M. Patrice Gélard, rapporteur. Par ailleurs, la proposition de loi constitutionnelle mélange les dons et les avantages en nature.

Concrètement, cela signifie que le Président de la République devra déménager de l’Élysée – c’est un avantage en nature ! – et, à l’instar de l’ensemble des ministres, abandonner ses voitures de fonction – c’en est un autre ! –. Voilà qui est totalement irréaliste, à moins d’imaginer que tous bénéficieront dorénavant d’une liste civile qui leur permettra de régler l’intégralité de leurs dépenses, à l’image de la reine d’Angleterre !

Enfin, on ne peut empêcher un chef d’État de recevoir des cadeaux de ses homologues étrangers lors de ses déplacements ou voyages officiels. C’est impensable, sauf à vouloir mettre les relations diplomatiques sous haute tension ! Refuser les cadeaux, cela ne se fait pas !

Madame la sénatrice, vous avez affirmé que les dispositions de ce texte ne touchaient pas à la vie privée. Bien sûr que si ! En réalité, ce que vous nous proposez, ce n’est pas de la transparence, c’est du voyeurisme ! Demander à l’ensemble des ministres de déclarer tous les cadeaux qu’ils reçoivent, y compris à l’occasion de leur anniversaire ou de repas avec des amis, …

M. Alain Gournac. C’est irréaliste !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne ne contrôle !

M. Patrice Gélard, rapporteur. … est impensable ! Nous ne pouvons accepter de telles dispositions !

M. Alain Gournac. C’est du pipeau !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous visez dans ce texte tous les dons, à l’exception des donations familiales. C’est impossible à mettre en pratique et il faut protéger quelque peu la vie privée !

En fait, cette proposition de loi constitutionnelle favorise la dissimulation des dons et cadeaux. Le Président de la République ou les ministres auront tout intérêt à les cacher, parce que les conditions prévues pour les rendre publics sont insupportables.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez une haute idée des fonctions importantes !

M. Alain Gournac. C’est de la poudre aux yeux !

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a décidé de ne pas revoir le texte qui nous est proposé et d’émettre un avis défavorable sur l’article unique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes saisis d’une proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe CRC-SPG visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.

Ce texte prévoit d’interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement de recevoir des dons en espèces ou en nature de la part de personnes morales. Par ailleurs, lorsque ces dons émanent d’une personne physique, ils doivent faire l’objet d’une déclaration publique annuelle auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, s’ils excèdent un montant global fixé par la loi.

À l’origine, il s’agissait, comme l’a rappelé M. le rapporteur, d’une proposition de loi ordinaire. Le contenu des dispositions proposées relevant clairement, selon les constitutionnalistes auditionnés par la commission des lois, d’une norme supérieure, M. le rapporteur avait proposé à la commission, qui l’a suivi, de la déclarer irrecevable. Il aurait alors soutenu en séance publique une motion d’irrecevabilité, que le Gouvernement vous aurait demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir voter.

Cependant, face à cette difficulté juridique, les auteurs de cette proposition de loi ordinaire ont transformé celle-ci en une proposition de loi constitutionnelle, qui prévoit d’inscrire dans la Constitution les dispositions qui figuraient dans le texte originel.

Compte tenu de cette modification intervenue hier, c’est sur le fond que le Gouvernement se placera pour vous exposer ses arguments en vue de vous demander, mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.

Ce texte ainsi que la proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale, que vous avez renvoyée ce matin en commission, doivent être rapprochés des quatre propositions de loi présentées par le parti socialiste et repoussées, conformément au souhait du Gouvernement, par l'Assemblée nationale voilà une dizaine de jours.

Ces quatre propositions de loi portaient, d’une part, sur l’interdiction du cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale et, d’autre part, sur la réglementation des financements privés des partis politiques et la prévention des conflits d’intérêts concernant les membres du Gouvernement.

Permettez-moi de vous faire part des critiques émises par le Gouvernement à l’encontre de ces textes.

