M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Jacky Le Menn. En réajustant à la hausse la TVA dans la restauration et en la portant de 5,5 % à 10,66 %, il serait possible de récupérer 1,1 milliard d’euros par an, ce qui permettrait une reprise de 11 milliards d’euros de dette.

Lors du débat de juillet dernier sur les orientations budgétaires pour 2011, la commission des finances du Sénat soulignait que le seul relèvement à 8 % du taux applicable à la restauration sur place permettrait déjà une économie budgétaire de 532 millions d’euros. Le Gouvernement n’aurait plus alors, comme il entend le faire, à solliciter à nouveau les mutuelles, et au final les ménages, en taxant les contrats complémentaire santé solidaires et responsables. Les mutuelles ont déjà dû répondre présent pour le financement de la CMU il y a deux ans et contribuer au financement de la récente pseudo-pandémie de grippe H1N1.

M. Guy Fischer. Quel scandale !

M. Jacky Le Menn. Pour prendre en charge la détérioration des comptes sociaux, l’État pourrait par ailleurs intervenir sérieusement sur les niches sociales et fiscales.

L’annonce faite par M. Baroin sur les modalités de taxation des prélèvements sociaux des contrats d’assurance-vie multi-supports et la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance constitue un premier pas, un petit pas. Celui-ci est cependant insuffisant car, comme le relève très justement le rapporteur général de la commission des affaires sociales, ces recettes « n’offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires », et « la taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance est une mesure à un coup ».

Il faudra donc trouver, avant 2012, d’autres niches à « raboter » – avec non pas un petit rabot mais une grosse varlope de charpentier – de façon à pouvoir véritablement assurer la pérennité des ressources nouvelles à affecter, par cette voie, à la CADES.

Deuxième piste : augmenter d’une manière responsable la CRDS, qui est la ressource essentielle de la CADES.

Au projet du Gouvernement de solliciter d’ores et déjà les ressources et les actifs du Fonds de réserve des retraites ou FRR et de reculer la fin de vie de la CADES, nous proposons de substituer la fixation d’un niveau de CRDS apte à reprendre les déficits des régimes vieillesse dans une proportion de 59 milliards d’euros.

Mes chers collègues, vous savez que le taux actuel de la CRDS est de 0,5 % et que son assiette est plus large que celle retenue pour la CSG. Nous pourrions porter ce taux à 1 %, ce qui permettrait d’apporter un supplément de ressources à la CADES d’environ 5,9 milliards d’euros par an de 2011 à 2020.

On peut aussi étudier la possibilité de moduler le taux lui-même, ou seulement son augmentation, en fonction des différentes assiettes sur lesquelles ce taux s’applique en lui donnant une valeur différenciée selon les cibles concernées.

À cet égard, je rappellerai – M. Vasselle l’a fait il y a quelques instants – que, lors de l’examen du PLFSS pour 2010, le Gouvernement a repoussé la proposition de la commission des affaires sociales, qui préconisait une première reprise de dette pour un montant de 20 milliards d’euros par la CADES accompagnée d’une hausse modérée de la CRDS, hausse qui aura tendance à s’accentuer si nous tardons à agir. À nouveau, nous le regrettons.

Troisième piste : majorer spécifiquement et très sensiblement, dans un esprit de solidarité, d’équité et de modernité, le taux de la CSG « patrimoine », qui cible les revenus patrimoniaux, et le porter de 8,2 %, son taux actuel, à 11 %.

Le produit de cette majoration, soit 3,8 milliards d’euros par an, serait affecté en ressources nouvelles à la CADES jusqu’à l’extinction du dispositif en 2021. Cette mesure permettrait une reprise de dettes de près de 38 milliards d’euros qui concernerait plus spécialement le déficit du régime vieillesse.

Soulignons qu’il n’est pas illogique de solliciter davantage les revenus du patrimoine pour combler la part du déficit engendré par les retraites. Aujourd’hui, en effet, une part significative du pouvoir d’achat des ménages provient des revenus non salariaux d’origine patrimoniale, à savoir les revenus fonciers et financiers.

