Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Monsieur le président, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation dans cet hémicycle d’un débat relatif au traitement des déchets est une excellente initiative, car, si peu de temps après le Grenelle de l’environnement, cette question suscite toujours, et légitimement, un grand intérêt. Elle n’est pas simplement technique, mais engage un véritable projet de société : les déchets ne sont que l’expression de notre modèle de consommation.

Je salue donc la démarche du groupe de l’Union centriste, qui est à l’origine de la création de cette mission commune d’information. Le débat me donne l’occasion d’apporter des réponses aux questions contenues dans ce rapport, qui a été adopté à l’unanimité des votants : je reconnais là le vif talent du président du groupe d’études sur la gestion des déchets, Dominique Braye !

La question a été vivement débattue pendant le Grenelle de l’environnement, à l’issue duquel nous avons fixé des objectifs jugés ambitieux par certains, mais dans tous les cas atteignables.

Où en sommes-nous aujourd’hui, peu de temps, je le répète, après l’adoption de la loi dite Grenelle II ?

Il nous reste encore à prendre une série de décrets, afin de rendre l’ensemble des dispositifs pleinement applicables. Certains de ces textes devront être pris à la fin de l’année ou en début d’année prochaine.

C’est le cas des décrets sur le diagnostic déchets réalisé préalablement à la déconstruction, sur la collecte séparée des biodéchets des gros producteurs, sur la planification et sur les trois nouvelles filières de responsabilité élargie des producteurs, dites filières REP.

C’est également le cas de l’ordonnance de transposition de la directive déchets.

Ensuite, nous avons modernisé l’encadrement des installations classées et consacrées à la gestion des déchets.

Dans le cadre du grand emprunt, désormais appelé « programme d’investissements d’avenir », nous consacrons 250 millions d’euros au développement de la filière recyclage.

Enfin, notre plan d’action gouvernemental sur la gestion des déchets 2009-2012 demeure toujours d’actualité.

S’agissant des conclusions du rapport de la mission commune d’information, je les rejoins sur plusieurs points.

Je suis d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : il n’existe pas de solution miracle. Je sais l’engouement qu’ont pu susciter, à certaines périodes, le TMB ou les bioréacteurs. Permettez-moi de faire une mise en garde : quelles que soient les solutions retenues, il faut d’énormes moyens pour les faire fonctionner.

M. Jean-Marc Pastor. Exactement !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. À défaut, les résultats seront catastrophiques.

Comme l’a rappelé M. Miquel, la solution dépend en réalité du territoire considéré : chaque territoire étant différent, il n’est pas possible d’appliquer un dispositif identique partout en France.

La solution dépend aussi du cycle global de la gestion des déchets. À cet égard, la clef du problème se trouve bien souvent dans la planification.

En application de la directive-cadre, les différents plans existants seront transformés en un plan régional de prévention et de gestion des déchets dangereux, un plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux, et un plan départemental de prévention et de gestion des déchets de chantier du bâtiment et des travaux publics.

Pour réaliser les objectifs fixés dans ces documents de planification, il nous faut bien évidemment définir les critères qui permettront d’identifier les bons projets. Les services de l’État, mais surtout l’ADEME formulent des avis, certes d’ordre général et national, sur les différentes techniques.

On demande souvent à l’ADEME d’intervenir directement et de manière précise auprès de chaque collectivité. Malheureusement, comme de nombreux services de l’État, elle n’a pas les moyens humains de le faire partout. C’est la raison pour laquelle elle émet essentiellement des avis.

Nous avons tous conscience, notamment le directeur général, qu’un vrai problème d’ingénierie se pose. Cela étant dit, l’Agence a très nettement augmenté ses aides à la décision auprès des collectivités locales, puisqu’elles sont passées, entre 2008 et 2009, de 2,2 millions d’euros à 4 millions d’euros. Par ailleurs, l’aide à l’identification des bons projets pourrait également se traduire, comme le souhaite Dominique Braye, par l’accroissement du nombre de scientifiques.

La question de la place des scientifiques doit certainement être posée dans l’ensemble de nos instances. La « méthode Grenelle » consiste, grâce à plusieurs collèges, à représenter l’ensemble des parties prenantes de la société civile afin qu’aucune ne l’emporte sur une autre et que l’on parvienne à un consensus, à des compromis, sans que rien soit imposé.

