M. Jean-Jacques Mirassou. Elle n’existe déjà plus !

M. Jean Bizet. … mais nous provoquerons une crise de confiance au cœur même de la zone euro.

Regardez la situation de l’Espagne : trois agences de notation ont successivement dégradé la note attribuée à ce pays depuis le début de l’année, pays qui doit désormais faire face à un besoin de financement de 27 milliards d’euros d’ici au 31 décembre 2010.

Il convient également d’avoir bien présent à l’esprit le fait que la dette cumulée de la France, au 30 juin dernier, s’établit à 1 591,5 milliards d’euros, soit 82,9 % du PIB.

M. Roland Courteau. La faute à qui ?

M. Jean Bizet. Par ailleurs, le service de la dette représente 55 milliards d’euros par an ; entre 2011 et 2013, l’augmentation prévisible s’établira à 10 milliards d’euros. Je n’ose imaginer le montant de cette dette si, par hypothèse, la France devait voir sa note dégradée.

Le pacte de stabilité et de croissance, qui lie notre pays à ses vingt-six partenaires, intègre la surveillance des systèmes de retraite dans le cadre plus général du suivi de la situation budgétaire des différents États membres.

Il faut donc le reconnaître, nous ne parviendrons pas à respecter nos engagements sans la maîtrise des dépenses que permet le présent projet de loi. À une tribune nationale, on pourrait toujours sortir des recettes fabuleuses de sa manche, mais devant nos partenaires européens, une telle attitude ne serait pas recevable.

Nous sommes confrontés à un choix important. J’estime que choisir la réforme revient à faire un choix pour l’Europe, j’allais dire le choix de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur pour avis applaudissent également.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, réformer notre système de retraite est une nécessité, que personne ne conteste.

De même, nul ne remet en cause l’attachement de notre pays à la répartition. Et l’on ne peut que se féliciter de voir ce principe réaffirmé avec force dans le texte qui nous est soumis.

En revanche, les conditions d’élaboration de cette réforme et certaines de ses modalités de fond sont plus problématiques.

Monsieur le ministre, vous avez pratiqué une large concertation avant de dévoiler votre plan, mais vous n’avez pas souhaité négocier avec les partenaires sociaux.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. C’est un choix ! Aujourd’hui, il appartient donc au Parlement de faire entendre sa voix, conformément à son droit constitutionnel consistant à faire la loi. Laissez-le exercer pleinement celui-ci.

Lors des travaux de la commission des affaires sociales, le débat fut tronqué, nous dit-on, par les pressions qui furent alors exercées.

C’est l’honneur et la raison d’être même du Parlement qui sont en cause ! Si aucune marge de négociation ne lui est permise sur un texte aussi emblématique, aussi consubstantiel au pacte social que l’est cette réforme des retraites, alors il ne sert plus à rien !

L’heure est d’autant plus à la négociation que nous l’abordons, pour notre part, avec modération et réalisme, dans un souci de médiation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Ce que nous disons est simple : seul le retour à l’équilibre entre cotisations et pensions garantira la pérennité de la répartition, un retour non seulement nécessaire, mais aussi possible.

Pour ce faire, des ajustements paramétriques d’urgence sont sans doute indispensables.

Le déséquilibre actuel a des causes structurelles bien connues, notamment démographiques, du fait de l’augmentation de l’espérance de vie.

Des mesures d’âge s’imposaient donc et nous sommes favorables au passage progressif du départ à 62 ans, accompagné de dispositions pour les carrières longues, comme c’est le cas.

Pour un retour à l’équilibre en 2018, ces mesures d’âge représenteraient les deux tiers du financement de la réforme, le Gouvernement misant, pour constituer le dernier tiers, sur des mesures de convergence entre le public et le privé, sur une série de recettes fiscales et sur le retour de la croissance.

La CADES assurerait la gestion de la dette accumulée sur la période 2011-2018, grâce aux actifs du Fonds de réserve pour les retraites et à des ressources nouvelles, principalement assises sur les assurances.

Or de sérieuses réserves ont pu être émises sur la solidité de ce plan.

