M. André Lardeux. Nous devrons, un jour, inéluctablement passer à 65 ans, lorsque d’autres déjà envisagent 67 ans ou 68 ans.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et pourquoi pas 80 ans ?

M. Jacques Mahéas. Toujours plus !

Mme Michelle Demessine. On n’arrête pas le progrès !

M. André Lardeux. On objecte que le taux d’emploi des seniors est insuffisant. On peut répondre que l’emploi n’est pas un gâteau limité une fois pour toutes et que son accroissement est toujours possible. Détenir le plus faible taux d’emploi des seniors ne nous empêche pas d’avoir le taux le plus élevé de chômage chez les jeunes.

On constate enfin que les pays où l’on part plus tard ont un taux d’emploi des seniors plus élevé. Il y a d’ailleurs pour l’instant en France une connivence des partenaires sociaux pour régler des situations difficiles par des mesures excluant les seniors du monde du travail.

Ce qui fait aussi beaucoup débat, c’est la pénibilité. À travers les amendements adoptés par l’Assemblée nationale, le Gouvernement me paraît être allé le plus loin qu’il le pouvait. La solution, au cas par cas, est raisonnable, sauf à réinstituer un ersatz de préretraite.

Espérons que le taux de 10 % qui a été retenu n’entraînera pas un formidable appel d’air à l’avenir. Je ne crois pas que la solution de la pénibilité passe par un avantage retraite et règle le rapport difficile que beaucoup de Français entretiennent avec leur travail. Cela peut susciter une excuse facile pour limiter les efforts d’amélioration des conditions de travail. Il ne me paraît pas moral d’imposer des conditions difficiles et de dire aux salariés : « Désolé, cela abrège votre vie, mais vous aurez la retraite deux ans plus tôt. » C’est carrément cynique !

Mme Michelle Demessine. C’est déjà comme cela !

M. André Lardeux. Enfin, je constate qu’aucun pays ne s’est engagé dans cette voie. Les Français sont ceux qui ont la plus mauvaise perception de leurs conditions de travail, alors qu’objectivement la France est l’un des pays les mieux placés dans ce domaine en termes de durée, d’intensité du travail ou d’impact sur l’état de santé. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Si, malgré tout, nous voulions aller dans ce sens, ayons alors le courage de créer une cotisation salariale spécifique dans les secteurs susceptibles d’être concernés.

On met aussi en avant le cas spécifique des femmes qui ont été contraintes d’interrompre longtemps leur vie professionnelle et on en fait le symbole de l’injustice présumée de la réforme.

Le règlement de cette situation est extrêmement difficile et, s’il y en a un, il doit être à mon sens transitoire, en attendant une véritable égalité salariale. Je note d’ailleurs une certaine hypocrisie dans ce qui est dit, car cette excuse sert à masquer d’autres injustices bien plus grandes. Mais il est vrai qu’il ne faut pas exciter certains corporatismes...

M. Guy Fischer. Les agriculteurs, les médecins,…

M. André Lardeux. La solution de ce problème ne doit pas être trouvée sur le dos des avantages familiaux, dont je rappelle qu’ils sont financés par la Caisse nationale des allocations familiales. Le faire serait une nouvelle attaque contre les familles. Or la question des retraites nous démontre à quel point la société paie aujourd’hui cher la déstructuration de la famille et le développement exacerbé de l’individualisme dont on voit bien qu’il n’est pas le plus adapté pour faire face au défi du vieillissement.

Nonobstant tout cela, le retour à l’équilibre financier est un pari dont je souhaite la réussite, car la crise de l’État providence est devant nous. De tous les pays développés, la France est celui où la modernisation du système social est la moins avancée ; sinon, nous devrons assumer une hausse inéluctable des prélèvements sociaux.

Aussi suis-je convaincu, si nous voulons sauver le système par répartition, que nous n’échapperons pas à ce que l’on appelle une réforme systémique.

M. Roland Courteau. Vive la régression sociale !

M. André Lardeux. Des retraites fondées sur la durée de cotisations ont peu de chance de tenir. Pour assurer leur pérennité, nous devons passer d’un système à prestations définies à un système à cotisations définies, avec une règle stricte d’équilibre budgétaire.

Nous avons au moins deux modèles, les comptes notionnels suédois ou le système allemand par points. L’adoption de l’un d’entre eux permettrait de nous engager dans la création d’un régime de base unique. Toute la question est de savoir si nous le faisons d’un seul coup ou progressivement.

