M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre délégation se félicite d’avoir été saisie de ce projet de loi portant réforme des retraites.

À ce propos, permettez-moi de vous citer Goethe. (Exclamations.)

M. René-Pierre Signé. Il connaissait la question ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. « Le talent se développe dans la retraite ; le caractère se forme dans le tumulte du monde. »

M. Jean-Louis Carrère. Certains devraient prendre leur retraite !

Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est la première fois que l’on parle autant de la retraite des femmes, et, il faut le reconnaître, le sujet est extrêmement riche, puisqu’il reflète les évolutions fondamentales de notre histoire économique et sociale.

D’une part, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail dans les années soixante-dix se manifeste aujourd’hui dans l’évolution de leur durée d’assurance. D’autre part, la montée du travail à temps partiel à partir des années quatre-vingt, la diminution, puis la stagnation des inégalités salariales se traduisent par d’importants écarts de niveau des pensions.

Un autre aspect essentiel est celui de la progression du nombre de divorces, et plus généralement de la fragilisation des unions, qui a été contemporaine de l’accès des femmes à l’autonomie financière : n’oublions pas de prendre en compte, dans la réflexion sur l’avenir du niveau de vie des retraités, le problème de l’isolement des personnes âgées, qui sera tout aussi important que celui du niveau des pensions.

Ces quelques remarques permettent de mieux situer l’approche de la délégation et l’état d’esprit qui anime ses recommandations, que je vous présenterai, mes chers collègues, de façon synthétique.

Tout d’abord, dans son analyse sur l’égalité des chances entre femmes et hommes, la délégation s’est d’abord attachée à prendre en compte le contexte restrictif général, qui a déjà été évoqué : pour 10 retraités, 40 cotisants en 1960, 14 seulement en 2009 dans notre régime général.

Au sein de cette tendance générale, la délégation a ensuite constaté deux évolutions défavorables aux femmes.

Juridiquement, au cours des dix dernières années, les avantages familiaux de retraite, traditionnellement réservés aux femmes, ont été remis en question par les politiques d’égalité entre femmes et hommes adoptées à l’échelon européen. Il faut cependant rendre hommage au Parlement et au Gouvernement, qui se sont efforcés de préserver l’essentiel, pour les mères, en introduisant dans notre législation des critères objectifs d’interruption de carrière.

Économiquement et professionnellement, comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites, qui se réfère à des indicateurs d’activité « équivalent temps plein », la montée du temps partiel, concernant aujourd’hui 30 % des femmes occupant un emploi, et celle du chômage contrarient l’effet bénéfique de la progression du taux d’activité des femmes sur le montant des pensions.

De plus, l’essoufflement depuis les années quatre-vingt-dix de la réduction des inégalités salariales entre femmes et hommes, dont la raison principale est la précarisation de l’emploi féminin, explique qu’au total, les inégalités des niveaux de retraite entre les sexes restent aujourd’hui deux fois plus fortes que les inégalités salariales.

On rappelle souvent que les bénéficiaires du minimum contributif sont, à 63 %, des femmes. Ce chiffre est révélateur, mais je rappelle, pour éviter les conclusions hâtives, que le fait de percevoir une petite pension n’implique pas nécessairement la pauvreté, car, comme le fait observer le Conseil d’orientation des retraites, le niveau de vie dépend aussi de la situation matrimoniale.

En revanche, le minimum vieillesse, qui a pris, depuis 2007, la forme d’une allocation unique appelée allocation de solidarité aux personnes âgées, constitue un indicateur significatif : les femmes représentent 62 % des allocataires.

Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le ministre, lors de notre entretien, vous aviez souligné que le projet de loi retardait jusqu’à 67 ans l’âge de la liquidation à taux plein, mais qu’il maintenait à 65 ans l’âge d’obtention du minimum vieillesse.

Il s’agit là d’une importante mesure correctrice qui s’ajoute à celles qui sont explicitement prévues par le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Ces dernières ont été, pour l’essentiel, maintenues par la commission des affaires sociales. Compte tenu de la persistance des écarts de retraite, la délégation a recensé et approuvé ces correctifs. J’en citerai brièvement quatre.