Selon de nombreux économistes, le maintien d’un financement quasi exclusif des retraites par des cotisations salariales ne se justifie plus vraiment. Ainsi, la retraite ne devrait plus être considérée comme un « salaire différé » mais bien comme un « revenu global différé », avec les conséquences que cela suppose.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous articulions les propositions que notre collègue Bernard Cazeau et moi-même venons d’évoquer, nous pourrions reprendre 130 milliards d’euros de dette sociale, ce qui correspond au schéma que le Gouvernement nous soumet aujourd’hui. Cependant, nos propositions, contrairement au projet du Gouvernement, permettraient de ne pas obérer le fonds de réserve des retraites et de maintenir la date d’extinction prévue pour la CADES, 2021. Nous accomplirions ainsi un acte responsable s’il en est vis-à-vis des générations futures.

Monsieur le ministre, pour terminer, je réaffirme que le groupe socialiste votera contre ce projet, en solidarité avec les générations à venir, en solidarité avec notre jeunesse, dans l’espoir que celle-ci puisse garder pleinement confiance dans un système de protection sociale à la française qui, malgré ses difficultés actuelles, doit continuer à allier solidarité, équité et responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, François Baroin ayant dû s’absenter du Sénat pour des raisons tout à fait impérieuses, je vais répondre en son nom à Mme Hermange, M. Arthuis et M. Le Menn. Mais, dans la mesure où il a développé de façon détaillée, soit dans son intervention liminaire soit en réponse aux premiers intervenants, les différents thèmes qui ont été abordés, je serai bref.

Tout d’abord, je tiens bien évidemment à remercier Mme Hermange et M. Arthuis du soutien que leurs groupes respectifs apportent à ce texte. Quant à M. Le Menn, il ne m’a pas surpris ; je savais que le groupe socialiste s’opposerait à ce projet de loi organique.

Je rappelle tout de même que le projet de loi organique tel que nous vous le présentons est équilibré dans ses modalités, d’une part, et qu’il respecte parfaitement les priorités que le Gouvernement s’est assignées, d’autre part. Ne pas laisser aux générations futures le poids de la dette sociale, ne pas les faire payer demain et après-demain pour des dépenses d’aujourd’hui fait bien partie des priorités que nous tenons pour essentielles. Cela va tout à fait dans le sens de ce que vous avez exprimé les uns et les autres.

Par ailleurs, autre priorité, il faut accompagner la reprise de la croissance en limitant les prélèvements. Si nous ne restons pas sur ce chemin de crête, nous risquons, alors que la croissance donne des signes de reprise sur un certain nombre de paramètres, signes positifs que nous voudrions voir se confirmer, nous risquons, dis-je, d’en casser ou d’en ralentir le rythme. Si tel était le cas, c’est l’ensemble de la maison France qui s’en trouverait fragilisé.

M. Guy Fischer. Les salariés, surtout !

M. Henri de Raincourt, ministre. Ce n’est vraiment pas le moment.

On a parfaitement le droit – nous sommes en démocratie – de considérer qu’il faut augmenter les prélèvements. Pour notre part, nous estimons qu’il ne faut surtout pas le faire.

M. Guy Fischer. Mais vous le faites indirectement !

M. Henri de Raincourt, ministre. Et ce n’est pas par dogmatisme ! Si l’on regarde ce qui se passe dans des pays comparables à la France, on s’aperçoit qu’en termes de compétitivité nous ne décrochons pas du peloton, à défaut d’être en tête. Or, la fiscalité, l’ensemble des prélèvements jouent sur la compétitivité. En augmentant ceux-ci, on aboutit, et vous le savez comme moi, soit à des délocalisations, lesquelles ont pour conséquence une augmentation du chômage et une aggravation des difficultés fiscales, soit à une diminution du pouvoir d’achat. Les unes et les autres contribuent à freiner la croissance. Nous sommes face à une réalité qu’il ne sert à rien de nier.

M. Guy Fischer. Et on augmente le taux de cotisation des fonctionnaires de près de 35 % en dix ans !

M. Henri de Raincourt, ministre. Chacun assume ses responsabilités devant l’opinion. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons aucune crainte d’afficher notre volonté de ne pas alourdir la fiscalité.

La troisième priorité – elle est tout à fait d’actualité – est de poursuivre l’adoption et la mise en œuvre des réformes structurelles dont notre pays a besoin, en premier lieu la réforme des retraites, qui est en discussion en ce moment même à l’Assemblée nationale.

