M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette action pose problème à certains, parce que ces discriminations sont avérées et qu’ils ne veulent pas l’entendre !

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est vous qui ne voulez rien entendre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quant à la CNDS, que j’ai saisie moi-même à moult reprises au sujet de gardes à vue qui se sont très mal passées à Paris, son utilité n’a cessé d’être démontrée : 97 saisines en 2004, 228 en 2009, conséquences d’une politique du chiffre et d’un jusqu’au-boutisme sécuritaire, qui a des effets très négatifs sur les forces de police.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous continuerons, dans ce débat, à vous demander d’entendre raison et de ne pas fondre les autorités existantes dans une structure très lourde et centralisée. Si nous n’obtenons pas gain de cause, nous défendrons des amendements de repli destinés à retreindre la dépendance du Défenseur des droits à l’égard du pouvoir politique et à instaurer un peu de démocratie en son sein. Il paraît logique d’accroître les pouvoirs de cette nouvelle institution, mais cet accroissement exige, concernant les adjoints et les collèges, un mode de désignation et des pouvoirs différents de ceux qui sont inscrits dans le projet de loi organique. En particulier, ses membres devraient se voir reconnaître la possibilité de procéder à des visites véritablement inopinées.

Le Président de la République veut en finir avec les contre-pouvoirs…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non ! C’est l’inverse !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il met sous tutelle les médias, la justice, et maintenant des autorités administratives indépendantes. Le parallèle existant entre la tendance lourde des lois sécuritaires, des lois de stigmatisation des étrangers et un repli frileux quant au contrôle du respect des droits et libertés par les institutions est pour le moins troublant, ou trop significatif ! Pour nous, il est évident !

Le combat pour les droits est exigeant : il doit être mené sans équivoque et ceux qui s’en préoccupent doivent être totalement détachés du pouvoir exécutif.

Pour toutes ces raisons, en l’état des projets de loi que nous examinons, les membres du groupe CRC-SPG voteront contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry. (M. Hervé Maurey applaudit.)

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous franchissons une étape supplémentaire dans la mise en œuvre des nouvelles réformes issues de la dernière révision constitutionnelle. Ce texte, en effet, rassemble quelques-unes des dispositions législatives d’application de la révision de 2008 non encore adoptées par le Parlement.

Je me félicite, d’ailleurs, que le Gouvernement ait enfin déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale les deux derniers textes d’application de cette révision : celui qui est relatif au référendum d’initiative populaire et celui qui concerne la responsabilité du chef de l’État.

Je souhaite que nous puissions examiner prochainement l’ensemble de ces textes, car la loi constitutionnelle dont ils découlent date, il faut le rappeler, de juillet 2008 !

M. Jean-Pierre Raffarin. Si vous l’aviez votée, cela aurait été plus vite !

M. Jean-Paul Amoudry. L’article 71-1 de la Constitution, résultant de la loi constitutionnelle susvisée, crée un Défenseur des droits, auquel toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public pourra adresser une réclamation.

Le Défenseur des droits prend la suite d’une institution créée en 1973 et dont l’importance n’a jamais cessé de croître depuis : le Médiateur de la République. Il est aujourd’hui incontestable que ce dernier a contribué à l’amélioration des relations entre l’administration et les citoyens. Il importe de rappeler et de souligner cette réussite, plus généralement la popularité de cette institution, pour mieux mesurer l’importance de celle qui doit la remplacer, d’autant que le Défenseur des droits a vocation à couvrir un champ de compétences beaucoup plus large que celui du Médiateur de la République. Le Défenseur des droits disposera, en effet, des prérogatives actuellement dévolues à la Commission nationale de déontologie de la sécurité, au Défenseur des enfants et à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

En 2008, le constituant a donc voulu assurer le regroupement d’autorités administratives indépendantes aux missions voisines. Ce choix vise à consolider les missions de ces dernières en les confiant à une seule autorité constitutionnelle, dotée de pouvoirs renforcés.

Le Parlement a continué sur cette voie, allant plus loin que ce que prévoyait le texte déposé initialement par le Gouvernement, puisque le Sénat avait, en première lecture, intégré la HALDE au périmètre du Défenseur des droits.

Puis l’Assemblée nationale a franchi une étape supplémentaire en suivant les propositions de son rapporteur et en étendant les missions du Défenseur des droits au contrôle des lieux de privation de liberté. Ainsi, le texte voté à l’Assemblée nationale prévoyait l’intégration dans le champ de compétences du Défenseur des droits du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à compter du 1er juillet 2014.