Par l’article 23 du projet de loi, le régime transitoire est assoupli avant l’extinction du départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants ayant quinze ans de service.

L’article 30 améliore la prise en compte du congé de maternité pour les droits à la retraite.

Par ailleurs, l’assurance veuvage est rétablie par l’article 29 bis. À ce sujet, les représentants de la FAVEC, la Fédération des associations de conjoints survivants, nous ont confirmé que cette assurance comportait une garantie de ressources mieux adaptée que la réversion à la situation des jeunes veuves ou veufs. Ils ont cependant exhorté les pouvoirs publics à modifier son montant, qui se limite aujourd’hui à 570 euros, pour le hisser à un « niveau de survie » qui permettrait de lutter contre la paupérisation de nombreuses jeunes veuves.

En outre, ils ont plaidé, comme beaucoup d’intervenants auditionnés sur la présente réforme, pour la suppression ou le rehaussement du plafond de ressources, qui interdit le cumul d’une pension de réversion du régime général de base et d’un revenu d’activité, ce qui peut dissuader le retour à l’emploi. L’ensemble de ces préoccupations est largement pris en compte dans les recommandations que je vous soumets, mes chers collègues, au nom de la délégation.

Je rappelle également que la délégation a approuvé l’inscription, à l’article 1er du texte adopté par l’Assemblée nationale, du principe de l’annulation des écarts de retraite entre femmes et hommes à l’horizon 2018, principe qui doit faire l’objet d’un suivi par le comité de pilotage des organismes de retraite.

Je note que la commission des affaires sociales a transformé l’architecture du projet de loi, en séparant, d’une part, les objectifs de notre système de retraite et, d’autre part, les modalités d’intervention du comité de pilotage des organismes de retraite, faisant ainsi disparaître la mention littérale de cet objectif, tout en prenant en considération la nécessité de limiter les simples déclarations d’intention dans notre législation.

Il m’appartient ici de rappeler combien la délégation est attachée à la réduction des écarts de rémunération et de pensions entre femmes et hommes.

Nos recommandations sont la traduction de trois grandes idées.

Premièrement, en analysant la situation actuelle des retraités et la dynamique future de notre système de retraites, on constate que les inégalités de rémunérations sont et ont vocation à rester le principal moteur des inégalités de retraites entre femmes et hommes.

Votre délégation en tire deux conclusions.

Elle a approuvé la nouvelle rédaction, adoptée par l’Assemblée nationale, de l’article 31, relatif à la sanction financière des entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle, tout en regrettant que ces pénalités, envisagées dès 2006, n’aient pas été introduites dans la loi plus tôt.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale « muscle » le dispositif, et met à la charge des entreprises, en matière d’égalité professionnelle et salariale, une obligation de résultat et non plus seulement de moyens, en substituant à la sanction du défaut de rapport de situation comparée une sanction applicable aux entreprises non couvertes par un accord sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par un plan unilatéral de réduction des inégalités.

Cette approbation est assortie de deux remarques.

La délégation souhaite que le Gouvernement – conformément à ce que vous nous avez dit, monsieur le ministre, lors de notre rencontre – puisse présenter, dans les meilleurs délais, un projet de loi sur l’égalité professionnelle et salariale. Celui-ci permettrait, en particulier, de simplifier le code du travail en fusionnant les deux filières de négociation, qui se sont additionnées dans la législation actuelle, l’une ayant trait à l’égalité professionnelle, l’autre aux écarts de rémunération.

S’agissant du dispositif inscrit à l’article  31 du projet de loi, nous invitons en outre le Gouvernement à définir, sur le plan réglementaire, des critères précis et opérationnels permettant de mesurer « les efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité professionnelle ».

Je note enfin que la commission des affaires sociales n’a pas modifié l’essentiel de ce dispositif, tout en s’efforçant de simplifier et rendre plus efficace la publicité du plan d’action pour l’égalité professionnelle élaboré dans l’entreprise.

