M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, au-delà du dynamisme et du volontarisme affiché, notre politique étrangère s’avère souvent brouillonne et ses résultats – je crois qu’on peut le dire – aléatoires. Avec des accents presque altermondialiste dans les discours, de plus en plus clairement atlantiste dans les actes ; tantôt pourfendant les dictatures, tantôt les épargnant ; régulateur à l’étranger, notamment dans les instances du G8 et du G20, ultralibéral dans sa politique intérieure ; très bavard sur les droits de l’homme pendant la campagne électorale, muet depuis ; condamnant à juste titre la Françafrique, le temps d’une campagne présidentielle, puis s’en accommodant et même s’y engouffrant : par son inconstance, par sa fébrilité sur la scène internationale, le chef de l’État mine la crédibilité de la politique étrangère de la France.

Madame le ministre d’État, vous avez été nommée en plein débat budgétaire, ce dernier étant marqué pour votre ministère par l’assèchement des crédits – cela a été dit – et la diminution des effectifs. Votre nouveau collègue, ministre d’État et ministre de la défense, avait protesté avec raison, dans un article du journal Le Monde signé cet été avec Hubert Védrine, contre cet « affaiblissement disproportionné », des économies « marginales », un effet « dévastateur ». (Jean-Louis Carrère montre l’article en question). Allez-vous cesser de l’affaiblir afin de ne pas le rendre d’ici à quelques années « incapable de remplir ses missions pourtant essentielles », comme le jugeait sévèrement M. Alain Juppé ?

M. Jean-Marc Todeschini. C’était en effet sévère !

M. Jean-Pierre Bel. Je profiterai de cette intervention pour vous adresser trois messages : nous avons besoin de gouvernance mondiale ; la France doit affirmer sur la scène internationale ses valeurs et son message hérité des Lumières ; notre diplomatie doit renouer avec une politique euro-méditerranéenne ambitieuse.

L’annulation à la dernière minute du sommet de Barcelone qui aurait dû avoir lieu le 21 novembre dernier montre combien celle-ci s’est embourbée. Vous nous direz certainement comment vous comptez la sortir de l’ornière.

La nécessité de régulation est d’abord financière. Il a fallu la brutalité de la crise bancaire pour faire comprendre aux libéraux que le monde d’aujourd’hui ne pouvait plus être gouverné comme avant ; que les cartes de la puissance économique et politique avaient été largement redistribuées ; que, pour le dire vite, le Nord sans le Sud, ça ne fonctionne pas.

On le sait, aucun pays, de nos jours, ne peut se prétendre le centre d’une planète multipolaire. La tempête financière a accéléré une prise de conscience : les marchés ne créent pas la stabilité. Il revient aux États de bâtir des régulations capables d’encadrer une finance devenue folle. Pourtant, selon moi, la France n’apporte pas de réponses efficaces à cette nouvelle situation. Notre diplomatie est, dans ce domaine, celle du discours, et non des actes.

À cet égard, le bilan du G20 de Séoul n’est pas vraiment acceptable. Le monde ne peut plus se contenter de déclarations de principes. La guerre des monnaies menace. La planète a besoin d’échanges plus équilibrés, de stabilité monétaire et d’une plus juste répartition des richesses, notamment par la taxation des transactions financières.

La régulation, c’est aussi l’objectif d’une gouvernance politique mondiale. Commençons donc avec nos alliés, sur le terrain de la sécurité, et d’abord en nous tournant vers les États-Unis.

Le retrait d’Afghanistan n’est plus une question taboue, mais une question de calendrier. Cependant, l’absence de prise sur une stratégie entièrement décidée à Washington conduit à donner raison à vos interrogations de 2009 sur notre retour dans l’OTAN. En effet, l’un des arguments avancés par les partisans de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN était une influence à hauteur de notre investissement au sein de l’Alliance. Or, il faut bien reconnaître qu’au niveau stratégique cette influence est aujourd’hui inexistante. Traumatisé par son audace dans l’affaire iraquienne, notre pays ne cesse depuis 2003 de vouloir se racheter auprès de notre allié quitte à perdre toute voix originale et toute capacité d’initiative. La France doit formuler aujourd’hui des propositions pertinentes dans le cadre de la stabilisation de l’Afghanistan, notamment en proposant avec ses partenaires européens une participation des États de la sous-région. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Je veux également évoquer une réalité méconnue, sans doute secondaire eu égard à l’immensité des enjeux de ce conflit, mais la France ne fait pas « que » la guerre dans ce pays. En effet, elle contribue, par une action pacifique, à la reconstruction démocratique des assemblées parlementaires grâce à une coopération initiée en 2005 par notre assemblée. Un fonctionnaire du Sénat était encore cette semaine à Kaboul pour former ses homologues afghans au bon fonctionnement du Parlement.

