M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les textes consensuels dans notre assemblée sont suffisamment rares pour être salués : c’est bien l’un d’eux que nous examinons aujourd’hui.

Cette proposition de loi est, en effet, le fruit d’un travail remarquable du Sénat auquel toutes ses composantes ont participé.

Cela a déjà été rappelé, dès l’examen de la loi pénitentiaire, Nicolas About et Jean-Jacques Hyest avaient souligné la nécessité de mettre en place un groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions. Ce groupe de travail, dont la présente proposition de loi reprend les recommandations, a été animé conjointement par la commission des affaires sociales et la commission des lois. L’occasion m’est ici donnée de saluer l’excellent travail de nos collègues Jean-Pierre Michel, Gilbert Barbier, Christiane Demontès et Jean-René Lecerf.

L’article 122-1 du nouveau code pénal a établi une distinction entre l’abolition du discernement et son altération. Dans le premier cas, la personne ayant commis une infraction est déclarée irresponsable ; dans le second cas, elle est pénalement responsable, donc punissable.

Cependant, si le facteur d’altération du discernement n’emporte pas l’irresponsabilité, il implique, dans l’esprit du législateur, une atténuation de la responsabilité pénale. Or tel n’est pas le cas dans la jurisprudence. C’est même le contraire qui s’observe puisque l’altération du discernement conduit parfois, en particulier aux assises, à une aggravation de la peine prononcée. C’est ce qui ressort des travaux conduits par le groupe de travail sénatorial.

Pour remédier à cet état de fait, la principale disposition de la proposition de loi est d’inscrire explicitement dans la loi que la peine privative de liberté est réduite du tiers en cas d’altération du discernement au moment de l’accomplissement de l’infraction, et ce en contrepartie d’un renforcement des obligations de soins pendant et après l’exécution de la peine.

Je veux, à ce stade, faire un commentaire d’importance : la présente proposition de loi ne doit en aucun cas être interprétée comme l’expression d’une défiance du pouvoir législatif à l’égard de l’autorité judiciaire. Cette défiance, la magistrature la ressent aujourd’hui parfois vivement dans une ambiance que certains textes et projets – mesures sur les peines planchers de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, introduction des jurys populaires en correctionnelle – tendent à entretenir.

Mais ici, rien de tel, car nous avons affaire à un texte équilibré. Il ne réduit pas le pouvoir d’appréciation du juge : une peine encourue de trente ans sera ramenée à vingt ans pour les malades mentaux comme elle l’est à quinze ans pour les mineurs.

Dans la limite de ce plafond, le juge décidera de la durée de la peine la plus appropriée.

Si l’équilibre des pouvoirs n’est donc pas l’enjeu principal de cette proposition de loi, celle-ci en soulève un autre, de non moindre importance.

Le rapport du groupe de travail sur la prise en charge des malades mentaux ayant commis des infractions fait état d’un chiffre plus qu’alarmant, qui a déjà été cité : 10 % des détenus actuels souffrent d’une altération mentale ; et encore, il ne s’agit pas de tous les détenus malades, mais d’une estimation du nombre de ceux qui sont spécifiquement concernés par le texte qui nous occupe, c’est-à-dire les détenus atteints de troubles mentaux tels que, pour eux, la peine n’a aucun sens.

Ce constat revêt une extrême gravité, parce qu’il signifie tout simplement que nous peinons à concrétiser le principe de base sur lequel se fonde tout notre droit pénal, depuis Beccaria jusqu’à Marc Ancel, la summa divisio entre personnes responsables et personnes irresponsables. Pourquoi peinons-nous à le faire ? À l’origine, ce n’est pas une question de droit, mais une question de moyens. Les travaux de la Haute Assemblée l’ont bien montré, les services médico-psychologiques régionaux sont souvent insuffisants et le manque de psychiatres rend difficile la prise en charge des malades mentaux : c’est le problème, que nous connaissons bien, de la démographie médicale, abordé sous l’angle de la justice pénale. La conséquence en est que, faute de pouvoir soigner, on incarcère ! Cette situation n’est pas acceptable ; elle l’est d’autant moins que la justice, elle aussi, manque de moyens. La loi pénitentiaire ne l’a que trop montré !