Les ressources nouvelles affectées à la CADES seraient insuffisamment dynamiques et pérennes.

De plus, à titre personnel, je doute que le déplacement de la seconde borne d’âge de 65 à 67 ans rapporte autant qu’annoncé. J’y reviendrai.

La principale critique adressée à ce plan est qu’il se fonde sur le scénario intermédiaire du COR, en vertu duquel le taux de chômage tomberait à 4,5 % en huit ans, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 7 % depuis 1983...

Autant de raisons de craindre que le compte n’y soit pas.

C’est pourquoi nous pensons que cette réforme n’est qu’une étape vers l’équilibre. Cela fait quatre fois que les retraites sont réformées en France en trente ans. Le problème me paraît trop grave pour que l’on continue à ce rythme.

Nous ne ferons pas l’économie, à moyen terme, d’une réforme structurelle, « systémique », pour reprendre une expression en vogue. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Vous le savez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mon groupe réclame depuis 2003 le remplacement de l’annuité par le point ou les comptes notionnels. Une telle réforme est le seul moyen de réaliser l’égalité des Français devant la retraite, par un système simple qui résoudrait nombre des difficultés rencontrées actuellement. Elle permet aussi une prise en charge beaucoup plus transparente des dépenses de solidarité.

Telles sont, d’ailleurs, les conclusions de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, présentées dans le rapport de M. Dominique Leclerc, aujourd’hui rapporteur, et de Mme Christiane Demontès.

Il nous appartient d’y réfléchir dès maintenant et de fixer, dès aujourd’hui, un nouvel horizon. C’est ce que nous vous proposerons.

Mais si le retour à l’équilibre est la condition de la justice intergénérationnelle, il faut veiller à réduire, voire à supprimer les injustices inhérentes au système actuel et à ne pas en créer de nouvelles.

Notre sentiment est que, du point de vue de la solidarité et de la justice sociale, le texte qui nous est soumis est grandement perfectible.

Cela m’amène à la question du déplacement de la seconde borne d’âge, l’annulation de la décote à 67 ans plutôt qu’à 65 ans. Ce déplacement va lourdement pénaliser un grand nombre d’assurés qui, déjà à l’heure actuelle, ne peuvent espérer que de très petites retraites.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Au premier rang d’entre eux, se trouvent les femmes dont les carrières ont été hachées par la maternité. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

C’est pourquoi cette mesure n’est pas conforme à l’idée que je me fais de la justice sociale.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Elle l’est d’autant moins qu’elle ne me semble pas rapporter autant que l’on veut bien le dire. Nous autres, parlementaires, ne disposons évidemment pas des mêmes moyens que vous, au Gouvernement, mais, monsieur le ministre, avec mon crayon et ma calculette, je n’arrive pas du tout au chiffre initialement annoncé de 6 milliards d’euros.

Pourrait-on avoir un éclairage sur ce point d’importance, vous en conviendrez ? Si cette mesure est inéquitable et si elle ne se justifie pas même sur le plan comptable, alors il faut immédiatement revenir dessus.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. À tout le moins serait-il nécessaire de repousser à 2029 le passage à 65 ans, comme en Allemagne, pays souvent pris comme référence, et de conserver la borne des 65 ans pour un certain nombre de publics défavorisés, tels que les parents ayant interrompu leur activité au titre du congé parental d’éducation, les aidants familiaux ou les personnes en situation de handicap.

Nous devons et nous pouvons également progresser en matière de pénibilité.

Il est vrai que le texte fait déjà un pas en avant considérable en prévoyant la prise compte de la pénibilité à effet immédiat. Nous ne pouvons que saluer le dispositif prévu au profit des travailleurs atteints d’une incapacité d’au moins 10 %. Mais c’est encore très insuffisant.

Un travailleur peut avoir exercé dans des conditions pénibles affectant son espérance de vie sans que ces facteurs se traduisent, au moment du départ à la retraite, par une incapacité physique immédiatement mesurable, comme on l’a vu à propos de l’amiante.

C’est pourquoi il faut également prendre en compte la pénibilité à effet différé. Je vous proposerai des amendements dans ce sens.