Premièrement, il s’agissait de textes dont la motivation était à l’évidence politicienne ; ceux qui les proposaient n’avaient aucune envie de les voir mettre en pratique.

Deuxièmement, cette motivation avait conduit à une précipitation dans leur élaboration. En conséquence, ces textes présentaient des défauts que l’on pourrait qualifier, pour rester aimable, de « techniques ». Le Gouvernement a clairement indiqué à l’Assemblée nationale, par la voix de votre ancien collègue Henri de Raincourt, que la défense de la moralité publique n’est le monopole d’aucun parti, comme aurait pu le laisser supposer l’intitulé la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique : « pour une République décente ».

Le Gouvernement avait également mis en garde les signataires de ces textes contre les risques de démagogie. Enfin, il avait indiqué – Michel Mercier l’a confirmé ce matin devant vous – qu’il n’était pas hostile à ce que certaines questions évoquées fassent l’objet d’un examen moins précipité et plus approfondi permettant de parvenir à des réponses consensuelles.

Le Gouvernement peut reprendre ces critiques et les formuler à l’encontre de la proposition de loi constitutionnelle déposée par les sénateurs du groupe CRC-SPG que nous examinons aujourd’hui.

Ce débat est l’occasion pour le Gouvernement de rappeler que notre République s’est dotée d’un ensemble solide de dispositions juridiques en matière de transparence financière de la vie politique.

Je ferai d’ailleurs observer que les principales lois de ce dispositif ont été votées alors que l’actuelle majorité parlementaire était aux responsabilités. Ainsi, ce sont la loi organique du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, votée sous le gouvernement de Jacques Chirac, et la loi du 8 février 1995 relative à la déclaration du patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions, votée sous le gouvernement d’Édouard Balladur, qui ont, d’une part, réglementé le financement des campagnes électorales, d’autre part, organisé le financement des partis politiques, qu’il soit privé ou public.

L’ensemble de cette réglementation est appliqué sous le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements publics à qui l’ordonnance du 8 décembre 2003, prise sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a conféré le statut d’autorité administrative indépendante.

Ce dispositif ne concerne pas seulement le financement des partis politiques et des campagnes électorales : il s’intéresse également au patrimoine des membres du Gouvernement et à celui de nombreux élus.

Ainsi est-il imposé aux membres du Gouvernement d’établir notamment une déclaration de leur patrimoine à la Commission pour la transparence financière de la vie politique dans les deux mois qui suivent leur nomination et dans les deux mois qui suivent leur cessation de fonctions. À cela s’ajoute l’obligation qui leur est imposée de faire état de toutes les modifications substantielles de leur patrimoine intervenues au cours de leur présence au Gouvernement.

En outre, il revient à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, qui est également considérée comme une autorité administrative indépendante, d’apprécier le caractère normal ou non de l’évolution des patrimoines des uns et des autres.

Cette instance peut mettre en demeure les intéressés de fournir des explications sur certaines évolutions patrimoniales. Et, si celles-ci lui paraissent insuffisantes, elle peut saisir le Premier ministre et le parquet.

S’agissant du financement des élections présidentielles, la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel s’inspire largement des dispositions des lois organiques du 11 mars 1988 et du 19 janvier 1995.

Enfin, en ce qui concerne le contrôle du patrimoine du Président de la République, le système précisé par la loi du 6 novembre 1962 prévoit que les candidats à l’élection présidentielle doivent remettre au Conseil constitutionnel, sous peine de nullité de leur candidature, une déclaration relative à leur situation patrimoniale. Celle-ci est complétée par un engagement de déposer une nouvelle déclaration à l’issue du mandat. Ces déclarations sont publiées au Journal officiel. Ainsi tout citoyen peut-il être juge de l’évolution du patrimoine du Président de la République pendant la durée son mandat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a beaucoup de mal à considérer que la réglementation actuelle relative au financement des campagnes électorales présidentielles et au contrôle de l’évolution du patrimoine du Président de la République et des membres du Gouvernement constitue un ensemble de dispositions anodines. Il le considère avec d’autant plus de difficultés que, s’agissant de la transparence financière de l’exécutif, depuis le début de l’actuel quinquennat, le budget de l’Élysée est contrôlé chaque année par la Cour des comptes, dont le rapport est rendu public.

