M. Jacques Blanc. Eh oui, il faut faire attention !

M. Jacques Mézard, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Notre dernière piste concerne le niveau territorial pertinent pour la mise en œuvre des dispositifs de péréquation. Faut-il continuer à concevoir la péréquation à l’échelon communal ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les services de l’État – vous venez de nous le rappeler, madame la ministre – nous ont eux-mêmes avoué au cours de nos auditions qu’ils rencontraient des difficultés méthodologiques majeures pour mesurer les effets des dispositifs de péréquation sur l’ensemble des 36 000 communes.

C’est pourquoi nous avons proposé à la délégation la territorialisation de la dotation globale de fonctionnement. En effet, nous considérons que l’approfondissement de l’intercommunalité, dont le Parlement a adopté le principe, dans le cadre du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, permettrait à terme de réaliser une péréquation sur le plan intercommunal, en fonction de la richesse de l’établissement public de coopération intercommunale et de ses communes membres.

En définitive, l’ambition de la réforme de la péréquation que nous appelons de nos vœux doit favoriser une logique de péréquation entre collectivités plutôt qu’une cristallisation des situations acquises.

Cependant, compte tenu de ses effets importants sur les finances de nos collectivités, déjà fragilisées par un contexte que chacun ici connaît, cette réforme doit être réalisée progressivement afin de ne pas affaiblir davantage nos territoires.

Nous souhaitons être audacieux. Puisque nous vivons dans la recherche de la simplification et de l’efficacité, pourquoi ne pas instituer une seule dotation nationale de péréquation afin d’améliorer la lisibilité et, surtout, de simplifier la politique de péréquation locale, que nous souhaitons ardemment ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet et M. Pierre Jarlier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la péréquation est un bon sujet. Un sujet de débat, certes, mais l’essentiel à nos yeux est que la volonté de débattre ne se substitue pas durablement à la volonté d’agir en faveur de la péréquation. Or, sur ce terrain, la frilosité du Gouvernement et de sa majorité s’est vérifiée maintes fois ici même. Nous en avons fait le constat à plusieurs reprises, notamment lors de l’examen de notre proposition de loi sur le renforcement de la péréquation des ressources des collectivités, en 2007.

Pourtant, aujourd'hui, il y a urgence à agir ; deux raisons de fond le rappellent de manière lancinante.

La première raison de fond réside dans les risques de rupture d’égalité républicaine face aux services publics de proximité.

Depuis plusieurs années, les transferts de compétences diverses aux collectivités se sont multipliés, sans que les ressources correspondantes aient été octroyées à celles-ci pour la mise en œuvre de ces actions de service public déléguées.

Dans le cadre de l’acte II de la décentralisation de 2004, de nouvelles compétences sont chaque année transférées en nombre aux collectivités. Mais cette montée en puissance des compétences est mal compensée et se révèle, de ce point de vue, de plus en plus préjudiciable aux budgets locaux.

L’écart entre « décentralisation institutionnelle » et « décentralisation financière » aboutit à un « effet de ciseaux » pour les collectivités. À cet égard, je rappelle la menace financière qui pèse aujourd’hui sur les budgets de certains départements.

Par conséquent, sauf à laisser certaines collectivités hors de tout processus de développement local, la péréquation doit impérativement accompagner l’accroissement des compétences locales.

La deuxième raison de fond tient à l’injuste répartition des ressources et à l’iniquité fiscale.

Du fait de la diminution marquée de la part des ressources fiscales dans la structure du financement des collectivités territoriales, la fiscalité locale n’assure pas l’équité entre les collectivités sur le territoire.

Selon les conclusions des rapports officiels publiés au cours des derniers mois, il y a en France de fortes disparités de potentiel fiscal par habitant. Cela varie du simple au double pour les régions, du simple au quadruple pour les départements et de 1 à 1 000 pour les communes. C’est considérable ! La situation mérite incontestablement d’être corrigée.

Or aucune réforme ni correction n’ont été faites sur les bases d’imposition et sur le système de prélèvements fiscaux.