Ces amendements sont, d’ailleurs, nécessaires à la à la cohérence du projet ! En effet, tant que l’on ne prend pas en compte la pénibilité à effet différé dans l’âge d’ouverture des droits à pension, la réforme de la santé au travail n’a rien à faire dans ce texte et demeure un pur cavalier ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

M. Guy Fischer. On est d’accord !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. De même, sans dispositif de départ anticipé pour pénibilité à effet différé, on ne voit pas bien ce que l’article 27 ter A, qui aménage les conditions de travail en fonction du même critère, vient faire ici !

M. Guy Fischer. Tout à fait d’accord !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il est deux autres questions sur lesquelles nous demandons au Gouvernement d’avancer, en marge du texte qui nous est soumis.

La première est celle des polypensionnés. Nous mesurons bien l’ampleur des difficultés techniques ici soulevées, mais il s’agit d’un élément essentiel de justice sociale qui concerne quatre assurés sur dix. Là encore, beaucoup doit être attendu du régime par points.

La seconde question que j’aimerais soulever est celle des carrières longues. Le Gouvernement s’est déjà engagé à élargir le dispositif aux assurés ayant commencé à travailler à 18 ans révolus. Mais alors, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout, en l’ouvrant aussi aux assurés ayant commencé à travailler à 20 ans ? Tout effet de seuil serait ainsi annihilé et le dispositif serait bouclé.

M. Éric Woerth, ministre. Avec quel financement ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je salue l’excellence du travail des rapporteurs Dominique Leclerc et Jean-Jacques Jégou et je livre toutes ces observations à votre réflexion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout en espérant que l’esprit qui animera nos débats sera celui du partenariat constructif. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons fait de la réforme des retraites la réponse quasi unique au défi que posent l’augmentation de la durée de la vie et le vieillissement de nos sociétés.

Or, c’est au sein même du marché du travail que l’avenir de notre protection sociale se pose.

S’agissant de l’emploi des jeunes comme de l’emploi des seniors, le diagnostic est sans appel : gâchis humain, gabegie financière, absurdité économique, faillite sociale. Autant de maux auxquels ce texte ne remédie en rien.

Avec un jeune sur quatre au chômage, un senior sur deux sans emploi au moment de liquider sa retraite, la productivité française repose essentiellement sur la fraction de la population âgée de 24 à 54 ans.

Outre des cotisations sociales qui ne rentrent pas, ce sont les forces vives d’une nation que l’on continue d’exclure de la production de richesse. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Pendant ce temps, ceux qui travaillent sont d’autant plus pressurés que toute la productivité repose sur un segment de plus en plus étroit. Et les évolutions démographiques devraient encore accentuer le phénomène.

C’est dire si la question de l’emploi est primordiale. Qu’elle soit la grande absente du texte n’en est que plus inconcevable !

Mme Raymonde Le Texier. La réalité française montre pourtant une situation tendue aux deux bouts de la pyramide des âges.

L’emploi des jeunes, en France, se situe à un niveau très bas : 32 %, soit six points de moins que la moyenne européenne et vingt points de moins que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Le taux de chômage des jeunes qui ont quitté le système scolaire y est anormalement élevé : 25 %, avec des pointes à 42 % dans les banlieues. Plus de 62 % des diplômés de 2008 n’avaient toujours pas trouvé d’emploi un an après l’obtention de leur diplôme.

C’est dire à quel point la question de l’insertion sur le marché du travail concerne tous les jeunes, au-delà de leur niveau de formation. Cette situation ne saurait se résoudre en comptant sur la seule évolution démographique.

Malheureusement, force est de constater que ce gouvernement n’estime pas qu’un tel bilan impose la mise en place d’une politique volontariste d’insertion des jeunes permettant d’accompagner le passage de la formation à l’emploi.

Mme Raymonde Le Texier. Quant à l’emploi des seniors, le constat est encore plus alarmant. En France, le taux d’emploi des seniors stagne autour de 38 %, ce qui nous situe loin derrière les pays scandinaves, où il atteint 70 %, ou même les pays anglo-saxons, où il avoisine 60 %, notamment au Royaume-Uni.