La régulation mondiale, c’est aussi se donner les moyens de prendre les bonnes décisions face à l’urgence climatique. La « déception de Copenhague » a été durement ressentie. Il faut que Cancún aboutisse à des accords contraignants afin de rendre notre planète vivable pour les générations à venir. Il s’agit là d’un sujet majeur de notre politique étrangère ; ce n’est pas une mode, ou un caprice des pays riches. Il concerne tous les peuples et avant tout les États les plus pauvres. Mais la responsabilité est surtout la nôtre puisque nous avons les moyens d’un autre développement économique et social.

C’est à la France de porter la proposition de création, urgente, d’une organisation mondiale de l’environnement capable d’incarner une conscience collective planétaire sur les questions environnementales et de faire respecter les accords internationaux en la matière.

C’est dans le cadre des Nations unies que l’ordre international doit être défini, d’autant plus que les défis qui s’annoncent sont, par essence, globaux. Les oubliés d’aujourd’hui seront les conflits de demain.

La France, c’est aussi un message universel des droits de l’homme. Si nous ne portons plus ces valeurs, nous ne serons plus écoutés du monde. Sommes-nous encore cet exemple, ce modèle démocratique que l’on disait si séduisant ?

La manière dont nous traitons les étrangers, le déclin dramatique de notre politique d’accueil et de formation des élites du Sud, qui préfèrent aujourd’hui Montréal à Toulouse, affaiblissent notre discours et notre politique étrangère au moment où tant de défis appelleraient au contraire à notre présence renforcée. C’est bien de saluer la libération de Mme Aung San Suu Kyi, combattante pour la liberté en Birmanie, prix Nobel de la paix en 1991. Cependant, dans d’autres circonstances, à une autre époque, la France aurait proposé des sanctions à l’égard des pays ne respectant pas les droits de l’homme. Pourquoi tant de mansuétude, de silence, à l’égard des militaires birmans ?

M. Jean-Pierre Bel. Quelles mesures comptez-vous prendre pour faire pression sur le Gouvernement de la Birmanie ?

De même, il n’est pas possible que les droits de l’homme soient absents de la relation franco-chinoise, notamment, car il n’est pas de développement pérenne sans respect des libertés fondamentales. Tout en respectant la Chine dans ce qu’elle peut apporter de très important au monde, la France doit oser – et je crois qu’ils comprennent comme cela – lui parler franchement, directement, des droits de l’homme, et par exemple de la libération du prix Nobel de la Paix, Liu Xiaobo. Si elle ne le fait pas, quel autre pays le fera ?

Enfin, je voudrais vous interpeller au sujet de nos objectifs dans la zone méditerranéenne. La France pèse insuffisamment dans le conflit Israël-Palestine ; elle est muette sur le conflit du Sahara occidental ; elle n’a rien vu venir de la montée de l’insécurité au Sahel, qui est pourtant dans notre zone traditionnelle d’influence ; elle n’arrive pas à donner un contenu fort à notre relation avec la Turquie. Or, peut-on réellement se couper de ce grand voisin, essentiel à la stabilité de la région ?

L’élargissement de l’Union européenne à la Turquie – on peut en penser ce que l’on veut – est, malgré tout, une perspective et celle-ci doit être présentée en toute honnêteté comme telle aux Français. Il ne sert à rien, quelle que soit l’idée que l’on peut avoir, de jouer avec les peurs.

Source de frustrations du côté de la rive sud, de désintérêt du côté de la rive nord, a fortiori depuis l’élargissement de l’Union européenne à l’est, l’Union pour la Méditerranée illustre une nouvelle fois la méthode de Nicolas Sarkozy en matière d’affaires européennes. Il s’agit de créer l’illusion que ses propositions sont nouvelles et sont siennes tout en faisant financer par l’Europe une ambition française. Cela ne peut qu’irriter nos partenaires européens, et accroître la frustration des pays de la rive sud de la Méditerranée. En outre, les postulats sur lesquels cette entreprise est fondée, et notamment l’idée de croire que l’on pourrait contourner les conflits de la région, se sont avérés illusoires.