D’une manière générale, les ressources fiscales des collectivités locales, qui sont assises sur des bases obsolètes, apparaissent aujourd’hui en décalage avec la réalité des besoins générés par les compétences exercées et, surtout, ne reposent pas sur un dispositif de réelle justice fiscale.

Aussi la péréquation est-il le seul moyen de corriger de telles inégalités de traitement.

Au-delà de ces deux constats alarmants, on doit en outre faire état – c’est sans doute ce qui justifie notre débat d’aujourd'hui – d’une aggravation de la situation tenant à la loi de finances pour 2010.

Les différents rapports officiels de ces derniers mois ont apprécié l’effet de la suppression de la taxe professionnelle et du nouveau schéma local en matière de fiscalité. D’après ces rapports, la compensation par les dotations de l’État d’une partie de la perte de recettes liée à la réforme de la taxe professionnelle pourrait avoir pour inconvénient une réduction mécanique de la part de péréquation dans l’ensemble des dotations versées aux collectivités. Elle aurait surtout l’inconvénient de figer les rentes de situation dont bénéficient actuellement certaines collectivités en raison de leur assiette fiscale, la réforme de la taxe professionnelle pouvant même accroître certaines disparités existantes !

En outre, les simulations réalisées par le journal La Tribune – certains d’entre vous ont pu les consulter – ont montré à quel point la suppression de la taxe professionnelle et ses conséquences pouvaient contribuer, via les mécanismes de substitution, à enrichir les communes déjà riches et à appauvrir les communes déjà pauvres. Cela a été clairement établi.

Sur tous ces points, l’inaction du Gouvernement depuis l’adoption de la loi de finances pour 2010 reste troublante. Mis en garde contre le risque de « double peine » pour les territoires déjà fragilisés, le Gouvernement a, jusqu’à ce jour, fait le choix de rester inerte s’agissant du renforcement des politiques de péréquation.

J’ajoute que, avec les conséquences prévisibles de la réforme territoriale, ce sont une nouvelle fois les collectivités territoriales affaiblies qui ne seront plus en mesure de financer les équipements publics nécessaires à leur population. En définitive, plus le retard sera important en matière de péréquation, plus on perpétuera les écarts entre les territoires.

Que faire pour corriger les inégalités ?

Certes, les quelques réformes conduites ces dernières années ont modestement contribué à améliorer la situation. Je pense à la légère augmentation de la part « péréquatrice » de la DGF, qui est passée de 12,3 % à 16,5 %. Je pense également à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, qui a été abondée depuis 2005 par la loi de programmation pour la cohésion sociale. Je pense, enfin, à la dotation de solidarité communautaire, qui, depuis la « loi Chevènement », offre quelques possibilités de partage et une forme de solidarité à l’échelle de l’intercommunalité.

Cependant, malgré la mise en œuvre de ces correctifs, l’efficacité péréquatrice stagne en France, comme en témoignent les travaux des professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant.

On est donc en droit de se demander pourquoi le gouvernement français ne se montre pas capable d’honorer les promesses péréquatrices maintes fois formulées depuis 2002.

À cet égard, madame la ministre, je note que vos propositions correspondent simplement à une volonté de corriger les effets réducteurs ou néfastes de la réforme introduite par la loi de finances pour 2010. Il s’agit non pas d’améliorer la péréquation, mais de corriger les effets pervers du dispositif prévu par le budget de 2010.

En bref, vous avez cassé la porcelaine et vous cédez maintenant sous le poids des revendications des élus de la majorité, qui se sont plaints ici même, aux mois de novembre et de décembre derniers. Ils ont demandé l’instauration d’une clause de revoyure sur la péréquation mise en œuvre de façon totalement inégalitaire dans la loi de finances pour 2010.

Les modifications proposées aujourd'hui visent à répondre à leurs attentes, mais n’améliorent en rien la péréquation dans notre pays, contrairement à ce qui avait été clairement annoncé lors de l’examen du projet de loi de décentralisation, lequel prévoyait l’adoption d’une loi organique à cette fin.