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de ce texte dans l’exposé des motifs, on ne peut raisonnablement déplorer l’existence d’un « vide juridique » concernant le contrôle des relations entre l’exécutif et le monde économique et, plus généralement, l’absence de dispositif relatif à la transparence financière de l’exécutif. Nous disposons en cette matière d’un ensemble solide de mesures qui peuvent, à elles seules, motiver un rejet au fond de cette proposition de loi constitutionnelle.

Cet argument de fond peut être corroboré par deux éléments complémentaires qui témoignent de la précipitation dans laquelle ce texte a été élaboré.

D’une part, telle qu’elle est rédigée, cette proposition de loi constitutionnelle autorise des interprétations extensives qui conduiraient à des interdictions peu compréhensibles. Le rapport de la commission des lois en cite quelques-uns, qu’il s’agisse des moyens matériels mis à la disposition du Président de la République ou des membres du Gouvernement pour assumer leurs fonctions ou de présents qu’ils recevraient dans le cadre de leurs fonctions de représentation, y compris diplomatiques.

D’autre part, l’application des dispositions de ce texte aurait pour conséquence un contrôle largement excessif de la vie quotidienne du chef de l’État et des membres du Gouvernement.

Enfin, je rappelle que le Président de la République et le Gouvernement ne sont pas fermés à toute prise en considération de la notion de conflit d’intérêt dans la vie politique.

J’en veux pour preuve le décret du 10 septembre 2010, pris à la demande du Président de la République, qui a instauré une commission de réflexion sur cette question, s’agissant notamment des membres du Gouvernement. Cette instance, qui a déjà commencé à travailler, doit remettre son rapport avant la fin de cette année. Au vu de ses conclusions, nous apprécierons s’il convient de compléter les textes actuels que j’ai précédemment évoqués.

Le projet de loi organique relatif à l’élection des députés et la proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique, déposée par les députés Jean-Luc Warsmann et Charles de La Verpillière, pourraient constituer des vecteurs législatifs susceptibles d’accueillir d’éventuelles dispositions portant sur les conflits d’intérêts entre l’exécutif et le monde économique.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est conduit à vous demander de rejeter cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une querelle de famille qui se transforme en feuilleton où le ministre de la comptabilité vient s’égarer et où le parquet assume sans complexe son rôle de bouclier judiciaire du pouvoir, un ex-ministre de la charité prêchant la fin des conflits d’intérêts à des petits camarades outragés sur fond de crise qui s’éternise et de rigueur sélective : tel est le contexte de cette discussion, contexte qui suffit à expliquer la fin de non-recevoir de la majorité sénatoriale et du Gouvernement à la présente proposition de loi constitutionnelle. À politicien, politicien et demi !

Pourtant, ce texte, qui concerne uniquement les acteurs les plus importants de la vie politique, s’en tient à des propositions très modérées. On s’étonnerait – n’était le contexte, comme je l’ai dit – qu’elles n’aillent pas de soi.

Interdire au Président de la République durant son mandat ainsi qu’aux membres du Gouvernement de recevoir des avantages en espèces ou en nature de la part de personnes morales, mais l’autoriser de la part de personnes physiques – ce qui préserve la sociabilité et les liens d’amitiés –, est-ce si scandaleux ? On pourrait commencer par là avant d’aller plus loin ; c’est d’ailleurs ce à quoi nous invite cette proposition de loi constitutionnelle.

On pourrait le faire en donnant par exemple aux institutions dont c’est déjà la mission – ce qui a été rappelé – les moyens d’exercer celle-ci correctement.

