compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. Jean-Pierre Godefroy.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la nomination des membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.

Conformément à l’article 8 du règlement, la liste des candidats remise par les bureaux des groupes a été affichée.

Cette liste sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition dans le délai d’une heure.

3

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 5 octobre 2010 que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-77 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

4

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du mercredi 6 octobre 2010, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2010-39, 2010-43, 2010-45 et 2010-59 QPC).

Acte est donné de cette communication.

5

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

6

Retrait d'une question orale

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question orale n° 994 de M. Raymond Vall est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

7

Motion référendaire sur le projet de loi portant réforme des retraites

Discussion d’une motion référendaire

 
Dossier législatif : motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion (n° 4, 2010-2011) de M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, Jacqueline Alquier et Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels et Alain Anziani, Mme Éliane Assassi, MM. David Assouline, Bertrand Auban et Robert Badinter, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Bérit-Débat, Jacques Berthou et Michel Billout, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Botrel et Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mmes Claire-Lise Campion et Monique Cerisier-Ben Guiga, MM. Yves Chastan, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Yves Daudigny, Yves Dauge et Marc Daunis, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Christiane Demontès et Évelyne Didier, MM. Claude Domeizel, Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Guy Fischer, Thierry Foucaud, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Didier Guillaume, Jacques Gillot, Serge Godard et Jean-Pierre Godefroy, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Claude Haut, Edmond Hervé, Robert Hue, Claude Jeannerot et Ronan Kerdraon, Mme Marie-Agnès Labarre, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam et Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage et Raymonde Le Texier, MM. Marc Massion, Pierre Mauroy, Gérard Miquel et Jean-Jacques Mirassou, Mmes Renée Nicoux et Isabelle Pasquet, MM. Georges Patient, François Patriat et Jean-Claude Peyronnet, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Jack Ralite, Daniel Raoul, Paul Raoult, Ivan Renar et Thierry Repentin, Mmes Patricia Schillinger et Mireille Schurch, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, Bernard Vera et Jean-François Voguet, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites.

La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Bel, premier auteur de la motion. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez certainement vu, comme moi, l’immense banderole qui était déployée lors des grandes manifestations dans lesquelles se sont exprimés des millions de Françaises et de Français. On pouvait y lire l’invite suivante : « Mesdames et messieurs les sénateurs, ne votez pas cette réforme injuste ».

Pour ma part, j’ai trouvé certes inhabituel, mais aussi important que les forces vives de la nation se tournent vers le Sénat pour lui confier ses espoirs et ses inquiétudes. Cette lourde responsabilité confère à nos débats une gravité qui n’a échappé à personne. C’est dans cet esprit que nous abordons un sujet essentiel dans la vie des Français.

Nous nous exprimons dans un contexte particulier, dans un moment de grande tension, de mobilisation, aussi, dont nous devons tenir compte.

Des millions de nos concitoyens – près de trois millions à chaque manifestation – ont défilé dans les grandes villes de France, le 7 septembre, le 23 septembre et le 2 octobre derniers. Ils s’apprêtent à recommencer le 12 octobre prochain. Parallèlement, ils mettent en place des modalités d’action, des initiatives qui vont évoluer dans les jours à venir.

M. Roland Courteau. Et ce n’est pas fini !

M. Jean-Pierre Bel. C’est une mobilisation sociale qui ne faiblit pas, une mobilisation qui n’a cessé de croître, même si le Premier ministre a fait mine de ne guère s’en soucier en déclarant que les manifestants se trompaient.

D’un autre côté, il y a le débat parlementaire ou, plutôt, l’absence de débat. En effet, le débat qui aurait dû avoir lieu à l’Assemblée nationale a été escamoté, censuré, refusé au mépris des droits les plus élémentaires de l’opposition.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Pierre Bel. Ainsi serons-nous les premiers à pouvoir aller au fond des choses.

M. Jean-Pierre Bel. Ce contexte nous impose un seul devoir : ne pas manquer ce rendez-vous, donc prendre le temps nécessaire au débat afin de mettre en lumière les injustices de toute nature qui structurent le projet de loi…

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. … et de faire entendre nos propositions alternatives.