Cela ne signifie pas que les experts et les scientifiques n’y ont pas une place légitime. De fait, nous nous sommes largement appuyés, comme nous en avons l’obligation, sur l’ADEME, le CEMAGREF et l’INERIS pour élaborer nos politiques. Cependant, il y a sans doute des ajustements à réaliser au sein des différentes instances.

J’aborderai quelques pistes de réflexions communes.

Je commencerai par rappeler un élément d’ordre général : le débat d’aujourd’hui se focalise sur le traitement des déchets, autrement dit sur les solutions ultimes qu’il nous faut en effet envisager dans ce domaine. Depuis deux ans, l’ADEME tire la sonnette d’alarme sur le fait que, faute de décision, en matière d’incinérateurs ou de décharges, un grand nombre de départements se trouveront, à très court terme, sans solution de traitement. Les solutions de prévention et de recyclage sont longues à mettre en place, si bien que les difficultés affleureront rapidement.

Je souhaite ainsi revenir sur la question des incinérateurs et de leur dimensionnement. Le dimensionnement des incinérateurs à 60 % du volume de déchets produits sur un territoire n’a qu’un objectif, éviter ce qu’on a appelé les aspirateurs à déchets. Le Gouvernement, comme le Grenelle, n’a pas décidé d’un moratoire sur les incinérateurs. Il a cependant considéré que les incinérateurs ne pouvaient constituer l’unique solution de traitement des déchets, justifiant ainsi leur dimensionnement.

L’état des lieux initial nous conduisait à ne pas autoriser d’autres incinérateurs. Depuis, nous avons autorisé la construction de l’incinérateur Flamoval, ainsi que le démarrage d’un dispositif à Fos-sur-Mer, même si cela n’a pas été facile. En outre, l’ADEME vient de donner son accord au financement d’un incinérateur en Guadeloupe, où un réel besoin existe.

J’aborderai également la question des débouchés des matières valorisées. Il est primordial que nous parvenions à établir la Charte nationale sur la qualité des composts, ce que nous peinons à faire pour le moment. Toutefois, cela ne nous empêchera pas de prendre l’initiative d’éditer un guide pratique sur la qualité des composts. Je suis parfaitement en accord avec ce qui a été dit, il convient également d’anticiper sur les normes communautaires, plus sévères en la matière.

Je note également que la mission demande dans son rapport une réorientation, ou du moins une réévaluation du plan de soutien au compostage domestique, en faisant état des risques liés à cette pratique. Les réflexions engagées dans le cadre de cette fameuse Charte sur la qualité des composts doivent effectivement clarifier certains éléments et répondre aux interrogations.

Quant à l’amélioration de l’exploitation des installations de stockage, je vous propose, monsieur Pastor, d’en venir directement aux bioréacteurs !

M. Jean-Marc Pastor. Si vous voulez ! (Sourires.)

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. C’est un sujet que nous avons bien souvent évoqué ensemble. Nos services ont engagé une modification de la réglementation pour encadrer ces installations, renforcer le captage du biogaz et en favoriser la valorisation énergétique. Les travaux sont en cours, notamment sur l’équipement de captation et la durée de fonctionnement des casiers.

Cependant, il convient de garder à l’esprit qu’une telle installation ne peut fonctionner de façon pertinente que s’il existe un nombre important de déchets fortement biodégradables. Or la législation communautaire nous invite à limiter autant que possible la quantité de déchets biodégradables reçus en décharges. C’est là une contradiction délicate à résoudre ; nous y travaillons. Toutefois, vous devez comprendre qu’il ne sera pas possible d’aller très loin et qu’une telle solution n’est pas généralisable.

J’en viens au suivi du traitement final des déchets. D’après les chiffres dont nous disposons, la mise aux normes des incinérateurs a permis de diviser environ par mille la quantité de dioxines rejetées. Je rejoins toutefois M. Dubois sur la nécessité d’améliorer les contrôles, notamment par le contrôle en semi-continu des dioxines, et de favoriser la transparence absolue et l’information du public.

M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Absolument !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. C’est le seul moyen d’instaurer la confiance et d’appréhender ces sujets avec pragmatisme et objectivité.

