M. Jean-Pierre Bel. Peut-on en parler ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le problème des incompatibilités ne peut pas être traité de façon aussi sectorielle, surtout pas à la veille d’une transformation assez profonde des collectivités territoriales.

M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas pour tout de suite…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le conseiller territorial méritera un examen particulier en ce qui concerne les incompatibilités.

Il n’est pas davantage possible de se pencher sur la question des établissements publics intercommunaux, tels que les communautés de communes ou les communautés d’agglomération, sans regarder de près le fonctionnement de ceux-ci et sans se rendre compte que les conséquences d’une telle loi risquent d’être extrêmement importantes. Lorsque, par exemple, le maire d’une communauté d’agglomération est également le maire de la grande ville se trouvant au centre de cette agglomération, il y a une logique. Si l’on interdit à l’avenir ce genre de cumul, la logique disparaît. Je ne donne alors pas cher, dans un certain nombre de cas, du bon fonctionnement des communautés d’agglomération ou des communautés de communes.

L’une des personnalités auditionnées par la commission a souligné que certaines communautés de communes ne fonctionnent que grâce à la présence d’un parlementaire à leur tête !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Autrement, ces communautés de communes n’arriveraient pas à fonctionner ou existeraient de manière complètement anecdotique.

Mme Nathalie Goulet. Le Perche !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà bien un problème.

Dans le même sens, l’interdiction du cumul du mandat de parlementaire avec l’interdiction de toute fonction exécutive joue-t-elle pour les toutes petites communes ? Est-ce parce que l’on est maire d’une commune de 200 habitants que l’on ne peut pas être parlementaire ?

Enfin, comment pourra-t-on justifier le fait qu’un sénateur est représentant des collectivités territoriales si on lui interdit tout lien avec ces dernières ?

Par ailleurs, un certain nombre de préalables ne sont pas réglés.

D’une part, nous n’avons toujours aucune étude d’impact sur le cumul des mandats. J’aimerais en disposer, pour que nous puissions évaluer les conséquences réelles sur le terrain.

D’autre part, il faudra, dans l’hypothèse où cette loi passera un jour, que soit réalisée une analyse précise du statut du président de conseil général, du président de conseil régional, du président d’un grand EPCI ou du maire d’une grande ville.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour l’instant, le statut est insuffisant, et je rêve d’un statut comparable à celui du parlementaire, qui éviterait un certain nombre de cumuls de fonctions. En effet, dans l’état actuel des choses, certains parlementaires ne peuvent pas mener à bien leur tâche s’ils n’ont pas de mandat local.

D’autres éléments interviennent encore. Premièrement, un projet de loi organique, portant le numéro 62, a été déposé au mois d’octobre dernier. Il concerne notamment le problème du cumul pour les établissements publics de coopération intercommunale. Nous ne pouvons pas court-circuiter un projet de loi organique qui fera l’objet d’un examen dans un avenir proche.

Deuxièmement, nous allons être saisis, au cours de l’année à venir, de la recodification du code électoral. Nous aurons donc à examiner, d’une part, la loi organique gérant notamment les incompatibilités nous concernant et, d’autre part, la loi ordinaire ayant vocation à refondre le code électoral, lequel est devenu une monstruosité qu’il convient de revoir dans son ensemble. Nous aurons donc, là encore, un autre rendez-vous.

Plutôt que de procéder à un vote qui n’aurait pas de portée réelle, je vais vous proposer la solution suivante :…

M. Jean-Pierre Sueur. Attendons la lumière !

M. Patrice Gélard, rapporteur. … cette solution consiste à faire en sorte que la proposition de loi bénéficie d’un statut démontrant que nous ne souhaitons pas l’enterrer, que nous voulons travailler sur cette question mais dans un contexte plus vaste.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il existe des précédents qui prouvent que cela marche. La proposition de loi de Mme Bricq, qui a été réexaminée hier après avoir fait l’objet d’une refonte avec la proposition de loi venant de l’Assemblée nationale, démontre que, lorsque l’on renvoie un texte à la commission, on ne l’enterre pas.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet exemple n’est pas très pertinent…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Au contraire, cela permet de lui donner une vie nouvelle. Je préfère donc cette solution à celle qui consisterait à adopter une position qui serait immédiatement contredite par le vote de l’Assemblée nationale intervenu la semaine dernière.

