M. le président. La parole est à M. Gérard César.

M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de novembre dernier, les discussions en vue de la définition de la future politique agricole commune se sont engagées à la suite de la publication des propositions de la Commission européenne.

Ce débat arrive donc au bon moment, et je remercie MM. Jean-Paul Emorine et Jean Bizet, co-présidents du groupe de travail sur la réforme de la politique agricole commune, auquel j’ai l’honneur de participer, de l’avoir amorcé au travers de leur remarquable rapport d’information.

Symbole fort de l’Union européenne, la PAC est la première des politiques communautaires, la plus ancienne et la plus intégrée, mais elle est aussi la plus discutée, et l’échéance de 2013 amènera, sans aucun doute, un retour des rapports de force, que le Président Nicolas Sarkozy et vous-même, monsieur le ministre, avez anticipé dans le cadre de l’accord franco-allemand. Des rencontres fructueuses avec nos collègues polonais et allemands se sont en outre tenues récemment à l’Assemblée nationale, en présence de MM. Bizet et Emorine.

L’Union européenne va devoir redéfinir, pour la période 2014-2020, une vision stratégique, à la fois économique, sociale et environnementale, qui ne soit pas un simple réajustement. De nouvelles attentes fortes sont aujourd’hui exprimées par nos concitoyens, notamment en matière sanitaire, et l’on ne peut bien entendu pas les ignorer.

Depuis sa création, la PAC a connu plusieurs évolutions, notamment pour éliminer les excédents ou se soumettre aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce. La production a ainsi été régulée par le biais de l’instauration de quotas, du recours à la mise en jachère et de la réduction des prix de référence. Parallèlement, les aides aux agriculteurs et les aides à la production ont été découplées et les marchés agricoles ouverts.

Aujourd’hui, nous le savons, la PAC doit relever de nouveaux défis. L’enjeu majeur, à mon sens, est de poursuivre l’adaptation des structures agricoles dans un marché de plus en plus ouvert. Soyons lucides, cette ouverture ne sera pas remise en question dans le cadre des négociations sur la future PAC ; nous n’assisterons pas au retour de mesures plus ou moins protectionnistes. La seule voie consiste à mettre l’accent sur la gestion des marchés et la modernisation des structures et des exploitations agricoles, ainsi que sur l’organisation économique des producteurs telle que l’a prévue la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. En tant que rapporteur de cette loi, je profite de cette occasion pour vous remercier, monsieur le ministre, de la publication des textes relatifs aux filières du lait et des fruits et légumes, intervenue avant le 31 décembre, comme vous nous l’aviez promis.

Dans un monde où les échanges ont été libéralisés et sont appelés à se développer, les pouvoirs publics peuvent contribuer à accompagner les évolutions. Je pense notamment à la régulation et à l’amélioration de la transparence des marchés. Le rôle des organisations professionnelles et, surtout, interprofessionnelles dans la gestion des filières et la couverture des risques doit être modernisé et renforcé.

Les exploitations devront également poursuivre leur modernisation, là aussi avec l’aide des pouvoirs publics. En cinquante ans, le nombre d’exploitations est passé de 2,3 millions à 326 000 dans notre pays. Aucun autre secteur économique n’a connu une telle évolution.

Pourtant, il faut continuer à s’adapter, par l’accroissement des surfaces, l’utilisation de nouveaux équipements et l’accès aux innovations technologiques. Une bonne anticipation de cette exigence incontournable suppose, monsieur le ministre, que la question ne soit pas taboue.

Un autre enjeu tient à la conversion environnementale de l’agriculture, qui exige une politique et un soutien à long terme. Les attentes de la société en matière de préservation de l’environnement et de qualité sanitaire des aliments ont été intégrées dans la PAC. C’est une excellente chose, toutefois cette politique doit absolument être lisible, à la fois dans ses objectifs et dans ses résultats. Or, pour l’instant, on a le sentiment de se trouver dans une jungle technocratique. Ces défauts, qu’il faudra corriger, ne remettent cependant pas en cause l’orientation de la PAC vers une gestion durable des ressources naturelles.

Par ailleurs, les freins à la recherche agronomique – autre sujet qui fâche – doivent être levés. Comment ne pas voir que l’innovation conditionne la marche vers de nouvelles pratiques agricoles durables et économiquement viables ? Vous le savez, monsieur le ministre, la recherche pâtit lourdement, en France, du rejet obsessionnel des OGM. Cette opposition rejaillit sur l’ensemble des recherches en vue de l’amélioration des plantes. Nous devons donc avoir le courage de mettre fin à ce blocage français, qui pénalise lourdement l’agriculture tant européenne que nationale. Comment l’agriculture pourrait-elle se passer à la fois des intrants chimiques et des biotechnologies ? La France prend un retard considérable par rapport à d’autres pays qui, eux, avancent.