Deuxièmement, concernant l’amélioration de la prise en compte du temps partiel, la délégation a tout d’abord approuvé l’article 31 bis du texte, qui vise à mieux sensibiliser les employeurs et les salariés à la possibilité offerte par le droit en vigueur de surcotiser à l’assurance vieillesse en cas de temps partiel.

La délégation recommande également de déterminer le salaire de référence en calculant la moyenne des cent meilleurs trimestres, plutôt que celle des vingt-cinq dernières années. Cette approche plus fine dans la prise en compte des périodes de travail effectuées permettrait de réduire les handicaps résultant principalement pour les femmes, mais aussi pour les hommes, de carrières morcelées et du temps partiel.

Enfin, la troisième grande préoccupation de la délégation est de prendre en compte un certain nombre d’inégalités de fait, tout en respectant le cadre juridique communautaire qui s’impose au législateur.

S’agissant de la possibilité de fixer un âge de retraite différent pour les femmes et les hommes, on constate une tendance générale à l’alignement, et seuls quelques pays de l’Union européenne ont prévu, d’ici à 2020, de maintenir un âge légal de départ en retraite plus précoce pour les femmes que pour les hommes dans le régime général.

La délégation, se fondant sur cette analyse, préconise le maintien à 65 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein pour les personnes ayant interrompu leur activité professionnelle pour éduquer leurs enfants ou apporter des soins à un membre de leur famille handicapé, dépendant ou malade.

Mme Jacqueline Panis, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cette recommandation permettrait, en pratique, d’abord de favoriser les femmes en fonction d’un critère objectif et, ensuite, de prendre acte de l’évolution de notre société : les femmes interrompent aujourd’hui leur carrière non seulement pour élever leurs enfants, mais aussi pour apporter des soins à leurs parents.

Plutôt que de se contenter de redouter la montée des conflits générationnels, il faut également, selon moi, rappeler qu’on attend souvent des femmes, mais aussi des hommes en fin d’activité professionnelle, qu’ils aident non seulement la génération précédente qui glisse vers la dépendance, mais aussi les deux générations suivantes, celles des enfants et petits-enfants.

J’ajoute que, s’il est hautement souhaitable de développer le secteur des services à la personne, l’un des secteurs les plus créateurs d’emplois, il est de notre devoir de prendre en compte la charge que représentent les soins apportés aux parents dans un cadre familial.

À plus long terme, et dans la perspective d’une remise à plat de notre mosaïque de régimes, la délégation recommande d’ouvrir une piste de réflexion sur une meilleure prise en compte des choix de couple dans l’acquisition et l’éventuel partage, au moment de la séparation, des droits à la retraite.

Dans ses travaux, le COR démontre la nécessité de considérer non seulement le niveau des pensions, mais aussi la situation matrimoniale pour évaluer le risque de pauvreté des femmes retraitées. Il nous alerte sur la fragilisation accrue des unions conjugales, qui risque d’entraîner une dégradation des niveaux de vie des personnes au moment de la retraite.

On aurait pu envisager, pour atténuer les conséquences de cette situation, de transposer en France le dispositif allemand du partage des droits au moment du divorce. Cependant, selon le COR, le splitting est techniquement beaucoup plus facile à mettre en œuvre dans un système de retraite par points que dans un système d’annuités comme le nôtre.

En outre, son introduction brutale dans notre droit du divorce, qui a été rénové dans le sens de l’apaisement, ne paraît pas souhaitable sans qu’il soit procédé à une large série de consultations.

Enfin, cette initiative ne s’appliquerait qu’aux couples mariés.

Pour ces raisons, et parce que les choix professionnels sont souvent des « choix de couple », la délégation suggère une réflexion à la fois plus positive et plus globale sur la constitution de droits à la retraite communs par des couples qui font d’ores et déjà l’objet d’une imposition fiscale commune de leurs revenus. Acquis dans le cadre d’un projet de vie de famille, ces droits pourraient, plus facilement qu’aujourd’hui, faire prendre conscience aux femmes et aux hommes des conséquences à long terme d’une séparation et, le cas échéant, être partagés équitablement.