Pourquoi le Gouvernement se satisfait-il de ces résultats ? Est-ce de l’ordre du renoncement ? Est-ce délibéré ? Est-ce une façon de se conformer à l’idéologie du « chacun pour soi » ? Les clauses de revoyure devaient mettre en place de nouveaux mécanismes de péréquation. Comme moi, vous constatez, mes chers collègues, que les propositions faites sont très modestes sur ce plan !

Pour conclure, je rappelle que nous avons débattu au sein de notre assemblée de propositions visant à améliorer la péréquation. Or elles ont toujours été rejetées, ce qui est regrettable. Nous avons mis en avant la nécessité de prévoir une DGF améliorée, une CSG départementale ainsi qu’une intégration du revenu pour la fiscalité locale. Toutes ces mesures, jusqu’à présent, ont été remises à plus tard.

Dans ces conditions, nous sommes aujourd'hui insatisfaits des propositions qui nous sont faites. Nous avons bien conscience que la réforme des finances locales dans notre pays était le premier volet de la réforme territoriale qui est en train de se mettre en place. Il s’agissait essentiellement de mettre au pas les collectivités, de geler leurs ressources, de limiter les possibilités de péréquation. La réforme territoriale, véritable reprise en main politique des territoires, contribuera à accentuer encore la situation de blocage, ce qui est regrettable !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est un peu osé quand même !

M. François Marc. Nous espérons que certaines de nos propositions pourront de nouveau être étudiées et qu’elles seront prises en considération lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a inscrit à l’ordre du jour de cette session extraordinaire un débat sur la péréquation des ressources et des moyens des collectivités territoriales.

Ce débat constitue une sorte d’avant-première de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, puisque nous n’avons pas eu de débat dans le cadre de la clause de revoyure. Avons-nous d’ailleurs plus d’éléments de réflexion aujourd'hui ? Les simulations ne nous permettent pas encore d’éclairer les choix qui pourraient être faits afin que les collectivités territoriales répondent véritablement aux besoins des populations.

À l’heure où nous discutons, l’intention du Gouvernement, une fois mise en œuvre la suppression de la taxe professionnelle, est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales afin de faire contribuer ces dernières à la réduction du déficit de l’État. Or elles apportent déjà largement leur pierre à l’entreprise de résorption du déficit, ne serait-ce que parce qu’elles réalisent des investissements représentant 73 % des dépenses d’équipement de la nation.

En vingt-cinq ans, les multiples réformes engagées ont mis à mal l’équilibre des finances locales : allégements divers de taxe professionnelle avant que celle-ci ne soit supprimée, réformes de la DGF et des autres dotations.

À chaque fois, ces réformes se sont traduites par une inflexion à la baisse des concours de l’État aux collectivités locales, en valeur relative comme en pouvoir d’achat.

Le débat d’aujourd’hui pourrait être parfaitement intéressant s’il n’intervenait deux jours avant la présentation du projet de budget pour 2011, lequel gèlera les dotations accordées aux collectivités alors que ces dernières devront faire face à une augmentation annoncée de leurs charges – je pense en particulier à l’énergie – bien supérieure à l’inflation envisagée.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

Mme Marie-France Beaufils. Nous pouvons craindre également que de nouveaux transferts de charges et de compétences, plus ou moins officiels, ne viennent peser peu à peu sur les collectivités et grever leurs capacités.

Pour ce qui est des ajustements de la suppression de la taxe professionnelle, le débat qui s’est tenu lors du Comité des finances locales le 6 juillet dernier a montré que des inquiétudes persistaient chez les élus.

Tout à leur volonté de supprimer rapidement la taxe professionnelle, répondant en cela à une revendication des milieux patronaux et du monde des affaires, au moins aussi ancienne que la taxe professionnelle elle-même, le Gouvernement et le Président de la République ont oublié d’apprécier les conséquences d’une telle décision pour les collectivités territoriales. Le Président de la République, lors d’un déplacement dans le Loir-et-Cher, avait d’ailleurs affirmé que la priorité était d’abord accordée aux entreprises.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi !

Mme Marie-France Beaufils. En effet, ce choix est positif pour les entreprises,…

Mme Nicole Bricq. Pas toujours !

