Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Bel. J’en termine, madame la présidente.

Monsieur le ministre, voilà quelques jours, vous avez répondu à Pierre Mauroy, qui évoquait cette grande réforme que fut l’adoption de la retraite à 60 ans, qu’il était un homme du passé. Devant la réforme que vous nous proposez et les dégâts que vous êtes en train de faire, je vous dis, reprenant ainsi les mots de François Mitterrand, que vous, vous êtes des « hommes du passif ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, demain, il y aura vraisemblablement beaucoup de monde dans les rues. Nous assisterons de nouveau à cette éternelle querelle sur les chiffres. De manière éhontée, certains affirmeront qu’il y avait cinq fois, voire dix fois moins de manifestants…

Que diront ces Français ? Dans la mesure où vous n’avez pas écouté les syndicats, boudant le dialogue social, que vous êtes restés sourds aux propositions de l’opposition parlementaire, la France qui souffre, qui se lève tôt, qui travaille ou est confrontée au chômage sera dans la rue pour vous dire que vous ne l’écoutez jamais et que vous favorisez toujours – c’est la constante de votre politique depuis 2007 – le même électorat, les mêmes catégories professionnelles, toujours les plus aisées, au détriment des autres. À partir du moment où vous ne privilégiez pas le dialogue, où vous n’écoutez pas les parlementaires, le débat se fait dans la rue.

Car, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État – et nous le répétons depuis une semaine déjà – votre réforme des retraites est injuste et, en outre, elle n’est pas financée et ne règle rien.

Vous avez voulu faire croire aux Françaises et aux Français que votre réforme était « la » réforme. Or il s’agit d’un trompe-l’œil. En fait, vous vous adressez simplement à une certaine catégorie de la population, en lui disant : ne craignez rien, dormez tranquilles, vous ne serez pas touchés par les efforts que nous demandons à toutes et à tous.

Il aurait été tellement plus simple de réformer en ne touchant pas au symbole essentiel de notre pacte républicain, à savoir l’âge de départ à la retraite à 60 ans et l’âge du bénéfice d’une pension à taux plein à 65 ans.

Regardez celles et ceux qui sont âgés, qui souffrent, qui sont au chômage : aucun d’entre eux n’est concerné par ce que vous proposez, parce qu’ils ne sont plus au travail ! À ceux qui ont souffert, vous demandez de travailler deux années supplémentaires ; à ceux qui sont au chômage, vous offrez deux nouvelles années de galère, alors que vous devriez leur ouvrir des perspectives.

Vous voulez que les chômeurs pauvres deviennent des retraités pauvres. Telle n’est pas notre conception de la République et de la politique ! À tous ces chômeurs pauvres, il faut au contraire leur proposer un chemin, un emploi, une formation. Vous préférez, une fois encore, les montrer du doigt et les culpabiliser, en les rendant responsables du manque de cotisations.

M. Bel vient de le rappeler, nous présentons un projet cohérent qui se fonde non seulement sur une augmentation des cotisations de 0,1 % par an pour tous les salariés, mais aussi sur la taxation des revenus du capital, notamment les stocks-options. Il faut aller chercher l’argent là où il se trouve !

Vous aviez le choix : taxer toujours les mêmes ou répartir plus justement les efforts. Aujourd’hui, on le sait, l’écart entre les revenus du capital et ceux du travail, entre les riches et ceux qui galèrent, n’a jamais été aussi important et il continue d’augmenter.

Mes chers collègues, si nous nous opposons ainsi à cet article 6, afin de maintenir l’âge du bénéfice d’une pension à taux plein dès 65 ans, c’est tout simplement parce que nous vivons auprès des salariés en difficulté et des chômeurs.

M. Adrien Gouteyron. Et pas nous ?

M. Didier Guillaume. Votre manière de présenter cette réforme témoigne au contraire de votre méconnaissance de nos concitoyens.

Comme M. Bel vient de le dire, beaucoup d’entre vous, chers collègues de la majorité, pensent, au fond d’eux-mêmes, qu’il n’aurait pas fallu toucher à l’âge du bénéfice de la pension à taux plein. Ils savent que, de retour dans leur département, ceux qui votent pour eux leur reprocheront cette décision injuste et inéquitable.

C’est la raison pour laquelle notre groupe, comme beaucoup de groupes et, j’en suis sûr, de nombreux sénateurs de la majorité, n’est pas favorable au relèvement de l’âge du bénéfice d’une pension à taux plein de 65 ans à 67 ans.