Malgré ces quelques regrets ou ces quelques souhaits, je voterai ce texte, en espérant que les débats n’en altéreront pas la portée, n’en diminueront pas les effets sur l’équilibre financier et en attendant dans quelques années la réforme systémique, la seule possible à mon sens. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP. – M. le rapporteur pour avis applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention sera consacrée au sort réservé aux femmes dans ce projet de loi.

Les femmes sont les grandes perdantes de cette réforme. Lors des journées de grève de septembre et de ce début d’octobre, nous les avons vues à la tête des cortèges pour défendre leurs droits, pour s’insurger contre l’injustice dont elles sont victimes.

Monsieur le ministre, c’est une situation que vous devez prendre au sérieux : les femmes doivent être traitées dignement, avec respect.

Je tiens à rappeler quelques-unes des inégalités flagrantes concernant la retraite des femmes.

Tout d’abord, seulement 41 % des femmes ont une retraite complète, contre 85 % des hommes.

En outre, quatre femmes sur dix perçoivent moins de 600 euros par mois, alors que c’est le cas d’un homme sur dix.

Enfin, les femmes retraitées de plus de 60 ans touchent en moyenne 1 020 euros mensuels, soit 62 % de la somme perçue par les hommes.

Ces chiffres découlent des inégalités qui règnent et perdurent sur le marché du travail. En effet, les femmes occupent 70 % des emplois précaires et 82 % des emplois à temps partiel. Trop souvent encore, leur salaire est perçu comme un salaire d’appoint. Cela engendre naturellement des dérives, notamment le temps partiel subi et les inégalités salariales. Les femmes ont majoritairement la charge des enfants, ce qui cause des interruptions de carrière. Elles ont des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale, faute de structures d’accueil suffisantes pour les enfants.

Dans un pays qui s’enorgueillit, à juste titre, de son taux de fécondité, c’est un comble !

Ainsi, après avoir mené de manière parallèle une carrière professionnelle et une vie familiale, les femmes se voient sanctionnées à l’heure de la retraite. Je dirais qu’elles sont victimes d’une double peine. Aujourd’hui, de nombreuses retraitées sont contraintes de choisir entre la facture de gaz, les soins, ou deux repas par jour.

Une réforme digne de ce nom aurait dû contribuer à remédier à ces injustices. Ce n’est pas le cas, au contraire.

Les femmes sont aujourd’hui nombreuses – 30 % des salariées – à liquider leurs droits à la retraite à 65 ans, au lieu de 60 ans, faute d’avoir pu rassembler plus tôt le nombre de trimestres de cotisation nécessaires pour percevoir une pension à taux plein. Les hommes, moins touchés par les carrières en « dents de scie », sont 5 % dans ce cas.

Les femmes sont également nombreuses, avant 65 ans, à connaître une situation de chômage ou de précarité. En reculant l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge de départ à taux plein de 65 à 67 ans, le Gouvernement choisit donc d’allonger cette période de précarité, faisant fi, également, des femmes qui accomplissent des travaux pénibles.

Pensez-vous réellement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qu’une femme, à 67 ans, soit encore performante sur une chaîne de montage, dans une exploitation agricole ou dans un hôpital en tant qu’infirmière ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Bonne question !

Mme Gisèle Printz. En outre, la suppression du dispositif autorisant un départ anticipé pour les salariés fonctionnaires qui attestent quinze ans de services et sont parents de trois enfants, touche également de plein fouet les femmes. En effet, cette disposition garantissait à des milliers de femmes une retraite à taux plein. Ce ne sera plus le cas.

J’ai été saisie à ce sujet par de nombreuses femmes fonctionnaires mères de trois enfants. Toutes m’ont fait part de leur vive émotion, face au désintérêt et au mépris du Gouvernement. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Roland Courteau. C’est la réalité !

Mme Gisèle Printz. Il est impératif de maintenir le système actuel.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes du Sénat a émis onze recommandations visant à améliorer la situation des femmes. Parmi celles-ci figure le maintien à 65 ans de l’âge de départ sans décote pour les personnes ayant arrêté de travailler pour éduquer leurs enfants ou soigner un parent malade. Figure aussi la recommandation de déterminer le salaire de référence en se fondant sur la moyenne des salaires perçus au cours des cent meilleurs trimestres, plutôt que sur celle des salaires perçus pendant les vingt-cinq dernières années, afin de mieux prendre en compte les carrières morcelées et le temps partiel.