Mme Marie-France Beaufils. … mais pas pour ceux qui sont chargés de faire vivre les services publics locaux !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi et l’investissement !

Mme Marie-France Beaufils. J’y reviendrai, ne vous inquiétez pas !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me voilà rassuré !

Mme Marie-France Beaufils. Nous vous avions alertés de cette difficulté dès l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Les faits confirment nos analyses d’alors.

Tout d’abord, la suppression de la taxe professionnelle a été réalisée en sollicitant largement les deniers publics, puisque le Gouvernement transférera la charge de plus de 12,5 milliards d’euros de différentiel entre le montant du produit des nouvelles taxes acquittées par les entreprises et celui du produit de la taxe professionnelle perçu précédemment par les collectivités locales. De plus, les transferts d’imposition nécessaires au financement des services publics se reporteront sur les habitants, comme l’a rappelé Nicole Bricq tout à l’heure au sujet de la taxe d’habitation.

L’impact de la mesure, moins important à compter de 2011, participe d’ailleurs de la réduction optique du déficit que nous découvrirons dans deux jours.

Ensuite, la plus grande partie des simulations réalisées et publiées après la suppression de la taxe professionnelle se sont révélées largement erronées, notamment parce qu’elles utilisaient des données dépassées et que la plus grande circonspection doit présider à la définition de la valeur ajoutée au sens de la nouvelle cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Par ailleurs, fait incontestable lui aussi, en lieu et place d’une taxe professionnelle vilipendée pour ses défauts et dont la seule faiblesse, facilement rectifiable, était en fait un différentiel de cotisations très important entre le secteur industriel et les secteurs financier et des services, les élus locaux se retrouvent aujourd’hui à la tête d’une contribution foncière qui rappelle furieusement la très antique patente et d’une cotisation sur la valeur ajoutée dont ils ne sont de toute manière pas maîtres, puisqu’elle découlera de la déclaration des entreprises assujetties. Nous savons qu’elle sera tout autant contestée.

Elle dépendra donc, dans certains cas, des choix stratégiques accomplis par les groupes, puisque les plus grandes entreprises seront concernées. Il suffira au moindre groupe à vocation internationale de domicilier à l’étranger une partie plus importante de ses bénéfices,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est d’ailleurs ce qu’ils font déjà !

Mme Marie-France Beaufils. … avec un bon trust aux Bahamas ou un fonds d’actifs à Jersey, ou de sa valeur ajoutée, et il pourra jouer à la fois sur le montant de la TVA collectée et sur sa CVAE.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut donc supprimer cette cotisation !

Mme Marie-France Beaufils. Dans les faits, il n’y a plus de ressources pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et il n’y en a quasiment plus pour le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, tout simplement parce qu’il n’y a plus de taxe professionnelle.

Pour ne citer qu’un exemple, dans le département de l’Isère de mon amie Annie David, un certain nombre d’établissements exceptionnels – barrages hydrauliques ou installations de production d’électricité – étaient jusqu’à présent concernés par l’alimentation du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, ce qui représentait une aide pour 550 communes. Désormais, les ressources de ces communes sont écrêtées pour solder les comptes de la suppression de la taxe professionnelle. Que deviendront ces communes sans un tel apport ? Où retrouveront-elles des capacités pour faire face à leurs obligations ?

À la place d’une gestion de proximité, animée par le conseil général sur les treize territoires de l’Isère, est créé un outil de simple ajustement fiscal confié aux services du ministère des finances et à la direction générale des collectivités locales, la DGCL.

J’ai entendu tout à l’heure qu’il était proposé de faire de la péréquation par l’intermédiaire de l’intercommunalité. Permettez-moi d’émettre un certain nombre de doutes. L’expérience m’amène, en effet, aujourd'hui à être plus que réservée au sujet d’un tel projet. L’intercommunalité à TPU a permis d’intervenir sur des actions nouvelles dans les territoires concernés, mais elle a laissé aux communes le soin de poursuivre la gestion de leurs services avec des moyens de moins en moins dynamiques.

