compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Ratification de la nomination de membres d'une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2011.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance d’hier, mardi 7 décembre, prennent effet.

3

Candidatures à un office parlementaire et à une délégation sénatoriale

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation de deux membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de MM. Jean-Claude Etienne et Christian Gaudin, dont le mandat sénatorial a cessé, et la désignation de trois membres de la Délégation sénatoriale à la prospective, en remplacement de MM. Jean-Claude Etienne, Christian Gaudin et Michel Thiollière, dont le mandat sénatorial a cessé.

En application des articles 110 et 8, alinéas 2 à 11, du règlement du Sénat, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République
Discussion générale (suite)

Fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales

Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE (proposition n° 58, rapport n° 128).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République
Demande de renvoi à la commission

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le soutien de l’ensemble des membres du groupe du RDSE, et par-delà les clivages politiques de celui-ci, j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à l’examen de la Haute Assemblée une proposition de loi qui a l’ambition de combler un silence regrettable de notre Constitution, et par là même de renforcer le Sénat dans sa fonction constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales.

Mes chers collègues, nous vous proposons, par ce texte, d’aller au bout de la logique qui sous-tend les articles 24 et 39 de la Constitution, en soustrayant les projets et propositions de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales à la procédure offrant, le cas échéant, à l’Assemblée nationale la possibilité de statuer définitivement, sans l’accord du Sénat.

En vous proposant cette modification de l’article 45 de la Constitution, nous sommes bien conscients de soulever un débat qui va au-delà d’un simple ajustement technique de la procédure parlementaire. En tout état de cause, c’est bien toute la question cruciale de la place du Sénat dans nos institutions et celle du respect qui est dû à sa fonction de représentation des collectivités territoriales qui est posée.

À l’évidence, l’actualité de ces derniers mois a malheureusement démontré qu’en dépit des prérogatives qui lui sont constitutionnellement réservées, la Haute Assemblée a fait l’objet d’un mépris souverain qui a affecté l’ensemble de ses membres, et par-delà tous les grands électeurs dont nous sommes ici l’émanation et la représentation. C’est donc bien l’actualité, et en l’espèce les conditions d’examen – et d’adoption – du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, qui m’a inspiré cette proposition de loi n’ayant d’autre objectif que de garantir constitutionnellement et formellement au Sénat toute la place qui doit être la sienne.

Car, mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Cela signifie que, dans notre République unitaire et indivisible, la représentation des collectivités par le Sénat est bien sûr une modalité technique de la représentation du peuple souverain qui s’exprime par le suffrage universel indirect, mais cela exprime également l’idée d’une représentation de la nation par des corps intermédiaires territoriaux, comme le concevaient d’ailleurs les rédacteurs de la Constitution. En clair, la représentativité du Sénat est politique, et aussi légitime, quoique différente, que celle de l’Assemblée nationale.

C’est à l’aune de cette idée qu’après de longs débats a été instituée en 2003, au profit du Sénat, et sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, une priorité d’examen des « projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales ». Cette heureuse modification du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution a ainsi en quelque sorte institutionnalisé une pratique, presque systématique, des gouvernements successifs. Elle est également venue prolonger la logique qui sous-tendait depuis 1958 la fonction représentative du Sénat, en formalisant cette priorité découlant du rôle qui lui est dévolu de chambre reflétant la diversité de nos territoires.

Dans notre esprit, le Sénat n’est pas doté d’une supériorité irréfragable sur l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, de la même façon qu’il n’est pas le porte-voix unique des préoccupations des élus locaux. Nous ne constituons pas le réceptacle d’intérêts purement catégoriels. Nous sommes cependant en première ligne sur ce front ; avec le texte que nous présentons aujourd’hui, nous ne mettons pas le Sénat au-dessus de l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, nous plaçons simplement les deux assemblées parlementaires au même niveau.

« Une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique », déclarait le général de Gaulle en 1964. Précisément, la pratique de nos institutions aurait en toute logique dû conduire à assurer le respect de cette prérogative consacrée par le constituant. Lors de l’examen de la désastreuse réforme des collectivités territoriales, nous avons eu, par la pratique, la démonstration malheureuse du détournement non seulement de l’esprit, mais aussi de la lettre de la Constitution.