Si l’on affine ces données en se penchant sur la situation des personnes âgées de 60 à 64 ans, ce taux chute autour de 16 % chez nous, quand il est de 30 % pour l’Union européenne et de 63 % en Suède.

C’est dire si l’âge social en France est sensiblement déconnecté de l’âge biologique ! Là où, ailleurs, on est considéré comme actif, dans notre pays, on est vu comme improductif.

M. Roland Courteau. Comme inutile !

Mme Raymonde Le Texier. Force est de constater qu’en la matière le déni du Gouvernement est absolu : dans le projet de loi sur les retraites, la question des seniors n’est pensée qu’en termes d’âge, jamais en termes d’emploi ni de parcours professionnel. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Quand une personne sur deux est au chômage au moment de valider ses droits à la retraite, repousser l’âge légal du départ au-delà de 60 ans est un moyen rapide et cynique de gratter un ou deux milliards d’euros sur le dos des plus fragiles !

Mme Raymonde Le Texier. Parce qu’ils auront été maintenus hors de l’emploi, non seulement les salariés percevront de bas revenus durant quelques années de plus, mais encore leurs revenus de remplacement seront amoindris du fait d’une plus longue période de chômage.

En échange de la nécessité de travailler plus longtemps, on obtient la baisse des pensions. Cherchez l’erreur... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. Non content d’être injuste, ce ravaudage à la petite semaine ne résout rien : il alimente l’angoisse de la population sur l’avenir du système de répartition et, surtout, il permet de préparer le terrain pour amener les ménages à se tourner vers la capitalisation. Une solution qui arrange un MEDEF dont le seul moteur est de veiller à ce que la répartition entre capital et travail se fasse au détriment du second !

Voilà pourquoi, alors que la part du PIB consacrée aux dividendes passe, en quelques années, de 3,2 à 8,5 %, la simple question de l’augmentation des cotisations sociales, donc patronales, est devenue un tabou.

Quant à la nécessité, apparemment logique, de travailler plus, elle se heurte à un constat déprimant : les employeurs, pour lesquels un salarié est considéré comme âgé bien avant l’âge de la retraite, usent de toutes les ficelles pour faire sortir prématurément de l’entreprise les personnes concernées.

Le système des préretraites étant arrivé à son terme, ce sont les ruptures conventionnelles qui remplissent maintenant cet office.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. L’évaluation du coût pour l’UNEDIC du projet de loi relatif à la réforme des retraites que nous examinons prouve que transformer de jeunes retraités en vieux chômeurs a un coût certain : un coût humain, d’abord – dilapidation du savoir, perte de compétences, absence de transmission –, et un coût financier, ensuite – plus d’un milliard d’euros sur les comptes de l’UNEDIC, pour la période 2015-2017.

Mme Raymonde Le Texier. Il est vrai que se battre en la matière demande au Gouvernement de mobiliser tous les leviers qui dépendent de lui, alors que faire de la baisse des pensions l’un des objectifs de la réforme ne demande que d’exploiter les peurs et de baisser les bras !

Dommage ! En effet, parmi les pays qui ont réussi à mettre en place une véritable réforme des retraites, la Suède et la Finlande ont su créer un consensus autour de la nécessité de proposer des perspectives de développement professionnel pour les différents âges de la vie, comme de porter une attention particulière aux conditions de travail et au bien-être dans l’entreprise.

Le cas de la Finlande est emblématique. En quatre ans, entre 1998 et 2002, le taux d’emploi des 55-59 ans est passé de 51 % à 63 %.

Le secret de la Finlande ? Elle n’a engagé sa réforme des retraites qu’après avoir mis en place un plan quinquennal en faveur de l’emploi des plus de 45 ans, qui avait pour objectif de rendre plus attractive la prolongation de la vie active pour tous les salariés.