En première lecture, la commission des lois du Sénat avait envisagé une telle intégration, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur tout à l’heure. Mais, après un examen très approfondi de cette question, nous avons considéré qu’une telle mesure ne pourrait être décidée qu’au regard du premier bilan d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il faut rappeler que cette autorité est apparue très récemment – elle a été créée par une loi de 2007 – et n’est réellement installée que depuis le mois de juin 2008.

De plus, la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’inscrit avant tout dans une démarche de contrôle et de prévention, au moyen de nombreuses visites sur place. Elle se distingue donc par sa nature de celle du Défenseur des droits, lequel, comme sa dénomination l’indique, a d’abord vocation à défendre les droits de nos concitoyens.

Autrement dit, sur le fond, cette intégration n’est peut-être pas une bonne idée.

Quoi qu’il en soit, sur la forme, il s’agit sûrement d’une mauvaise idée. En effet, décider aujourd’hui d’une intégration qui ne prendrait effet que dans trois ans affaiblirait sans nul doute largement le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Nous nous félicitons donc de l’initiative de M. le rapporteur suivie par la commission des lois et visant à maintenir un Contrôleur général des lieux de privation de liberté indépendant du Défenseur des droits. J’espère que les arguments présentés par le Sénat sur ce sujet sauront convaincre l’Assemblée nationale.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je n’en suis pas certain…

M. Jean-Paul Amoudry. Concernant le Défenseur des enfants, une large majorité des membres du groupe de l’Union centriste sont favorables à l’organisation qui a été retenue dans le texte établi par la commission.

Il était indispensable de maintenir un Défenseur des enfants dénommé comme tel, pour des raisons évidentes d’identification. Enfin, le rattachement de ce dernier au Défenseur des droits lui sera favorable, puisqu’il bénéficiera ainsi de moyens d’action renforcés.

Au-delà, c’est l’ensemble des adjoints du Défenseur qui ont vu leurs prérogatives confortées par les travaux de la commission des lois : ils disposeront ainsi de moyens à la hauteur de leurs missions.

À l’Assemblée nationale, la première lecture du projet de loi a été marquée par le dépôt de plusieurs amendements gouvernementaux relatifs à la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Le garde des sceaux a expliqué qu’il s’agissait de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, ces amendements font suite à un arrêt rendu par le Conseil d’État le 6 novembre 2009 annulant deux décisions de sanction de la CNIL sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur la forme, et à l’évidence, ces amendements peuvent être perçus comme des cavaliers législatifs.

Néanmoins, l’urgence de la situation, elle, ne fait aucun doute. L’adoption de ces dispositions est donc indispensable, car l’activité de la CNIL est, depuis plusieurs mois déjà – ce point a été souligné –, largement contrariée par l’absence de base législative, conséquence de cette jurisprudence récente.

Enfin, se démarquant des objectifs précités, l’un des amendements gouvernementaux vise à créer une incompatibilité entre la fonction de président de la CNIL et toute autre activité professionnelle, ainsi que tout mandat électif. Ce point a fait l’objet d’un large débat en commission, bien qu’étant fort étranger à la question du Défenseur des droits et que, en l’espèce, il ne s’agisse pas de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme…

Autrement dit, si les premiers amendements relatifs à la CNIL ont pour justificatif l’urgence de la situation, le même argument n’est pas recevable pour la présidence de la CNIL.

Sur le fond, la question posée est réelle : l’augmentation constante des missions et de la charge de travail de la CNIL et de sa présidence ne rend-elle pas cette fonction incompatible avec toute autre activité ? Notre ancien collègue Alex Türk l’a reconnu lors de la dernière réunion de la commission des lois.

Cela étant, je rappelle de nouveau l’absence d’urgence que revêt cette question. Par ailleurs, je me permets d’insister sur le fait que cette problématique n’est peut-être pas limitée à la CNIL…

Aussi, si une réflexion doit être engagée, elle devrait l’être de manière globale et prendre en compte l’ensemble des autorités administratives indépendantes. Pourquoi ne pas prévoir une présence parlementaire en leur sein ? Il serait regrettable que l’on donne l’impression de stigmatiser le cas de la présidence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Au surplus, l’adoption en l’état de l’amendement gouvernemental en cause engendrerait une composition du collège de la CNIL non conforme à la définition qui en est donnée dans le texte fondant cette dernière.

Pour conclure, je salue l’excellent travail réalisé par M. le rapporteur, Patrice Gélard,…

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai !

M. Charles Revet. C’est un excellent rapporteur, un grand spécialiste !

M. Jean-Paul Amoudry. … qui a su proposer aux présents textes de mise en œuvre de la dernière révision constitutionnelle de nombreuses améliorations de fond, comme cela avait déjà été le cas en première lecture, et rétablir l’interprétation retenue par la Haute Assemblée, lorsque c’était nécessaire.

Dans ces conditions, la grande majorité des membres du groupe de l’Union centriste voteront pour l’adoption de ces textes. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ferai deux remarques en abordant l’examen de ces deux projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits.

D’une part, il est temps que les différentes réformes introduites par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 puissent entrer en vigueur, plus de deux ans et demi après cette révision.

Dans une société où les initiatives juridiques les plus audacieuses et les plus innovantes sont bien souvent présentées par les médias comme susceptibles de s’appliquer aussitôt annoncées et avant même que le Parlement n’ait eu la possibilité de s’en emparer, il apparaît indispensable, dans un souci de transparence à l’égard de l’opinion, d’accélérer quelque peu le rythme d’adoption des nécessaires lois organiques de mise en œuvre.

Ce n’est pas toujours chose aisée, j’en conviens, au vu de l’encombrement de l’ordre du jour des deux assemblées, d’autant qu’il importe, en ce domaine davantage encore que dans d’autres, de ne pas confondre vitesse et précipitation. Les nombreuses divergences qui demeurent au seuil de cette deuxième lecture entre l’Assemblée nationale et le Sénat illustrent tant l’importance et la complexité de la question qui nous est soumise que le nécessaire enrichissement devant être apporté à une réforme d’envergure.

D’autre part, l’occasion nous est offerte d’apprécier à sa juste mesure l’intérêt essentiel de la révision constitutionnelle, au risque de donner quelques regrets à ceux qui ne l’ont pas votée et qui ont failli – ils l’ont échappé de bien peu – devoir assumer la responsabilité de son échec.

Certes, bien des points auraient sans doute pu justifier d’autres choix, et il m’est à moi-même arrivé, aux côtés de mon collègue Jean-Pierre Michel, de recommander une évolution du statut du parquet en matière de nomination et de pouvoir disciplinaire. Nous n’avons pas su alors convaincre de la pertinence d’une telle proposition.

En revanche, nous nous rendons mieux compte chaque jour du bouleversement, pour ne pas dire du « big-bang », engendré, notamment en matière de libertés, par le foisonnement des questions prioritaires de constitutionnalité. Nous examinerons bientôt, par exemple, le projet de loi relatif à la garde à vue, pour lequel le compte à rebours de juillet 2011 a commencé à s’égrener.

J’espère que chacun gardera à l’esprit le formidable détonateur qu’ont constitué les questions prioritaires de constitutionnalité ; les exemples pourraient aisément être multipliés.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Jean-René Lecerf. Demain, sans doute, observerons-nous avec le même intérêt les conséquences de la saisine directe par le justiciable du Conseil supérieur de la magistrature et ses implications sur la réconciliation unanimement souhaitée et attendue des Français avec leur justice.

Il en ira de même du Défenseur des droits, de cet ombudsman à la française, nouvelle autorité constitutionnelle de protection des droits, dont les compétences, l’autorité, le statut, les collaborateurs garantiront l’effectivité du rôle qu’il jouera dans notre démocratie. Sur ce point encore, l’opinion aura quelques mérites à suivre attentivement nos travaux. Ainsi, le Médiateur de la République, qui aura certes contribué de manière exceptionnelle au rayonnement de cette institution, préside aujourd’hui le Conseil économique, social et environnemental ; la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a vu, en quelques mois, trois présidents se succéder à sa tête ; le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité souffrent sans doute d’une trop longue transition.

Mais je veux croire que nous touchons au but. Je tiens d’abord à assurer M. le rapporteur de notre gratitude pour le travail remarquable qu’il a accompli une fois de plus, travail auquel l’avait préparé le rapport, aussi exhaustif que passionnant, qu’il rédigea en 2005 pour l’Office parlementaire d’évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes.

L’une des questions essentielles qui demeure posée concerne le champ de compétence du Défenseur des droits.

Devant l’inflation du nombre des autorités administratives indépendantes, l’extrême diversité de leurs pouvoirs et de leurs moyens, et face au démantèlement de l’État qu’elles risquent parfois d’entraîner, la tentation peut être forte d’opérer des regroupements ambitieux et d’en espérer cohérence, efficacité et gestion moins dispendieuse des deniers publics. Encore faut-il veiller à ce que le Défenseur des droits ne se transforme pas, selon l’expression de M. Gélard, en dictateur des droits ayant tous les pouvoirs !