Pour ce qui concerne les dotations budgétaires, les données sont connues de longue date. Le pouvoir d’achat de la dotation globale de fonctionnement, principale dotation de l’État aux collectivités locales, n’a cessé de se réduire depuis 1990, année où elle fut déterminée pour la première fois, d’une autre manière que par la voie d’un prélèvement sur les recettes de TVA de l’État.

La réforme de 1993 n’a rien changé au problème. La tendance lourde s’est maintenue et la dotation d’aménagement, comme ses composantes – dotation d’intercommunalité, DSU et DSR –, ne joue depuis lors qu’un rôle mineur, celui de rendre un peu moins amère la pilule de la déperdition de la DGF dans son ensemble. D’après nos collègues de l’Observatoire des finances locales, 14 700 communes ont connu une réduction de leur DGF en 2010.

N’oublions pas que l’insertion de la DGF dans l’enveloppe fermée et contrainte des concours budgétaires lui a aussi fait jouer un rôle peu reluisant, celui d’évincer progressivement d’autres dotations en termes de montants versés aux collectivités.

La misère de la DGF depuis quinze ans n’est rien comparativement à la chute libre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle !

Nous n’avons donc plus d’outils de péréquation opératoires, et cette péréquation de la misère risque fort de nous conduire très vite à la misère de la péréquation !

Sans taxe professionnelle et avec une DGF contrainte, que veut-on mettre en péréquation ? Souhaitez-vous faire du produit des amendes de police de la circulation le vecteur d’une péréquation nouvelle ? Soyons sérieux : que peut-on faire avec 1 milliard d’euros ?

Pour tout dire, il est plus que temps de nous poser deux vraies questions.

D’abord, on doit se demander s’il était opportun de supprimer la taxe professionnelle cette année ? Quel impact une telle décision a-t-elle pu avoir sur la situation réelle des contribuables ?

En vérité, le niveau des créations d’emplois en 2010 ne permet pas de justifier la mesure qui a été prise. Selon l’INSEE, seule la progression des emplois intérimaires permet cette année à la France d’enregistrer une hausse de l’emploi salarié total. Cela signifie que l’État a, pour l’heure, sacrifié 12,5 milliards d’euros pour voir se prolonger la disparition d’emplois industriels et exploser l’emploi précaire. On pourrait imaginer un meilleur résultat… C’est ce que l’on appelle jeter l’argent par les fenêtres ! Cela étant, cet argent ne sera pas perdu pour tout le monde : il est permis de penser que quelques dividendes seront, à terme, nourris par l’effort accompli par l’État.

Par ailleurs, la péréquation ne peut répondre à des objectifs précis, notamment la prise en compte des situations souvent complexes de certaines collectivités locales, si l’on ne se dote pas rapidement d’un nouvel outil de péréquation.

Mme la présidente. Veuillez conclure.

Mme Marie-France Beaufils. C’est pourquoi nous réclamons depuis plusieurs années la taxation des actifs financiers détenus par les banques, les assurances et les entreprises en général. La financiarisation de l’économie a tellement pollué le champ des activités de production qu’il est plus que jamais à l’ordre du jour de mettre en œuvre une telle mesure. Parce que l’acquisition, la détention, la rémunération de ces actifs participe de comportements prédateurs à l’égard de la richesse créée par toute entreprise produisant des biens ou des services, il convient de freiner ces activités en les assujettissant, dans un premier temps, à une cotisation à assiette large mais à taux réduit, qui pourrait être fixé à 0,5 %, et à rendement élevé.

La philosophie de cette flat tax puissamment incitative entend amener les entreprises à privilégier, pour assurer leur développement, l’investissement dans les processus de production comme dans les capacités humaines.

Les sommes en jeu seraient importantes – 30 milliards d’euros environ – et permettraient de redonner du souffle à nos collectivités locales, afin de porter remède à la réduction de leur capacité d’investissement que nous constatons aujourd’hui et qui pourrait avoir des conséquences lourdes sur le secteur du bâtiment et des travaux publics. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je compte sur vous pour respecter les temps de parole qui ont été fixés pour ce débat.