Or, Nicolas Sarkozy a été un fervent supporter du nouvel accord d’association de l’Union européenne avec Israël, envoyant par là un signal pour le moins incompris des pays arabes. On évoque une remise à plat du projet et une clarification sur la façon, nécessairement plus collective, de gérer l’Union pour la Méditerranée du côté européen. Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ?

Pour nous, les grands axes de réorientation de la politique euro-méditerranéenne sont les suivants : réaffirmer son cadre conceptuel en vue de la construction d’une communauté de valeurs, d’intérêts et de destins ; afficher une véritable politique de démocratisation et de promotion des droits de l’homme au moyen d’un soutien visible aux sociétés civiles et aux formations politiques démocratiques de la rive sud ; lancer un agenda de coopération économique régionale et sous-régionale pour résorber les disparités sociales et économiques entre les deux rives et ancrer la région dans la mondialisation ; assurer une dimension parlementaire au processus ; faire de la dimension sociale l’axe principal de la politique euro-méditerranéenne ; considérer l’immigration, l’intégration sociale et la justice dans le cadre d’une approche solidaire fondée sur le strict respect de la dignité et des droits de l’homme.

L’échec de l’Union pour la Méditerranée ne condamne pas l’idée de politique méditerranéenne et ne remet pas en cause la nécessité impérieuse d’en mener une ; bien au contraire ! Mais il impose de reprendre la réflexion sans éviter la question des droits de l’homme et de la démocratie, qui est bien absente des arrangements actuels.

Le consensus qui existait sur les grandes lignes de notre politique étrangère a été détruit depuis 2007. Notre diplomatie était indépendante, ouverte au monde, forte des valeurs de la République. Notre alignement au sein de l’OTAN, la fermeture de notre politique migratoire, ainsi que l’oubli et le mépris des droits de l’homme ont banalisé notre politique extérieure.

C’est pourquoi nous ne voterons pas le projet de budget que vous nous proposez aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, certains d’entre vous souhaiteraient que nous poursuivions ce débat jusqu’à son terme, sans interrompre la séance.

J’en appelle au sens des responsabilités des orateurs. Nous en sommes d’ores et déjà à 30 % de dépassement du temps de parole, exception faite de M. Pozzo di Borgo, qui a été exemplaire.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame le ministre d’État, votre nomination au poste de ministre des affaires étrangères a été bien accueillie.

Vous avez une certaine idée de la France et l’expérience de trois ministères régaliens : tout cela vous prépare à l’exercice des fonctions emblématiques de ministre des affaires étrangères et européennes, mais vous sensibilise aussi, certainement, à la difficulté de la tâche.

Vous héritez d’un ministère dont les marges de manœuvre n’ont eu de cesse de se resserrer du fait de la croissance de nos engagements multilatéraux et de la réduction de ses moyens propres, sous l’effet de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Est-il raisonnable d’appliquer à tous les ministères la discipline indiscriminée que flétrissait déjà la Cour des comptes à l’époque où elle était présidée par Philippe Séguin ? Vous êtes tout de même la voix de la France !

Notre réseau de postes diplomatiques et consulaires est un atout majeur : il emploie des personnels de grande qualité, auxquels je veux rendre hommage. Peu de pays disposent d’une telle diplomatie à vocation mondiale.

Madame le ministre d’État, il vous faut convaincre le Président de la République de la nécessité d’épargner notre outil diplomatique et de l’exonérer des effets de la RGPP II pour les années 2012 et 2013.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. Il vous faut donner du sens à votre action !

Au mois de mai dernier, nous avons voté la création de l’Institut français, que vous devez désormais mettre en place.

Le succès dépendra beaucoup des synergies qui seront trouvées avec le ministère de la culture et l’audiovisuel extérieur. Il y a là un défi à relever. Il ne faut pas que cela se traduise par l’amaigrissement de notre réseau culturel, comme cela s’est déjà produit en Europe d’une manière choquante et préoccupante.

Je n’ai pas grand-chose à ajouter aux excellents propos de M. Raffarin sur la question de la langue française et de la francophonie.

Mais vous devriez sensibiliser certains de vos collègues à ce problème, madame le ministre d’État. Cela permettrait d’éviter, par exemple, que l’anglais ne se diffuse comme langue d’enseignement dans certaines universités et grandes écoles.