La question des macrodéchets flottants, soulevée par M. Vestri, a été tout particulièrement abordée dans le cadre du Grenelle de la mer. Ses groupes de travail ad hoc ont permis de tracer une feuille de route spécifique. Un premier engagement a été pris, celui de faire un bilan, afin de connaître le volume exact des macrodéchets, du moins en France.

L’ADEME s’est attelée à la tâche et rendra son rapport d’ici à la fin de l’année, ce qui nous permettra d’identifier les modes de collecte à privilégier. Par ailleurs, la transposition de la directive-cadre doit permettre d’introduire la question des macrodéchets dans les outils de planification existants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous ont entamé une réflexion plus large sur la fiscalité des déchets. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet, en évoquant trois points qui vous ont d’ailleurs réunis.

Premier point : la tarification incitative des déchets. Je rappelle l’engagement du Grenelle à mettre en place, dans ce domaine, une part variable. Nous œuvrons de concert avec le ministère de l’intérieur et celui du budget.

Je tiens à rassurer M. Milhau sur son application dans les zones rurales, notamment sur les outils à mettre en œuvre, comme le fichier des contribuables. L’ADEME a mis en place un système d’aides en matière d’outils préalables. Ensuite, les critères - nombre de levées, volume ou poids - varient en fonction des zones. Nous travaillons encore sur le sujet.

D’ailleurs, ne confondons pas la mise en place d’une tarification incitative complète et la prise en compte d’une part variable. Nous en avons bien conscience, la question de la tarification incitative, que nous évoquons depuis des années, est ardue. Mais nous connaissons également son efficacité, démontrée par diverses expérimentations au niveau local.

Le deuxième point concerne la fameuse TGAP.

Une modulation a été instaurée au travers de la création d’une TGAP incinération et de l’augmentation de la TGAP décharges. Elle a été introduite par la loi de finances pour 2009, précisément dans le but de modifier les équilibres actuels qui ne favorisent ni le recyclage ni la valorisation. N’oublions pas l’esprit dans lequel tout cela s’est fait : la modulation a été entreprise sur la base de comparaisons internationales.

J’estime que le dispositif voté, progressif et lisible, doit aujourd’hui être maintenu. Pour répondre à Mme Didier, je précise que, si TGAP incinération et TGAP décharges diffèrent, c’est pour éviter toute distorsion de prix in fine. Puisque certains prétendent que la TGAP incinération fait peser une charge insupportable sur les particuliers, je rappelle qu’elle est aujourd’hui de 4 euros la tonne et qu’elle devrait, à terme, atteindre 10 euros la tonne. Qui plus est, nous incluons également des modulations environnementales afin de prendre en considération des modes de transport innovants.

Le produit de la TGAP incinération couplé à l’augmentation de la TGAP décharges doit alimenter le fonds de soutien de l’ADEME. La question m’ayant été posée, j’indique que ces fonds retournent à 77 % aux collectivités territoriales, qui en sont bien les premières bénéficiaires. L’année passée, le plan de soutien de l’ADEME a été supérieur à la TGAP collectée, le produit de cette dernière ayant été inférieur au montant escompté.

Par ailleurs, il m’a été demandé s’il était possible d’avancer la date du bilan sur la TGAP à 2011. Il me paraît tout à fait incontournable, comme M. Braye l’a suggéré, de dresser ce bilan l’année prochaine, avant d’envisager toute proposition d’amendement, et ce afin de faire évoluer le dispositif si nécessaire, de manière parfaitement claire.

M. Dominique Braye, président de la mission commune d’information. Pas avant d’envisager un amendement, n’est-ce-pas ?

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Non, monsieur le président ! Je suis persuadée, comme l’a dit M. Pastor, que vous aurez des tas de propositions à nous faire à cette occasion ! (Sourires.)

M. Jean-Marc Pastor. Exactement !

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État. Le troisième point que je souhaitais évoquer porte sur le ré-agrément d’Éco-Emballages.

Pour déterminer les contributions, il importe de se fonder sur des analyses et des modes de calcul arrêtés en concertation, ou qui fassent en tout cas le moins possible débat.