Sans refaire l’historique de ce texte, il est évident qu’il était dès l’origine mal conçu sur le plan de la méthode même, méthode qui était à l’opposé du consensus et de la négociation nécessaires sur un sujet qui dépasse les appartenances partisanes. Pourtant, les conclusions de la mission d’information Belot, qui associait toutes les sensibilités du Sénat, ont été superbement ignorées. De fait, une réforme aussi essentielle pour l’avenir de nos collectivités, et à travers elles celui de nos concitoyens, n’aurait jamais dû faire l’objet des passages en force auxquels nous avons assisté avec consternation.

La navette entre les deux chambres vit ainsi se mettre en œuvre un détournement de l’esprit de la Constitution. Le Gouvernement avait initialement annoncé que les dispositions relatives au mode de scrutin du conseiller territorial et aux compétences des collectivités territoriales feraient l’objet de projets de loi distincts.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils avaient été déposés !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Tout débat sur ce sujet nous fut d'ailleurs presque interdit dans cet hémicycle en première lecture, et renvoyé à plus tard.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Mais cet engagement de dupes n’empêcha pas le Gouvernement d’introduire lui-même, ou par l’entremise de la commission, ces dispositions par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, au mépris de la parole donnée préalablement devant le Sénat !

Comme le démontra brillamment notre excellent collègue Jacques Mézard en défendant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité en deuxième lecture, la procédure législative avait été dénaturée en vidant de son contenu l’article 39 de la Constitution, qui accorde la priorité d’examen au Sénat.

L’application au droit d’amendement de la règle de l’entonnoir, dégagée par le Conseil constitutionnel, a en réalité été menée de telle sorte que la procédure législative en a été dénaturée,…

Mme Françoise Laborde. C’est exact !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. … voire viciée au regard de l’atteinte portée au principe de clarté et de sincérité des débats. En étant contraint d’accepter de se prononcer dans ces conditions, je le dis solennellement, le Sénat fut humilié.

Mes chers collègues, les deux chambres du Parlement ont exprimé, à l’occasion de l’examen de ce texte, de profonds désaccords sur des points majeurs touchant à l’organisation et au fonctionnement de nos collectivités. L’esprit de notre Constitution mais aussi celui de nos institutions commandent que la parole du Sénat soit écoutée, entendue et surtout respectée.

Au terme de deux lectures dans chacune de nos assemblées, il n’était tout simplement pas possible que soit convoquée une commission mixte paritaire, sauf à vouloir se moquer du Sénat. C’est d’ailleurs en ce sens que j’avais écrit au Premier ministre, le 17 septembre dernier, pour lui demander solennellement ne pas convoquer une CMP, ce qui ne peut relever que de lui, et d’organiser une troisième lecture dans chacune des deux assemblées, compte tenu du profond désaccord qui persistait. J’en avais d'ailleurs également avisé les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je sais que nombre de nos collègues, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, partageaient la position que j’ai défendue.

Il était manifeste que faire le choix de réunir une CMP reviendrait, pour le Gouvernement, à opérer un véritable coup de force à l’égard du Sénat et des collectivités territoriales. Tous les sénateurs, à tous les stades de la procédure, auraient dû pouvoir se prononcer, et pas seulement une poignée d’entre eux, savamment choisis pour composer la CMP.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. En d’autres termes, c’est un véritable chantage politique qui s’est ainsi exercé sur le Sénat, chantage alimenté par la menace, à peine voilée, de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale, en contradiction avec l’esprit même de la Constitution.

Lors de l’élaboration de la grande loi de 1983 répartissant les compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, alors portée par une majorité de gauche, le gouvernement de l’époque avait su afficher tout son respect pour le Sénat à majorité de droite. La Haute Assemblée avait eu tout l’espace nécessaire pour s’exprimer. Parmi les apports majeurs de cette loi, certains étaient d’initiative sénatoriale, telle l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. C’est dire si un sujet aussi primordial permet toujours de réunir les bonnes volontés lorsque le dialogue et l’écoute sont retenus comme méthode de travail.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre proposition de loi n’a d’autre objet que d’empêcher, pour l’avenir, que se reproduise une situation aussi intolérable que celle que nous venons de connaître, et que l’on puisse aussi aisément porter atteinte à la dignité de la Haute Assemblée.

Notre texte ne fait finalement qu’aller au bout de la logique de la révision constitutionnelle de 2003. De surcroît, un tel dispositif, plaçant le Sénat et l’Assemblée nationale sur un pied d’égalité, existe déjà, s’agissant des lois organiques qui concernent le Sénat, ainsi que des projets ou propositions de loi de révision de la Constitution. Nous n’entendons donc pas ouvrir une brèche dans le bel ordonnancement constitutionnel, mais mettre fin à une double incohérence, juridique et politique.