Nous ne nous opposerons pas à ces recommandations si elles sont proposées. Nous souhaitons toutefois aller encore plus loin ; tel sera l’objet de nos amendements.

Le projet de loi reste donc inégalitaire et injuste à l’égard des femmes. Ce n’est pourtant pas faute pour le Gouvernement d’avoir été alerté sur son texte. Alerté, il l’a été, par exemple, en juin dernier, ici même, lors du débat sur les retraites, par les partis de gauche et les syndicats, en septembre, par l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, et, tout récemment encore, par la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

Après avoir pratiqué la politique de l’autruche, le Gouvernement semble vouloir donner des petits signes d’ouverture, mais ils sont bien tardifs et insuffisants. À titre d’exemple, je citerai la promesse faite, il y a quelques instants, de pénaliser à hauteur de 1 % de la masse salariale les entreprises ne respectant pas l’égalité salariale. Pourquoi ne pas avoir appliqué en leur temps les lois Roudy et Génisson ? (M. le ministre s’exclame.) Nous ne serons pas victimes de ces jeux de dupes !

La réforme des retraites était une occasion formidable de se saisir de toutes ces questions de société concernant les femmes. Le Gouvernement ne l’a pas souhaité, nous avons gâché une belle occasion. C’est regrettable.

M. Roland Courteau. Ça oui ! Quel gâchis !

Mme Gisèle Printz. Nous n’approuvons pas cette réforme et ne la voterons pas en l’état. Je le répète, ce projet de loi est profondément injuste et inefficace. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, madame la présidente, mesdames, mes chers collègues, véritable graal récompensant toute une vie, la retraite devrait à elle seule compenser, voire panser, les inégalités et les vicissitudes d’un parcours professionnel. Sans doute est-ce en raison de cette approche très « affective », et donc quelque peu irrationnelle, que toute tentative de réforme devient douloureuse, voire explosive.

Système par répartition, le dispositif français est censé traduire la solidarité générationnelle, ainsi qu’une forme de témoignage de la part de la société du respect dû aux aînés.

Conçu à une époque où l’espérance de vie était moindre, la société plus jeune, les femmes au foyer, la reconstruction à venir, les technologies moins développées, le plein emploi presque assuré et la pénibilité physique du travail une « donnée commune », ce système se trouve à terme remis en cause du fait des évolutions de la société et de l’environnement économique.

En dignes héritiers de Descartes, nous devrions comprendre, dans notre esprit logique, que les changements intervenus depuis lors entraînent nécessairement une évolution du régime de retraite actuel.

Cette nécessité, Gérard Longuet l’a dit tout à l’heure, s’est fait sentir il y a déjà plus de vingt ans. En 1990, en effet, neuf ans seulement après avoir instauré la retraite à 60 ans, François Mitterrand, alors Président de la République, demandait à son Premier ministre, Michel Rocard, d’envisager les scénarios, ce qui conduisit à la rédaction d’un livre blanc dont la lecture est toujours très instructive.

Or, à ma connaissance, et sauf erreur de ma part, il a fallu attendre la réforme du gouvernement Balladur en 1993 et la loi Fillon de 2003 pour que des mesures, certes impopulaires mais indispensables au maintien et à la survie de notre système, soient prises.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous faites preuve de courage politique et manifestez un grand sens des responsabilités en proposant d’aller encore plus loin et en nous soumettant une réforme globale.

Néanmoins, sans dramatiser, il faut entendre les inquiétudes de nos concitoyens, notamment les plus fragiles et les plus précaires d’entre eux.

Si je suis, vous vous en doutez, favorable au report de l’âge légal de départ à la retraite, ainsi qu’à l’ambition générale du texte, je crois qu’il est des situations qui nécessitent une attention particulière afin de garantir l’équité dans le traitement. Aussi, des mesures transitoires pourraient être adoptées, le temps que soient mises en œuvre des réformes connexes. Il s’agirait, monsieur le ministre, d’une sorte de discrimination positive temporaire.

Nous avons jusqu’à présent beaucoup parlé des femmes. Je tiens seulement à ajouter que, pour éviter de creuser les inégalités dont elles sont victimes, et surtout de les conforter dans une précarité croissante liée également au fait qu’elles vivent plus longtemps, vieillissent plus que les hommes et risquent donc davantage de devenir dépendantes, il conviendrait de leur assurer une retraite décente en maintenant l’âge de taux plein à 65 ans. M. le rapporteur a d’ailleurs laissé la discussion sur le sujet ouverte.