Pour être tout à fait honnête avec vous, j’ignore si le bon montant est de 640, 610 ou 680 millions d’euros ! Toutefois, l’ADEME a mis au point une formule de calcul, à laquelle il me semble raisonnable de se fier. Par ailleurs, une clause de revoyure est proposée en 2013. Peut-être conviendra-t-il de l’avancer également, pour éviter toute contestation. Nous ne pouvons pas vivre dans la confrontation permanente !

À ce stade de nos réflexions, la formule de calcul proposée par l’ADEME me semble la plus sage ; aussi est-il préférable de la respecter. Nul ne peut prétendre, à un instant donné, que l’Agence n’est pas indépendante et, à un autre, qu’elle n’utilise pas la bonne formule de calcul ! Je le dis d’autant plus facilement que cela fait maintenant un certain temps que j’en suis partie.

Je rappelle également que trois nouvelles filières REP seront mises en place, venant compléter les sept filières qui existent depuis 1993. Cela représente une recette versée aux collectivités de 800 millions d’euros aujourd’hui et, à terme, de 1,2 milliard d’euros.

Il convient toutefois de prêter attention aux possibles récriminations des associations de défense des consommateurs, qui pourraient estimer que nous allons trop loin. Si les termes que j’emploie ne sont guère académiques, ils ont le mérite de souligner que les consommateurs pourraient un jour être tentés de remettre en question notre démarche.

Cela étant dit, sur Éco-Emballages, il me semble raisonnable de réaliser rapidement des évaluations afin de vérifier que nous remplissons bien l’objectif de 80 % de prise en compte des coûts.

Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais reprendre ce qu’ont souligné plusieurs d’entre vous, notamment MM. Dubois, Soulage et Braye : le Grenelle a fixé des objectifs ; pour les tenir, adaptons les moyens, soyons pragmatiques, car il n’y a pas de solution unique dans le domaine du traitement des déchets ! La meilleure solution consiste, dès lors, à multiplier les évaluations issues d’instances le plus indépendantes possible.

Sachez que la direction générale, au sein du ministère, est entièrement à votre service sur ces sujets et que nous partageons vos convictions ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le traitement des déchets.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Démission d’un sénateur

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-Claude Etienne une lettre par laquelle il remet son mandat de sénateur de la Marne, à compter de ce soir, mardi 2 novembre 2010, à minuit, dans la mesure où ce mandat est incompatible avec la qualité de membre du Conseil économique, social et environnemental.

Acte est donné de cette décision, qui prendra effet ce soir, à minuit.

M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Mireille Oudit remplacera, à compter du mercredi 3 novembre 2010, à zéro heure, en qualité de sénatrice de la Marne, M. Jean-Claude Etienne.

9

Demande de modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par courrier en date du 2 novembre 2010, M. Jean Pierre Bel, président du groupe socialiste, a retiré de l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe le 16 novembre 2010 l’examen de la proposition de loi relative à l’aide active à mourir.

Il demande, en remplacement, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 674 (2009-2010), présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, déposée le 13 juillet 2010.

Cette demande a été communiquée à M. le Premier ministre, en application de l’article 4 de la loi organique no 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution et de l’article 50 ter de notre règlement.

Cette proposition de résolution ne pourra être inscrite, au plus tôt, que quarante-huit heures après cette demande.

10

Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président a été informé, par lettre en date du 2 novembre 2010, par le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés et soixante sénateurs de la loi portant réforme des retraites.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

11

Débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne.

La parole est à M. le rapporteur spécial. (M. Jacques Blanc applaudit.)

M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dorénavant examinée en amont de la discussion budgétaire, la contribution française au budget communautaire conserve la forme d’un prélèvement sur les recettes de l’État voté chaque année lors de la discussion du projet de loi de finances.

L’article 46 du projet de loi de finances pour 2011 évalue ainsi ce prélèvement à 18,235 milliards d’euros, c'est-à-dire un montant assez proche de celui qui avait été voté pour 2010, puisqu’il n’enregistre une hausse que de 82 millions d’euros, soit de 0,5 %.

Pour le situer tout de suite plus globalement, je précise que ce prélèvement représente environ 6 % de nos recettes fiscales et un sixième du budget européen, lequel, rappelons-le, est de l’ordre de notre déficit. Cette remarque, intéressante à plus d’un titre, a déjà été formulée et signifie que le budget européen n’est donc pas si important que certains le soutiennent ou que le déficit est trop élevé.