Madame Hermange, le Gouvernement partage tout à fait vos vues concernant l’allongement de la durée de vie de la CADES, concernant le FRR et l’ONDAM.

Monsieur Arthuis, les dépenses supplémentaires de 1 milliard d’euros annoncées dans le cadre de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites sont principalement constituées de dépenses transitoires visant à lisser l’effet de la réforme.

M. Guy Fischer. Je ne vous crois pas !

M. Henri de Raincourt, ministre. De toute façon, vous ne croyez jamais ce que nous disons, monsieur Fischer ! Ce n’est pas grave ; cela ne va pas nous arrêter !

Le véritable surcoût est lié à l’extension du dispositif de pénibilité, que le Gouvernement propose de financer par un versement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, donc en grande partie par les employeurs.

M. Bernard Cazeau. Pourquoi les accidents du travail ?

M. Henri de Raincourt, ministre. Quant à la réduction des déficits de la branche maladie et de la branche famille, elle dépendra de notre capacité à créer des emplois et à faire progresser la masse salariale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, d’après les dernières données, nous allons pouvoir réévaluer l’évolution de la masse salariale à 2 % en 2010 alors qu’on prévoyait moins 0,4 % au début de l’année. Cela prouve bien que nous créons des emplois. Certes, on peut toujours dire que ce n’est pas assez, mais nous voyons là les effets des mesures prises par le Gouvernement ces dernières années ; excusez-moi d’insister, mais si je ne le signale pas, personne ne le fera à ma place. (Sourires.)

Monsieur Le Menn, vous affirmez que le projet n’est pas à la hauteur des enjeux, et vous êtes libre de porter une telle appréciation. Je sais que vous souhaitez utiliser la fiscalité comme levier dans bien des domaines. Je n’y reviendrai pas.

En ce moment, je passe beaucoup de temps à l’Assemblée nationale et j’écoute ce qui s’y dit au sujet de la réforme des retraites. C’est très éclairant. L’opposition affirme disposer d’un contre-projet et propose, notamment, de maintenir la retraite à soixante ans. Parfait, mais comme vous avez intégré la durée de cotisation à quarante et un an et demi, comment comptez-vous résoudre cette contradiction ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Éliane Assassi. Ne soyez pas si simpliste !

M. Henri de Raincourt, ministre. Avec des retraites réduites ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Le Président de la République s’oppose totalement à la hausse des cotisations et à la diminution des prestations. Si vous envisagez de diminuer les prestations, dites-le donc aux Français : ils seront certainement très intéressés de l’apprendre !

Diminution des prestations, hausse des prélèvements d’au moins 37 milliards d’euros : voilà votre programme, allez donc l’expliquer aux Français !

Je dirai un mot, pour terminer, sur la proposition qui a été faite par certains de revenir sur l’abaissement du taux de TVA dans la restauration.

M. Jacky Le Menn. Et alors ?

M. Henri de Raincourt, ministre. Excusez du peu, vous le proposez à tout propos !

Je puis vous assurer que nous ne changerons rien à ce qui a été décidé, car l’État n’a qu’une parole ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Guy Fischer. Vous préservez votre électorat : les médecins, les agriculteurs et les restaurateurs !

M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le ministre s’exprimer !

M. Henri de Raincourt, ministre. Quant à solliciter les revenus du patrimoine pour financer la part retraite des déficits, c’est prévu, puisque, je me permets de vous le rappeler, une telle disposition est incluse dans le projet de réforme des retraites à hauteur de plus de 4 milliards d’euros.

En tout état de cause, si chacun voulait bien faire preuve de bon sens face à la situation, voulait bien considérer sagement ce qui a besoin d’être réformé, ce projet de loi organique serait voté sans difficulté. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des motions.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme Demontès, MM. Cazeau et Le Menn, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la dette sociale (n° 691, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la motion.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je sens que je vais encore énerver M. le ministre chargé des relations avec le Parlement… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Henri de Raincourt, ministre. Moi, énervé ?...

Mme Christiane Demontès. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a une portée essentielle puisque, au-delà de ce projet de loi organique, trois textes importants à venir comportent des éléments relatifs à la dette sociale. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a déjà mis l’accent sur ce point.

Il s’agit du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, du projet de loi de finances pour 2011 et du projet de loi portant réforme des retraites actuellement en débat à l’Assemblée nationale et non, monsieur le ministre, au Sénat !