C’est un coup nouveau que vous portez à ceux de nos concitoyens qui souffrent. C’est un choix symbolique. Aujourd’hui, vous ne prenez pas une mesure démographique, vous adoptez tout simplement une posture idéologique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. Cet article 6, qui relève de deux années l’âge permettant de percevoir une retraite à taux plein, sans décote, nous a été présenté comme le parallèle, la conséquence logique du relèvement de deux années de l’âge d’ouverture des droits. Nous serions dans la mécanique pure, une sorte de raisonnement éthéré, hors sol, selon lequel « plus deux » sont incontestablement égal à « plus deux ».

Cette mesure a pourtant bien suscité l’inquiétude et les interrogations de tous : les nôtres, mais aussi celles des rapporteurs des deux assemblées et celles de nombre de nos collègues de la majorité. Le débat qui vient de se dérouler, fermé par avance sur l’essentiel, malgré les amendements présentés par le Gouvernement, malgré l’excellent amendement de notre collègue Jacky Le Menn, n’y a pas répondu.

Nous disposons, il est vrai, d’une enrichissante étude d’impact, dont le Gouvernement a désormais l’obligation d’assortir ses projets.

En la forme, la maigreur de la partie de cette étude consacrée à l’article 6 est frappante, particulièrement au regard de l’importance et de la gravité des conséquences qu’emporte le report de l’âge du taux plein pour toutes celles et ceux – la majorité – qui sont au chômage avant la retraite, pour toutes celles et ceux qui travaillent depuis l’âge de 14, 15 ou 16 ans, pour toutes celles et ceux que les tâches pénibles ont usés avant l’âge.

Au fond, l’évaluation présentée des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales nous laisse sur notre faim. Deux aspects sont rapidement évoqués : le premier est relatif aux économies globalement attendues du relèvement des deux bornes d’âge ; le second, prospectif, porte sur un « effet horizon » potentiel, en d’autres termes sur l’éventualité que le relèvement de l’âge du départ à la retraite incitera mécaniquement et spontanément les entreprises à conserver plus longtemps leurs salariés seniors.

L’étude comporte toutefois une réserve non négligeable s’agissant de « la situation économique globale », dont « les effets du relèvement des bornes d’âges sur l’emploi ne peuvent être totalement isolés ».

Compte tenu de la situation économique en France, on augure mal de cet « effet horizon ».

Deux données supplémentaires éloignent encore cet « horizon » et laissent plutôt craindre que la très grande majorité des salariés ne le pourront ni ne le voudront.

Tout d’abord, ils ne le pourront simplement pas faute de travail ; au surplus, ils ne le voudront certainement pas pour la grande majorité en raison de la dégradation des conditions d’exercice et du climat professionnel. Tels sont les résultats de l’enquête publiée en 2008 par la Caisse nationale d’assurance vieillesse sur les motifs des départs prématurés en retraite, résultats que confirment les travaux des sociologues et l’augmentation constatée depuis dix ans des troubles musculo-squelettiques.

Vous n’ignorez pourtant pas que 57 % des personnes qui liquident leur pension à 65 ans sont sans emploi, dont plus de 62 % de femmes. Vous n’ignorez pas non plus que l’ensemble de ces personnes sont, à 65 ans, au chômage depuis en moyenne onze ans, et depuis plus de treize ans pour les femmes. Surtout, les relevés de la CNAV établissent clairement une différence importante entre ceux qui liquident au titre de la durée de cotisation et ceux qui liquident au titre de l’âge : ce sont alors presque 85 % des entrants qui sont au chômage à 65 ans, dont plus de 87 % de femmes, et ils le sont depuis plus de dix-huit ans pour l’ensemble et vingt ans et six mois pour les femmes.

C’est à celles et ceux-là que vous voulez imposer deux années d’attente supplémentaires, réduits au chômage ou aux minima sociaux ? C’est à celles et ceux-là que vous voulez faire croire qu’après vingt ans de chômage ils peuvent espérer retrouver de l’embauche ?

Alors que ces données établissent que le problème à la base est celui des carrières trop courtes, vous proposez comme seule solution d’en allonger la durée théorique.