Eu égard aux disparités dont les femmes sont victimes, le Gouvernement entend agir sur l’inégalité salariale. Effectivement, à terme, c’est un paramètre intéressant, mais il ne prend peut-être pas suffisamment en considération la situation actuelle. Aujourd’hui, en effet, il est avéré que l’égalité n’est pas atteinte dans toutes les entreprises.

Il faut à mon sens, monsieur le ministre, rééquilibrer avant d’égaliser. Il est des moments où l’équité est préférable à l’égalité.

Il conviendrait par ailleurs de prendre en considération la situation des jeunes. Ces derniers rentrent de plus en plus tardivement dans le monde du travail, sont souvent une variable d’ajustement et seront, pour beaucoup d’entre eux, confrontés à des situations de rupture professionnelle.

Dans ce contexte, les jeunes sont frappés de ce que l’on pourrait appeler, certes de façon un peu provocante, je m’en excuse, d’une double, voire triple peine. Bien rares sont ceux d’entre eux qui parviendront à avoir une carrière longue sans interruption.

Dès lors, à défaut de pouvoir prétendre à une retraite par répartition suffisante, les jeunes devront anticiper et se constituer une retraite de substitution. Cela équivaut à cotiser deux fois.

Dans ce parcours aléatoire où adaptation et mobilité seront obligatoires, des périodes de formation seront indispensables. Seront-elles prises en compte dans le calcul de la retraite ?

Quelle promotion sociale ? Quelles cotisations ? Quel avenir ?

Il convient, me semble-t-il, d’intégrer ces paramètres, car, dans une société en mouvement, l’approche linéaire ne répond plus aux exigences actuelles, et a fortiori ne répondra pas plus aux exigences futures.

Certes, ces considérations dépassent le cadre de la réforme des retraites mais doivent, je crois, faire l’objet d’une réflexion, avec les partenaires sociaux et le monde de l’entreprise, pour que les jeunes générations ne soient pas les laissées-pour-compte et retrouvent confiance en l’avenir.

La situation du travailleur handicapé et celle des parents d’enfants atteints d’un handicap retiennent également notre attention. Nous devons, me semble-t-il, veiller à apporter une réponse adaptée.

Maintenir pour ces personnes un départ « anticipé » correspond à une réalité physique et à une nécessaire solidarité sociale.

Leur permettre de partir plus tôt avec une retraite à taux plein, c’est leur reconnaître une place pleine et entière dans notre société ; c’est les traiter en acteurs économiques de plein exercice dans notre société ; c’est tout simplement être équitable.

De même en est-il pour les parents d’enfants handicapés qui, souvent, ont dû renoncer, au moins pour l’un des deux, à des carrières entières pour s’occuper de leur enfant. Ils ont, de ce fait, payé un tribut supplémentaire, tribut qu’il paraît légitime de reconnaître à sa juste valeur :

Ces différentes catégories, monsieur le ministre, nous obligent à réfléchir à notre modèle social et certaines réponses ne peuvent pas être apportées par cette seule réforme. À l’instar de tout édifice, toutefois, l’intervention faite sur une partie résonne parfois sur la globalité, et contraint à agir ultérieurement sur d’autres parties.

La réforme proposée, dans ses dimensions économique et sociale, s’inscrit dans cette logique. Si son bien-fondé est, me semble-t-il, largement admis par nos concitoyens, elle soulève des interrogations et des débats qu’il conviendra d’analyser pour apporter des réponses adéquates.

À travers la question des retraites, et par-delà les querelles politiciennes, c’est celle de notre modèle social, voire sociétal qui est posée. Si paradoxal que cela puisse paraître, traiter des retraites nous renvoie au commencement de notre vie professionnelle et à la capacité de chacun à s’insérer, à s’intégrer dans notre société. (Applaudissements sur les travées de lUMP et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, samedi dernier – faut-il le rappeler ? – 3 millions de citoyens sont descendus dans la rue.

Sans entrer dans une bataille de chiffres, je me dois de vous dire que votre conception du dialogue social est pour le moins étrange, quand on sait que votre réforme fait descendre des millions de personnes dans la rue, suscite l’opposition de tous les syndicats de salariés et ne reçoit, pour seul soutien, que celui du MEDEF !