En l’état actuel du système budgétaire européen, nous devons nous limiter à voter ou refuser ce prélèvement. Nous n’avons à discuter ni de son montant, dont le calcul découle des traités, ni de l’usage qui en sera fait, aux mains du Parlement et du Conseil européens, qui, par codécision, adopteront les dépenses correspondantes. Je reviendrai sur ce point.

Mes chers collègues, pour vous inviter à adopter ce prélèvement le moment venu, autrement dit lors de l’examen de l’article 46 du projet de loi de finances pour 2011, j’ajoute simplement qu’un refus ouvrirait une crise européenne dont l’Union n’a certainement pas besoin. De surcroît, une crise ouverte par la France ne servirait ni nos intérêts ni notre image en Europe.

Je vais, bien sûr, évoquer tout de même ce qui se joue derrière ce prélèvement, même si ce n’est pas vraiment le lieu. Au-delà de son montant, son utilisation nous intéresse également. Je souhaite aussi vous donner notre sentiment, monsieur le secrétaire d’État, à propos des négociations en cours sur le budget européen et autour de ce budget, deux points d’importance au moins égale. Ce faisant nous pensons bien être toujours dans notre rôle de membres du Parlement national.

L’Europe, nous le disons souvent, c’est « nous » !

« Nous », ce sont les Européens, unis par un intérêt commun supérieur autour duquel la Commission bâtit son avant-projet, que les codécideurs – Parlement et Conseil européens – sont chargés de prendre en compte.

« Nous », ce sont aussi les Français, qui s’expriment par votre voix au Conseil européen, pour faire prendre en compte l’intérêt national à côté de l’intérêt commun.

« Nous », c’est donc bien alors aussi le Parlement national, appelé à dialoguer avec vous à la veille de nouvelles discussions communautaires.

Au demeurant, si le traité de Lisbonne a consacré le rôle et la responsabilité des Parlements nationaux au regard de la construction européenne, ce n’est pas parce que les membres de ceux-ci seraient plus proches des citoyens que les députés européens, même si telle est la vérité. À l’évidence, la question de la subsidiarité, donc de la répartition et de l’équilibre des compétences entre l’Union et ses États membres, concerne autant les Parlements nationaux que le Parlement européen. Ce fait a été reconnu dès le lendemain de l’adoption du traité de Lisbonne.

Mais il doit être également clair que, aujourd’hui, lorsque l’Union européenne se penche sur les questions de défense – et il faut qu’elle le fasse –, ce sont bien toujours les Parlements nationaux qui demeurent compétents et contrôlent des actions qui restent celles des États. Il en va de même chaque fois qu’il y a mutualisation d’actions, lorsqu’il s’agit des budgets nationaux, de leur coordination, voire de leur « surveillance », ou encore lorsqu’il s’agit de garantir les dettes souveraines des États. Nous avons pu le constater au printemps : ce sont bien des lois de finances rectificatives nationales qui ont permis à l’Europe de soutenir la Grèce, puis de créer le Fonds européen de stabilisation financière ! C’est donc en se sentant totalement impliqués que les Parlements nationaux suivent les travaux engagés pour voir dans quelles conditions le fonds susvisé peut être pérennisé et s’il est possible de mettre en place un dispositif durable de lutte contre les crises.

La question de la solidarité financière a toujours été au cœur des débats européens. Elle était même affichée comme l’un des trois principes de la PAC, la politique agricole commune. Il n’est pas surprenant qu’elle soit centrale maintenant que nous disposons d’une monnaie unique. En revanche, il est étonnant qu’il ait fallu attendre quinze ans pour revenir sur ce sujet depuis l’adoption du traité de Maastricht ! Alors, la solidarité est bien sûr de mise, mais à condition que ce soit pour partager les exigences de façon constructive, non pour abriter durablement ceux qui seraient tentés de s’en affranchir.

C’est dans ce contexte animé que je propose de faire le point sur la négociation du budget pour 2011.