Nous voici donc dans la configuration de l’aveugle et du paralytique, à la confluence de la justice et de la santé, face à deux administrations qui, faute de moyens opérationnels suffisants, sont contraintes, si vous me permettez cette image, de se « renvoyer la balle ». Pour y remédier on appelle le législateur à la rescousse : hier, avec la loi pénitentiaire ; aujourd’hui, avec la présente proposition de loi ; demain, avec la réforme de l’hospitalisation d’office. Mais, nous le savons bien, l’intervention du législateur a ses limites. En effet, s’il peut toujours légiférer, le législateur ne réglera pas le problème tant que les moyens médicaux manqueront et que le système judiciaire sera tenu de supporter, tant bien que mal et plutôt mal que bien, une charge qui ne devrait pas lui revenir.

C’est sur ce point clef, madame la secrétaire d’État, que le groupe Union centriste tenait à attirer votre attention, avant de s’apprêter à voter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, de lUMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos collègues Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès, qui ont pris une initiative heureuse en déposant cette proposition de loi, poursuivant le travail de réflexion engagé avec Jean-Pierre Michel sur le problème de la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux.

C’est l’honneur du Parlement de mettre en lumière un dossier difficile, peu médiatique, qui touche quantité de familles françaises. Il est aussi symbolique de noter que les dix-huit lois dont nous avons débattu en matière pénale depuis huit ans ont sciemment jeté un voile sur cette question, à l’exception de la loi du 25 février 2008, qui ne s’est préoccupée, dans ce domaine, que de rendre plus difficile la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux. Je pourrais ainsi résumer cette attitude : « Cachez en prison ces malades que nous ne voulons pas voir ! »

Le législateur de 1810 avait, à l’article 64 du code pénal, reconnu l’irresponsabilité pénale en cas d’état de démence au moment des faits. Ce système était trop manichéen et plusieurs améliorations successives ont permis de faire évoluer l’application de la sanction : avec l’introduction des circonstances atténuantes en 1824 et 1832 ; avec la jurisprudence de la Cour de cassation posant, en 1885, le principe de l’atténuation des peines en cas d’altération du discernement ; avec la circulaire Chaumié de 1905 étendant ce principe aux personnes reconnues responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental.

La notion de démence ne prenant pas en compte l’ensemble des troubles mentaux modifiant le comportement, le législateur, en 1992, a distingué, à l’article 122-1 du nouveau code pénal, l’irresponsabilité découlant de l’abolition du discernement en raison du trouble mental et l’atténuation de la responsabilité en raison de l’existence d’un trouble mental altérant le discernement ou entravant le contrôle des actes.

Nous savons tous que l’application de cet article 122-1, qui a maintenant vingt ans, a posé de nombreux problèmes. Tout d’abord, on relèvera que l’abolition du discernement a été rarement reconnue, pas davantage que la démence. L’analyse de la jurisprudence, confirmée par les auditions des magistrats et des avocats, permet de constater, selon l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Michel, que « l’altération du discernement représente souvent un facteur d’aggravation de la peine », en particulier devant les cours d’assises, en raison des inquiétudes compréhensibles du jury. Celui-ci estime le plus souvent que, si la prison ne permet pas de soigner le condamné, la protection de la société prime et justifie de l’incarcérer le plus longtemps possible. Cette confusion de la dangerosité du délinquant et de la responsabilité pénale n’est pas souhaitable ni sur la forme ni sur le fond.

Il faut avoir vécu des audiences de cour d’assises – en présence, de surcroît, des victimes ou des familles de victimes justement éplorées – pour se rendre compte que, plus l’acte commis est grave, plus la notion de personnalisation de la peine s’estompe par rapport au spectre de la récidive. Cette tendance paraît d’autant plus évidente, depuis un quart de siècle, avec le tirage au sort total des jurés sans présélection et, surtout, le développement du discours sécuritaire. Les magistrats français ne sont pas laxistes, loin s’en faut, mais ils doivent souvent freiner des jurés formés par les journaux télévisés à la répression primaire.

À ce niveau du débat et après avoir parcouru attentivement le rapport, notamment les observations incluses de Jean-Pierre Michel et du président Jean-Jacques Hyest rappelant que des personnes sont condamnées à de lourdes peines de prison « afin de protéger la société alors que leur place est en établissement psychiatrique », il est clair que, devant les cours d’assises, les réactions des jurés populaires sont pour beaucoup à l’origine de ces dérives.