Nous n’avons d’ailleurs pas la primeur de cette idée : je me réjouis qu’elle ait pu et qu’elle puisse encore – je l’espère - être partagée sur d’autres travées. Nos collègues Christian Poncelet, alors président de notre assemblée,…

M. Jean-Pierre Plancade. Belle référence !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. … Jean-Pierre Raffarin et Jean-Pierre Fourcade avaient déposé en 2000 une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications financières et fiscales. Son article 3 visait à insérer un nouvel article 72-3 dans la Constitution, qui aurait disposé que « les projets ou propositions de loi relatifs à l’administration des collectivités territoriales doivent être votés dans les mêmes termes par les deux assemblées ». L’objectif de nos collègues était, selon leur exposé des motifs, de « tirer les conséquences de la responsabilité spécifique du Sénat de garant de la libre administration des collectivités locales en confortant son rôle ». C’est une idée à laquelle nous souscrivons pleinement aujourd’hui.

Lors des débats sur ce texte, le président Christian Poncelet soutint, avec la force de conviction qu’on lui connaît, qu’un rôle accru devait nécessairement être accordé au Sénat,…

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. … car « une telle extension de ses compétences, qui découle tout naturellement de sa vocation constitutionnelle, serait le gage d’une bonne législation au service de cette République territoriale dont l’avènement doit être et sera le catalyseur d’une France que nous voulons moderne, dynamique et solidaire ». Je partage pleinement cette définition de la décentralisation.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Telle est d’ailleurs la position que les membres du RDSE ont constamment défendue tout au long de l’examen de la réforme territoriale.

Toujours lors des débats de 2000, notre collègue Jean-Pierre Raffarin défendait l’idée que la légitimité du Sénat, « pour être renforcée, a besoin d’une puissance législative elle-même renforcée ». C’est précisément l’idée que nous soutenons aujourd’hui : doter notre Sénat, dans le seul cadre qu’offre la Constitution, des outils lui permettant de ne pas laisser sa volonté souveraine de pouvoir constitué être annihilée par d’autres pouvoirs constitués.

Certes, le Sénat adopta finalement en 2000 une rédaction différente du texte, qui prévoyait qu’une loi organique fixerait l’organisation et les compétences des collectivités territoriales, sauf en matière de ressources, pour ne pas empiéter sur la spécificité des lois de finances. En cas de désaccord entre les deux assemblées, le dernier mot serait revenu à l’Assemblée nationale, mais à la majorité absolue de ses membres, comme pour toutes lois organiques à l’exception de celles qui sont relatives au Sénat.

C’est sur ces recommandations du rapporteur de l’époque, M. Patrice Gélard, que cette rédaction fut retenue. M. Gélard estimait alors que l’adoption en termes identiques par les deux chambres permettrait « au Sénat de jouer tout son rôle pour prévenir l’adoption de dispositions de nature à remettre en cause les principes essentiels de la décentralisation ». M. Gélard avait raison avec dix ans d’avance, puisque nous venons malheureusement de voir que le Sénat, malgré ses efforts redoublés, n’a pu effectivement empêcher l’adoption d’une loi qui porte une régression majeure de la décentralisation.

J’ai naturellement lu avec attention le rapport de M. Gélard sur notre texte. J’ai été heureux de constater qu’il partageait toujours notre volonté de défendre le rôle éminent du Sénat dans le domaine des collectivités territoriales. Son opinion a même évolué depuis 2000, puisqu’il n’estime « pas injustifiée l’exigence d’un accord des deux assemblées pour l’adoption de textes concernant, à titre principal, l’organisation des collectivités territoriales ». La suite m’a, hélas, laissé perplexe, et pour tout dire m’a un peu déçu.

Je ne peux absolument pas partager son analyse des raisons qui justifieraient le renvoi à la commission de notre proposition de loi. Il est vrai qu’une révision constitutionnelle d’origine parlementaire nécessiterait une approbation par voie référendaire. Il est sans doute tout aussi vrai que convoquer le peuple français pour qu’il se prononce sur ce sujet ne déchaînerait pas, a priori, de grandes passions. Mais ce n’est pas si sûr, car nos compatriotes comprendraient aisément les enjeux véritables de cette réforme, dont ils seraient bénéficiaires.

Permettez-moi de dire que cette argumentation est surtout très commode pour évacuer le fond de la question qui est posée à chacun de nos collègues. Pourtant, en présentant son rapport, M. Gélard a reconnu que les députés n’avaient pas suffisamment tenu compte de la position du Sénat lors de la réforme des collectivités territoriales !