La PAC doit enfin, à mon sens, relever le défi de la prise en compte de l’entrée de nouveaux pays au sein de l’Union, dont le nombre de membres est passé, en moins de dix ans, de quinze à vingt-sept, ce qui a entraîné une augmentation de plus de 64 % du nombre des exploitations agricoles. Cela a renforcé les disparités agricoles, au moment où un nouvel équilibre se mettait en place après les élargissements précédents.

Jusqu’à présent, les nouveaux entrants ont géré leur adhésion et leurs réformes internes ; leur arrivée dans l’Union n’a pas produit ses pleins effets sur l’économie agricole européenne, mais il faut s’attendre à ce que la concurrence intra-européenne s’accroisse, introduisant une contrainte supplémentaire à la modernisation des structures. Il faut s’attendre aussi à ce que ces pays soient plus exigeants et s’attachent à préserver une PAC forte, à condition bien sûr qu’elle leur soit favorable.

Dans ce contexte, on imagine aisément que les débats sur le budget de la PAC pour l’après-2013 seront particulièrement durs. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs du Parlement européen, qui doit désormais approuver la PAC dans le cadre de la cogestion. Il est difficile de prévoir ce que sera le rapport des forces au Parlement européen, mais, de toute évidence, celui-ci pèsera certainement en faveur d’une redistribution des aides. Il est donc probable, monsieur le ministre, que l’agriculture française devra franchir une nouvelle étape d’adaptation avec des soutiens budgétaires réduits, dans un contexte politique européen difficile.

Si nous voulons une véritable PAC, il est indispensable de maintenir le budget agricole à son niveau de ces dernières années. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir communiqué, voilà quelques jours, des données relatives aux aides à l’investissement en 2008 et en 2009.

En définitive, l’enjeu, pour l’agriculture française, tient à notre capacité à définir ensemble une vision politique ambitieuse. Un cadre politique est indispensable, car il est toujours source de confiance et de stabilité. La définition de la future PAC nécessitera un vrai débat, d’ailleurs déjà entamé, mais surtout une volonté forte de l’ensemble des acteurs politiques et socioprofessionnels, qui devront œuvrer pour que tous les agriculteurs puissent vivre de leur travail. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus que jamais, la place de l’agriculture est essentielle et stratégique : cette analyse est partagée par tous, même s’il existe des divergences d’appréciation sur le rôle que doit jouer l’agriculture. S’agit-il seulement d’assurer un volume global de production, ou de prendre en compte ses différentes fonctions alimentaires, environnementales, de gestion des espaces, d’aménagement des territoires ? Disons-le nettement, les socialistes optent pour ce second aspect.

C’est dans un contexte mondialisé, avec en corollaire des négociations internationales, que va intervenir la réforme de la politique agricole commune. Celle-ci devra apporter des réponses aux nouvelles attentes sociétales.

Dans cette perspective, il faut, pour l’après-2013, défendre l’idée forte d’une politique agricole ambitieuse, novatrice. Cette priorité devra être affirmée par l’Union européenne et trouver une traduction politique et budgétaire.

À la suite de la réforme de 2003 et du bilan de santé de la PAC, une orientation de nature très libérale a été prise, puisqu’il s’est agi d’accorder la primauté à la loi du marché, au détriment d’une régulation plus ou moins assumée jusqu’alors.

Les limites de cette vision libérale à outrance sont apparues rapidement à la lumière des crises qui ont frappé la plupart des productions. Sans qu’il soit question d’administrer l’agriculture, du moins faut-il poser à nouveau des règles suffisamment fortes d’organisation et de gestion collective qui assureront l’avenir des agriculteurs.

La révision de la PAC est l’occasion unique d’apporter, au regard du constat qui vient d’être dressé, les inflexions attendues par beaucoup d’agriculteurs et par la société européenne. Elle doit avoir pour ambition de permettre le maintien d’une agriculture diverse et de qualité et de contribuer à la préparer aux défis de demain.

Dans la perspective de la réforme, trois scénarii sont en présence. Nous avons bien compris que le scénario médian est privilégié par le commissaire européen et que, au-delà, plusieurs des objectifs énoncés dans ce scénario sont assez largement partagés, des nuances se faisant cependant jour.