Je voudrais, sur ce point majeur de la durée des carrières, corriger l’interprétation que vous faites de la réduction de l’écart de durée d’assurance entre hommes et femmes. Il n’est pas admissible d’essayer de faire croire, comme vous le faites, que la situation des femmes se serait améliorée. C’est en réalité celle des hommes qui s’est détériorée ! La durée d’assurance des femmes s’est constamment réduite, mais en partant de moins haut que celle des hommes, et celle de ces derniers s’est réduite, en partant de plus haut, plus rapidement, au point de tomber bientôt plus bas que celle des femmes.

J’ajoute que la réduction de quatre trimestres de majoration de durée d’assurance à laquelle vous avez procédé l’année dernière n’a évidemment pas amélioré la situation des femmes.

M. Éric Woerth, ministre. Non ! C’est incroyable de dire de telles choses !

M. Yves Daudigny. Pourquoi n’ajoutez-vous pas, au surplus, que les pensions des femmes sont de 40 % inférieures à celles des hommes ?

Vous n’ignorez pas, enfin, l’évaluation du coût du report de l’entrée au régime de retraite sur le régime de l’assurance chômage à laquelle l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, l’l’UNEDIC, a procédé, qui représentera une charge supplémentaire de 440 millions à 530 millions d’euros. Le report de l’âge du droit à taux plein de deux années entraînera également un report sur l’invalidité et le revenu de solidarité active et créera des charges nouvelles pour l’assurance maladie et les conseils généraux.

L’article 15 de votre projet de loi confirme la réalité de ce problème majeur puisqu’il prévoit de relever les âges limites de versement des indemnités au titre de l’assurance chômage et des allocations de solidarité aux travailleurs privés d’emploi. Vous créez donc des charges nouvelles pour faire des économies. C’est absurde !

Enfin, à aucun moment vous n’évaluez ni n’évoquez les effets de la mesure sur la santé physique et psychologique.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Yves Daudigny. Il faut aussi ajouter à votre balance le coût des dommages humains collatéraux : vous ne ferez croire à personne qu’une année à 65 ans ne pèse pas plus qu’une année à 62 ans en termes de santé.

Nous voterons contre cet article 6, contre ce projet de loi dont il a été montré combien il était frappé d’injustice sans assurer la pérennité du financement de notre régime de retraite par répartition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la majorité des membres du RDSE votera contre cet article, car nous estimons qu’il introduit une mesure d’une grande injustice, et ce malgré l’amendement qu’a fait adopter le Gouvernement.

Nous regrettons que ce dernier s’obstine à présenter ce relèvement de l’âge permettant de percevoir une retraite à taux plein sans décote comme indissociable du passage de 60 à 62 ans de l’âge de départ à la retraite et comme étant la solution au problème du financement du système des retraites, compte tenu de l’ampleur du chômage des seniors.

Nous regrettons que le Gouvernement augmente la période de précarité avant retraite de certains de nos concitoyens et nous pensons qu’il aurait été plus judicieux de prévoir un véritable plan de lutte contre le chômage de ces seniors.

Nous regrettons, enfin, que cet article pénalise les femmes. De nombreuses études montrent en effet que les femmes sont très souvent obligées de travailler jusqu’à 65 ans pour éviter la décote. Les écarts entre les hommes et les femmes sont d’ailleurs significatifs en matière de retraite. En moyenne, le niveau des pensions des femmes est inférieur de 38 % à celui des hommes et les femmes sont les principales bénéficiaires des minima de pension.

Cette inégalité est le reflet de l’inégalité salariale puisque les femmes gagnent en moyenne 19 % de moins que les hommes, même celles qui n’ont jamais interrompu leur activité professionnelle. Et cette situation s’aggrave lorsqu’elles deviennent mères.

Certes, des mesures viennent d’être prises pour les parents de trois enfants, mais les multiples conditions retenues pour leur permettre de bénéficier de l’annulation de la décote à 65 ans sont bien trop restrictives et transforment ces mesures en mesurettes.

Tout d’abord, l’amendement du Gouvernement ne concerne que les assurées nées entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 et qui ont validé, avant l’interruption ou la réduction de leur activité, un nombre de trimestre minimum. Rien n’est prévu pour toutes les autres, qui mettent leur carrière entre parenthèse, qui refusent les postes à responsabilités et les horaires tardifs ou qui sont souvent contraintes de recourir au temps partiel pour s’occuper des tâches domestiques et de l’éducation des enfants.

Avec la majorité de mes collègues du RDSE, nous estimons que l’article 6 crée une grande injustice à l’égard des ouvriers, des carrières longues, des salariés aux carrières incomplètes, de ceux qui ont subi des périodes de précarité et des femmes. C’est pourquoi nous voterons contre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Chastan, pour explication de vote.