M. René-Pierre Signé. C’est un rendez-vous d’honneur !

M. Jean-Pierre Bel. La réforme des retraites est, à l’évidence, un enjeu majeur. Elle mérite donc un vrai débat, un grand débat national au terme duquel les Françaises et les Français doivent pouvoir s’exprimer. Or, monsieur le ministre, vous entendez au contraire faire passer cette réforme au galop, sans véritable écoute ni négociation : une contre-vérité affirmée aux Français ; des syndicats mis devant le fait accompli ; des parlementaires privés de débat.

M. Jean-Louis Carrère. C’est cavalier !

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le ministre, je veux le dire ici avec force : ni le Président de la République, ni le Gouvernement auquel vous appartenez, ni vous-même n’avez reçu de mandat pour faire c e que vous faites ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Bel. Vous avez même été élus sur un engagement qui consistait à ne surtout pas le faire. En effet, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy s’était solennellement engagé à ne pas remettre en cause l’âge légal de départ à la retraite.

M. Jean-Pierre Bel. Et il avait même confirmé ce propos après son élection.

M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas son premier mensonge !

M. Jean-Pierre Bel. À l’époque, Christiane Demontès le soulignait hier, Mme Laurence Parisot avait tenté de le faire revenir sur sa position. Il avait refusé de transiger avec le MEDEF, déclarant clairement qu’il n’avait pas reçu de mandat du peuple français sur ce point et que, par conséquent, il ne se sentait pas habilité à agir !

M. Jean-Pierre Bel. Quelle crédibilité peut-on accorder à la parole politique quand elle est ainsi bafouée au plus haut niveau ?

M. Jean-Pierre Bel. Vos projets sur les retraites ont été engagés sans mandat, ils se sont poursuivis sans débat.

Le dialogue social, pourtant essentiel pour la réussite et la légitimité d’une réforme d’une telle ampleur, n’a pas eu lieu. Les syndicats n’ont été associés ni à la conception ni à la conduite de votre réforme. Tout juste ont-ils, à l’occasion, été conviés pour la forme, pour la photo, sans que la négociation collective ait lieu pour autant.

La réforme a ainsi été conçue dans l’opacité des cabinets ministériels et entre conseillers de l’Élysée, loin de la place publique, loin des partenaires sociaux.

M. Claude Bérit-Débat. Et surtout avec le MEDEF !

M. Jean-Pierre Bel. Non content de cette situation, vous avez escamoté le débat parlementaire. À l’Assemblée nationale, vous avez fait jouer tous les moyens de procédure pour évacuer le débat :…

M. Claude Bérit-Débat. C’est scandaleux !

M. Jean-Pierre Bel. … commission à huis clos, procédure d’urgence, temps programmé et, pour finir, censure des débats par le président Accoyer.

M. René-Pierre Signé. C’est un déni de démocratie !

M. Jean-Pierre Bel. Vous avez ainsi bafoué les droits les plus élémentaires du Parlement.

M. René-Pierre Signé. C’est honteux !

M. Jean-Pierre Bel. Vous avez privé les parlementaires de faire tout simplement leur travail, niant ainsi la souveraineté même du Parlement.

Au Sénat, nous vous amènerons à respecter le temps du débat.

M. Jean-Louis Carrère. Ils vont essayer de recommencer !

M. Jean-Pierre Bel. Prendre le temps du débat, c’est laisser l’opposition s’exprimer, mais c’est aussi et surtout écouter des propositions qui, vous pourrez le constater, sont toutes constructives, sérieuses et financées, contrairement à ce que j’ai entendu hier.

Monsieur le ministre, le Président de la République considère le projet de loi portant réforme des retraites comme la « réforme majeure du quinquennat ». Nous n’oublions pas la longue série de mesures qui ont précédé ce projet de loi et qui mettent à mal le lien social. Nous avons été atterrés de voir comment a été conduite une réforme de cette importance.

M. Didier Guillaume. Incroyable !

M. Jean-Pierre Bel. Oui, la situation est grave. Pourtant, c’est encore bien peu si l’on considère le fond du dossier, si l’on analyse la philosophie qui inspire votre projet de loi et les mesures concrètes qui le traduiront dans la réalité et dans le quotidien des Français. Ne nous payons pas de mots, la principale caractéristique de ce projet de loi est d’être injuste !