C’est avec beaucoup de sagesse que la commission des lois n’a pas souhaité intégrer à cette autorité nouvelle le Contrôleur général des lieux de privation de libertés. Cette institution est jeune ; elle doit en partie son indépendance au Sénat, qui avait introduit, avant que la Constitution ne l’impose, le recueil de l’avis des commissions des lois sur la personne pressentie par le chef de l’État pour être nommée.

M. Charles Revet. Eh oui, encore une fois c’est le Sénat !

M. Jean-René Lecerf. Cette autorité constitue un élément important, aux côtés de la loi pénitentiaire, dans le combat mené par le Parlement depuis les commissions d’enquête de 2000 pour que les prisons cessent à tout jamais d’être une humiliation ou une honte pour la République et deviennent, au contraire, un outil de réinsertion des personnes détenues.

Il est peu de cas, mes chers collègues, où une autorité nouvelle n’ait pas quelque peu déçu les espoirs qu’y placèrent ses fondateurs. C’est pourtant ce que réussit à éviter aujourd’hui Jean-Marie Delarue, de l’avis unanime des uns et des autres dans cet hémicycle. Laissons-lui, laissons à ses successeurs le temps d’accompagner des progrès qualitatifs, avant d’envisager éventuellement de nouveau le regroupement de cette autorité avec le Défenseur des droits.

Comme l’écrit M. le rapporteur, « comment, d’ailleurs, intégrer une institution qui n’intervient pas à titre principal sur saisine des personnes lésées dans leurs droits et dont la mission n’est pas seulement de défense des libertés individuelles, mais de contrôle et de prévention, une mission organisationnelle ? » Même dans un avenir plus lointain, aucun projet ne paraît donc inéluctable.

Nous aurons encore à traiter des modalités de nomination des adjoints, ainsi que du délicat problème des immunités et pouvoirs qui leur seront dévolus. En première lecture, la commission des lois avait souhaité la nomination par le Défenseur des droits de trois adjoints correspondant aux autorités administratives indépendantes qui lui étaient rattachées au-delà du Médiateur de la République, ainsi que la possibilité d’autres nominations pour prendre en charge des missions spécifiques. Elle avait précisé que ces choix seraient soumis à l’avis de la commission compétente de chaque assemblée.

L’Assemblée nationale s’est largement éloignée de ce schéma, au risque de brouiller dans la nouvelle institution le caractère propre et la sensibilité précieuse des anciennes autorités administratives indépendantes.

Il nous faudra trouver le chemin entre l’exigence du progrès dans la défense des droits et le respect des dispositions de l’article 71-1 de la Constitution qui ne prévoient pas expressément l’existence de ces adjoints.

Enfin, sans revenir sur les multiples améliorations introduites par le rapporteur, je souhaiterais simplement relativiser une critique récurrente de certains collègues de l’opposition sur l’indépendance, qui serait toute relative, d’un Défenseur des droits dont le Parlement ne peut s’opposer à la nomination qu’à une improbable majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions des lois.

D’une part, la révision constitutionnelle s’impose désormais à chacun d’entre nous.

D’autre part, et surtout, comment imaginer un seul instant qu’un candidat n’ayant pas recueilli la majorité simple, dont tant la crédibilité que la légitimité seraient ainsi atteintes, puisse politiquement être confirmé par le chef de l’État ?

J’ajoute que jusqu’à présent le Président de la République ne partageait en aucune manière son pouvoir de nomination, et je serais pourtant bien en peine de citer un seul exemple de Médiateur de la République qui n’ait pas fait de son indépendance sa principale ligne de conduite.

Aussi, mes chers collègues, les membres du groupe UMP apporteront tout leur soutien aux deux présents projets de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que les séances publiques se suivent et se ressemblent !

Après avoir discuté des atteintes liberticides du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2, nous sommes aujourd’hui réunis pour étudier les projets de loi, organique et ordinaire, relatifs au Défenseur des droits, qui marquent incontestablement un « recul des contre-pouvoirs », comme ont pu le souligner certains observateurs. (Exclamations sur le banc des commissions.)

Dans la série des atteintes à nos droits fondamentaux et libertés individuelles, la continuité sera malheureusement encore assurée avec la discussion générale sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

J’ai donc la sensation, à chaque fois que je me rends dans cet hémicycle, de venir assister à un recul du respect et de la protection des droits humains, tout en continuant de lutter inlassablement contre cette surenchère liberticide !