M. Yves Chastan. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 6 du projet de loi, qui tend à relever l’âge permettant de percevoir une retraite à taux plein sans décote, est très court, mais lourd de conséquences. Il est sans doute le plus injuste, si tant est que l’on veuille introduire une hiérarchie dans le panel d’injustices que recèle ce texte. En effet, il est particulièrement injuste de relever à 67 ans l’âge auquel on peut percevoir une retraite sans décote.

Quels seront les plus touchés ? Des personnes qui ont eu des carrières difficiles, aux parcours hachés, qui ont enchaîné ou enchaîneront petits boulots et missions d’intérim. Parmi elles, les femmes sont souvent les plus concernées.

Quelques chiffres sont révélateurs, qui émanent de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. Ils ont d’ailleurs été cités par plusieurs d’entre nous, mais aussi à l’Assemblée nationale, y compris par une députée de votre majorité. Qu’indiquent-ils ? Que les femmes ont une retraite inférieure de 40 % à celle des hommes, qu’elles ne sont que 44 % à effectuer une carrière complète contre 86 % des hommes. Une femme sur trois travaille déjà jusqu’à 65 ans pour éviter de subir une décote.

Ces chiffres, manifestement, n’ont pas été pris en compte comme ils auraient dû l’être.

Personne ne peut rester insensible à cette situation, et je sais que nous sommes nombreux, sur l’ensemble de ces travées, à le dire : la situation d’inégalité que subissent les femmes dans notre pays n’est pas supportable. Ainsi, au moment du passage à la retraite jouent toute une série d’inégalités qui se sont progressivement cumulées au cours de la vie professionnelle.

Or ce projet de loi, et cet article 6 en particulier, aura un effet direct, immédiat, sur des générations de femmes, celles qui ont subi des périodes de discrimination, celles dont les congés de maternité étaient parfois mal tolérés dans leurs entreprises ou leurs établissements. Dans ce domaine, certes, les mentalités évoluent, mais insuffisamment. Bref, cette mesure aura un effet direct et immédiat sur des populations fragilisées au cours de leur vie professionnelle.

Pour marquer une véritable volonté d’agir en faveur de l’égalité au moment de la retraite entre les hommes et les femmes et lutter contre la précarité des femmes retraitées, la première mesure à prendre consiste donc à renoncer à élever l’âge auquel on peut prétendre à une retraite à taux plein. C’est ce à quoi je vous invite, mais telle ne semble pas être votre volonté.

Les jeunes seront également très touchés par cet article 6, s’il devait être voté. En effet, beaucoup rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés pour entrer dans la vie active. Sans diplôme ou formation qualifiante, ou, au contraire, en étant très diplômé et en ayant suivi des études de plus en plus longues, obtenir un emploi stable est parfois, ou plutôt souvent une gageure.

Plusieurs générations de jeunes ont déjà dû subir un parcours du combattant au cours duquel ils accumulent les stages, les petits boulots et les contrats à durée déterminée. Par définition, beaucoup d’entre eux n’auront pas, à 62 ans, le nombre de trimestres nécessaires à une retraite à taux plein.

À ces jeunes, particulièrement touchés par la crise et le chômage, malheureusement parfois désabusés, quel message d’avenir offrons-nous ? Quel message à ceux qui, usés par des métiers pénibles, entendent qu’ils n’auront droit à une retraite que s’ils sont déclarés « handicapés » – c’est peu ou prou ce que sous-tend ce texte – à 60 ans ?

Car avec la définition par ailleurs très restrictive que votre projet de loi prévoit en matière de pénibilité, et malgré les quelques aménagements qui pourraient encore être introduits dans la suite de nos discussions au Sénat, les personnes qui auront commencé de manière relativement tardive un travail les exposant à des risques pour leur santé n’auront d’autre choix que de continuer deux ans de plus, jusqu’à 67 ans, pour toucher leur retraite à taux plein.

Pour conclure, constatons encore une fois que, dans ce projet de loi, ce sont les retraites les plus faibles qui sont directement visées, que ce sont les plus précaires et ceux qui ont eu ou auront le plus de difficultés à entrer dans le monde du travail qui sont directement visés. Décidément, nous ne donnons pas aux mots justice et solidarité la même définition que vous. C’est pourquoi je ne voterai pas cet article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour explication de vote.

Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous le savez, cet article relève de deux années l’âge permettant de bénéficier d’une pension de retraite sans décote, quelle que soit la durée de cotisation atteinte.

En d’autres termes, celui ou celle qui n’aura pas atteint le nombre de trimestres requis pour partir plus tôt devra, pour obtenir une retraite sans décote, travailler jusqu’à 67 ans au lieu de 65 ans aujourd’hui.

Voilà l’autre borne d’âge que vous présentez comme incontournable pour sauver notre système de retraite par répartition. Mais quelle régression sociale et, même, quelle mesure mortifère ! Car cette affirmation comporte une seconde conséquence, que vous ne pouvez certes pas écrire, mais qui aura sa conséquence comptable : nombre de nos concitoyens seront morts avant de toucher la moindre retraite. C’est une vérité qu’il faut dire !

Votre texte est, sur ce point, d’une violence froide et cynique : la meilleure façon de faire faire des économies au système de retraite, c’est encore de prévoir que les pensions ne seront pas versées.

M. Éric Woerth, ministre. Oh !

Mme Marie-Agnès Labarre. Prévoir dans la loi les conditions pour qu’une plus grande frange de la population ne puisse jamais atteindre la retraite, voilà votre projet de société ! C’est, d’une certaine manière, le même processus que celui à l’œuvre avec le « plafond de verre » : on pense pouvoir atteindre tel objectif – ici, la retraite –, mais, en fait, on va se heurter à un obstacle, à savoir la perte de santé.

Laissons la nature faire son travail de sape, la grande faucheuse saura équilibrer vos comptes ! Tout cela, vous le savez parfaitement, monsieur le ministre, puisque vous êtes avant tout un comptable et un trésorier. Les chiffres, vous connaissez !

Vous entendez donc reculer pour tous de deux ans l’âge auquel la retraite à taux plein pourra être obtenue. Deux années, c’est énorme ! Entre 65 et 67 ans, un grand nombre de maladies parfois mortelles se déclarent. L’espérance de vie en bonne santé ne s’allonge plus, contrairement à ce que vous soutenez. Si certaines maladies reculent, d’autres émergent, liées à de nouvelles habitudes de vie – cancers, diabètes, etc. Au final, dans de nombreux pays européens, l’espérance de vie recommence à diminuer.

Mme Marie-Agnès Labarre. Cela aussi, vous le savez.

Et que dire des inégalités entre les ouvriers et les cadres quant à cet espoir de pouvoir vivre quelques années en bonne santé à partir de la retraite ? Le droit à la retraite est un droit fondamental de l’être humain, qui n’est pas sur terre uniquement pour travailler. Les richesses produites dans notre pays sont suffisantes pour que chacun vive correctement. C’est avant tout un problème de répartition de ces mêmes richesses.

Notre système de retraite par répartition est déjà source de grandes inégalités. Puisqu’il faut avoir cotisé un certain nombre de trimestres – toujours plus grand –, beaucoup de travailleurs ne parviennent pas à obtenir le quota nécessaire, et ce phénomène risque de s’aggraver dans les années à venir, tant le travail est malade en France et dans le monde entier, rongé par le capitalisme sauvage.

La situation va, à coup sûr, se dégrader avec votre texte, qui est une véritable législation de classe, un projet de société : une exclusion plus grande des personnes défavorisées, une lente paupérisation des classes moyennes, mais une ouverture du marché des retraites aux sociétés privées qui ramasseront le pactole de l’or gris, soit 230 milliards d’euros par an !

Les victimes de votre système sont multiples : les chômeurs et autres exclus qui percevront encore moins de retraite – souvent, ils seront déjà morts à 67 ans ! –, les personnes aux carrières hachées et qui subissent des temps partiels imposés, au premier rang desquelles les femmes bien sûr, les seniors qui, dès 57 ans, sont déjà écartés du travail, et enfin, les jeunes qui n’en ont pas encore trouvé à 27 ans !

Monsieur le ministre, vous êtes à cent lieues de ces réalités... Pourtant, elles sont connues de tous, et figurent même dans le rapport de M. Dominique Leclerc. Je vous le cite encore une fois : « D’après les informations transmises par la CNAV, en 2009, 22 % des femmes et 12,6 % des hommes ayant liquidé leur retraite du régime général étaient âgés de 65 ans. Parmi ces personnes, 13 % ont obtenu le taux plein au titre de leur durée d’assurance ; 87 % ont bénéficié du taux plein en raison de leur âge.

