas de sens, il déclarait : « Non, on ne compensera pas, car comment voulez-vous régler une question d’injustice entre salariés du privé et du public et dire en même temps on compense ? Il faut regarder les choses en face et assumer, nous assumons. […] Nous augmentons sur dix ans, cela fait 0,27 % ou 0,28 % par an, ce n’est pas beaucoup. » Les intéressés apprécieront !

Il est vrai que ce Gouvernement ne les ménage guère ! Au nom du dogme aveugle du non-remplacement d’un agent sur deux partant à la retraite, il poursuit les diminutions drastiques d’effectifs : après que 100 000 postes ont été supprimés entre 2007 et 2010, la disparition de 100 000 autres est annoncée pour la période 2011-2013.

Année après année, l’éducation nationale est durement frappée. Au mois de mai dernier, le ministère a entamé avec les recteurs d’académie un « dialogue » – là aussi ! – pour élaborer un schéma d’emplois 2011-2013 visant à détruire des postes d’enseignants. Parmi les pistes de travail proposées, pour ne parler que de l’enseignement primaire, il est envisagé d’augmenter le nombre d’élèves par classe et de diminuer encore la scolarisation des enfants âgés de deux à trois ans. Et les communes, qui se trouvent alors contraintes d’ouvrir des crèches, se voient ensuite reprocher de trop embaucher !

Il est également prévu de supprimer de nouveaux postes d’enseignants du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, RASED, et de recourir à des non-titulaires pour les remplacements courts.

Je croyais pourtant, comme beaucoup de Français, avoir entendu à la télévision, le 25 janvier dernier, le Président de la République affirmer : « Je suis tout à fait prêt à envisager la titularisation progressive des contractuels. » Selon le Gouvernement, l’État emploierait 850 000 contractuels. Or ceux-ci seraient plutôt 1,2 million, si l’on inclut les médecins hospitaliers, les ouvriers de l’État et les contrats aidés. Nombre d’entre eux occupent des emplois permanents, ce qui justifie leur titularisation, comme le prévoient les statuts des trois fonctions publiques.

Étrangement, nulle lettre rectificative sur ce sujet ! Vous préférez différer... Attendons donc l’automne, non sans craindre que vous ne privilégiiez les passages de CDD en CDI de droit public, au détriment des titularisations pures. Nous serons attentifs, car cela participe des atteintes réitérées que vous portez au statut général des fonctionnaires. L’institution de CDI de droit public est un lourd symbole, en ce qu’elle tend à mettre en avant le contrat par rapport au statut.

La loi sur la mobilité des fonctionnaires facilite le recours aux non-titulaires et, novation scandaleuse, autorise l’emploi d’intérimaires. Un décret sur la réorientation professionnelle est sur le point d’être publié, une fois de plus malgré le rejet massif des syndicats, exprimé par le boycott du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État, le 11 février dernier. En pratique, il s’agit de créer une procédure de licenciement économique dans la fonction publique : désormais, il sera possible de licencier un fonctionnaire au motif que son poste est supprimé.

La multiplication des dispositifs de rémunération au mérite constitue également une atteinte au statut. Vous choisissez de sacrifier l’essentiel – la revalorisation du point d’indice – à l’accessoire – la prime.

Le Gouvernement nous promet la rigueur, même s’il use de toutes les subtilités de la langue de bois pour ne pas employer ce terme. La menace d’un gel des salaires des fonctionnaires en 2011, 2012 et 2013 plane. La hausse du point d’indice de 0,5 % au mois de juillet prochain, pourtant déjà actée, pourrait même être remise en cause !

Quant à la réforme des collectivités territoriales, que nous allons bientôt examiner, elle comporte son lot d’incertitudes et fait craindre d’autres lendemains qui déchantent…

Dans ce climat délétère, je crois l’avoir clairement montré, votre pratique du dialogue s’apparente en tout point à un monologue ! Sur les discussions du projet de loi de rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, je ne peux que constater l’absence de « solution acceptable par les deux parties en présence », vers laquelle aurait dû tendre un véritable dialogue.

C’est pourquoi nous ne pouvons voter en faveur d’un texte instrumentalisé jusqu’à l’absurde puisqu’il contient désormais des mesures ayant fait l’objet d’un passage en force, contredisant son propre objet : le dialogue social.

Substitution du monologue au dialogue, manque de véritable concertation avec les syndicats, rejet de l’ensemble des amendements que nous avons présentés : nous sommes manifestement en présence d’un repli sur une politique que je n’irai pas jusqu’à qualifier de réactionnaire, mais qui est indéniablement de droite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les règles du dialogue social issues du statut du 19 octobre 1946 prévoient que les fonctionnaires participent à l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière, par l’intermédiaire de délégués siégeant au sein d’organismes consultatifs, composés pour la plupart à parité de représentants des personnels et de représentants de l’employeur. Voilà ce que prévoyait la loi.