Je propose donc, pour l’efficacité de la suite des opérations, que le texte proposé par le groupe socialiste soit renvoyé à la commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un enterrement de première classe, quand même !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée par M. Bel, que nous étudions ce matin, est extrêmement intéressante, comme l’a dit son auteur lui-même.

M. Jean-Pierre Bel. J’ai dit ça ? (Rires.)

M. Michel Mercier, ministre. Je souligne la position de M. Bel, car elle n’est pas celle de tous les membres de son groupe. Cela présente donc un vrai intérêt !

Comme toujours, j’ai lu avec intérêt, avant de venir, les travaux de la commission des lois du Sénat. Il est en effet toujours extrêmement intéressant, voire passionnant, d’examiner avant la séance la façon dont la discussion a été préparée. Le rapport de M. Gélard mais aussi la séance de travail de la commission sont particulièrement instructifs sur ce point.

La question du cumul est lancinante. Elle est souvent traitée avec hypocrisie, comme l’a dit à juste raison M. Bel, et au fil du temps, avec des textes traitant les choses de façon partielle, ce qui aboutit à des résultats parfois difficilement explicables.

Je voudrais poser une ou deux questions.

Tout d’abord, pourquoi la situation française est-elle si différente de celle que l’on peut trouver dans d’autres pays ? Il y a de nombreuses explications à cela. Je voudrais en apporter une ou deux à notre débat.

C’est d’abord lié à notre histoire et à une présence locale de l’État extrêmement forte.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n’est pas faux.

M. Yvon Collin. C’est vrai !

M. Michel Mercier, ministre. Dans d’autres États européens, il y a une séparation à la fois beaucoup plus nette et beaucoup plus grande entre les institutions locales et les institutions nationales. Dans notre pays, la tradition est tout autre. Chaque fois qu’il est à craindre que l’État ne se retire de l’échelon local, les protestations sont véhémentes. On veut toujours plus d’État à l’échelon local ! L’État doit être présent, l’État doit rester !

Dans ce cadre, il est certain que, pour que l’efficacité soit totale, le cumul s’impose. Celui qui n’est qu’élu local a beaucoup moins de pouvoirs sur l’État local que le parlementaire. Cette culture me paraît présente dans nos gènes de façon importante.

Le cumul des mandats est également vécu – il faut bien le dire – comme un mode d’efficacité de la gestion locale.

Dans les médias, beaucoup demandent une réduction, voire une interdiction du cumul. On dit que l’opinion publique est favorable à la suppression du cumul.

Je note que, sur ce point, le doyen Georges Vedel, avec la finesse d’esprit qui était la sienne, dans un rapport qu’il avait rédigé voilà quelques années, s’était prononcé en faveur du mandat unique, tout en reconnaissant que celui-ci constituerait une rupture avec des pratiques anciennes et que l’opinion publique y était peut-être moins prête qu’elle-même ne le croyait.

La suppression du cumul des mandats et des fonctions ne pourrait être décidée qu’au terme d’un long processus de décentralisation, grâce auquel les compétences locales et nationales seraient plus distinctes. Pour tout un ensemble de raisons, tel n’est pas le cas aujourd’hui, notamment en matière financière.

Chaque année, les collectivités locales dépensent grosso modo 200 milliards d’euros, soit 180 milliards d’euros si l’on fait abstraction des doubles comptes. Sur cette somme, l’État apporte 99 milliards d’euros. Dès lors, on comprend bien que les élus locaux ont à cœur de peser autant qu’ils le peuvent sur la répartition de ces crédits.

Ce matin, mesdames, messieurs les sénateurs, en arrivant au Sénat, j’ai discuté avec plusieurs d’entre vous, et certains ont souhaité me faire part de tel ou tel problème les concernant : chaque fois, il était question des conséquences locales d’une décision nationale !

Les raisons pour lesquelles le cumul des mandats et des fonctions est inscrit aussi profondément dans nos gènes sont nombreuses. Si on entend l’interdire ou le limiter, il conviendra au préalable de savoir ce qui l’a expliqué ou justifié, même si, aujourd’hui, on cherche d’autres règles.