M. Jean-Pierre Bel. Il est injuste parce que la mesure phare du report de l’âge légal de départ à la retraite touche d’abord les plus faibles dans le monde du travail !

M. Jean-Pierre Bel. Votre réforme frappe les ouvriers, dont l’espérance de vie est inférieure de sept années à celle des cadres.

M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Bel. Ils jouiront d’autant moins de leur retraite qu’ils y accéderont usés et en moins bonne santé. Est-ce cela que vous appelez une réforme juste ?

M. René-Pierre Signé. Ils pensent aux cadres !

M. Jean-Pierre Bel. Votre réforme frappe plus particulièrement les femmes qui, pour un tiers d’entre elles, à la suite de carrières précaires ou à temps partiel, sont déjà obligées de travailler jusqu’à soixante-cinq ans pour avoir accès à une retraite sans décote. Est-ce cela que vous appelez une réforme juste ?

M. Roland Courteau. C’est scandaleux !

M. Jean-Pierre Bel. Votre réforme frappe aussi les 300 000 personnes qui, chaque année, partent à la retraite à 60 ans alors qu’elles ont déjà cotisé deux années de plus que nécessaire, sans bénéficier pour autant d’un mécanisme de surcote.

Demain, ces personnes-là devront travailler plus longtemps encore, …

M. Jean-Louis Carrère. Pour gagner moins !

M. Jean-Pierre Bel. … et ce alors même qu’elles ont commencé à travailler jeunes et qu’elles mériteraient de jouir d’une retraite amplement méritée. Est-ce cela que vous appelez une réforme juste ?

Tous ceux que je viens de nommer vont payer le prix fort pour votre réforme alors que celle-ci ne sera guère payante pour eux. Cela non plus ne correspond pas à notre conception d’une réforme juste !

M. Roland Courteau. Il faut revoir la copie !

M. Jean-Pierre Bel. En revanche, comment ne pas le voir, votre réforme épargne vos puissantes relations, les convives du Fouquet’s et les amis du Président de la République !

M. Jean-Pierre Bel. Votre réforme épargne les revenus du capital puisque sur les 45 milliards d’euros qui seront nécessaires en 2020, seuls 2 milliards d’euros proviendront des revenus du capital.

M. Roland Courteau. Une goutte d’eau !

M. Jean-Pierre Bel. Votre réforme épargne aussi les revenus du patrimoine. La contribution des 1 000 plus gros bénéficiaires du boulier fiscal oscillera entre 500 euros et 700 euros, somme pour eux tout à fait symbolique, une aumône gracieusement octroyée aux régimes de retraites.

M. Jean-Louis Carrère. C’est la quête !

M. Jean-Pierre Bel. C’est tellement caricatural, grossier, inconscient aussi au regard de l’état de notre pays et de la dégradation continue des finances publiques ! Et tout cela, monsieur le ministre, pour une réforme qui ne règle rien !

La précédente réforme des retraites, qui porte le nom du Premier ministre, et que l’on disait financée à 100%, n’est déjà plus suffisante. Et avec la réforme actuelle, il manquera dès l’année prochaine 25 milliards d’euros !

Vous l’aurez compris, votre projet de loi est injuste socialement et inefficace économiquement. C’est pourquoi nous proposons un autre chemin. Je demande aux membres de la majorité qui, trop souvent, nous reprochent ne pas avoir de propositions, de bien vouloir les écouter.

Contrairement à l’idée que vous avez tenté, sans succès, d’instiller dans les esprits, nous ne sommes pas dans le refus de la réforme. Nous ne sommes pas dans l’esquive. Tout comme nos collègues de l’Assemblée nationale, nous ne nous arrêtons pas au milieu du chemin. Nous ne nous contentons pas de dénoncer votre pratique de la réforme ni de contester le projet que vous nous présentez.

M. Jean-Louis Carrère. Bien que nous en ayons le droit !

M. Jean-Pierre Bel. Personne ne peut nier la nécessité d’une réforme, mais d’une réforme qui apporte des solutions et de véritables avancées.

Oui, nous portons un autre projet. Nous prônons une réforme globale, alors que les données démographiques constituent l’unique axe sur lequel s’appuie votre projet de loi. La réforme que nous proposons est indissociable d’une autre politique de l’emploi, en direction des jeunes et des seniors en particulier.