C’est toute une stratégie préventive qui a ainsi été mise en place et l’État a investi autant dans la promotion de la santé au travail que dans l’entretien du capital humain tout au long de la vie. Enfin, la gestion prévisionnelle des parcours et des compétences a redéfini un autre rapport aux âges, s’intéressant à tout le cycle de vie et pas seulement aux problématiques d’entrée et de sortie sur le marché du travail.

Face aux engagements que d’autres gouvernements ont su prendre en matière d’emploi, les ajustements comptables que vous nous présentez ne sont même pas une manière de préserver le système : ils ne font qu’en durcir les exigences sans en corriger les injustices.

Bien sûr, pour changer les mentalités et construire un nouveau consensus, le processus est long, toujours courageux, souvent difficile, mais c’est aussi l’occasion d’offrir à une société des outils pour se repenser et les moyens de choisir son avenir.

C’est là que résident tout le sens d’une réforme et toute la dignité du politique. C’est ce à quoi les socialistes se sont attelés. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, malgré les fortes mobilisations de ces dernières semaines et au vu du texte qui nous est présenté aujourd’hui, le Gouvernement persiste dans le choix d’une réforme injuste et inefficace pour pallier les déséquilibres financiers du système de retraite actuel.

Réforme injuste, car elle est supportée à 85 % par les salariés, avec une contribution marginale des revenus financiers et du capital.

Réforme injuste, car, en cumulant l’allongement de la durée de cotisations et le recul de l’âge légal de départ à la retraite, ce sont les salariés d’emplois précaires, les jeunes et les femmes qui ne pourront prétendre à une retraite à taux plein.

Monsieur le secrétaire d’État, cette iniquité est encore plus criante dans une société comme celle de la Réunion, dont la situation sociale et économique est fondamentalement différente de celle de la France continentale.

Le chômage structurel et massif du département de la Réunion est sans commune mesure avec ce que connaissent la métropole et l’Union européenne. En effet, le taux de chômage y est trois fois supérieur à celui de la moyenne nationale. Ce sont les moins de 25 ans qui sont les plus sévèrement touchés, puisque plus de la moitié d’entre eux sont chômeurs. Et ceux de cette tranche d’âge qui sont salariés ont soit un emploi précaire à temps partiel, soit un contrat à durée déterminée. Ce sont donc 70 % des jeunes Réunionnais qui ont de faibles revenus et dont les cotisations sont nulles ou faibles.

À cela s’ajoute le fait établi que le coût de la vie est de 36 % plus élevé qu’en France métropolitaine. Ainsi, plus de 52 % de la population réunionnaise vit en dessous du seuil national de pauvreté.

De plus, à la Réunion, le système actuel des retraites est atypique : une personne âgée sur trois vit avec le minimum vieillesse – 677 euros par mois, je le rappelle –, alors qu’en France continentale seuls 5 % des retraités perçoivent cette allocation.

La situation des retraités à la Réunion fait apparaître une grande disparité entre les deux secteurs économiques, public et privé. En moyenne, un fonctionnaire bénéficie de 1 845 euros mensuels, alors que le montant de la pension est de 580 euros pour une personne relevant du régime général. Et c’est dans le domaine agricole, autre volet important de notre économie et de notre patrimoine, que l’on constate une iniquité plus grande : 75 % des retraités agricoles vivent avec moins de 400 euros par mois !

M. Roland Courteau. C’est une honte !

Mme Gélita Hoarau. Enfin, la spécificité réunionnaise réside également dans sa structure démographique.

Aujourd’hui forte de 800 000 habitants, la Réunion devrait atteindre 1 million d’âmes d’ici à 2030, selon l’INSEE. Ce département verra sa population active augmenter de plus de 20 000 personnes et le pourcentage de personnes âgées de plus de 60 ans doubler.

Précisons que l’argument consistant à justifier qu’il faille travailler plus longtemps en raison de l’augmentation de l’espérance de vie ne tient pas à la Réunion, où l’espérance de vie est inférieure à celle de la France continentale.

À la Réunion, la réforme envisagée, avec l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge légal de départ à la retraite, cumulés au chômage et à la précarité, privera encore plus de salariés du privé d’une retraite à taux plein. Ce texte ne fera qu’augmenter le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse. De la sorte, c’est l’immense majorité des Réunionnais qui se retrouveront en dessous du seuil national de pauvreté.