Face à un tel constat, n’est-il pas déraisonnable d’avoir le projet d’introduire des jurés populaires devant les tribunaux correctionnels ? Nous aurons certainement l’occasion de reparler de cette question… L’utilisation de la justice et des problèmes de délinquance à des fins médiatiques et électorales n’est jamais opportune ! De la même façon, le rapport note très justement que l’expertise psychiatrique n’est pas obligatoire en matière délictuelle et qu’elle est le plus souvent inexistante dans les toujours plus nombreuses procédures d’urgence.

Prison et troubles mentaux relèvent de deux problématiques différentes auxquelles notre société est confrontée : il y a, d’une part, les troubles mentaux qui ont un rôle dans la commission de l’infraction et/ou dans l’appréciation de la peine et, d’autre part, la prison elle-même comme facteur de déclenchement des troubles mentaux préexistants ou nouveaux – je pense en particulier aux addictions. Malheureusement, l’incarcération est aujourd’hui davantage un moyen de mise à l’écart de la société qu’un moyen de réinsertion et de lutte contre la récidive.

La proposition de loi qui nous est soumise constitue donc un pas positif afin d’améliorer la situation en remédiant à certains errements actuels. La modification de l’article 122-1 du code pénal et la réduction d’un tiers de la peine privative de liberté encourue sont autant de signes à destination des juridictions, qui conserveront néanmoins un large pouvoir d’appréciation. Certes, on peut s’interroger sur le fait que l’altération du discernement n’est pas toujours significative d’une perte de conscience de la gravité du comportement, encore plus lorsqu’elle est la conséquence de conduites addictives. Mais, d’une manière générale, il n’est pas sain que la reconnaissance de l’altération du discernement entraîne l’augmentation de la durée d’emprisonnement.

Enfin, cette proposition de loi conforte l’obligation de soins et sanctionne son refus. Nous y sommes favorables. Ce dernier point nous entraîne vers une autre question fondamentale, au niveau tant de la réalisation des expertises judiciaires que des soins en détention ou du suivi postérieur de l’obligation de soins : la question de la présence du psychiatre. D’où notre inquiétude face à l’insuffisance du nombre de psychiatres, à la désertification de nombre de territoires à ce niveau et à la diminution des lits de psychiatrie. Oui, la France manque globalement de psychiatres et ces derniers ont tendance à se regrouper autour des centres hospitaliers universitaires et dans le sud du pays ! Or nous connaissons le travail considérable accompli par les équipes psychiatriques, en particulier dans les plus petites maisons d’arrêt : il permet de limiter le nombre de suicides et de favoriser les soins et la réinsertion. La création de dix-sept unités d’unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, ne permettra pas de faire face à la diversité des problématiques présentées par tous les détenus. Pas de psychiatres, pas d’expertises, pas de soins, tel est donc l’enjeu des prochaines années !

En conclusion, j’annonce que nous voterons unanimement cette proposition de loi, qui constitue incontestablement un progrès mais en appelle d’autres ; c’est une question tant de sécurité que d’humanité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite au rapport « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », établi par le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires sociales. Je tiens d’ailleurs à remercier aujourd’hui notre collègue Nicolas About – dont je salue la remplaçante –, alors président de la commission des affaires sociales, et notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils avaient en effet souhaité tous les deux qu’un groupe de travail soit constitué, forts du constat que se trouvent aujourd’hui en prison des personnes à qui l’incarcération ne sert à rien, car elles ont besoin de soins, ce que la prison ne permet pas, ou très rarement.

À l’issue de ses travaux ce groupe de travail avait formulé un certain nombre de propositions d’ordre législatif. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en reprend certaines.

Si, dans son article 64, le code pénal de 1810 posait le principe d’irresponsabilité pénale du « dément », le nouveau code pénal de 1993 a instauré un distinguo entre abolition et altération du discernement en raison d’un trouble mental. Ainsi, selon l’article 122-1 du nouveau code pénal, dans le premier cas, la personne n’est pas considérée comme « pénalement responsable », alors que, dans le second, elle « demeure punissable ». Il est clair que, dans l’esprit du législateur, l’altération du discernement en raison d’un trouble mental a été pensée comme une cause d’atténuation de la responsabilité. La rédaction de l’article 122-1 du code pénal dispose que, dans ce cas, lorsque la juridiction fixe la durée et les modalités de la peine, la personne punissable bénéficie d’un régime spécifique. Une réduction de peine devrait donc en découler. Or force est de constater, notamment à la lecture des auditions du groupe de travail, que tel n’a pas été le cas.