M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. Notre projet alternatif de réforme des retraites a l’efficacité pour objectif et la justice pour boussole. La justice, c’est d’abord de garantir le niveau de vie des retraités, aujourd’hui dégradé, par votre faute. (M. le rapporteur s’exclame.)

M. Guy Fischer. C’est la vérité !

M. Jean-Pierre Bel. En effet, les réformes Balladur et Fillon ont provoqué une baisse des pensions allant jusqu’à 20 %. C’est une perte sèche de pouvoir d’achat, monsieur le rapporteur !

La justice, c’est le partage des efforts, alors que, aujourd’hui, 90 % des efforts sont demandés aux seuls salariés. C’est pourquoi nous proposons de nouvelles ressources, notamment en mettant les revenus du capital à contribution. Cela signifie une augmentation des prélèvements sociaux sur les bonus et sur les stock-options, conformément aux propositions de la Cour des comptes, et l’application de la contribution sociale généralisée, la CSG, sur les revenus du capital qui en sont actuellement exonérés.

M. Jean-Pierre Bel. Si notre projet était adopté, les contributions des revenus du capital s’élèveraient à 19 milliards d’euros dès 2010 et à 25 milliards en 2025, contre 2 milliards seulement avec votre projet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Didier Guillaume. Voilà une bonne proposition !

M. Jean-Pierre Bel. Parallèlement, nous acceptons une hausse modérée des cotisations patronales et salariales, de 0,1 point par an, au cours des dix années à venir.

La justice, c’est aussi de prendre en compte la pénibilité et d’en tirer des conséquences concrètes en termes d’ouverture des droits à pension.

Nous devons acter un principe simple : toute période de travail pénible – travail de nuit, à la chaîne ou port de charges lourdes – doit ouvrir droit à une majoration des annuités et permettre de partir plus tôt à la retraite. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Oui, ceux qui souffrent le plus doivent voir leur souffrance reconnue et récompensée au moment où ils quittent la vie active.

L’efficacité, c’est de faire une réforme durable alors que votre projet n’apporte aucune solution pérenne, pas même à moyen terme. À cette fin, contrairement à vous, nous ne ferons pas preuve d’une négligence coupable à l’égard du Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, créé comme un facteur de sécurité et de stabilité par Lionel Jospin. Depuis 2002, vous ne l’avez plus alimenté, allant même parfois jusqu’à le ponctionner !

M. Jean-Louis Carrère. Et à le piller !

M. Guy Fischer. C’est du racket !

M. Jean-Pierre Bel. Vous avez ainsi transformé le Fonds de réserve pour les retraites en un fonds de retrait sans réserves ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Nous proposons au contraire d’alimenter le FRR de manière régulière, par la création d’une surtaxe de 15 % de l’impôt sur les sociétés acquitté par les banques qui, une fois n’est pas coutume, fournirait leur contribution à l’effort national ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Roland Courteau. Excellent !

M. Jean-Pierre Bel. Nous proposons enfin des points d’étape réguliers, tous les cinq ans, avec l’ensemble des partenaires sociaux, ainsi qu’une clause de rendez-vous globale sur le système des retraites en 2025.

M. Jean-Louis Carrère. Écoutez-bien, monsieur le ministre !

M. Jean-Pierre Bel. C’est ainsi que nous parviendrons à inscrire les choses sur le long terme et à procéder à une réforme durable des retraites.

M. Roland Courteau. Ça, c’est une réforme !

M. Jean-Louis Carrère. Prenez des notes !

M. Jean-Pierre Bel. L’efficacité, c’est aussi être pragmatique, en cohérence avec la société et les modes de vie d’aujourd’hui. Ainsi, comment pouvez-vous sérieusement imposer aux seniors de travailler plus longtemps, alors que la France est la lanterne rouge de l’Europe pour le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Quel est le sens et la faisabilité de vos propositions dans un tel contexte ? Pour notre part, nous proposons de dépasser largement votre réforme, purement comptable, en prenant le problème de l’emploi des seniors à bras-le-corps. Nous voulons un vrai accompagnement des salariés, nous voulons favoriser la formation des seniors. Nous considérons qu’il faut revoir les méthodes de travail dans les entreprises, en généralisant le tutorat et les binômes, en aménageant les conditions de travail des plus de 55 ans.