Ce dialogue social représente en fait la contrepartie du statut des fonctionnaires, qui permet à l’administration de modifier unilatéralement leur situation. Il s’agit surtout d’un moyen privilégié pour instaurer une relation de respect mutuel entre les employeurs publics et les agents, indispensable à l’évolution de la fonction publique. Ce dialogue constitue l’activité légitime des organisations syndicales, leur permettant d’assurer la promotion des intérêts individuels et de les conjuguer avec l’intérêt général sur lequel repose l’organisation des services.

Néanmoins, le dispositif n’a pas su accompagner les évolutions de la pratique actuelle du dialogue social et s’est par conséquent trouvé inadapté. Il était donc impératif de le réviser.

Le projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique devait être la transposition législative de l’accord du 2 juin 2008, qui a été qualifié d’« historique ». Signé par votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d’État, et par six des huit organisations syndicales de fonctionnaires, il constituait ainsi le terme d’un processus engagé dès 2002 par le Livre blanc sur le dialogue social dans la fonction publique, de Jacques Fournier, qui estimait que le système mis en place en 1946 devait être rénové.

Ce projet de loi, conçu comme le pendant, pour le secteur public, de la réforme de 2008 relative à la représentativité syndicale dans le secteur privé, devait améliorer les règles et les pratiques issues du statut de 1946, lesquelles ont très peu évolué, il faut bien le reconnaître.

Monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que nous féliciter de cette volonté de moderniser le dialogue social dans les fonctions publiques. Le projet de loi comporte d’ailleurs de véritables avancées, notamment la mise en place de nouveaux critères de représentativité des organisations syndicales.

Malheureusement, au-delà des intitulés et des formules, ce texte suscite de véritables inquiétudes.

Je pense tout d’abord au recul même du principe du paritarisme dans la fonction publique territoriale, issu du statut général de la fonction publique de 1946. À l’origine, il constitue la contrepartie de la situation statutaire des fonctionnaires. Certes, les travaux parlementaires ont permis de ne pas entériner sa totale suppression, au sein tant des comités techniques que des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Toutefois, le paritarisme est devenu une faculté, en lieu et place d’une obligation, puisque les représentants des employeurs de la fonction publique territoriale participeront au vote seulement si une délibération l’a prévu.

La présence des représentants des collectivités au sein des instances paritaires permet pourtant aux élus – vous en êtes un vous-même, monsieur le secrétaire d’État, ainsi que vous l’avez rappelé tout à l’heure – et aux personnels de mieux se connaître, de se fixer des objectifs communs, d’améliorer le fonctionnement de l’institution. La force du paritarisme, c’est qu’il impose le dialogue et la recherche du consensus.

Avec ce texte, la qualité du dialogue social, qui est pourtant la finalité affichée du projet de loi, risque finalement d’être compromise. C’est donc une véritable remise en cause de l’équilibre qui prévalait jusqu’à présent dans nos fonctions publiques.

Le second point sur lequel je souhaite manifester notre opposition concerne le régime des retraites des infirmiers et des personnels paramédicaux, prévu par une disposition introduite in extremis, la veille des débats à l’Assemblée nationale.

M. Jacques Mahéas. Tout à fait !

Mme Anne-Marie Escoffier. On peut légitimement s’étonner qu’un texte consacré au dialogue social aborde ce sujet quelques mois avant la grande réforme des retraites.

Mme Anne-Marie Escoffier. J’avoue ne pas comprendre cet empressement à traiter de cette question, véritable cavalier législatif qui n’a strictement rien à voir avec le dialogue social. (Mme Christiane Demontès manifeste son approbation.)

Le régime de retraite des infirmiers et des professions paramédicales devrait être examiné dans le cadre global de la réforme des retraites, comme le demandaient leurs organisations syndicales, et non en marge de celui-ci. C’est là une curieuse conception du dialogue social, convenons-en.

Au-delà de ce problème de forme, il s’agit d’une remise en cause évidente de la pénibilité de cette profession. Pourtant, le Président de la République admettait lui-même, dès 2007, que les infirmiers étaient les « oubliés » de nos politiques de santé, en dépit des grands services qu’ils rendent à la société, aux patients et à leurs familles. Plus récemment, au mois de janvier dernier, il reconnaissait la pénibilité du travail des infirmières et assurait que c’était un sujet complexe dont il faudrait reparler avec les syndicats.

Nul ne peut ignorer la réalité des conditions d’exercice de cette profession, appréciée et reconnue de tous, ni le rôle qu’occupent les infirmiers, infirmiers anesthésistes, aides-soignants chargés de prendre soin de nos familles, de chacun d’entre nous.

Leur charge de travail ne cesse d’augmenter du fait notamment d’une pénurie de personnel. Leurs horaires – travail de nuit, horaires alternés, repos décalés ou supprimés – sont éprouvants et perturbants, personne ne pourrait le nier. Leurs conditions de travail se dégradent. À cela s’ajoutent souvent un sentiment de solitude et la peur des agressions.

Vous ne pouviez pas, vous ne deviez pas faire l’économie d’une réflexion sur la pénibilité du travail, indissociable de la réforme sur les retraites.