Sur tous ces points de notre argumentation, le rapporteur est d’accord avec nous. Pourquoi alors évacuer ce texte par un soupirail ? Le conserver en réserve pour le rattacher à un très hypothétique futur projet de loi constitutionnelle est au mieux un manque d’audace, au pire une façon dérobée de ne pas réparer l’humiliation infligée au Sénat ! En raisonnant selon le simple utilitarisme, en termes de chances et de succès, on peut tout justifier, tout et son contraire !

Nous raisonnons, quant à nous, sur les principes. Et les principes que nous défendons aujourd’hui revêtent un caractère de particulière gravité. En allant au bout de la logique institutionnelle mise en œuvre en 2003, en ôtant le dernier mot à l’Assemblée nationale en matière de collectivités territoriales, le Sénat enverrait un message politique très clair, à la fois au Gouvernement et à nos collègues députés : celui du refus du rabaissement.

Mes chers collègues, la Constitution n’a pas fait du Sénat une chambre consultative, comme du temps du Conseil de la République. Loin de nous l’idée de déclencher une bataille institutionnelle, mais force est de constater que les autres détenteurs de l’initiative législative ne nous ont, jusqu’à présent, guère épargnés sur le sujet des collectivités territoriales. Comment expliquer demain aux élus locaux de ce pays que les sénateurs qu’ils élisent pour, entre autres missions, les représenter sont en train de perdre leur pouvoir d’influer sur le statut et les compétences de leurs collectivités ? Quelle cohérence y aurait-il à donner au Sénat une priorité d’examen des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales, si son vote n’a guère d’importance ? À quoi bon avoir le premier mot, depuis la révision constitutionnelle de 2003, si l’Assemblée nationale peut avoir le dernier ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, notre proposition de loi constitutionnelle est d’abord un message fort destiné à réparer l’humiliation subie par le Sénat au regard des conditions navrantes de l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Mais elle n’est pas que cela, puisqu’elle répond à un véritable silence du texte constitutionnel en le comblant de façon cohérente, mais aussi mesurée. Il y va, aujourd’hui, de l’honneur du Sénat de la République, mais aussi de celui de tous ses membres, eux qui concourent à l’expression de la volonté générale.

Pour toutes ces raisons, dans l’intérêt du Sénat et des collectivités territoriales de ce pays, je vous invite, mes chers collègues, à faire preuve de responsabilité, d’une part en repoussant la motion tendant au renvoi à la commission, d’autre part en adoptant cette proposition de loi constitutionnelle du groupe du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, en remplacement de M. Patrice Gélard, rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République présentée avec brio par M. Yvon Collin et ses collègues du RDSE tend à compléter l’article 45 de la Constitution. Il s’agit d’écarter le recours aux dispositions visant à donner le « dernier mot » à l’Assemblée nationale lorsque le Parlement se prononce sur des projets de loi ou des propositions de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales.

La disposition présentée a pour objet d’interdire que des modifications importantes touchant aux collectivités territoriales soient adoptées sans tenir compte des positions du Sénat, voire contre son avis. Elle repose sur trois arguments constitutionnels et une considération de circonstance.

Tout d’abord, aux termes de l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Ensuite, depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, l’article 39 de la Constitution dispose que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».

En outre, l’accord du Sénat est d’ores et déjà requis pour les lois organiques le concernant, en vertu de l’article 46 de la Constitution, ainsi que pour les projets ou propositions de loi constitutionnelle, selon l’article 89 de la Constitution. Il y a donc égalité entre les deux chambres dans ce domaine, bien que le Conseil constitutionnel, s’agissant des lois organiques concernant le Sénat, ait sérieusement restreint le champ de cet article.

Enfin, vous avez rappelé, monsieur Collin, l’examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, adopté par le Parlement le 17 novembre 2010 et qui aurait, selon les auteurs de la proposition de loi, « démontré que de profonds désaccords peuvent exister entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur des points majeurs et des dispositions particulièrement importantes touchant à l’organisation et au fonctionnement des collectivités territoriales. En toute logique, un texte comme celui-ci, ayant un tel impact sur l’organisation territoriale de la République et, au-delà, sur la vie de tous les citoyens, doit recueillir l’assentiment du Sénat. »

La commission des lois partage la volonté exprimée par M. Yvon Collin de défendre le rôle éminent du Sénat dans le domaine des collectivités territoriales.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Nous aimons le Sénat !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas forcément le cas de tout le monde, même au Sénat ! Historiquement, votre groupe a toujours défendu le rôle du Sénat.