Dans l’immédiat, la délégation a souhaité que soient renforcés les outils d’information permettant d’éclairer les conséquences, en matière de retraite, des choix professionnels, tout particulièrement en cas d’expatriation, et que soit rendue obligatoire, en cas de divorce, l’élaboration d’un relevé comparatif précis des droits à la retraite acquis par les deux conjoints pendant leur vie commune.

Je conclus mon propos par une simple remarque : la société française a changé et, aujourd’hui, nous voyons apparaître non seulement des tensions qui risquent d’être exacerbées par la résorption des déséquilibres financiers, mais aussi, à long terme, un risque d’isolement et de paupérisation des retraités.

Il est donc plus que jamais nécessaire d’introduire dans nos mécanismes de retraite une logique de cohésion des liens familiaux et sociaux.

Marc-Aurèle disait : « Tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle retraite n’est plus tranquille ni moins troublée pour l’homme que celle qu’il trouve en son âme. » (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Michèle André et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, en 1981, François Mitterrand, élu Président de la République, fidèle à ses engagements de campagne, demandait à Pierre Mauroy, son Premier ministre, de mettre en place la retraite à 60 ans. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Dominique Braye s’exclame.)

Au mois de janvier 2007, Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle, déclarait ceci : « Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer, de même que les trente-cinq heures continueront d’être la durée hebdomadaire légale du travail. » (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Quelque temps après, devenu Président de la République, il répliquait à la présidente du MEDEF, qui exigeait le relèvement de l’âge légal à 63 ans et plus : « Je dis que je ne le ferai pas [...]. Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français et je n’ai pas mandat pour faire cela. Et cela compte, vous savez, pour moi. »

M. Jean-Pierre Bel. C’est vrai !

Mme Christiane Demontès. Oui, c’est vrai, rappelons-nous que le Président devait être celui du « pouvoir d’achat », lequel est en berne ; il devait être le président qui n’augmente pas les impôts, alors que, en 2011, ce sont 10 milliards d’euros supplémentaires qui seront prélevés sur les ménages et que le taux de pression fiscale est en hausse. (Mme Nicole Bricq approuve.) Depuis trois ans, les Français savent quel destin est réservé aux promesses électorales de Nicolas Sarkozy !

M. Roland Courteau. Il devait aller chercher la croissance avec les dents !

Mme Christiane Demontès. Chacun le sait, le débat que nous abordons aujourd’hui est majeur : majeur pour notre pays, majeur pour l’avenir de notre pacte républicain, celui qui unit les Français, comme les générations, dans une dynamique de nécessaire solidarité, majeur, surtout, pour les générations à venir, qui doivent pouvoir avoir confiance en notre pacte social et en l’avenir.

Réformer les retraites est un impératif collectif. Chacun en a conscience, chacun le reconnaît. Réformer nécessite la concertation avec l’ensemble des acteurs.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Christiane Demontès. C’est un préalable incontournable. Le Gouvernement prétend l’avoir fait, mais il n’en est rien ; au mieux nous a-t-il tenus informés de ses décisions.

En fait, toutes les organisations syndicales ont été flouées, y compris les plus modérées d’entre elles, qui sont vent debout. Une fois encore, le Président de la République a décidé de passer en force.

M. René-Pierre Signé. Comme toujours !

Mme Christiane Demontès. Malheureusement, il n’y a là rien de très surprenant, puisque cette détestable façon de procéder est le sceau de ce gouvernement et de cette présidence.

M. Roland Courteau. C’est son mode de gouvernance !

Mme Christiane Demontès. Désormais, sur ce sujet comme sur bien d’autres, nous savons que les mots restent lettre morte et que la réalité est tout autre, que tout cela n’est que duperie.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Christiane Demontès. Les Français le savent bien, les travailleurs de notre pays également. Ils ont déjà été éprouvés par les réformes de 1993 et de 2003. Leur application a entraîné une baisse parfois très importante du niveau des retraites, soit plus de 15 %.

Chaque fois, l’actuelle majorité avait présenté sa solution comme définitive.

M. Roland Courteau. Absolument !

Mme Christiane Demontès. Nous voyons aujourd’hui le bilan de ces politiques et de ces réformes : la branche vieillesse accuse un déficit de plus de 30 milliards d’euros cette année et de 41 milliards d’euros à l’horizon 2020.