À ce titre, nous nous associons à M. le rapporteur général, qui soulignait très justement la difficulté que nous avions à analyser de manière globale et claire la réforme qui nous est proposée. Les annonces de M. le ministre, qui n’ont rien à voir avec le texte que nous examinons aujourd'hui, ajoutent encore à la confusion.

M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales observait que seuls deux des quatre textes en question étaient disponibles alors que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont encore soumis aux arbitrages. Ce dernier projet de loi ne sera présenté en conseil des ministres, si mes informations sont exactes, que le 13 octobre prochain.

Depuis le rapport de M. Vasselle, la situation a changé. À la suite de la mobilisation contre le texte gouvernemental sur la réforme des retraites, le Président de la République a envisagé d’apporter des modifications. Certes, elles ne changent pas la philosophie du projet de loi, mais elles l’impactent budgétairement. Je pense, notamment, à la prise en considération de la pénibilité dès le seuil de 10 % d’incapacité reconnue. Certains chiffrent le coût de cette mesure à 1 milliard d’euros. Je pense aussi au maintien pendant cinq ans du régime de retraite des fonctionnaires ayant effectué quinze ans de carrière et parents de trois enfants ou encore au dispositif de carrière longue, qui devrait concerner les gens ayant commencé à travailler dès dix-huit ans.

Ainsi, monsieur le rapporteur général, ce sont non pas deux mais trois textes sur quatre dont les conséquences sur l’équilibre budgétaire sont inconnues ! Dire que cet état de fait est « particulièrement regrettable » est un euphémisme. Le Parlement est mis sciemment dans l’incapacité de juger les projets qui lui sont soumis, dans l’incapacité de contrôler l’action du Gouvernement, ce qui est pourtant une de ses missions premières.

Venons-en au fond. Selon l’exposé des motifs, il s’agit d’« apporter cette année une solution durable à la question de la dette sociale ». Comme l’affirmait mon collègue Jacky Le Menn, nous ne pouvons que partager cette ambition.

Le Gouvernement nous propose de transférer le déficit cumulé des années 2009 à 2011 à la CADES. Ainsi, la CADES aurait à amortir une dette de plus de 86 milliards d’euros. Conjointement, sa durée d’existence se trouverait prolongée de quatre années et son terme passerait de 2021 à 2025.

À nos yeux, une telle disposition est inacceptable, d’une part, parce que nous ne pouvons croire que cette mesure n’en appellera pas de similaires dans l’avenir, d’autre part, parce qu’il est inadmissible de continuer à faire peser la dette sur les générations à venir et à en augmenter la charge. Nous considérons que l’échéance de 2021 doit être respectée.

Le Gouvernement présente cette disposition comme une mesure exceptionnelle. Elle serait directement liée à l’impact financier de la crise sur les rentrées fiscales, lesquelles auraient enregistré 50 milliards d’euros de moins-perçu. Si les effets de la crise sur la dette sont indéniables, chacun s’accorde à considérer qu’ils n’en sont pas les seuls facteurs aggravants, contrairement à ce que laissent entendre le Gouvernement et la majorité. Ce n’est pas à une fatalité mais à un bilan que nous devons faire face…

À ce titre, souvenons-nous que pour 2009 le Gouvernement avait prévu une croissance de l’ordre de 1 %, la stabilisation de l’emploi et une augmentation de la masse salariale de 3,5 %, puis de 2 %. Or, dans les faits, le PIB a reculé de 2,75 %, notre pays comptant plus de 500 000 chômeurs supplémentaires, alors que la masse salariale a chuté de 1,25 %.

Comment ne pas évoquer la politique d’exonération fiscale qui plombe mécaniquement les recettes du régime de protection sociale ? Depuis des années, la Cour des comptes sonne le tocsin contre « le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions ou réductions » de charges sociales en tous genres, mais rien n’y fait. Elle a beau affirmer que l’efficacité est « trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité », le robinet fiscal continue de fuir et notre protection sociale est mise en péril.