Au nombre de ces objectifs figure à l’évidence la redistribution des aides. Le maintien de nombreux agriculteurs passe par la garantie d’un revenu stable et équitable. Chacun le sait, disposer d’une visibilité financière est primordial pour réaliser des investissements de long terme ; à défaut, de nombreuses installations s’avèrent fragiles. Dans ces conditions, il n’est pas concevable que perdure le déséquilibre que l’on a pu constater dans l’attribution des aides européennes, dont 80 % du montant est accaparé par 20 % des bénéficiaires.

L’introduction de plafonds et de planchers d’aide par exploitation va donc dans la bonne direction. La PAC doit être orientée vers un paiement direct minimal pour l’ensemble des agriculteurs, afin de préserver les petites et moyennes exploitations ; c’est une question d’équité. Cependant, il convient aussi, dans la même perspective, de plafonner les versements. Une redistribution plus pertinente et plus juste des aides entre les filières, et entre les agriculteurs, est en effet vitale pour assurer l’avenir du plus grand nombre. Sans garantie de revenu, les nouvelles installations seront compromises, ce qui relativiserait, et même contredirait, le discours officiel en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs.

Quelle aberration encore que l’on puisse aujourd’hui percevoir des aides sans pratiquement produire, du simple fait d’une situation acquise ! Il faut y mettre un terme : les aides doivent être réservées aux agriculteurs ayant une fonction réelle de production.

Il faut donc aller au-delà de la logique des primes à l’exploitation, vers l’instauration de primes liées à la production et au renforcement de la qualité de celle-ci. Les aides doivent ainsi être modulées en fonction de la main-d’œuvre employée sur les exploitations, des efforts d’adaptation environnementale qu’elles fournissent et des handicaps naturels auxquels elles sont confrontées.

Si la production de masse a longtemps été privilégiée, la fourniture d’une alimentation de qualité doit désormais être l’objectif visé. Ce principe a été longuement discuté lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au nom des attentes des consommateurs, mais aussi dans un souci de santé publique. La future PAC devrait prendre en compte la promotion des productions locales et des marchés de proximité. Rétablir le lien entre production et territoire, développer les circuits courts quand cela est possible mérite un accompagnement financier significatif, alors que les aides aujourd’hui accordées pour la diversification et la reconversion tiennent parfois du saupoudrage. Cela permettra aussi, dans l’esprit du Grenelle 2, d’améliorer le bilan carbone, ainsi que de favoriser une activité économique porteuse d’avenir et de créer des emplois au plus près des territoires, tout en répondant à une attente sociétale forte. La cohérence globale du projet agricole communautaire appelle la prise d’initiatives dans ce domaine.

L’un des aspects fondamentaux de la PAC devra porter sur les moyens accordés à la régulation et à la gestion des marchés. Un constat s’impose presque de lui-même : le marché mondial des produits agricoles est soumis à de fortes tensions, qu’elles résultent d’événements climatiques, de crises frumentaires ou tout simplement de la spéculation ou de la financiarisation des marchés des matières premières. Les conséquences qui en découlent sont, d’une part, la spéculation et la volatilité des cours, et, d’autre part, la difficulté d’anticiper ces mouvements erratiques.

Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le débat a porté sur l’usage d’outils de régulation pour la prévention et la gestion des crises. Or l’orientation libérale donnée à la PAC en 2003 a mis à mal la notion même de régulation et de moyens d’intervention en ce domaine. L’année 2015 verra la disparition des quotas laitiers, évolution à laquelle vous avez répondu par une contractualisation portant sur les volumes. Monsieur le ministre, vous avez admis la nécessité de disposer de moyens rénovés de régulation, singulièrement par l’application, sur le plan national, de la contractualisation et la mise en place des interprofessions. Ces mesures devraient, selon vous, redonner aux agriculteurs une position moins marginale dans les discussions au sein de chaque filière. Cela ne suffira pas : les interprofessions peinent à entrer en action ; quant aux contrats, ils ne sont pas du tout prévus pour réguler le volume global de la production, en particulier dans le domaine laitier.