La commission des lois n’estime pas injustifiée l’exigence d’un accord des deux assemblées pour l’adoption de textes concernant à titre principal l’organisation des collectivités territoriales. Cependant, elle considère que la procédure référendaire qu’implique nécessairement une proposition de loi constitutionnelle n’est pas la plus adaptée.

Depuis 1958, les deux tiers des 3203 lois adoptées l’ont été dans le cadre de la navette, sans qu’il soit nécessaire de provoquer l’intervention d’une commission mixte paritaire, 22,17 % des textes ont été votés à l’issue d’une CMP, et pour 11,11 % d’entre eux le dernier mot est revenu à l’Assemblée nationale.

Ces divergences, certes en nombre limité, portent néanmoins sur les textes les plus sensibles, en particulier sur ceux qui concernent l’État et les collectivités territoriales.

Néanmoins, tel n’est pas toujours le cas. Parmi les premières lois de décentralisation, la loi du 7 janvier1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État a été adoptée sur le fondement du texte établi par la commission mixte paritaire. Parmi les apports du Sénat, il convient de signaler l’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre – certaines collectivités feraient d’ailleurs bien de s’en souvenir ! – …

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Eh oui !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. … ou encore l’affirmation du principe d’un transfert par « bloc de compétences ».

De même, la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale a donné lieu à un accord à l’issue de la commission mixte paritaire.

Ainsi, les positions défendues par le Sénat, compte tenu de l’expérience et de l’expertise qu’il a acquises dans le domaine des collectivités territoriales, sont susceptibles d’emporter l’adhésion, malgré les clivages politiques.

Plusieurs principes fondamentaux promus par le Sénat ont d’ailleurs été inscrits dans le titre XII de la Constitution à la faveur de la révision du 28 mars 2003 et encadrent désormais l’évolution du droit dans le domaine des collectivités territoriales.

Ainsi, la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par l’article 24 de la Constitution ne s’arrête pas au seul mode d’élection des sénateurs, mais s’exprime aussi dans l’influence que le Sénat exerce sur la législation intéressant ces questions.

Le principe d’un accord entre les deux assemblées pour l’adoption de tels textes permettrait bien entendu de garantir ce rôle.

Cette évolution de notre droit constitutionnel pourrait être d’autant mieux acceptée que la notion d’« organisation » des collectivités territoriales a été précisée et circonscrite à l’occasion des débats parlementaires concernant la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République. Cette notion recouvre le choix du nom des collectivités territoriales, la détermination des règles relatives à leurs organes et à leurs actes, ainsi que la fixation de leurs limites territoriales. Elle ne comprend pas, en revanche, les modes de scrutin, monsieur Collin.

En outre, l’exigence d’un accord entre les deux assemblées pourrait constituer le prolongement de la priorité d’examen reconnue au Sénat par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Au demeurant, le Sénat a déjà envisagé, à l’occasion de cette révision, une modification des dispositions de l’article 45, avant d’y renoncer par souci de compromis.

Ainsi, la commission des lois avait proposé que la loi organique relative aux ressources financières des collectivités territoriales soit votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Elle reprenait une disposition de la proposition de loi constitutionnelle, présentée par le président Christian Poncelet et plusieurs de nos collègues, relative à la libre administration des collectivités territoriales, selon laquelle l’Assemblée nationale n’aurait pu avoir le « dernier mot » pour l’adoption des lois organiques fixant la liste, l’assiette et les modalités de recouvrement des recettes fiscales propres des collectivités territoriales.

Cependant, la commission estime qu’une proposition de loi constitutionnelle n’est pas le vecteur le plus adapté pour une telle réforme. En effet, cela implique, aux termes de l’article 89 de la Constitution, une adoption par voie référendaire, seul un projet de loi constitutionnelle pouvant être soumis au Parlement convoqué en Congrès. Or un sujet comme celui-ci, de nature plus institutionnelle que politique, se prête moins à une consultation populaire qu’à une adoption par le Congrès, selon une procédure d’ailleurs retenue pour la quasi-totalité des réformes constitutionnelles conduites sur la base de l’article 89, à l’exception bien entendu de l’introduction du quinquennat par la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000.

Monsieur Collin, le Sénat représente certes les collectivités territoriales – c’est sa fonction constitutionnelle –, mais ce n’est pas parce qu’il est élu au suffrage universel indirect qu’il n’est pas une assemblée parlementaire de plein exercice.