La majorité de nos concitoyens est extrêmement inquiète. Elle rejette votre réforme. Les manifestations qui se sont succédé depuis le mois de juin en sont le témoignage évident.

M. René-Pierre Signé. Elles ont été très nombreuses !

Mme Christiane Demontès. Mais rien n’y fait, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, vous n’écoutez pas. Une fois encore, vous voudriez laisser croire qu’il n’existe qu’une seule façon de procéder et que vos choix sont incontournables.

M. Roland Courteau. C’est de l’idéologie !

M. René-Pierre Signé. La culbute n’est pas loin !

Mme Christiane Demontès. Cela est faux et nous le démontrerons tout au long des débats.

Dans notre tradition juridique, la loi est « l’expression de l’intérêt général », et, a contrario du Gouvernement, le groupe socialiste entend bien s’inscrire dans cette logique.

Nous serons donc force de proposition et non pas d’obstruction. (Marques d’ironie sur les travées de lUMP.)

À chaque article, nous proposerons une alternative concrète, responsable et juste, …

M. Christian Cambon. Des impôts !

Mme Christiane Demontès. … une alternative qui s’inscrit dans la promotion de l’intérêt général, car ce projet de loi en ignore jusqu’à la lettre.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

Mme Christiane Demontès. Ce projet de loi est brutal, puisque, contrairement à tous les autres pays, l’application de ces ajustements se fait sur une durée inférieure à dix ans. Il est aussi injuste, car le recul de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans et celui de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans pénalisent les salariés qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont travaillé longtemps, mais aussi ceux qui ont alterné périodes de travail et périodes de chômage, voire périodes de congés ou de travail à temps partiel – et là, je pense particulièrement aux femmes.

Nous devons maintenir le droit au départ à la retraite à 60 ans pour ceux-là, tout en permettant à ceux qui le souhaitent et à ceux qui le peuvent de poursuivre leur activité. De même, nous devons maintenir la pension sans décote à 65 ans.

Monsieur le ministre, vous nous dites que votre projet est « une solution efficace et équilibrée ».

M. Roland Courteau. C’est faux !

Mme Christiane Demontès. Mais qui peut vous croire ? Qui peut vous accorder le moindre crédit quand l’auteur de la précédente réforme et actuel Premier ministre déclarait, en 2003, que sa réforme permettrait de « couvrir l’intégralité des déficits de nos régimes de retraite tels qu’ils sont aujourd’hui prévus pour 2020 »,…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Christiane Demontès. …osant ajouter qu’elle était « donc financée à 100 % » ? Plus personne ne vous croit !

M. René-Pierre Signé. Même pas l’UMP !

Mme Christiane Demontès. Vous nous parlez de mise à l’équilibre à l’horizon 2018. Mais sur quelle hypothèse de croissance avez-vous édifié votre réforme ? Vous avez retenu le pourcentage de 2 % en 2011, alors que près d’une vingtaine d’experts indépendants viennent d’affirmer qu’elle n’avoisinera que 1,3 %, voire 1,1 % !

Comment garantir un équilibre alors que vous ignorez les évolutions que connaîtra la masse salariale dont dépendent directement les régimes de retraite ? Comment ne pas prendre en considération le fait que le nombre des défaillances d’entreprise devrait avoisiner malheureusement 60 000 l’année prochaine ? Comment croire à votre équilibre quand des membres de votre majorité s’opposent ouvertement à votre politique ?

Mme Christiane Demontès. Ainsi certains ont-ils refusé l’allongement de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

Reprenant les éléments que j’avais développés devant vous voilà quelques semaines, certains membres de la majorité – ils se reconnaîtront – ont même jugé que cette solution était une solution « de facilité qui reporte sur les générations futures le coût des dépenses d’assurance maladie et de retraite d’hier et aujourd’hui ». Or, sans cette disposition, c’est l’ensemble de votre architecture budgétaire qui s’effondre.

Vous nous parlez d’équilibre alors que, sans le scandaleux hold-up que vous commettez sur le Fonds de réserve pour les retraites et ses 33 milliards d’euros, il manque bien la moitié du financement.