Comme l’a fait remarquer M. le rapporteur, force est de constater que le mode de scrutin qui plaît aux Français, celui qui est inscrit dans nos gènes et qui est en vigueur pratiquement depuis l’instauration de la République, c’est le scrutin uninominal majoritaire. Par quelque biais que l’on aborde cette question, ce mode de scrutin implique naturellement que les candidats qui se présentent à une élection bénéficient d’une certaine notoriété. Et quelle meilleure façon de se faire connaître que d’avoir démontré son expérience dans le passé !

Ce sont là un certain nombre de points clés de notre système républicain qui expliquent le cumul des mandats et de fonctions, et, jusqu’à présent, aucune loi n’a jamais interdit un tel cumul, le législateur se contentant de le limiter.

Certes, j’ai bien compris que la présente proposition de loi organique présentée par le groupe socialiste vise à interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale. Il n’en demeure pas moins que cette proposition soulève beaucoup de questions : Jean-Pierre Bel en a lui-même relevé quelques-unes, cependant que M. le rapporteur en relevait d’autres, tout aussi intéressantes. Il est certain que l’institution du conseiller territorial apportera une réponse à la question du cumul des mandats et des fonctions. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)

Je suis heureux que Mme Borvo Cohen-Seat participe enfin à ce débat ! (Sourires.)

Bien évidemment, le conseiller territorial ne pourra se consacrer qu’à cette seule tâche, car son mandat l’occupera à temps plein. (M. Yves Détraigne acquiesce.) Dès lors, nous assisterons forcément à un certain renouvellement parmi les élus. C’est un point dont il faut tenir compte dans un tel débat.

M. le rapporteur l’a rappelé, vous aurez l’occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, d’aborder cette question du cumul des mandats et des fonctions à travers différents textes que le Sénat sera prochainement appelé à examiner, notamment le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Pour ma part, je considère que seul un débat national permettra de trancher cette question, probablement à l’occasion d’une élection présidentielle. Il importe en effet que l’ensemble des citoyens puissent s’en saisir, tant cela touche aux gènes profonds de notre culture démocratique.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut que vous inviter à suivre la position que M. Peyronnet a adoptée en commission des lois et donc à faire preuve d’ouverture d’esprit en renvoyant ce texte devant la commission. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur le président, l’article 2 de la proposition de loi organique dispose que « la présente loi s’applique, à compter de sa promulgation, à chaque parlementaire nouvellement élu ».

Lors de l’examen de ce texte en commission, j’avais déclaré qu’il fallait ajouter les mots « ou réélu ». Or, cette modification n’ayant pas été apportée, les parlementaires pourront dès lors cumuler mandats et fonctions aussi longtemps qu’ils seront réélus.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n’a pas d’importance puisque le texte va être renvoyé devant la commission !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, vous renvoyez le texte devant la commission !

M. Jean-Pierre Sueur. Le Gouvernement peut déposer un amendement ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par ce texte, le groupe socialiste propose de rendre incompatible le mandat parlementaire avec l’exercice de toute fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale, y compris une petite commune de 50 ou de 100 habitants, pour tout parlementaire nouvellement élu, comme cela vient d’être rappelé.

Je salue l’esprit de sacrifice de nombreux éminents signataires de cette proposition de loi organique (Sourires.), et je me demande, mes chers collègues, si un vote unanime du Sénat en faveur de ce texte ne serait pas une réponse appropriée. (Nouveaux sourires.)

Cela étant, eu égard aux excellentes relations que les membres du RDSE entretiennent avec nombre de leurs collègues socialistes, je crois que le meilleur service que nous pouvons vous rendre, monsieur le président du groupe socialiste, est de ne pas voter ce texte et de décider unanimement de le renvoyer en commission.

Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas confondre cumul des mandats et accumulation des mandats, parce que le cumul d’un mandat exécutif local et d’un mandat parlementaire présente, dans l’organisation actuelle de notre République, un certain nombre d’atouts, en particulier à un moment où l’on reproche de plus en plus au législateur d’être trop soumis à la technocratie parisienne et d’être coupé des réalités de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Comment mieux connaître la vie quotidienne de nos concitoyens, comment mieux comprendre les soucis qu’ils rencontrent en matière de logement, d’emploi, d’eau, de voirie, etc. sinon en exerçant un mandat local ? Nos concitoyens ne font-ils pas preuve de bon sens en envoyant siéger au Parlement des femmes et des hommes auxquels ils font confiance localement, plutôt que des apparatchiks…

M. Jacques Mézard. … désignés par des militants dont la représentativité réelle reste à démontrer ? D’ailleurs, l’opinion ne reproche-t-elle pas à d’importants responsables politiques leur absence d’expérience locale ?