M. Didier Guillaume. Voilà du concret !

M. Jean-Pierre Bel. Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme de bonus-malus, par exemple la modulation d’un point de cotisation patronale en fonction de la part des seniors parmi les salariés ? Faute d’appréhender l’emploi des seniors dans sa globalité et dans sa complexité, votre projet de loi passe totalement à côté d’un enjeu majeur du monde du travail d’aujourd’hui. Vous ne réussirez jamais la quadrature du cercle : forcer des gens à travailler plus longtemps alors qu’au-delà d’un certain âge, aujourd’hui, il devient souvent presque impossible de trouver un emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Nous proposons, en somme, d’aller vers la retraite choisie. Ce n’est pas une formule magique ; ce n’est pas « raser gratis ». C’est au contraire une vraie réforme de société, qui permettra d’aller vers un système de retraite à la fois universel et personnalisé. C’est la seule manière de s’adapter aux rythmes de travail et de vie d’aujourd’hui et de tenir compte des parcours et des perspectives de chacun.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des mois, on nous affirme que les mesures du présent projet de loi sont inéluctables, on fait appel à de fausses évidences sur l’augmentation de l’espérance de vie, sans jamais tenir compte des différences que l’on constate selon les métiers. Depuis des mois, on dépeint notre pays comme un village gaulois qui résisterait obstinément au changement, en oubliant que nos voisins espagnols ou allemands se sont d’abord donné le temps de la discussion, de la négociation et de la mise en œuvre. Chez eux, on peut partir à la retraite au terme de 35 ans de cotisation sans être lourdement pénalisé.

Mme Gisèle Printz. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Pourtant, en matière de retraite, pas plus qu’ailleurs, il n’y a de fatalité. Une vraie réforme des retraites est possible. Elle est finançable. Elle est même souhaitable dès lors qu’elle s’inscrit dans une approche globale de notre économie et de notre société.

Mes chers collègues, cette motion référendaire n’est en aucun cas l’expression de notre volonté de nous défausser de notre responsabilité de parlementaires qui doivent se saisir de toutes les grandes réformes indispensables à notre pays. Nous ne souhaitons pas davantage nous substituer à l’expression nécessaire de la démocratie sociale en proposant des référendums sur tous les sujets.

La parole présidentielle, pourtant solennellement affirmée, est aujourd’hui véritablement trahie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Et ce, sur une réforme considérée, au plus haut sommet de l’État, comme la réforme majeure du quinquennat !

M. Jean-Louis Carrère. Ces sommets ne sont pas très élevés !

M. Jean-Pierre Bel. Il faut que Nicolas Sarkozy décide enfin de tout remettre à plat, qu’il reprenne les choses à l’endroit. Plutôt qu’un débat sur l’identité nationale, ne serait-il pas plus utile et bienvenu d’engager un débat national afin de déterminer si le Président peut faire l’exact contraire de ce qu’il avait proposé aux Français : le maintien de l’ouverture des droits à la retraite dès l’âge de 60 ans ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est à lui qu’il appartient de décider de la forme que pourrait prendre ce débat et de consulter les Français.

Madame la présidente, c’est dans cet esprit que j’ai l’honneur, au nom du groupe socialiste, du groupe communiste républicain et citoyens et des sénateurs du parti de gauche, de demander à notre assemblée d’adopter la motion référendaire que nous avons déposée.

Faute de débat et d’écoute, nous utilisons cet ultime recours. Nous lançons un appel, solennel et grave, à tous les républicains qui n’acceptent pas le caractère injuste, inique de ce projet de loi, un appel à nos nombreux collègues qui, au fond d’eux-mêmes, n’acceptent pas le caractère éminemment choquant du texte qui nous est proposé.

M. René-Pierre Signé. Ils sont craintifs !

M. Jean-Pierre Bel. Oui, je lance un appel à toutes celles et à tous ceux qui, comme nous, croient que la République française n’est elle-même que lorsqu’elle est démocratique et sociale : ne votez pas cette réforme injuste !(Les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG se lèvent et applaudissent longuement.) 

Discussion générale (début)
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