M. Jean-Pierre Chevènement. De même est-il tout à fait essentiel d’inciter nos responsables à parler français !

En 2050, il y aura plus de 700 millions d’habitants dans les pays francophones. C’est un atout formidable, à condition de soutenir le développement des systèmes éducatifs sur place, ce que nous ne faisons pas suffisamment à l’heure actuelle. Votre ministère devrait donner des instructions en ce sens. Savez-vous que l’alphabétisation de la jeunesse n’est réalisée qu’aux deux tiers dans ces pays ? C’est là une belle tâche qui vous attend...

Je ne m’étendrai pas sur le rôle essentiel que joue CampusFrance pour le rayonnement de la France.

Je partage l’avis de Mme Cerisier-ben Guiga concernant l’AEFE. Il serait plus efficace et juste de revenir à un système de bourses sur critères sociaux. En revanche, la prise en charge des frais de scolarité est tout à fait contreproductive.

Tout n’est pas dans les moyens, madame le ministre d’État. Ce n’est pas à vous que je l’apprendrai, lorsque les moyens manquent, c’est le message qui compte.

Vous portez la voix de la France, mais il y a plusieurs manières de décliner son message. Nous comptons sur vous pour le faire de manière stricte.

L’héritage que vous devez assumer est lourd : le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN, l’intervention en Afghanistan et, depuis quelques jours, le bouclier antimissile de l’Organisation atlantique, à laquelle nous nous sommes ralliés en dépit de toute notre tradition diplomatique depuis 1984.

La dissuasion nucléaire française ne peut manquer d’être affectée par cette décision : financièrement, d’abord – où trouvera-t-on l’argent ? – ; dans sa crédibilité ensuite, car le bouclier antimissile montre que, au fond, nous ne croyons pas vraiment en la dissuasion ; politiquement enfin : pensez-vous que les pays européens membres de l’OTAN, qui réclament déjà le retrait des armes tactiques américaines, ne vont pas contester de plus en plus notre dissuasion stratégique ? Vous savez bien que si !

Tout se tient : en signant le traité de Lisbonne de 2008 modifiant le traité sur l’Union européenne, nous avons accepté que les pays membres de l’OTAN fassent de celle-ci « l’instance d’élaboration et de mise en œuvre de leur défense ». La défense européenne a ainsi été renvoyée au magasin des accessoires !

J’attire votre attention, madame le ministre d’État, sur la crise de l’euro, dont nous ne sommes qu’au début et qui aura de nombreuses conséquences.

Ainsi, la pression exercée par certains de nos voisins risque d’être si forte que nous serons conduits à réduire notre effort en matière de dissuasion.

Je souhaite que les crédits d’études amont dans le domaine de la dissuasion ne soient pas amputés. Je sais que cela n’est pas du ressort du ministère des affaires étrangères, mais il faut faire preuve d’une grande vigilance sur ce point.

Vous aurez également à faire face au problème de la politique d’austérité que nous sommes contraints de mener sous la pression de l’Allemagne et des marchés financiers. Vous ne devez pas oublier que la re-règlementation des marchés financiers est sans doute la seule manière de desserrer l’étreinte qu’ils exercent et de surmonter – peut-être ! – la crise de l’euro.

Oui, l’héritage est lourd, madame le ministre d’État, et l’OTAN coûte cher, trop cher ! Pourtant, même en son sein, vous pouvez toujours faire entendre la voix de la raison !

En Afghanistan, il faut réduire nos objectifs à ce qui est raisonnable, c’est-à-dire la dissociation de l’élément pachtoune du terrorisme international d’Al-Qaïda.

Il faudra parvenir à une solution négociée sur l’Iran. Il faut le dire, les initiatives de la diplomatie américaine vont dans le bon sens. Certes, nous aimerions être mieux associés. Encore faudrait-il pour cela que nous ne jouions pas les boutefeux. Il y a un ton à trouver ! Sinon, cela ne ferait que pousser à terme l’Iran dans les bras de la Chine. Beau résultat d’ne politique qui, depuis vingt ans, et après l’écrasement de l’Irak, a fait de ce pays la puissance dominante de la région du Golfe !