« Au sein de l’ensemble des liquidants à 65 ans, ceux qui liquident au titre de l’âge se distinguent nettement de ceux qui liquident à taux plein au titre de la durée.

« Les assurés qui attendent 65 ans pour prendre leur retraite et qui ont une durée d’assurance inférieure au taux plein reçoivent des pensions plus faibles, relativement aux autres retraités, et bénéficient fréquemment du minimum contributif.

« Les femmes représentent les deux tiers de ces assurés. »

Voila pourquoi je voterai, avec le groupe CRC-SPG, contre cet article et l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici avec cet article 6, et après l’article 5, au cœur de la réforme, dans la cristallisation des pires aspects de la stratégie qui continue à être utilisée par le Gouvernement et qui est imposée à notre assemblée.

C’est la stratégie du verrouillage, du blocage. Nous en arriverions presque à avoir des élans compassionnels à l’égard du groupe de l’Union centriste, qui est contraint de battre en retraite sur un amendement de repli marquant un adoucissement de la brutalité de cette réforme.

Monsieur le ministre, une question se pose.

Pourquoi un tel soutien, une telle adhésion populaire de la part de nos concitoyens à l’égard du mouvement de protestation ? Vous pensiez pouvoir désamorcer ce conflit, qui irait en s’effilochant après plusieurs coups de force successifs, plus ou moins importants, et en maniant la carotte et le bâton.

Eh bien, à cause du jeu que vous êtes en train de mener, près des deux tiers des Français, si l’on en croit les estimations les plus récentes, souhaiteraient une radicalisation de ce mouvement, avec toutes les conséquences qu’elle pourrait entraîner. C’est extrêmement grave !

Cette situation, vous en portez la responsabilité !

M. Marc Daunis. Vous avez non seulement présenté une réforme qui a été ressentie comme injuste, et qui est profondément inique, mais aussi décidé de maintenir des personnes au chômage plus longtemps, alors que 60 % des chômeurs n’ont pas retrouvé d’emploi quand ils liquident leur retraite. Ce chiffre, qui est le reflet de la réalité sociale vécue par certains de nos concitoyens, est alarmant !

La brutalité de cette réforme quant aux délais, son iniquité et son inefficacité sont indéniables. Alors, au fil des débats, vous avez dû quitter votre première ligne de défense, selon laquelle nous n’avions pas de projet. Ça n’a pas marché ! Le caractère profondément injuste de votre programme a été ressenti, et l’existence d’un projet alternatif est devenue crédible.

On peut se poser la question suivante : est-ce un défaut de communication du Gouvernement ? Je ne vous ferai pas l’insulte de penser que vous communiquez mal. La force et l’intensité des nombreux spots publicitaires prouvent le contraire.

Y aurait-il eu une certaine désinformation ? Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que nous n’avons pas de projet et, de l’autre, nous accuser d’avoir désinformé nos concitoyens, en leur laissant croire qu’il existait une autre possibilité et qu’elle était finançable.

Ou alors, cela voudrait dire que notre peuple manquerait de courage et n’est pas prêt à des efforts. Et là, vous portez la plus grave des responsabilités.

Dans notre système républicain, l’équilibre entre la liberté, l’égalité et la fraternité est parfois difficile à trouver. Cela exige que l’on dépasse les égoïsmes individuels pour mettre le collectif en avant. Vous ne l’avez pas fait, et c’est ce qui vous est reproché.

En refusant à longueur de débats de toucher à cette réforme profondément injuste et insupportable, c’est-à-dire d’attaquer les revenus du capital, vous avez pris le risque qu’elle soit incomprise. La question des retraites repose avant tout sur un choix de société et non sur de simples ajustements financiers.

L’allongement de l’espérance de vie moyenne pose un problème social. Voilà ce que vous voulez dire. En face, nous pensons qu’il s’agit d’un véritable progrès pour nos sociétés, et non d’une contrainte.

En conclusion, madame la présidente, je dirai que, dans une économie mondialisée, financiarisée, spéculative, où prolifèrent produits financiers et paradis fiscaux, la frénésie des profits est devenue la règle. (Protestations sur les travées de lUMP.) Dans cette période de crise, nos concitoyens, et je conclus par ces mots…

Plusieurs sénateurs de l’UMP. Votre temps est terminé ; il faut appliquer le règlement !