Il existe un corpus de textes relatifs au sujet ainsi qu’une Commission pour la transparence financière de la vie politique. Le rapporteur et le secrétaire d’État n’ont pas manqué de le rappeler.

Le problème, c’est que ce corpus est passablement « à trous » et que la Commission pour la transparence financière de la vie politique, dont la composition et le mode de nomination pourraient être améliorés, ne dispose pas vraiment des moyens de ses fins.

Cette institution le déplore d’ailleurs régulièrement, à chacun de ses rapports. En effet, elle insiste sur le trop grand nombre d’élus à contrôler, de l’ordre de 3 000. Elle pointe ses moyens d’investigation trop limités, puisqu’elle n’a accès ni aux revenus des intéressés ni à leur dossier fiscal et ne dispose aucunement du pouvoir de demander des explications complémentaires, susceptibles en tout cas d’être obligatoirement suivies d’effet. Le contrôle est donc limité à la détection des progressions inexplicables du patrimoine, le revenu dépensé ou évadé se trouvant exclu. En outre, elle signale que des déclarations de patrimoine ne sont pas rendues publiques et que leur absence ou leur caractère mensonger ne peut pas être sanctionné. Elle note à cet égard la particulière discrétion des dirigeants d’entreprises publiques, de Gaz de France à La Poste, puisque, à en croire le rapport de 2007, cette année-là, 112 non-dépôts ont été constatés.

Rien d’étonnant donc à ce que, depuis 1988, 13 dossiers seulement aient connu une suite judiciaire, aucune d’ailleurs ne visant plus haut que l’échelon de conseiller général.

On pourrait aussi s’intéresser au régime baroque des incompatibilités entre fonctions gouvernementales, mandats parlementaires et activités professionnelles. Étrangement, si l’on ne peut pas être sénateur et professeur de philosophie, on peut en revanche être parlementaire et conseiller des entreprises dans leurs opérations fiscales ou leurs opérations de fusions-acquisitions ou vendre des armes et des avions à l’État. Rien de plus simple ! Il suffit de ne pas exercer de fonctions de direction ou d’influence significatives entrant dans le champ des incompatibilités dans les filiales de la holding que l’on dirige, laquelle n’entre pas dans ce champ.

Le byzantinisme flamboyant des décisions du Conseil constitutionnel qui le confirment mérite toute notre admiration. Ce n’est plus un bouclier, c’est du blindage !

On pourrait aussi étendre les pouvoirs des commissions d’enquêtes parlementaires, rendre leur ouverture possible à la demande de l’opposition, lever l’obstacle si commode de l’ouverture d’une instance judiciaire. Le judicaire n’étant pas un pouvoir mais une autorité, rien ne l’en empêche, à part l’absence de volonté politique.

On pourrait aussi s’arrêter sur le pantouflage multiforme et sur ce que je qualifierai de « pantouflage inversé », à savoir la mise en couveuse des futurs – qui sont aussi souvent d’ailleurs d’anciens – élus locaux ou nationaux et des fonctionnaires à responsabilité par les grands délégataires de services publics, les grandes entreprises travaillant pour les collectivités ou l’État. Ces décideurs, une fois parvenus ou revenus aux affaires, pourront, en respectant le code des marchés publics – ce qui n’est pas un problème –, contracter en toute légalité, au nom de leur collectivité ou de l’État, avec leurs anciens employeurs. Les marchés publics représentant de l’ordre de 120 milliards d’euros, par les temps qui courent, l’enjeu n’est pas mince !

S’agissant du pantouflage des fonctionnaires, la réglementation – rigoureuse sur le papier – s’accompagne dans les faits d’une tolérance molle dans son application, quand ce n’est pas d’un encouragement en vertu de la nécessaire perméabilité du public et du privé au nom de l’efficacité.

Quant au pantouflage du personnel politique, il est devenu une pratique mondialement si courante que, sur ce chapitre, la France est en retard. Nous manquons encore de Gerhard Schröder pour passer au service de Gazprom ou de Tony Blair pour conseiller les banquiers... Mais ce n’est probablement qu’une question de temps : nous allons certainement nous moderniser en ce domaine !