Elle constitue le premier exercice de mise en œuvre de la nouvelle procédure prévue par le traité de Lisbonne, qui a introduit trois grandes innovations : suppression de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires, point important pour la PAC ; suppression des deux lectures du budget par le Parlement et le Conseil au profit d’une seule par chacune des institutions ; création d’un comité de conciliation, chargé d’élaborer un projet commun en cas de désaccord entre le Conseil et le Parlement. Nous avons déjà eu un échange sur ce point, mardi dernier, monsieur le secrétaire d’État, lors de notre débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 octobre derniers.

Le prélèvement de 18,235 milliards d’euros a été déterminé au printemps, sur la base de l’avant-projet de budget de la Commission. Celui-ci fixait les crédits d’engagement à 142,57 milliards d’euros, en augmentation raisonnable de 0,8 % par rapport à 2010, et les crédits de paiement à 130 milliards d’euros, en progression beaucoup moins raisonnable de 5,8 %.

Le projet révisé par le Conseil, le 12 août, se voulait plus rigoureux, ramenant la hausse de 0,8 % à 0,2 % pour les crédits d’engagement et de 5,8 % à 2,9 % pour les crédits de paiement, les mêmes 2,9 % qui font aujourd’hui l’actualité et furent au centre des discussions de vendredi dernier au Conseil.

Contrairement aux années précédentes où la position du Conseil était adoptée par consensus, le compromis préparé par la présidence belge a été arrêté à une très courte majorité qualifiée, sept États – Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suède, République tchèque – réunissant 88 voix votant contre, la minorité de blocage étant de 91, la France , pour sa part, souhaitant avec l’Allemagne qu’une issue puisse être trouvée sans pour autant méconnaître les motivations des sept États minoritaires.

Le Parlement européen, intervenant à son tour le 20 octobre, a souhaité revenir à des propositions proches de l’avant-projet de la Commission, en particulier au regard des ouvertures de crédits de paiement. Cette position, plutôt satisfaisante, n’était cependant pas complètement attendue. Un vrai consensus, assez naturel, devrait donc pouvoir se dégager à partir de l’idée simple selon laquelle le budget de l’Union doit participer aux efforts nationaux d’assainissement des finances publiques de chaque État.

Oui, sans doute ! Toutefois il convient de prendre en considération le fait que, en contrepartie d’une hausse ainsi limitée, le Parlement européen exige du Conseil l’ouverture d’une procédure de négociation, dès l’année prochaine, sur la réforme des ressources propres. On retrouve ainsi posé le problème de fond du budget européen, celui de sa structure.

Comme je l’ai déjà indiqué un certain nombre de fois à cette tribune en présentant, en ma qualité de rapporteur spécial, les budgets successifs de l’Union européenne ces dernières années, le budget européen voit ses dépenses arrêtées par codécision du Conseil et du Parlement européens, tandis que 85 % environ de ses recettes proviennent des Parlements nationaux, au travers de leurs contributions. Dans ces conditions, comment mettre en œuvre, en toute clarté, le principe du consentement à l’impôt, base de toute vie démocratique, avec un budget dont les recettes et les dépenses sont fixées par des autorités politiques différentes ?

Une telle situation pousse très naturellement les États – c’est bien fâcheux – à adopter une attitude assez peu communautaire : comme ils cotisent, ils veulent s’assurer d’« en avoir pour leur argent », si j’ose dire. Mme Thatcher l’affirmait déjà voilà quelques années.

Une telle attitude fait disparaître l’intérêt commun derrière les intérêts nationaux parmi lesquels seuls sont pris en considération ceux qui sont localisables dans tel ou tel pays. C’est l’Europe en miettes, l’Europe du « chacun pour soi ». C’est la négation de l’Union européenne.

J’insiste de nouveau en cet instant sur la faiblesse de telles analyses. En effet, à qui profite l’investissement réalisé dans un pays avec les moyens des autres ? Où doit-il être comptabilisé ? Dans le pays où il est effectué ou dans les États originaires des fonds ?

À qui profitent les investissements réalisés au niveau des stations de réseaux transeuropéens – dans une gare ou un aéroport –, par construction appelés à être largement utilisés par d’autres que les nationaux de l’étape ?

La PAC n’a-t-elle pas été créée non seulement pour des agriculteurs dont on connaît le pays d’installation, mais aussi pour l’ensemble des consommateurs européens ? On ne le rappelle jamais assez !