Celles et ceux qui étaient dans la rue savent de quoi ils parlent, pourquoi ils se mobilisent, pourquoi ils n’hésitent pas à sacrifier plusieurs journées de salaire. Ils parlent de souffrance, d’injustice, du gouffre qui divise notre société entre les plus pauvres et les plus riches.

Contrairement à vos affirmations, ils jugent votre réforme injuste et subodorent qu’elle sera inefficace. Pour ma part, je la considère comme un contresens historique.

En effet, vous fondez votre projet sur une réalité qui n’existe pas, ou plutôt qui n’existe plus : nous ne sommes plus dans les années soixante ! Vous donnez à penser qu’il suffit de le vouloir pour trouver un travail.

Vous vous fondez sur une hausse de la croissance, alors que, nous le savons, depuis bien longtemps il n’y a presque plus de croissance dans notre pays, ni en Europe ni dans le reste des pays développés. Comme l’a joliment dit M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, vous surestimez l’amélioration de la situation économique. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Tout cela n’est pas sérieux, et s’annonce même dramatique pour les millions de personnes qui vont souffrir encore plus du fait de votre politique.

Bien sûr, il faut s’atteler à la question des retraites, mais en s’appuyant sur des bases économiques, sociales et environnementales réalistes.

Parlons emploi.

En effet, le système de répartition, auquel nous sommes attachés, repose principalement sur les cotisations sociales, et donc sur la masse salariale.

Vous voulez faire travailler les seniors deux ans de plus, alors que 44 % des 55-60 ans sont au chômage. Comment ces personnes pourront-elles trouver du travail à 60 ans, alors qu’elles n’en trouvent pas à 55 ans ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Vous me direz que le projet de loi prévoit des mesures pour la remise au travail des seniors.

Mais pourquoi ne pas mettre ces mesures au service des chômeurs d’aujourd’hui ? Ils deviendraient ainsi cotisants, pour 6,7 milliards d’euros, et je ne compte pas les indemnités de chômage ainsi économisées.

Pourquoi ne pas mettre ces mesures au service des jeunes en recherche d’emploi, qui « galèrent » de stages en stages ?

M. Didier Guillaume. Évidemment !

M. Jean Desessard. Leur éviter des années d’errance avant de trouver un emploi stable, ce sont des ressources en plus et, pour eux, la perspective d’un départ à la retraite non retardé.

Vos prévisions sont erronées : la majeure partie des seniors ne trouveront pas d’emploi. Vos calculs économiques sont faux. Et, de fait, les pensions des seniors diminueront, contrairement à vos affirmations.

Mme Brigitte Bout. Oh là là !

Mme Évelyne Didier. C’est la vérité !

M. Jean Desessard. Parlons justice, maintenant.

Eh oui, il faut améliorer le système pour que la retraite gomme les inégalités qui se sont créées au cours de la vie active !

Il importe de tenir compte du développement de la précarité et de remédier aux retraites misérables des petits paysans, des chibanis, des petits commerçants ou artisans.

M. Jacky Le Menn. De tous les petits !

M. Jean Desessard. Il est impensable de laisser persister des inégalités comme cet écart de 44 % entre la pension d’un homme et celle d’une femme.

À l’inverse, que proposez-vous contre les retraites chapeau, qui représentent parfois plus de 400 fois le minimum vieillesse, contre le cumul des retraites avec des hauts salaires ? (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

En termes de justice, votre réforme aggrave également la situation de ceux qui ont effectué de longues carrières.

M. Jacky Le Menn. C’est un scandale !

M. Jean Desessard. Enfin, parlons prévisions.

Il est surprenant de s’en tenir aux seules prévisions démographiques, et ce jusqu’en 2050.

M. Jean Desessard. Évidemment, le montant du déficit à cette échéance est abyssal.

M. Charles Gautier. On vous donne rendez-vous, monsieur le ministre !

M. Jean Desessard. Mais, outre le fait qu’il est impossible de prévoir la démographie à si long terme, à quoi ressemblera notre société en 2050 ?

Mme Évelyne Didier. Personne ne peut le dire !

M. Jean Desessard. Quelle sera la part du travail dans la création de richesse ? Et l’apport des machines et des robots dans la production industrielle ?

Il faut changer le logiciel pour la période qui s’ouvre.