Des frontières de plus en plus diaphanes entre haute fonction publique, gouvernement et cabinets ministériels, entourage présidentiel, direction des grands groupes économiques et financiers, publics ou privés, organes de contrôle prétendument indépendants ; une classe dirigeante endogamique, habitant les mêmes lotissements parisiens ou azurés ; une oligarchie rompue au jeu des chaises musicales, des renvois d’ascenseurs, des participations croisées : quelle place peut-il bien rester à l’intérêt général ?

Plus fondamentalement, cela a-t-il un sens de demander à l’État moderne libéral de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers, quand sa fonction est uniquement de permettre le jeu libre et non faussé des intérêts particuliers, quand l’intérêt collectif est conçu comme la résultante de ce jeu concurrentiel ?

Manquer aux « devoirs de probité », pour reprendre la formulation du code pénal, a-t-il encore un sens pour le serviteur d’un État reformaté selon les principes du management moderne, lequel connaît seulement des coûts et ignore les valeurs et pour qui il n’existe qu’un seul impératif catégorique : faire du profit et s’enrichir ?

Le général de Gaulle considérait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». C’était hier. Aujourd’hui, non seulement la politique se fait à la corbeille et pour la corbeille qu’il faut à tout prix rassurer puisque l’on s’est placé entre ses mâchoires, mais celle-ci est installée au cœur de l’action publique.

J’illustrerai mon propos par deux exemples.

D’une part, le Fonds de réserve pour les retraites fonctionne ouvertement comme un fonds spéculatif. Ainsi, son conseil de surveillance, lors de la réunion du 16 juin 2009, après avoir constaté les pertes du Fonds, à la suite de la crise, n’entend pas remettre « en cause les bases sur lesquelles il avait fondé ses choix initiaux, à savoir qu’un investisseur de long terme qui n’a pas de contrainte de liquidité avant 2020 peut bénéficier dans la durée du surcroît de performance attendu des catégories d’actifs présentant une volatilité importante et, en particulier, les actions ».

En français courant, ce jargon signifie que le FRR entend bien récupérer par la spéculation ce qu’il a perdu par la spéculation !

D’autre part, l’Agence des participations de l’État, l’APE, a été créée pour veiller aux « intérêts patrimoniaux » de l’État – comme si ce dernier était une personne privée … – et pour exercer la mission de l’État actionnaire dans les entreprises où celui-ci détient des participations, majoritaires ou minoritaires.

Le problème est le suivant : la mission de l’État actionnaire est-elle de gagner le plus d’argent possible ou de conduire une politique industrielle ? La réponse ne va pas de soi, comme l’a montré l’affaire EADS. Je la rappelle en deux mots.

En 2005, EADS traverse une crise grave, entraînant un plan de suppression de 10 000 emplois et la chute de 35 %, en moyenne, du titre. Seule l’oligarchie, au sommet de laquelle figurent l’ex-coprésident d’EADS, Noël Forgeard – ancien haut fonctionnaire ! –, et les dirigeants des groupes Lagardère et Daimler, réussira à retirer ses billes à temps, empochant ainsi 90 millions d’euros de plus-values. Un instant suspectés de délit d’initié, tous les bénéficiaires seront mis hors de cause par l’Autorité des marchés financiers, en novembre 2009, dans la plus grande discrétion.

Voilà pour la partie privée.

S’agissant de la partie publique, celle qui nous occupe aujourd’hui, on apprendra que, à la fin de 2005, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de l’époque avait été informé de la situation par l’APE, qui lui avait conseillé de se désengager au plus vite. Thierry Breton n’a pas suivi cet avis, faisant passer la politique aéronautique de la France avant la protection du patrimoine de l’État. Ce dilemme est la preuve que le « conflit d’intérêt » est désormais niché au cœur même de l’État.