En effet, nous pouvons observer que, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale est bien souvent perçue et gérée comme un facteur de dangerosité supplémentaire qui nécessiterait une détention prolongée. De fait, l’altération du discernement est devenue un facteur d’aggravation de la peine, allongeant la durée d’emprisonnement des personnes atteintes de troubles mentaux.

Contrairement aux idées reçues et bien que les statistiques soient fragmentaires, si le nombre de non-lieux a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 est restée stable, elle représente environ 5 % du total. Il n’est donc pas démontré que l’évolution du cadre juridique ait provoqué une diminution du nombre de reconnaissances d’irresponsabilité pénale. En revanche, de l’avis concordant de magistrats et d’experts, l’altération du discernement, conçue par le législateur comme une cause d’atténuation de la responsabilité, a constitué en pratique, et paradoxalement, un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement.

Par ailleurs, selon une enquête épidémiologique menée entre 2003 et 2004, la proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves, pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale – les précédents orateurs l’ont déjà dit. Aujourd’hui, les établissements pénitentiaires connaissent de grandes difficultés pour gérer des situations qui cristallisent les contradictions entre une logique de soins et une logique répressive.

Cette situation ne peut que heurter nos principes humanistes. Elle contrevient à l’éthique médicale car les prisons ne sont pas des lieux de soins. Elle contrevient aux exigences de sécurité et, comme nous l’avons vu précédemment, à l’esprit de la loi et à nos valeurs démocratiques.

Il nous est donc apparu indispensable de rompre avec cette logique pour procéder à la réécriture de l’article L 122-1 du code pénal afin, dans une rédaction plus explicite, de mieux concilier réponse pénale et prise en charge sanitaire.

Ainsi l’article 1er de notre proposition de loi prévoit-il que, dans le cas d’une peine privative de liberté prononcée à l’encontre d’une personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement, la peine encourue est réduite du tiers.

La juridiction devra donc, dans cette limite, fixer la durée de la peine, étant entendu que la personne est souffrante et que, plus cet état est important, plus la prise en charge médicale s’avère préférable à une incarcération.

De plus, dans le cas où un sursis avec mise à l’épreuve a été prononcé pour tout ou partie de la peine, sauf avis médical contraire ou décision contraire de la juridiction, cette peine doit être accompagnée d’une obligation de soins telle que prévue par l’alinéa 3 de l’article 132-45 du code pénal.

Quant à l’article 2 de la proposition de loi, il tend à compléter le troisième alinéa de l’article 721 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines, en donnant à la juridiction la liberté de retirer une partie des réductions de peines lorsque la personne refuse les soins qui lui sont proposés.

Cette logique est aussi reprise dans les modifications apportées à l’article 721-1 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines en cas d’effort sérieux de réadaptation sociale.

La rédaction de l’article 3 de la proposition de loi s’inscrit dans cette même exigence de soins. Ainsi, un nouvel article, relatif aux mesures de sûreté, est introduit dans le code de procédure pénale, laissant la possibilité à la juridiction de prononcer une obligation de soins durant la période comprise entre la date de la libération et le terme de la peine encourue.

Avec ce texte, la loi est désormais précisée. Néanmoins, au-delà, se pose la question des moyens dont se dote notre société pour faire face à ces défis.

À ce titre, notre collègue Jean-Pierre Michel, tout comme d’ailleurs Jean-René Lecerf et l’ensemble du groupe de travail, insiste sur divers points dans son rapport.

Je pense notamment à la prise en charge médicale que nécessitent ces personnes. Elle ne peut se faire que dans le cadre d’un renforcement de l’organisation de la psychiatrie, laquelle doit permettre de garantir le lien entre obtention de réductions de peines et suivi sanitaire via un placement systématique dans des établissements pénitentiaires disposant d’un service médico-psychologique régional. Or ces services doivent être notoirement renforcés en personnels et plus équitablement répartis sur le territoire.

De même, comment ignorer que la justice éprouve les plus grandes difficultés à trouver des experts psychiatres qui apprécient l’abolition ou l’altération du discernement de la personne mise en examen au moment des faits commis et éclairent les juges ?

Demain, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, restera-t-il suffisamment de praticiens pour s’occuper, soit en milieu carcéral, soit en milieu hospitalier, de ceux dont la responsabilité pénale sera modulée en fonction de l’altération ou de l’abolition de leur discernement ?