Ces dispositions ne remplacent donc pas une politique commune de régulation européenne des marchés. De même, la future PAC, se bornant à un simple « filet de sécurité », ne va pas suffisamment loin, comme le constate un ancien secrétaire général de la FNSEA, qui déclare que « la Commission n’a pas tiré les leçons de la crise de 2009 ». C’est juste, et c’est bien vu. Dans la confrontation mondiale, peu de protagonistes font montre d’angélisme, et les États défendent leur agriculture. L’Europe doit se protéger, y compris contre les distorsions de coûts de production résultant des différences d’exigence de qualité dans les domaines sanitaire ou environnemental. J’ajouterai que, en Europe même, au sein du marché unique, pèse la suspicion de dumping social. Quelle position la France défendra-t-elle sur ces points lors des futures discussions ?

Se pose aussi la question de la sécurité alimentaire, facteur indéniable d’indépendance, dont on voit se dessiner les enjeux sur le plan planétaire. Les terres des pays en voie de développement ne deviennent-elles pas l’objet de la convoitise des multinationales et de certains pays émergents, qui procèdent à des acquisitions considérables de foncier agricole ?

La future PAC devra s’accompagner des financements nécessaires pour répondre aux défis et aux enjeux et pouvoir adapter notre agriculture au nouveau contexte mondial. Il est évident qu’une telle politique ne peut se conduire au rabais, sans moyens budgétaires adéquats, mais qu’elle doit au contraire demeurer l’une des priorités européennes. C’est d’ailleurs l’opinion du commissaire européen à l’agriculture, reprise par M. Jean-Michel Lemétayer, qui estime que la future PAC ne sera confortée que si son budget est « au moins équivalent à celui d’aujourd’hui ». On ne peut donc que s’inquiéter des menaces d’une diminution des crédits, qui pourrait amener une réduction de l’engagement européen en faveur de l’agriculture à 32 % du budget communautaire en 2013 ; pour mémoire, il atteignait 61 % de celui-ci voilà vingt ans.

Les enjeux de la nouvelle PAC sont considérables pour l’Europe, pour nombre de régions et pour les agriculteurs qui y vivent de leur travail, pour l’emploi induit dans l’agroalimentaire, l’artisanat et les services, en somme pour l’ensemble du tissu économique et social des territoires ruraux. Nous pouvons nous rejoindre sur l’analyse et la détermination de certains d’entre eux, mais les propositions et les moyens ne vont selon nous pas assez loin, et nous serons donc très vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 novembre dernier, les ministres européens de l’agriculture se sont réunis pour donner le coup d’envoi des négociations sur la future PAC à vingt-sept pour la période 2014-2020.

Nous savons tous le caractère stratégique de l’agriculture, à l’heure où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation, tandis qu’il faudra en nourrir 9 milliards en 2050.

D’autres sénateurs l’ont rappelé avant moi, la PAC a justement permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Alors qu’elle représentait quasiment 90 % du budget de l’Union européenne en 1970, sa part s’élève aujourd’hui à 42 % de celui-ci, soit 55 milliards d’euros, montant à mettre en regard des 87 milliards d’euros que les États-Unis consacrent au soutien à leur agriculture. Il faut remettre le coût de la PAC en perspective.

N’oublions pas que la France est le premier bénéficiaire des aides accordées au titre de la PAC et le deuxième contributeur, après l’Allemagne. En outre, la valeur de la production agricole française s’élevait à 62 milliards d’euros en 2009, ce qui fait de notre agriculture la première de l’Union européenne.

La PAC a atteint les objectifs qui lui avaient été assignés en matière de sécurité alimentaire et sanitaire, mais aussi de préservation de l’équilibre des territoires ruraux, qui constitue parfois la seule activité économique viable dans certaines zones reculées. En soutenant l’innovation technique agricole et la préservation de la biodiversité, elle a permis à l’agriculture de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 20 % depuis 1990.

Cependant, les tensions n’ont jamais été aussi fortes au sein des filières, en particulier celle de l’élevage, et nombre d’agriculteurs souffrent, au point que certains d’entre eux en sont réduits à s’adresser aux Restos du cœur… Quel paradoxe, quand on exerce le plus beau métier du monde, consistant à nourrir ses semblables !

En effet, force est de constater que l’on assiste à une paupérisation grandissante de certains agriculteurs. La PAC n’a pas réduit toutes les inégalités, ni entre exploitants ni entre pays membres. C’est sans doute pour cela qu’elle n’a pas trouvé sa légitimité aux yeux de l’opinion publique européenne.

Par ailleurs, sa trop grande complexité la rend incompréhensible, même pour les habitués : un grand nombre de directives, de règlements en matière d’environnement, de santé publique, de sécurité alimentaire, etc., conditionnent l’attribution des aides directes au respect de « bonnes pratiques ».