Le seul objectif raisonnable que nous puissions nous assigner sur le bouclier antimissile de l’OTAN est la défense de théâtre, et non la défense de territoire ; c’est objectif fixé par le président Obama. J’aurai l’occasion de revenir sur le sujet lors de l’examen des crédits de la défense et du débat prévu sur cette question.

En matière européenne, le traité de Lisbonne crée une diplomatie commune à travers le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE. Celui-ci devrait compter entre 5 000 et 6 000 agents. Quelle sera la part de la France ? Où trouverez-vous les postes nécessaires ? Comment empêcherez-vous l’écrémage de la diplomatie française ? Vous êtes-vous avisée du régime indemnitaire dont bénéficieront les membres de ce service ? Il est très important de se pencher sur toutes ces petites choses !

J’en viens à l’euro. Madame le ministre d’État, les affaires européennes sont au cœur de vos compétences. Selon moi, nous ne nous en sortirons pas sans une initiative de croissance, qui redonnera de l’air aux pays aujourd’hui en difficulté. Vous devez vous saisir de cette question : ce n’est pas seulement l’affaire de Bercy ; c’est l’avenir même de la construction européenne qui en dépend !

Vous avez donc, madame le ministre d’État, un lourd héritage, mais aussi une grande tâche ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, quels sont le rôle, la fonction et la finalité du budget de l’action extérieure de l’État ? Entendons-nous bien, il s’agit de définir les moyens donnés par la France afin de défendre ses intérêts : les valeurs de notre pays, notre culture, notre langue, ainsi, bien sûr, que nos intérêts commerciaux !

Dans ce contexte de restriction budgétaire, la hausse de 4,8 % des crédits pourrait être louable si elle n’était pas due, comme d’habitude, à des agrégats comptables.

Au sein du programme consacré au rayonnement de la France combiné à la recherche française, la coupe est nette. Les crédits s’élèvent à 110 millions d’euros, soit une baisse de 5 %, contre 116 millions d’euros dans le budget pour 2010, ce qui était déjà – je l’avais indiqué – inadmissible. Comment donner aux acteurs concernés les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs ? Quelle magie va donc s’opérer ? Je crains une nouvelle fois qu’ils ne soient laissés pour compte et que le rayonnement de la France ne soit de nouveau terni.

Pourtant, le 12 novembre dernier, la France a pris la présidence du G20. Le 1er janvier, elle prendra celle du G8. Ce serait là l’occasion pour notre pays d’être une force de proposition et d’innovation ou de porter des compromis dans plusieurs domaines. Dans ce contexte, il est plus que jamais nécessaire de disposer d’un outil diplomatique efficace. Mais ne nous leurrons pas : j’ai bien peur que ce costume ne soit un peu grand pour le Président de la République ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

À l’heure actuelle, nous n’avons pas les moyens de maintenir cet outil. En effet, avec les récents événements nationaux, qui ont eu un fort retentissement au-delà de nos frontières – je pense à la bataille sur les retraites ou à la stigmatisation d’une partie de la population –, notre aura n’est plus.

Il est de notre devoir de restaurer les moyens de notre outil diplomatique. « Il y a un moment où le quantitatif, comme le disait le philosophe, pose un problème qualitatif. Nous avons atteint ce stade. » Ces propos ne sont pas de moi ; ce sont ceux d’un député de la majorité. Probablement ignorait-il qu’il citait Karl Marx ! (Sourires.)

Dans une tribune parue le 7 juillet dernier dans le journal Le Monde – notre collègue Jean-Pierre Bel y a fait référence –, Alain Juppé et Hubert Védrine tiraient la sonnette d’alarme sur l’affaiblissement du Quai d’Orsay. Selon eux, il faut « adapter l’appareil diplomatique, comme l’État tout entier, mais cesser de l’affaiblir au point de le rendre d’ici à quelques années incapable de remplir ses missions, pourtant essentielles. »

Et d’en revenir aux fameuses RGPP I et RGPP II, qui suppriment à l’aveuglette des moyens qu’il faudrait absolument garder.

Rappelons qu’en vingt ans le ministère a connu une diminution, sans équivalent dans l’administration, de 20 % de ses effectifs, qui les effectifs ont été réduits de 2 600 postes depuis 2006. Quelque 160 suppressions seront programmées cette année, et 700 sur la période 2009-2011, sur un effectif total de 15 500 personnes, dont 5 000 titulaires.

Voilà comment une présentation comptable et un brin mensongère permet de présenter avantageusement, c’est-à-dire en augmentation, un budget qui, en fait, ne l’est pas.