Je souhaite enfin aborder la question de la mise en place de l’intéressement collectif dans la fonction publique. Celle-ci résulte de l’adoption d’amendements déposés à la dernière minute par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, ce qui a permis de passer de nouveau en force – nous ne pouvons que le regretter – sur un point rejeté par l’ensemble des organisations syndicales.

Pourtant, ces dispositions auraient mérité un véritable débat, car elles vont à l’encontre de l’intérêt général et mettent en péril la qualité du service public. La fonction publique se voit imposer une culture propre au secteur privé, celle de la concurrence et de la rentabilité financière, qui nécessiterait des aménagements pour la rendre compatible avec une bonne organisation des services publics.

Comment quantifier le rendement ? Comment mesurer l’intensité de l’effort et attribuer des primes d’intéressement correspondantes ? Au-delà du principe, le problème de la mise en œuvre pratique de telles dispositions reste entier.

Monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez compris, bien qu’il comporte de véritables avancées, ce projet de loi suscite également des craintes bien réelles, tenant notamment à une certaine dénaturation des accords de Bercy. Aussi la majorité des membres du groupe du RDSE ne pourront-ils y souscrire. Ils maintiendront leur position en votant contre le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte soumis aujourd’hui à notre examen pour une ultime fois avait initialement pour ambition de transposer au niveau législatif les accords de Bercy conclus le 2 juin 2008 entre le Gouvernement et six des huit organisations syndicales représentatives de la fonction publique.

Sur certains points, ce texte a tenu ses promesses. Le projet de loi étend bien le champ des négociations dans la fonction publique, consacre le principe des accords majoritaires, met fin à la condition de représentativité des syndicats, crée un Conseil commun de la fonction publique, instaure une reconnaissance des compétences acquises dans l’exercice d’un mandat syndical.

Mais, contrairement à ce qui était souhaité par les syndicats et qui avait été décidé en 2008, ce même texte a outrepassé les accords de Bercy, supprimant, dans un premier temps, toute trace de paritarisme au sein des instances consultatives de la fonction publique. Ces instances, supposées être des lieux d’échanges et de dialogue entre les représentants de l’administration et ceux des organisations syndicales, seront désormais vouées à ne plus connaître que des dialogues de sourds, sans aucun réel affrontement d’idées.

Même si un amendement voté à l’Assemblée nationale a permis aux collectivités territoriales qui le souhaitent de rétablir le paritarisme, il s’agit là d’une exception face à une règle que nous ne validons pas.

En outre, ce projet de loi introduit une logique entrepreneuriale dans la fonction publique, en instaurant des primes de fonction et de résultats, des intéressements collectifs et une forme de parachute doré pour certains cadres des corps de catégorie A. Une fois encore, nous ne comprenons pas l’acharnement manifeste du Gouvernement à vouloir calquer le fonctionnement du secteur public sur celui du secteur privé.

D’une part, nous pensons que la fonction publique et les services publics ont vocation à ne pas fonctionner comme le secteur privé, puisqu’ils reposent sur des conceptions et des principes totalement différents. Émanations de l’État démocratique, la fonction publique et les services publics sont d’une certaine façon missionnés par les citoyens et au service de ces derniers ; en revanche, le secteur privé est animé par une logique concurrentielle et de marché.

D’autre part, rien ne démontre une supériorité en termes d’efficacité du secteur privé par rapport au secteur public. De nombreux exemples, en France comme dans le reste de l’Europe, ont montré que les privatisations ou l’intrusion des règles managériales dans la fonction publique n’avaient apporté qu’une régression des services attendus et une augmentation de leur coût.

Enfin, un cavalier législatif déposé par le Gouvernement, au plus grand mépris du Parlement et de sa fonction démocratique, est venu modifier le régime de retraite des quelque 270 000 personnels infirmiers de l’hôpital public. L’adoption de cet amendement honteux, introduit à la dérobée dans un texte qui n’avait rien à voir avec ce sujet, a permis de régler le sort de ces professions paramédicales à toute vitesse. En outre, comme ce nouvel article a été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, il ne faisait pas partie des dispositions restant en discussion lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Certes, le Gouvernement peut être satisfait : cette martingale a fonctionné ! Désormais, les personnels infirmiers et paramédicaux devront individuellement choisir entre une rémunération légèrement revalorisée, à condition de partir à la retraite à partir de 60 ans, et une revalorisation quasi nulle s’ils maintiennent leur droit de partir à la retraite dès 55 ans. En somme, ces personnels paieront leur propre revalorisation salariale.

Ne serait-ce qu’en raison de l’introduction de cet article inacceptable, au mépris des organisations syndicales, nous voterons contre ce texte. En outre, le reste du projet de loi étant largement impropre à instaurer un véritable dialogue social dans la fonction publique, ce sera évidemment sans remords que nous agirons ainsi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique a rendu un rapport consensuel, qui s’inscrit dans le droit-fil des modifications souhaitées par notre assemblée. Le groupe UMP ne peut que s’en féliciter.