Nous nous devons d’apporter des réponses. C’est dans cette logique que nous avons notamment proposé, dans notre rapport, d’envisager la construction de services médico-psychologiques régionaux supplémentaires dans les maisons centrales et de choisir les implantations des futurs établissements pénitentiaires en tenant compte de la démographie médicale, notamment en psychiatrie.

Je n’entrerai pas dans le débat que Jean-René Lecerf a introduit sur les objectifs des Unités hospitalières spécialement aménagées et que nous avons déjà eu au sein du groupe de travail – quel public, détenus ou non détenus, et quels troubles doivent-être concernés ? Même s’il est difficile de se prononcer sur ces structures, dont la première n’a été inaugurée que le 18 mai dernier à Lyon, il nous semble important d’établir des statistiques précises sur le profil des détenus accueillis afin de permettre une évaluation régulière de ces unités.

Madame la secrétaire d’État, bien que l’ayant écoutée avec beaucoup d’attention, je n’ai pas bien compris l’argumentation justifiant votre opposition à cette proposition de loi, qui, d’après ce que j’ai cru comprendre, sera votée par l’ensemble de notre assemblée.

J’espère que nous pourrons débattre de la prise en charge des personnes victimes de troubles psychiques à l’occasion de l’examen d’un prochain texte de loi sur la psychiatrie, un texte systématiquement annoncé et sans cesse reporté !

Effectivement, et j’en terminerai sur ce point, nous nous devons d’apporter des réponses médicales à ces détenus souffrant de troubles mentaux. À défaut, le sens même de la peine s’en trouverait perverti, l’objectif de réinsertion abandonné et notre système pénitentiaire mis en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec plaisir que j’interviens aujourd’hui devant vous, au sujet de cette proposition de loi consistant à atténuer la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits qui leur sont reprochés.

En effet, vous n’êtes pas sans savoir à quel point les questions pénitentiaires sont au centre de mes préoccupations.

Je me permets de rappeler brièvement que, lors du débat sur la loi pénitentiaire, adoptée le 24 novembre 2009, je n’avais eu de cesse de dénoncer les atteintes graves faites aux droits des personnes détenues, voire, dans certains cas, la négation totale de leurs libertés fondamentales.

Les sénateurs Verts n’avaient d’ailleurs pas voté cette loi, qui semblait assez insatisfaisante, en dépit de tous les amendements adoptés dans ce cadre. Ceux-ci visaient, pour l’essentiel, à renforcer les droits des détenus, à rendre les dispositions du droit français conformes aux exigences communautaires et à reconnaître la dignité de la personne détenue.

J’ai par ailleurs rappelé, à l’occasion du débat sur l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois qui s’est tenu voilà deux semaines, que le Gouvernement n’avait encore pris pratiquement aucune des mesures réglementaires prévues par la loi pénitentiaire, ce qui privait finalement cette loi de toute efficacité.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit dans la ligne directrice de la vision progressiste du droit pénitentiaire partagée par les sénateurs d’Europe Écologie.

Il est en effet nécessaire de débattre de la question des détenus atteints de troubles mentaux et de l’atténuation souhaitable de la responsabilité pénale de ceux dont le discernement a pu être altéré, au moment des faits, par ces troubles.

Ce texte a pour point de départ ce constat inquiétant : près de 10 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques très graves ! Dès lors la peine privative de liberté, telle qu’elle a été définie dans le cadre de la loi pénitentiaire précitée, ne signifie rien pour ces personnes.

En effet, selon cette loi du 24 novembre 2009, « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».

Je reviendrai, ici, sur les trois points qui, dans les cas des personnes atteintes de troubles mentaux, ne semblent pas atteindre les objectifs légaux actuels : la sanction du condamné, l’insertion et la réinsertion de la personne détenue, la prévention de la récidive.

S’agissant de la sanction du condamné, nous pouvons légitimement douter qu’une personne atteinte d’une pathologie psychiatrique lourde ayant altéré son discernement au moment des faits puisse trouver en une peine d’enfermement dans un établissement pénitentiaire traditionnel une sanction adaptée à sa situation.

Ce point est d’ailleurs rappelé dans le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, qui prévoit que les personnes dont le discernement était aboli au moment des faits sont irresponsables pénalement.

S’agissant de l’insertion et de la réinsertion de la personne détenue, cet objectif, inhérent à l’exécution de la peine, nécessite que l’auteur des faits ait pris conscience des motifs justifiant sa condamnation, ce qui est impossible dans le cas des personnes atteintes de troubles mentaux lourds.