Votre prédécesseur n’avait pas exclu, en son temps, des licenciements secs en « dernier recours ». Qu’en est-il, madame le ministre d’État ?

Pouvez-vous rassurer les personnels du ministère et les agents consulaires, qui, confrontés à un flou incroyable depuis maintenant trois ans, sont particulièrement inquiets pour l’avenir ? Croyez-vous que l’influence de la France dans le monde se trouve grandie par tant de reculs ?

Comment oublier le goût amer qu’a laissé la dernière Conférence des ambassadeurs ? Un diplomate, en parlant d’un possible changement permettant de redorer l’image de la France, comme l’arrivée d’un nouveau ministre, disait : « On l’espère plus que l’on n’y croit ». Tout est dit !

Entre 2011 et 2013, le ministère, dont le budget représente à peine plus de 1 % de celui de l’État, sera encore contraint de raboter ses dépenses de 10 %. Les subventions des 140 instituts culturels français à travers le monde correspondent pourtant seulement à la dotation annuelle du l’Opéra de Paris ! Tout cela nous donne l’image d’un ministère fortement marginalisé.

J’en viens maintenant à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.

Comme je le soulignais l’année dernière, l’AEFE, asphyxiée financièrement, ne peut pas répondre à la croissance des besoins. La deuxième priorité du Livre blanc est le développement du réseau des établissements. Malheureusement, la subvention décroît. Comment régler le problème du déficit chronique avec seulement 421 millions d’euros ? Nous avons déjà cinq ans de retard en la matière !

Mes chers collègues, j’attire notamment votre attention sur l’article 11 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, qui interdit tout emprunt remboursable sur une durée supérieure à douze mois. L’inquiétude est grande au sein de l’AEFE, alors que les entreprises se désengagent partiellement du paiement des frais de scolarité et que les contribuables français pallient les défaillances du système.

Pour faire face à une telle situation, une augmentation des frais de scolarité a été instaurée l’année dernière. Cette disposition, parfaitement discriminatoire pour de nombreuses familles, signe de fait le désengagement, fortement contesté, de l’État en la matière.

En réalité, les parents d’enfants non français ont tendance à ne plus scolariser leurs enfants dans des établissements français. La finalité première de la création de l’AEFE, à savoir développer ou, du moins, stabiliser l’emploi de la langue française dans le monde, est sérieusement menacée. M. Raffarin le rappelait d’ailleurs tout à l’heure.

Madame le ministre d’État, comment pourrions-nous envisager une modernisation urgente de ces formes de financement ?

Force est de constater que la crédibilité de la France sur la scène internationale s’étiole. L’attitude agitée d’un chef d’État qui est à la fois président, ministre des affaires étrangères, ambassadeur et qui parcourt la planète sans grand succès, même s’il a un nouvel avion (MM. Jean-Pierre Raffarin et François Trucy s’exclament), ne fait d’ailleurs qu’y contribuer !

Pour illustrer mon propos, j’évoquerai le deuxième échec de la tentative de réunion du sommet de l’Union pour la Méditerranée, six mois après le premier. « La France ne renoncera pas au projet d’Union pour la Méditerranée » vient d’assurer Nicolas Sarkozy. Pourtant, ces deux tentatives avortées sonnent comme un échec retentissant. Mais il est vrai que, pour le Président de la République, le processus de décolonisation est confronté à une difficulté résultant d’un problème de méthode, et non de fond politique… Cela soulève plusieurs questions !

J’aurais l’occasion d’évoquer en détail l’Afrique lors de l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement ». Mais nous n’avons aucune visibilité sur la nature des rapports que la France doit entretenir avec les pays africains, à l’exception des ouvertures de marchés bénéficiant à des entreprises privées. Nous y poursuivons une politique d’un autre âge, qui peut se révéler dangereuse.

Nous sommes dans le repli le plus total. Les termes « valeurs boursières », « marchés financiers » ou « rentabilité » sont employés bien plus fréquemment que les expressions « rayonnement », « présence française à l’étranger », « aide aux pays les plus pauvres ». Et que dire des accords de gestion des flux migratoires, dont l’une des dispositions a récemment été mise en cause par le Conseil Constitutionnel ?

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce projet de budget, qui ne nous donne aucun moyen, aucune garantie pour assurer la présence et la grandeur françaises dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)