La crise a un impact autant sur les recettes que sur les dépenses. Or, selon le rapport 2010 de la Cour des comptes, au regard d’une activité dite normale, le déficit structurel sur 2009 aurait atteint 5 %, ce qui représente une augmentation de 0,6 % par rapport à 2008. Ainsi, ce n’est pas, contrairement aux affirmations gouvernementales, la crise qui est responsable au premier chef de la situation déficitaire, mais ce sont bien les politiques menées en matière de recettes et de dépenses.

M. Guy Fischer. C’est très vrai !

Mme Christiane Demontès. Cette situation dégradée s’est traduite par un endettement croissant qui atteint 80 % du PIB en 2009 contre 60 % en 1999. Mais rien n’y fait, vous gardez le cap !

Prenons un exemple récent, celui du dégrèvement des plus-values réalisées par les entreprises sur les cessions de titres dit « exonération Copé ». Cette niche fiscale devait initialement peser 4,3 milliards d’euros, puis 4,5 milliards d’euros en 2008 et en 2009. Au final, son coût a été multiplié par trois pour atteindre 12,5 milliards d’euros en 2008, soit l’équivalent du « paquet fiscal » de 2007, puis 8 milliards en 2009. Malheureusement, les exemples de ce type sont nombreux. Ainsi, faire endosser la responsabilité de l’ensemble des dettes accumulées à la seule crise relève pour le moins de l’imposture.

M. Guy Fischer. Pour quels résultats sur l’ensemble !

Mme Christiane Demontès. Néanmoins, j’observe que ce texte consacre une rupture avec la gestion de la dette opérée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Souvenons-nous que l’adoption de l’article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 par la majorité avait autorisé l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, à emprunter 65 milliards d’euros afin de financer les déficits accumulés. Par cette manœuvre, que notre collègue Raymonde Le Texier qualifiait très justement de « politique de l’autruche », le Gouvernement, contre l’avis de la commission des affaires sociales du Sénat, avait signifié sa volonté de ne pas transférer cette dette à la CADES. Cette disposition est contraire à la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui dispose que les plafonds des avances accordées à l’ACOSS doivent permettre de faire face aux écarts de trésorerie de la sécurité sociale et non de financer la dette. Nous nous sommes opposés à ce choix tant sur la forme que sur le fond.

Quant à la Cour des comptes, elle estime dans son dernier rapport que la situation de l’ACOSS ainsi créée « deviendra rapidement insoutenable », alors que « la réduction du déficit de l’assurance maladie obtenue en 2004 et 2008 et la possibilité d’un transfert de cotisation de l’assurance chômage à l’assurance vieillesse donnaient une certaine crédibilité à cette perspective de retour à l’équilibre qui est désormais caduque ». Comment pourrait-il en être autrement dans un contexte de crise sans précédent alors que ce mécanisme creuse les déficits via les taux d’intérêts ?

Dans les faits, il s’agissait bien pour le Gouvernement d’échapper à l’obligation de relever la CRDS. Je vous avais bien annoncé, monsieur le ministre, que je vous énerverais de nouveau…

Demeurer fidèle à une orthodoxie financière injuste et inopérante et ne pas relever les impôts restent les maîtres mots de l’action gouvernementale. Malheureusement pour le pays, la situation économique s’est encore détériorée et les effets négatifs de ce choix pèsent de plus en plus sur le financement de la sécurité sociale.

J’en veux pour preuve le fait que la charge supplémentaire transférée à la CADES sur 2021-2025 impactera le montant des intérêts dus de près de 30 milliards d’euros, soit l’équivalent des intérêts remboursés entre 1996 et 2010. Lorsque M. le rapporteur affirme qu’il est question « de préserver la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale tout en s'interdisant d'en reporter trop massivement le poids sur les générations suivantes », il ne nous convainc pas du tout.

Monsieur le ministre, nous sommes tous conscients que vous devez faire face à un dramatique bilan. Malgré vos dénégations, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien de l’application d’un dogme, voire d’un fétiche !

Selon vous, mener de telles réformes serait faire preuve de courage et de responsabilité. Permettez-moi de vous renvoyer aux déficits abyssaux qu’enregistre notre pays, ainsi qu’à l’augmentation de la précarité et des inégalités. Le rapport de Gilles Carrez d’information préalable au débat d’orientation sur les finances publiques de juin 2010 et le rapport de MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis sur la situation des finances publiques d’avril 2010 démontrent que, si la législation identique en matière de prélèvements obligatoires était demeurée stable depuis 1999, le taux de prélèvement aurait été supérieur de 3,8 points de PIB, soit 45,3 % contre 41,5 % réalisés. Le manque à gagner structurel atteint donc 54 milliards d’euros.