La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis trop d’années maintenant, les collectivités locales doivent faire face à des contraintes de plus en plus lourdes, dont elles peinent à s’acquitter, le plus souvent en raison de certaines défaillances de l’État. Plusieurs raisons expliquent les difficultés que nombre de maires doivent aujourd’hui affronter.

En premier lieu, les dernières lois de décentralisation n’ont pas permis de compenser à due concurrence le transfert des compétences de l’État aux collectivités locales.

Le désengagement de l’État s’est ainsi nettement accentué, tant pour des raisons budgétaires – nous le constatons chaque année lors des débats que nous avons ici même au sujet de la dotation globale de fonctionnement – que pour des raisons politiques, dès lors que l’État ne veut plus fournir les services et prestations qui répondent aux besoins et aux attentes de nos concitoyens, notamment dans les territoires en difficulté.

Le dogme de la révision générale des politiques publiques fait manifestement du mal à nos collectivités !

Ce désengagement de l’État contraint les collectivités territoriales à se substituer à lui pour assumer des missions menacées par l’évaporation des services déconcentrés et des services publics de proximité – la sécurité en est un des exemples les plus frappants –, le tout dans un contexte de crise financière, de réduction des recettes, mais aussi de perte progressive d’autonomie financière.

En second lieu, le poids ainsi que la structure des dépenses locales restent un problème majeur. De l’ordre de près de 203 milliards d’euros par an, ces dépenses ne cessent de croître.

C’est dans ce contexte troublé que le Gouvernement a imposé aux collectivités territoriales, il y a exactement un an, la suppression de la taxe professionnelle. Cette réforme, menée à la hussarde, a pourtant un impact sur l’ensemble du système de financement des collectivités : en particulier, sur le rendement des impôts, le fonctionnement des fonds de péréquation et les modalités de répartition des dotations.

À ce dispositif s’est substituée la contribution économique territoriale, la CET, née dans la douleur. Or nous ne connaissons toujours pas, à ce jour, les modalités exactes de sa mise en œuvre. Le débat qui s’est tenu ici le 28 juin dernier sur la proposition de résolution relative à la contribution économique territoriale a démontré, s’il le fallait encore, que les malfaçons originelles de cette réforme menée sans concertation font peser de lourdes contraintes de financement sur les collectivités territoriales les plus fragiles, à commencer par les communes rurales.

L’écran de fumée du rapport Durieux n’a pas masqué l’embarras du Gouvernement quant à la « clause de revoyure » que le Sénat, rappelons-le, avait introduite dans la loi de finances pour 2010, et nous attendons toujours des simulations précises et sincères des recettes de chaque catégorie de collectivités, une estimation de leur variation à court, moyen et long termes, ainsi que de l’évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages. Comprenez, madame la ministre, que l’enjeu est vital pour les collectivités locales, à commencer par les plus petites et les plus fragiles !

Certes, la suppression de la taxe professionnelle a été voulue pour soutenir la compétitivité des entreprises : malheureusement, cet effort a été réalisé sans réelle prise en compte de ses implications pour les collectivités locales. Pour autant, le lien entre les entreprises et les territoires demeure trop distendu.

Sur ce point, les critères de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, c'est-à-dire en proportion des effectifs employés dans chaque commune par chacune des entreprises soumises à imposition, souffrent d’une trop grande imprécision pour assurer une prise en compte des charges réellement supportées par les collectivités locales. Cette situation aboutit à affaiblissement du lien entre les entreprises et leur territoire, qu’il faudrait au contraire renforcer, notamment pour mieux tenir compte des grandes installations industrielles implantées postérieurement à la réforme.

Le dispositif mis en place par la réforme se situe dans la longue tradition de complexité des finances locales, alors qu’on nous promettait une simplification. Les conditions de l’intéressement des collectivités territoriales à l’implantation des entreprises, clairement définies sous le régime précédent – c’était un de ses mérites ! –, ne nous semblent, à ce stade, que vagues et théoriques.

On nous avait assuré que la suppression de la taxe professionnelle ne porterait en aucun cas atteinte à la capacité des collectivités locales d’exercer leurs prérogatives.