S’agissant, enfin, de la prévention de nouvelles infractions et de la lutte contre la récidive, le but semble plus difficile à atteindre quand la personne est malade et que ses pathologies risquent d’empirer en prison, le milieu carcéral n’étant pas un lieu de soins. Si l’on ne peut que saluer les progrès de la prise en charge médicale en prison, des études ont néanmoins montré que la détention carcérale pouvait aggraver les pathologies, voire en susciter.

Au-delà de ces trois raisons, liées à un régime d’exécution de la peine inadapté aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, il est important de souligner la situation choquante créée par la mauvaise application du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal.

Cet alinéa traite du cas des personnes dont le discernement n’était qu’altéré lors de la commission de l’infraction. Pour mémoire, le premier alinéa, que j’ai déjà cité, était relatif à l’abolition du discernement au moment des faits, entraînant l’irresponsabilité pénale.

Selon les dispositions de ce deuxième alinéa, les intéressés restent punissables, mais bénéficient d’un régime particulier quant à la fixation par la juridiction de la durée et des modalités de la peine.

Comme M. Jean-Pierre Michel le souligne à juste titre, dans son dernier rapport, cette disposition devrait conduire à une réduction de peine. Or – c’est regrettable – il en va différemment en pratique, la maladie mentale étant, dans la plupart des cas, un facteur aggravant, un « indice de dangerosité supplémentaire » justifiant « une détention prolongée », et ce plus particulièrement pour les jurys d’assises.

Ainsi on s’éloigne de l’esprit du législateur et, dans le même temps, on accroît la présence de personnes atteintes de troubles psychiques et psychiatriques en prison.

À cette occasion d’ailleurs, permettez-moi de m’élever contre votre position, madame la secrétaire d’État, car vous exprimez une nouvelle défiance envers le juge et son pouvoir d’appréciation, et remettez en cause le principe d’individualisation.

Quant à moi, je suis favorable au fait de réduire du tiers la peine privative de liberté encourue et d’encourager les peines alternatives à l’enfermement, notamment le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine assortie de soins, après avis médical.

Dans un seul souci de lutte contre les récidives, il est également souhaitable que le juge de l’application des peines, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées dans ce second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, puisse ordonner une obligation de soins.

Je souhaite toutefois apporter une réserve quant aux mesures de sûreté applicables après la libération, telles qu’elles sont prévues à l’article 3 de cette proposition de loi.

Les modifications apportées par cet article entraînent de fait l’application de l’article 706-139 du code de procédure pénal, qui dispose que « la méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues [par l’article 706-136] est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ».

Cela signifie que les personnes concernées par le deuxième alinéa de l’article 122-1 du code pénal, à savoir celles dont le discernement a été altéré par des troubles mentaux au moment des faits, risquent de retourner en prison après leur libération si elles ne respectent pas les mesures de sûreté imposées par le juge... C’est un cercle sans fin !

J’ai pris bonne note de l’obligation de soins accompagnant ces mesures, mais je me questionne sur le caractère opportun de cette possibilité d’une nouvelle incarcération, qui ne me semble pas être de nature à œuvrer en faveur de la guérison des personnes atteintes de troubles mentaux et de pathologies psychiatriques.

Enfin, je tiens à rappeler le Gouvernement à ses responsabilités et à attirer son attention sur l’effectivité de l’application de ces mesures. Il ne s’agit pas de légiférer à chaque fait divers ! Il est indispensable que tous les moyens soient donnés à la justice pour une efficacité de ces dispositions.

Vous n’êtes pas sans savoir, madame la secrétaire d’État, quelles sont les conditions difficiles dans lesquelles travaillent le personnel pénitentiaire et le personnel soignant. Il est temps que ces services disposent enfin des moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation de la lourde tâche qui leur est confiée.

À ce sujet, j’espère que le programme de construction des Unités hospitalières spécialement aménagées sera à la hauteur de ces ambitions et n’aura pas à souffrir d’un retard dans sa mise en place.

L’objectif à venir doit donc être triple : proposer des mesures plus adaptées aux auteurs d’infractions souffrant de troubles psychologiques ; prévenir l’aggravation des troubles mentaux en prison ; améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire et soignant intervenant en milieu carcéral.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs Verts sont favorables à cette proposition de loi, à laquelle ils apportent tout leur soutien !

Je voterai donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)