Avec les effets cumulés de ces baisses de prélèvement, le niveau de la dette publique aurait été de 20 points inférieur au niveau actuel. Le déficit public se monterait à 4,2 % du PIB contre 7,5 % actuellement et la dette s’en trouverait diminuée de 10 milliards d’euros correspondant aux intérêts. Changer de politique est un impératif. Malheureusement, vous vous situez dans le continuum de cette politique du déficit chronique et du moins-disant social.

Venons-en aux ressources affectées à la CADES, qui est appelée à reprendre plus de 86 milliards d’euros de dette ainsi que les déficits futurs de la branche vieillesse. Ce sont donc 130 milliards de dette que nous devons apurer.

M. Baroin a expliqué en commission que des recettes nouvelles seraient octroyées. Il s’agit de 3,2 milliards d’euros par an pour reprendre 34 milliards d’euros de dette correspondant au déficit structurel des exercices 2009 et 2010 du régime général, du fonds de solidarité vieillesse et du déficit prévisionnel de l’assurance maladie pour 2011. Les ressources nouvelles proviendront de l’exonération de la taxe des contrats d’assurance maladie « solidaire et responsable », qui sera supprimée, pour 1,1 milliard d’euros. De la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation de sociétés d’assurance seront tirés 1,4 milliard d’euros.

S’ajouteront enfin 1,6 milliard d’euros tirés des encaissements dans les compartiments euros des contrats d’assurance-vie multi-supports. Au-delà du fait que ces mesures vont pénaliser les mutuelles, une fois de plus, alors que leurs adhérents verront leur cotisation augmenter, vous avez indiqué que ces ressources diminueront, notamment du fait de la dynamique décroissante des deux derniers dispositifs. Vous affirmez même qu’il vous faudra recourir à d’autres niches fiscales et sociales. Vous faites appel aux 34 milliards d’euros d’actifs du Fonds de réserve pour les retraites dévolus au lissage des retraites à l’horizon 2020 et que nous voulions « sanctuariser » pour les consacrer au désendettement.

En d’autres termes, et c’est la raison du dépôt de cette motion, les ressources affectées à la CADES dans le cadre du transfert de 86 milliards d’euros ne sont ni définies dans le temps, ni pérennes. Ainsi, non seulement vous ne respectez pas les termes de la loi organique de 2005, mais vous prenez aussi le risque de dégrader la notation de la CADES. Or, nous ne pouvons nous le permettre : ce serait une faute.

Jusqu’à présent, la France a bénéficié de conditions très avantageuses, puisque le taux d’intérêt apparent est de 4 %, ce qui correspond à un taux d’intérêt de 2,5 % du PIB. Cette situation, je vous le rappelle, ne peut être considérée comme forcément pérenne.

M. le ministre du budget s’est dit ouvert à la discussion concernant les « cliquets » prévus pour garantir la pérennité des financements, mais il sait bien que ces cliquets seront insuffisants et que, par nature, ils ne recouvrent pas des ressources pérennes. Mon collègue Jacky Le Menn a fait part de nos propositions en la matière, qui prévoient, notamment, l’augmentation du taux de la CRDS, ressource essentielle de la CADES, de 0,5 % à 1 %, une révision à la hausse de la CSG, par une augmentation de son taux ou sa modulation en fonction des différentes assiettes sur lesquelles il s’applique. Je pense aussi à la majoration spécifique et sensible du taux de la CSG-patrimoine qui pourrait passer de 8,2 % à 11 %. Enfin, remettons en cause le bouclier fiscal. Voilà qui répondrait à la nécessité de doter la CADES de ressources pérennes.

Monsieur le ministre, le législateur a le devoir de respecter scrupuleusement les lois qui lui sont imposées. Or ce texte ne respecte pas les règles constitutionnelles. Voilà la raison pour laquelle nous défendons cette motion d’irrecevabilité : il ne s’agit pas d’un exercice formel, car un motif essentiel d’irrecevabilité existe sur le fond, comme nous venons de le voir. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Sénat doit avoir la sagesse de voter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)