On nous avait également assuré que, en cas de déficience budgétaire locale, l’État se porterait garant, et ce malgré la situation déficitaire des finances de l’État.

On nous avait enfin assuré que la réforme allait entraîner une diminution des délocalisations et une hausse de l’activité des entreprises sur l’ensemble de nos territoires.

Sur ces trois promesses, il y a loin de la coupe aux lèvres !

La suppression de la taxe professionnelle ne corrige en fin de compte que très partiellement les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales. Pis encore, elle permet à l’État de grignoter toujours plus leur autonomie financière, si chèrement acquise il y a plus de vingt-cinq ans, et même constitutionnalisée en 2003. Enfin, la croissance en berne et les mauvais chiffres estivaux du chômage ne nous permettent pas d’apprécier objectivement l’impact global de la réforme sur notre économie à l’aube de l’année 2011.

Au vu de ces considérations, l’ampleur des disparités de richesse fiscale entre collectivités locales rend indispensable l’adoption de mesures énergiques pour améliorer enfin notre système de péréquation. À notre sens, la péréquation doit porter sur l’ensemble de la fiscalité et non pas seulement sur les recettes issues de la fiscalité touchant les entreprises, comme c’est aujourd’hui le cas avec les prélèvements sur stocks et sur flux opérés au titre de la CVAE.

Il est indéniable que la fiscalité locale est peu lisible, économiquement peu efficace et socialement non redistributive ; j’en veux pour exemple la taxe d’habitation, qui est comparativement plus lourde pour les ménages modestes ou moyens que pour les ménages aisés. Pourquoi ne pas amorcer une réflexion approfondie sur l’introduction de la progressivité dans la fiscalité locale ? Pourquoi ne pas également revoir la définition du potentiel fiscal ?

En toute hypothèse, c’est au niveau communal que se révèlent les disparités de richesse les plus grandes, avec un écart de l’ordre de 1 à 1 000. Or il paraît d’ores et déjà indispensable de sanctuariser en 2011 les dotations allouées aux communes au titre du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.

Il est également vital de faire porter les efforts de péréquation sur l’ensemble des groupements de communes. L’achèvement de l’intercommunalité à l’horizon de 2013, objectif fixé par le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, doit être l’occasion de concevoir une véritable solidarité intercommunautaire. Le développement soutenu de l’intercommunalité dans les années 2000 ne s’est pas accompagné, hélas, de cette réflexion, alors même que les compétences des EPCI se sont considérablement élargies et que les inégalités se sont aggravées entre eux.

Face à ce constat, vous ne proposez rien de moins que de limiter les cofinancements, pourtant indispensables aux communes modestes ou défavorisées.

Parallèlement, les dispositifs de péréquation régionale et départementale, mais aussi entre les communes et les intercommunalités, ne sont toujours pas opérationnels aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, les élus locaux nous font part de leurs très vives et légitimes inquiétudes quant aux conditions dans lesquelles ils pourront assurer le prochain exercice budgétaire. Beaucoup se demandent aussi quel sort sera réservé aux ressources prévues, notamment celles qui proviennent du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.

Cette réforme mal conçue entraîne donc des effets inverses de ceux qui étaient escomptés : ne pouvant agir rapidement sur les frais de fonctionnement, les collectivités en difficulté sont contraintes de geler leurs investissements, pourtant essentiels au bon fonctionnement des services publics locaux.

En dépit de l’attention que les élus locaux portent à l’évolution de leurs dépenses, l’optimisation des moyens des collectivités locales constitue un enjeu plus que jamais capital.

En fin de compte, la définition d’un niveau optimal de péréquation, évalué de façon objective, s’avère indispensable. Sur ce point, la péréquation de la fiscalité économique paraît particulièrement adaptée, grâce au dynamisme de l’assiette que représente la valeur ajoutée des entreprises. Ce niveau optimal devra combiner au moins deux exigences pour être réellement efficace : d’une part, un niveau élevé de prélèvement, pour éviter tout effet de saupoudrage ; d’autre part, le renforcement de la territorialisation de la CVAE.