Pour en finir avec les conflits d’intérêts, il faudra donc beaucoup plus que des déclarations, beaucoup plus qu’une réforme des programmes de l’ENA, beaucoup plus qu’un code d’éthique, des circulaires ou le renforcement des pouvoirs d’autorités prétendument indépendantes, même si, comme je l’ai dit, cela ne ferait pas de mal de commencer par là.

Puisque le texte proposé aujourd’hui est « inefficace » et « contestable », pour reprendre les qualificatifs du rapporteur, on aurait pu le renvoyer en commission, comme on l’a fait ce matin pour la proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous auriez ainsi pu l’enrichir, au lieu de l’exécuter !

Reste que je suis d’accord sur un point avec notre rapporteur : la question posée est essentiellement politique. C’est celle d’une Constitution qui concentre l’essentiel du pouvoir politique à l’Élysée, sans garantir son indépendance par rapport au pouvoir économique et financier ; c’est celle d’une organisation politique sans autre contre-pouvoir que le pouvoir économique et financier. En l’occurrence, peut-on même encore parler de contre-pouvoir ?

Ce n’est donc pas parce que cette proposition de loi constitutionnelle a des ambitions modestes, et qu’elle ne s’attaque pas à l’immense chantier qui est devant nous, que l’on est fondé à la rejeter. C’est pourquoi le groupe socialiste la votera.

Mme Éliane Assassi et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !

M. Alain Gournac. Il aurait fallu le faire sous Mitterrand !

M. Pierre-Yves Collombat. Merci de nous soutenir dans cette action, mon cher collègue ! Bravo ! Avec vous, on ne s’ennuie jamais ! (M. Alain Gournac s’exclame.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi avant tout de me réjouir de vous retrouver en meilleure santé.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Merci, monsieur le sénateur !

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis frappé de constater que seuls neuf sénateurs sont présents cet après-midi pour participer à l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle relative à la transparence financière de la vie politique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a la qualité !

M. Jacques Mézard. Même si la qualité est au rendez-vous, il manque tout de même le nombre, et c’est regrettable.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les héros sont fatigués !

M. Jacques Mézard. Notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat a eu raison de se référer à la Convention, régime qui a honoré notre nation, sous la conduite de l’Incorruptible.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des têtes ont été coupées !

M. Jacques Mézard. Parfois, cela peut être utile, monsieur le président de la commission …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce que vous dites est horrible !

M. Jacques Mézard. Cette proposition de loi, nouvellement constitutionnelle, nous amène à nous pencher sur la probité dans la vie politique, question de plus en plus prégnante dans le débat public.

Et le débat va au-delà du problème posé par le présent texte. Il concerne très clairement les relations entre le monde politique et le monde économique ou la justice. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article du juge Régnard dans l’édition du Monde datée du 29 octobre 2010.

Ce combat est commun à l’ensemble des responsables politiques, toutes sensibilités confondues. À juste titre, la demande de transparence de nos concitoyens ne cesse de croître ; dans le même temps, force est de reconnaître que la confiance qu’ils nous accordent est fragilisée, encore que les élus municipaux jouissent toujours d’une très large confiance, au reste méritée.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, il est impératif de conforter la confiance en la chose publique. Certes, le chemin sera long et semé d’embûches : selon un récent sondage, 60 % à 70 % de nos concitoyens considéreraient que leurs élus sont corrompus ou sensibles à la corruption. Cela étant, je me méfie de ce type de sondage, car je ne suis pas convaincu que les chiffres reflètent la réalité : on le voit bien avec la confiance qu’accordent nos concitoyens à leurs élus de terrain.

Cela étant, cet état de fait a été causé en grande partie par les trop nombreuses affaires qui ont émaillé la vie politique au cours de chaque république, au cours de chaque régime. Au demeurant, je tiens à écarter immédiatement toute polémique partisane : aucun bord politique ne peut se prévaloir d’être ou d’avoir été exempt de comportements contestables ; …