J’ai encore en mémoire le discours extrêmement intéressant du sénateur-maire de Lyon, président de la communauté urbaine de Lyon, voilà quelques mois, lorsque je soutenais un amendement visant à rendre impossible le cumul du mandat de parlementaire avec celui de conseiller territorial. Vérité d’un jour n’est-elle plus celle du lendemain ?

Je pourrais tout aussi bien citer l’exemple d’autres éminents parlementaires, tel celui du député-maire de Bègles – n’est-ce pas, madame Boumediene-Thiery ? – qui, outre ses mandats, exerce aussi le métier d’avocat. On voit là la limite de l’exercice.

Ce texte est à mon avis excessif. Ses auteurs entendent manifestement répondre à des interpellations populaires, parfois populistes, relatives au travail des élus. Lorsque le Gouvernement, monsieur le ministre, pour faire passer la pilule de la réforme des collectivités territoriales, clouait au pilori les élus trop nombreux et trop coûteux ou, plus récemment, lorsqu’il utilisait indirectement la retraite des parlementaires pour détourner le débat, n’y avait-il pas là une certaine similitude ?

Mes collègues du RDSE et moi-même considérons qu’une majorité des élus de cette nation sont intègres, qu’une grande majorité d’entre eux se consacrent au service public et à l’intérêt général. Pour autant, nous ne prétendons pas que tout va bien, que des réformes profondes ne sont pas nécessaires ; nous disons simplement que cette manière d’agir n’est pas la bonne.

En outre, faut-il vraiment toujours imiter les exemples étrangers ? Nous nous glorifions de notre exception culturelle ; néanmoins, il ne serait pas inconvenant, parfois, de se glorifier d’autres exceptions et de ne pas toujours considérer que tout serait mieux en dehors de nos frontières, cependant que tout serait à revoir chez nous.

Oui, mes chers collègues, il convient de mettre fin à l’accumulation de certains mandats, exécutifs ou non, à la possibilité, j’en conviens, d’être maire, président d’établissement public de coopération intercommunale et parlementaire, à l’accumulation de présidences, que ce soit celle d’un service départemental d’incendie et de secours, d’un syndicat mixte, d’une société d’économie mixte et, bientôt, d’une société publique locale.

N’est-il pas temps, aujourd’hui, d’interdire aussi le cumul du mandat de parlementaire avec des mandats d’administrateur de grandes sociétés industrielles, avec l’exercice du métier d’avocat d’affaires, etc. ?

M. Jacques Mézard. Mais n’est-il pas temps aussi de soulever fermement et clairement le problème de l’absentéisme parlementaire, en relevant au préalable, comme l’a fait M. le rapporteur, qu’il n’y a pas nécessairement une corrélation évidente entre le cumul de mandats et l’absentéisme ?

M. Jacques Mézard. Certains de nos collègues exerçant un mandat exécutif local sont très présents dans notre hémicycle ; nous en connaissons d’autres qui, bien que n’exerçant aucun mandat exécutif local, brillent par leur absence.

Cette situation n’est pas tolérable et l’absentéisme chronique doit être sanctionné, comme le prévoit d’ailleurs, insuffisamment, le règlement.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il n’est pas appliqué !

M. Jacques Mézard. L’absentéisme systématique, quant à lui, doit clairement entraîner la déchéance du mandat.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jacques Mézard. Puisque ce texte se veut en harmonie avec ce qui serait une demande de l’opinion publique, pourquoi hésiter à aborder la question du renouvellement des mandats ? Est-il raisonnable de constater aujourd’hui qu’un tel assume pour la quatrième, voire la cinquième ou la sixième fois, le même mandat exécutif ? Et je ne parle pas des petites communes ! Est-ce de cette manière qu’on entend promouvoir les générations nouvelles ?