M. Jean-Marc Todeschini. Et les ministres !

M. Jean Desessard. De nouveaux critères sont à prendre en compte : l’évolution technique, l’impact environnemental.

L’activité humaine dépendra de notre capacité à limiter les pollutions, à préserver les ressources, en un mot, à penser autrement la production et la consommation, et même à envisager de « travailler moins pour travailler tous ».

Ne pas prendre en compte, dans les projections jusqu’à 2050, l’aspect environnemental et le progrès technique relève de la stupidité ou, pire, du cynisme.

Et, à propos de démographie, la réforme de 2003 n’avait-elle pas été conçue pour en tenir compte ?

M. Charles Gautier. Elle était ratée !

M. Jean Desessard. Mais c’est vrai qu’il y a eu la crise, on l’a assez rappelé. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Or, compte tenu de l’importance de ce paramètre imprévu que constitue la crise économique et financière, quels sont les moyens mis en place par le Gouvernement pour éviter de nouvelles crises ?

M. Jean Desessard. Quelle politique compte-t-il mener pour protéger les citoyens et les systèmes sociaux contre les prédateurs, contre les capitaux flottants à la recherche du profit maximum ? Aucune !

Où est, aujourd’hui, l’ambition de progrès social, qui avait été le moteur de la généralisation du système de retraite par répartition après la guerre ?

Mme Évelyne Didier. Il n’y en a plus !

M. Jean Desessard. Où est l’anticipation de la société de demain, quand le contact humain et la solidarité seront des valeurs à préserver d’autant plus qu’il faudra beaucoup moins de temps salarié pour produire des biens industriels ?

Les retraites ne sont pas l’occasion d’un simple débat technique au cours duquel un ministre gestionnaire viendrait nous expliquer que la courbe démographique ne nous permet pas d’envisager d’autres solutions. Non, avec ce débat, on touche à notre vision de la société de demain.

Écoutez, monsieur le ministre, les millions de manifestants qui vous demandent de respecter l’humain !

M. Jean-Marc Todeschini. Le Gouvernement est autiste !

M. Jean Desessard. Encore une fois, après le CPE, après la remise en cause du droit de grève, après l’autorisation du travail le dimanche, votre gouvernement veut rendre les hommes et les femmes toujours plus corvéables, au service d’une économie fondée sur la recherche du profit maximum.

Dans notre logique à nous, c’est l'économie qui doit contribuer au bonheur du plus grand nombre : voilà notre ambition ! (C’est vrai ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

D’autres solutions existent, mais encore faut-il vouloir s’attaquer aux inégalités de notre société. J’aurai, au cours du débat, l’occasion de présenter nos propositions.

En tout état de cause, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sénatrices et les sénateurs écologistes s’opposeront fermement au recul de l’âge de départ à la retraite en particulier et à ce projet de loi en général, qui, je le redis, est une catastrophe sociale et dont on doit craindre qu’il n’aggrave les conditions de vie déjà très dures de nos concitoyens ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Poncelet.

M. Christian Poncelet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les régimes de retraite, déjà déficitaires de 2,2 milliards d’euros en 2006, ont subi, du fait de la crise, un effondrement tel de leurs ressources que le déficit prévu pour 2010 serait de 32,2 milliards d’euros. À ce jour, personne n’a contesté ces montants.

Face à un tel sinistre, si nous voulons préserver le caractère spécifique de notre système de répartition intergénérationnel, issu de la Résistance, la réforme des retraites s’impose d’urgence à nous, quelles que soient nos susceptibilités. Personne n’en conteste, d’ailleurs, la nécessité, comme vient de le rappeler l’orateur précédent.

Au point où nous en sommes, il nous appartient donc d’y apporter, en exerçant nos prérogatives de législateur, les aménagements ou les compléments nécessaires, pour une application rapide, car le temps presse et les déficits annoncés seraient, en l’absence de réformes, à proprement parler insupportables, mais aussi pour une mise en œuvre juste, car il y a lieu d’agir sans brutalité.

Sans doute convient-il, d’abord, de préciser que l’espérance de vie à l’âge de la retraite, qui constitue une référence importante de la réforme proposée, s’entend pour une personne en bonne santé.

Or, au vu de la progression des maladies professionnelles après 60 ans, il nous faut constater qu’il existe des inégalités d’espérance de vie selon les catégories professionnelles, et même parfois au sein d’une même catégorie.