Enfin, la volatilité extrême des coûts de production ou de vente fragilise les filières, alors que les financiers internationaux se servent, en outre, des produits agricoles comme de matières premières soumises à la spéculation.

Des outils de régulation innovants doivent être définis, afin de prévenir les crises ou de pouvoir y répondre rapidement. Ils permettront aux agriculteurs de lisser leurs résultats. Un premier pas dans cette direction vient d’être franchi pour le marché du lait avec le projet de règlement présenté le 9 décembre dernier sous votre pugnace impulsion, monsieur le ministre. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir lancé, voilà un an, ce fameux « appel de Paris » à une nouvelle régulation des marchés agricoles ; vingt-deux des États membres de l’Union vous avaient alors suivi.

Nous avons besoin d’une réforme forte et ambitieuse, d’une nouvelle PAC permettant de conjuguer performances économiques et environnementales, équilibre des territoires et indépendance énergétique, mais aussi et surtout de rendre nos exploitations plus compétitives et autonomes. Ces objectifs peuvent paraître difficilement conciliables, mais ils ne sont pas contradictoires.

Les négociations sont menées sur la base des propositions faites par le commissaire européen Dacian Ciolos, auxquelles vient s’ajouter l’excellent travail présenté tout à l’heure par MM. Bizet et Emorine et par Mme Bourzai.

Le Parlement européen, au travers de la codécision, sera par ailleurs partie prenante à la réforme, et a d’ores et déjà émis des avis favorables sur cette grande mutation, notamment sur les aides directes, étant donné les coûts de production élevés, essentiellement en raison des normes sociales ou environnementales auxquelles sont soumis nos agriculteurs.

En effet, ces normes, pour vertueuses qu’elles se doivent d’être, sont difficiles à respecter pour les agriculteurs installés dans une zone de montagne, périurbaine, défavorisée, vulnérable ou sur le territoire d’un nouvel État membre.

Une harmonisation sans faille des normes à l’échelon européen est essentielle. Nos exploitants ne sont pas opposés au « verdissement » de la PAC, dans la mesure où cela peut permettre d’appliquer les mêmes règles dans tous les États membres, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Enfin, beaucoup souhaitent le développement du stockage public et privé, ainsi que des moyens légaux et juridiques permettant la contractualisation dans les filières et entre les filières.

La décision d’inscrire l’agriculture dans le système libéral doit s’accompagner de la possibilité, pour les agriculteurs, de s’organiser en vue d’essayer d’assurer une certaine équité dans les rapports commerciaux avec les industriels et les grandes surfaces. Il n’y aura pas de contractualisation efficace sans rapport de force équilibré. Privilégions le regroupement des professionnels, l’organisation de filières fortes, le maintien d’une agriculture diversifiée dans toutes nos régions, les circuits de distribution courts, une agriculture biologique de proximité.

Les DPU alloués aux exploitations du département de l’Aisne, dont l’activité va de la viticulture sur les coteaux de la Marne aux grandes cultures, en passant par la production laitière en Thiérache au sein de structures plus petites, sont très divers, mais représentent parfois le revenu des agriculteurs. Toute évolution devra donc se faire sur plusieurs années, sauf à mettre en grande difficulté certains d’entre eux. Les agriculteurs de mon département sont preneurs d’un développement grâce au deuxième pilier, ayant remarqué que les industriels sont systématiquement demandeurs des aides spécifiques destinées à telle ou telle filière, comme on a pu le voir pour celles des protéagineux et des légumes en 2010, par exemple.

Les mesures du deuxième pilier doivent pouvoir concerner toutes les régions et toutes les formes d’agriculture. Dans notre région, le grand succès du « plan sucre » est en effet la démonstration que les agriculteurs sont prêts à investir pour améliorer leur compétitivité et créer de la valeur ajoutée. Ces mesures devraient aussi permettre, en matière de développement durable, de protéger certaines productions, par exemple l’élevage dans les régions de grandes cultures, ce qui permettrait de maintenir la culture de la luzerne, la production de fécule, de légumes, etc. En effet, une spécialisation des régions serait extrêmement dommageable sur les plans économique et environnemental.

Plus largement, l’Europe devrait pouvoir résoudre les problèmes de concurrence sur les plans social et financier.