Faut-il rappeler que les rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale avaient estimé qu’il fallait sanctuariser le Fonds de réserve pour les retraites ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

De fait, votre projet n’est équilibré que virtuellement.

M. Jean-Louis Carrère. Tout part à vau-l’eau !

Mme Christiane Demontès. En tout état de cause, votre projet de réforme ne permet aucunement de pérenniser notre système par répartition.

Pour notre part, nous proposerons, au travers des amendements, que le Fonds de réserve pour les retraites soit préservé et abondé par une taxe exceptionnelle sur les profits des établissements financiers, pour qui la crise semble être bien passée.

Ainsi, ce seraient 140 milliards d’euros qui seraient disponibles en 2025 et non pas 75 milliards d’euros en 2020, comme vous le proposez. En effet, rien n’est prévu au-delà de 2018, sinon de nouvelles dettes que nous léguerons aux générations à venir et qui handicapent lourdement nos finances publiques.

De nouvelles réformes seront donc nécessaires. Voilà la vérité ! Alors comment pouvez-vous affirmer à l’Assemblée nationale que « vous supprimez tout déficit des retraites à partir de 2018 » et que ce texte « protège le système par répartition » ?

Quant à la crise, elle a certes contribué au creusement des déficits. Néanmoins, et comme je l’ai déjà dit lors de l’examen du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, cette situation est aussi la résultante de votre politique ; je pense, notamment, aux 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales annuelles, aux heures supplémentaires exonérées et défiscalisées, au bouclier fiscal ou encore aux niches fiscales destinées aux plus aisés. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. le rapporteur général nous expliquait tout à l’heure que les sommes en jeu n’étaient pas bien importantes. Certes, mais certains dispositifs, comme le bouclier fiscal, revêtent une forte valeur symbolique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Dès 2005, la branche vieillesse enregistrait 2 milliards d’euros de déficit, puis 6 milliards d’euros en 2008, la preuve étant ainsi faite que l’échec est antérieur à la crise, laquelle a donc bon dos.

M. Roland Courteau. Belle démonstration !

Mme Christiane Demontès. Serait-elle quand bien même le seul facteur de dégradation des comptes publics, il eût été nécessaire de répondre à la situation nouvellement créée en apportant des réponses, notamment en matière d’emploi. Or vous le ne faites pas. Votre politique de l’emploi reste telle quelle : inefficace et coûteuse.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Vous n’avez pas fait mieux avec les trente-cinq heures !

M. Didier Guillaume. Vous les avez maintenues !

Mme Christiane Demontès. Notre pays enregistre toujours un taux d’emploi des seniors très préoccupant. Chacun connaît les chiffres. Nous proposons que des mesures fortes et contraignantes permettent de relever ce taux d’emploi.

Il faut garantir l’accès à la formation après 50 ans, généraliser les dispositifs de tutorat, encourager la retraite progressive, limiter le travail de nuit et les tâches physiques après 55 ans. Certains, parmi vous, mes chers collègues, l’ont dit.

Enfin, il faut adapter les postes aux salariés et non l’inverse. Il faut aussi inciter les employeurs à s’inscrire dans cette dynamique et moduler les cotisations qu’ils paient.

Voilà ce que nous proposons. Nous avons un urgent besoin d’une mobilisation générale en faveur du travail des seniors.

Le report de l’âge légal de départ à la retraite entraînera certes une diminution des pensions à verser, mais il risque aussi de conduire à une augmentation du chômage. Dès lors, les déficits de la branche vieillesse seront réorientés vers ceux de l’assurance chômage. Ainsi, selon de récentes estimations, l’effet de la réforme des retraites sur les comptes de l’assurance chômage culminerait à environ 440 millions d’euros par an à l’horizon 2018. Il ne sera donc pas question d’un rétablissement des équilibres financiers.

J’en viens maintenant à ce que vous appelez, monsieur le ministre, « les meilleures conditions de solidarité et de justice sociale ». Comment évoquer la « justice sociale », alors que 85 % de l’effort que vous exigez incombe aux seuls salariés ?