M. Yvon Collin. Et les femmes !

M. Jacques Mézard. Ne faut-il pas envisager d’interdire l’exercice de plus de deux ou de trois mandats consécutifs ?

Mes chers collègues, s’agissant de l’accumulation des fonctions et des mandats, de l’absentéisme, du renouvellement des mandats, voilà des pistes pour de profondes réformes qui n’attendent qu’une chose : que le législateur veuille bien les adopter.

Votre proposition de loi organique ne répondant pas à notre ambition, monsieur Bel, vous comprendrez que nous ne puissions la voter en l’état, ce que nous regrettons unanimement du fond du cœur. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi le cumul des mandats et des fonctions est-il si répandu en France ? Parce que le pouvoir, tant politique qu’économique, est extrêmement concentré, entre les mains d’un petit nombre. On a encore pu le mesurer hier, ici même, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.

Lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle de juillet 2008, mon groupe avait souhaité inscrire dans la Constitution le principe de la limitation ou de l’interdiction du cumul des mandats électoraux. Vous avez alors rejeté notre amendement. Pourtant, il ne contredisait pas, au contraire, la proposition émise par le comité Balladur, laquelle correspond d’ailleurs à la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste.

Mais il faut bien constater que la réforme constitutionnelle a tourné le dos aussi bien à une « revalorisation de la fonction parlementaire », pour employer les termes du comité, qu’aux aspirations démocratiques de nos concitoyens.

Je soutiendrai la présente proposition de loi parce qu’elle s’inscrit dans l’exigence de démocratisation de la vie politique.

Vous nous dites, monsieur le rapporteur, et vous aussi, monsieur Mézard, que cette proposition de loi n’a pas lieu d’être adoptée aujourd’hui par notre assemblée, soutenant qu’elle doit être renvoyée en commission.

Permettez-moi de réfuter tout d’abord un certain nombre de vos arguments.

Vous faites état d’un lien nécessaire avec la réforme des collectivités territoriales. Mais précisément, cette réforme, si elle est votée et appliquée, avec la création des conseillers territoriaux, mettra en œuvre un cumul des fonctions départementales et régionales, ce qui est totalement inédit !

M. Jean-Pierre Bel. Et là, le cumul sera obligatoire !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au demeurant, nombreux sont les élus qui s’y opposent.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n’est pas un cumul, c’est une fusion !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous évoquez l’état ambivalent de l’opinion publique sur la question des cumuls de mandats et, plus globalement, dans son rapport aux élus : on perçoit chez eux à la fois de la confiance, voire de l’attachement à l’égard des élus de proximité, et de la défiance à l’égard de la « classe politique » ou des professionnels de la politique. À mon grand regret, je dois constater que, de ce point de vue, les parlementaires sont parmi les plus mal « lotis » puisque beaucoup de nos concitoyens ne les tiennent pas en très haute estime.

Permettez-moi de déplorer ici les propos du Président de la République – propos renouvelés, en Eure-et-Loir, jeudi dernier – sur l’importance qu’il y aurait à diminuer le nombre des élus. M. Sarkozy estime apparemment que les pouvoirs ne sont pas assez concentrés sur quelques élus : il veut donc encore réduire le nombre de ces derniers ! Pour tenter de justifier sa réforme, n’a-t-il pas affirmé, contre toute vérité, qu’ils coûtaient trop cher ? Ce faisant, il délégitime l’action des élus et nourrit la défiance de nos concitoyens.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, un texte incomplet, partiel. Certes, il est incomplet si l’on considère, comme je le fais, qu’il faut aller plus loin et revoir dans leur globalité le mode d’élection des parlementaires – et d’ailleurs pas seulement celui-là – ainsi que les conditions attachées à leur mandat.

Le cumul des mandats concerne tous les partis politiques, sans exception. Il est la résultante d’un système électoral qui, par ailleurs, dessert le pluralisme. L’absence de proportionnelle à plusieurs élections ou encore celle d’un statut de l’élu incitent les partis politiques à resserrer leurs candidatures autour de candidats déjà « installés », si j’ose dire. Il est difficile d’y échapper !

Le cumul des mandats est, plus largement, la résultante d’un système institutionnel qui a pour objectif de maintenir le pouvoir dans les mains de ceux qui l’ont déjà. Il est urgent de partager ce pouvoir avec nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.