Nous devons sauver la PAC, qu’il faut appréhender sous un angle novateur, d’autant qu’elle représente quasiment l’unique politique commune européenne ! Elle mérite donc toute notre attention en tant qu’exemple pour l’avenir de l’Europe, avenir qui ne peut être, nous en sommes tous conscients, que collectif. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les co-présidents du groupe de travail, mes chers collègues, l’année 2010 s’est terminée, pour l’agriculture, de façon plus positive qu’elle n’avait commencé, d’abord parce que les agriculteurs ont globalement vu leurs revenus très sensiblement augmenter, ensuite parce que M. Dacian Ciolos a esquissé les contours de la PAC pour la période 2014-2020. En effet, les paramètres du marché agricole évoluant, il est sain de s’interroger sur l’adéquation de la PAC avec les attentes des agriculteurs.

Mon collègue du groupe de l’Union centriste Marcel Deneux ayant tout à l’heure développé son analyse sur l’avenir de la PAC, je souhaiterais pour ma part aborder les cas particuliers de la filière des fruits et légumes et des productions que l’on pourrait qualifier de « spéciales », comme le tabac ou le pruneau pour le Lot-et-Garonne, par exemple, afin que la PAC de demain réponde au mieux aux attentes du terrain.

Les fruits et légumes représentent, je le rappelle, 17 % de la valeur de la production agricole européenne et 6,1 milliards d’euros pour la France, mais cette filière ne bénéficie que de 3,5 % du budget de la PAC. Pour maintenir leur activité, et donc la vie dans nos territoires, les producteurs ont impérativement besoin que ces aides soient conservées, afin de leur permettre d’améliorer leur compétitivité et leur organisation professionnelle.

S’agissant des fruits et légumes, la PAC doit permettre de lutter efficacement contre le dumping agricole. À l’échelle de la France, ce sont plus de 640 000 emplois, dont 450 000 saisonniers, qui sont concernés !

En ce qui concerne le tabac, le cas de cette production illustre la nécessité de bâtir des filières intégrées, et à défaut de soutenir la restructuration de l’organisation professionnelle.

En effet, seulement 17 000 tonnes de tabac sont produites en France, pour 60 000 tonnes consommées. Il n’existe donc aucune adéquation entre la consommation et la production. Pendant de longues années, on a laissé se démanteler un appareil industriel qui faisait de la filière du tabac une filière intégrée, à forte valeur ajoutée. Les tabaculteurs ont dû se réorganiser pour défendre les prix de leur production « brute » ; ils ont déjà fourni des efforts considérables, mais ils ne pourront pas poursuivre cette restructuration sans une aide financière. Il faut donc que la PAC permette d’améliorer la compétitivité, l’équilibre n’étant pas encore atteint.

Il en va de même pour la filière de la tomate industrielle, qui ne produit que de 15 % à 20 % des besoins nationaux. Une incitation à la restructuration des producteurs et un soutien à l’outil industriel de transformation permettraient d’accroître sa compétitivité. À défaut, les unités de transformation sont rachetées par des entrepreneurs, notamment chinois, qui s’en servent comme bases logistiques pour vendre non seulement des tomates, mais aussi des haricots verts ou encore du maïs doux, tous produits importés de Chine pour être commercialisés sous la marque française rachetée.

L’aide à la production est donc indispensable pour maintenir les outils de transformation. Sinon, ces filières vont nous échapper !

Enfin, en ce qui concerne la filière du pruneau, il semble indispensable que la France évite un découplage des aides. Seul leur couplage permet d’améliorer la productivité et de concurrencer les productions sud-américaines. À titre d’exemple, nous devons, dans mon département, refaire entièrement le verger pour rester compétitifs, ce qui exige du temps et beaucoup de moyens.

Ces différents exemples montrent qu’il est nécessaire, dans le cadre de la PAC, de maintenir à leur niveau actuel les droits à paiement unique du premier pilier et de laisser des marges de manœuvre aux États membres pour soutenir les investissements et les réformes dans ces secteurs, sauf à voir ces petites productions disparaître purement et simplement !

En outre, la PAC doit agir comme un filet de sécurité en cas de crises conjoncturelles, notamment pour ces productions. L’Europe doit en effet mobiliser des instruments de régulation de marché pour lisser la volatilité des prix et permettre le financement de mécanismes d’assurance contre les risques climatiques ou sanitaires.

Monsieur le ministre, l’assurance récolte, dont je prône le développement depuis de nombreuses années et que vous avez instaurée dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ne fonctionnera pas tant qu’il n’y aura pas de réassurance publique. Celle-ci doit être confortée dans le cadre de la PAC, sinon on en restera au stade des bonnes intentions : les assureurs ne pourront pas ou ne voudront pas jouer le jeu !