Cette situation spécifique a d’ailleurs été soulignée par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, ancien ministre de l’outre-mer, M. Baroin, qui affirmait en substance que le cas de la Réunion était trois fois plus grave que celui de la France métropolitaine.

Monsieur le secrétaire d'État, au regard de ces perspectives, nous demandons la création d’une commission d’enquête composée de représentants de l’État, des organisations syndicales et patronales, d’élus locaux et nationaux des départements et collectivités d’outre-mer chargée d’évaluer dans les années à venir les effets de cette réforme sur les populations concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il va de soi que je voterai ce texte portant réforme des retraites.

M. Roland Courteau. Cela commence mal ! (Sourires.)

M. Jacques Mahéas. Inutile de continuer !

M. André Lardeux. En effet, le bon sens le commande, l’avenir l’exige et l’urgence ainsi que l’état catastrophique de nos finances sociales le nécessitent. Nous aurions d’ailleurs dû le faire dès le Livre blanc de 1991.

Il ne faut pas se laisser entraîner sur le terrain des marchands d’orviétan et de poudre de perlimpinpin, qui veulent nous faire croire que le maintien du départ à la retraite à 60 ans est possible. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Courteau. Vous pensez à qui ?

M. André Lardeux. Même Raúl Castro ne le croit pas (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), lui qui vient de décider de porter l’âge de la retraite de 60 ans à 65 ans ! (Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.)

Dans le cas de la retraite à 60 ans, il y a tromperie délibérée sur la marchandise, car le maintien de cette disposition suppose une ou deux conditions sur lesquelles on garde un silence pudique. En effet, il faudrait soit une augmentation considérable des cotisations salariales, de l’ordre de 10 à 20 points, soit une diminution très sensible des pensions de retraite, soit, plus probablement, les deux en même temps.

M. Jacques Mahéas. Il y a d’autres solutions !

M. André Lardeux. Notre système de retraite doit être plus juste. Il est facile de constater que le dispositif qui est proposé, pour imparfait qu’il soit, est moins injuste que celui qui prévaut dans la situation présente, notamment pour ce qui concerne les différences entre secteur public et secteur privé.

Les systèmes doivent être plus compréhensibles et les déficits actuels, qui sont colossaux, doivent être résorbés. L’heure n’est donc plus à la procrastination.

On décrie le système proposé, alors qu’il demeure pour les pays développés le plus favorable. Il est aussi plus favorable qu’à son origine. En 1945 en effet, avec un âge de départ à la retraite fixé à 65 ans, un Français sur deux n’en bénéficiait pas et ceux qui dépassaient cet âge n’en bénéficiaient que quelques années. Les bénéficiaires à venir auront une vingtaine d’années de retraite, soit plus que ceux qui ont pris leur retraite dans les années quatre-vingt !

Voilà qui démontre que le rapport cotisants-pensionnés est bien le problème de fond quant à l’équilibre financier du système et que cet équilibre sera toujours difficile à réaliser.

Je voterai ce texte, donc, car c’est un pas dans la bonne direction pour maintenir le système de répartition, qui doit toujours être la base du système de retraite.

Le passage à 62 ans est indispensable, car le maintien à 60 ans est une arme de spoliation massive vis-à-vis des générations futures. Cette solution est celle qui évite de pénaliser aussi l’emploi et la compétitivité de notre économie.

Cependant, vous me permettrez d’émettre quelques regrets ou quelques souhaits concernant l’âge de départ, la pénibilité, les paradigmes fondant le système ou l’avenir de l’équilibre financier, car, dans quelques années, il nous faudra probablement aller beaucoup plus loin.

Il y a d’ailleurs un contraste très fort entre le caractère somme toute limité de la réforme et le tohu-bohu qu’elle engendre, preuve de notre immaturité démocratique enfermée dans des démarches clientélistes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

La mesure la plus décriée est le passage à 62 ans. Pourtant, c’est le minimum minimorum.