Car, aujourd’hui, se creuse un fossé entre nos concitoyens et ceux qui sont censés les représenter. Il y a crise parce que les décideurs économiques et politiques ne répondent pas aux attentes populaires. L’actualité en témoigne avec la réforme des retraites.

Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société telle qu’elle est. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer ici que cette déformation systématique est un des problèmes majeurs de notre démocratie. Il n’y a au Parlement ni ouvriers, ni représentants des minorités visibles, ni jeunes. Les parlementaires sont de plus en plus vieux ! La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a fait que croître depuis la Libération.

M. Jacques Mézard. Pas au Sénat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s’agit bien d’une question de fond, à laquelle vous refusez de répondre : celle d’une véritable démocratisation des institutions. C’est là tout l’enjeu d’une éventuelle interdiction du cumul des mandats. Et il en va de même pour le renouvellement des mandats.

Cette démocratisation implique d’affirmer la primauté de la citoyenneté sur l’expertise, la « déprofessionnalisation » et la « dénotabilisation » de la « fonction » politique. Elle suppose, par conséquent, la participation d’un nombre beaucoup plus grand de citoyens aux campagnes pour l’obtention des mandats électifs.

À cet égard, plusieurs mesures s’imposent : le scrutin proportionnel et un statut de l’élu, la citoyenneté de résidence, et, concernant les mandats, leur limitation en nombre et en durée, pour permettre une rotation plus fréquente et donc plus démocratique de l’exercice des responsabilités électives.

Vous évoquez encore, monsieur le rapporteur, le risque d’une « professionnalisation » des fonctions d’élu si les cumuls de mandats étaient prohibés. Vous dites que cela ferait la part belle aux « apparatchiks » et craignez que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable.

Mais pourquoi le fait d’exercer successivement deux mandats, une fonction exécutive locale et, ensuite, un mandat parlementaire, au lieu de cumuler les deux, serait-il moins fructueux ? Ne risque-t-on pas, en cumulant ces missions, de les remplir avec moins d’efficacité ?

Il est décisif que soient créées les conditions d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs. Pourquoi ne pas prévoir dans la loi l’obligation, pour les parlementaires, de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer, entre autres, des conseils de circonscription ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi beaucoup d’autres.

Il est de la responsabilité du législateur que nous sommes d’inventer des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, ayant en outre l’avantage d’associer la population aux choix qui la concernent.

Vous le voyez, mon soutien à cette proposition de loi n’est pas une simple question de principe. Il se fonde sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique dans tous ses aspects.

Par conséquent, nous voterons contre la motion tendant au renvoi en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous examinons soulève une question dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est marquée par l’ambivalence.

D’un côté, nombre d’élus qui prônent une réglementation plus stricte des cumuls de mandats sont souvent eux-mêmes en situation de cumul. D’un autre côté, les électeurs, dont on ne cesse de nous dire qu’ils ne veulent plus d’élus cumulards, n’hésitent pas, à chaque rendez-vous électoral, à donner la préférence à des candidats qui exercent déjà des fonctions électives, et qu’ils vont donc placer consciemment en situation de cumul.

Oserai-je dire que se trouve, parmi les cosignataires de cette proposition de loi, un collègue qui a débuté sa campagne pour les élections sénatoriales en adressant un courrier à tous les maires de son département pour leur annoncer que, s’il était élu sénateur, il resterait président du conseil général. Eh bien, cela ne l’a pas empêché d’être élu…

D’ailleurs, si j’ai bonne mémoire, il me semble que la presse s’est largement fait l’écho, au mois de mai dernier, d’un débat entre le responsable d’un grand parti politique et les parlementaires de son groupe : ce responsable voulait imposer la règle du non-cumul des mandats pour les prochaines élections sénatoriales, et les sénateurs d’expliquer – mais comment le leur reprocher ? – que, s’ils avaient été élus à la Haute Assemblée, c’était dans bien des cas parce qu’ils exerçaient des responsabilités exécutives locales.

Je ne dis pas cela pour montrer du doigt tel ou tel de nos collègues, parce que je suis de toute façon convaincu que, si le débat était né dans un autre parti politique, les réactions auraient été les mêmes. Pour moi, il s’agit de souligner que le problème est beaucoup plus complexe que ne pourrait le laisser penser cette proposition de loi, qui se contente de deux articles constitués chacun d’une seule phrase.