La réforme relative au Défenseur des droits, telle que prévue par le constituant le 23 juillet 2008, avait au moins le mérite d’inscrire cette institution dans la Constitution, ce qui ne peut qu’être salué comme un progrès de l’état de droit.

Toutefois, la satisfaction fut des plus brèves, puisque, comme je l’ai dénoncé avec force et vigueur en première lecture, le Gouvernement souhaite maintenant faire du Défenseur des droits une véritable holding administrative, en lui permettant d’absorber les missions du Médiateur de la République, de la CNDS, de la HALDE et du Défenseur des enfants. Une mise sous tutelle politique, en quelque sorte !

Je salue à ce sujet la vigilance de la commission, qui a su, mercredi dernier, refuser l’intégration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans l’institution.

Vous imaginez, mes chers collègues, à quel point je partageais, en tant qu’ancien membre du Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, l’argument défendu par la commission : le contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté constitue une mission bien trop spécifique pour accepter une telle absorption au sein du Défenseur des droits. De par sa mission de contrôle des prisons, des centres de rétention administrative, des locaux de garde à vue et de tout autre lieu d’enfermement, il est indispensable que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse conserver son indépendance.

J’estime qu’il en va de même des missions spécifiques exercées par la HALDE, le Défenseur des enfants et la CNDS. Cette dernière reste un outil de contrôle de la police et de l’administration pénitentiaire, dont l’action doit rassurer, et non inquiéter, notre société démocratique.

Vous aurez évidemment noté, mes chers collègues, que je ne conteste pas l’intégration du Médiateur de la République à la nouvelle institution constitutionnelle. Je réaffirme même que la constitutionnalisation d’une autorité chargée de défendre les droits des usagers de l’administration répond parfaitement à l’objectif d’assurer une protection renforcée des libertés et des droits fondamentaux de nos concitoyens.

Mais, j’y insiste, je suis opposée à l’absorption des trois autres autorités administratives indépendantes, aux compétences spécifiques.

Je m’étonne d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, que vous ignoriez à ce point les inquiétudes et les critiques – relayées par la presse – émanant de citoyens, d’associations, de juristes, d’universitaires spécialisés en libertés publiques et d’une partie des parlementaires.

Je pense notamment aux deux avis rendus par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, attirant l’attention du Gouvernement sur les risques d’atteintes à nos libertés qui résulteraient des présents projets de loi : l’avis sur le Défenseur des droits et ses annexes, datant du 4 février 2010, et l’avis, en date du 30 septembre 2010, sur le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits adopté par le Sénat au mois de juin 2010.

Dans ce dernier avis, la CNCDH « réitère […] sa recommandation du 4 février 2010 visant, à l’exception du Médiateur de la République qui deviendrait Défenseur des droits, au maintien des autorités existantes, qu’elles soient directement ou indirectement concernées par l’actuel projet de loi organique. Elle souhaite que le Défenseur des droits intervienne comme garant de l’indépendance de ces autorités et d’une meilleure interaction entre elles en favorisant une communauté de moyens, de projets et d’idées au service d’une défense efficace et effective des droits de l’homme. »

Monsieur le garde des sceaux, pourquoi donc solliciter l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme si, in fine, vous n’en tenez aucun compte ? Est-ce, encore une fois, pour nous donner l’illusion d’une prétendue concertation sur ces projets de loi ?

Nous pouvons ainsi constater le peu d’intérêt que vous portez aux autorités administratives indépendantes… C’est certainement pour cela que vous souhaitez, dans votre proposition contestable, en englober quatre dans le Défenseur des droits !

Mais personne n’est dupe, et vous ne faites que renforcer nos inquiétudes !

Tout comme la CNCDH, les sénateurs écologistes s’inquiètent de la perte de visibilité des autorités administratives indépendantes qui résulterait de la dilution des mandats de plusieurs d’entre elles au sein du Défenseur des droits.

Ce « méga-défenseur » que le Gouvernement souhaite créer devra, quant à lui, à la fois s’occuper des abus de l’administration, des bavures policières, des droits des enfants et de la lutte contre les discriminations. Ce « tout en un » surréaliste impliquera donc d’opérer des choix dans les causes à défendre. Faudra-t-il trouver une hiérarchie entre les discriminations ?

À ce sujet, je citerai de nouveau l’avis du 30 septembre 2010 de la CNCDH, qui indique, à juste titre, que « ces choix appelleront des arbitrages qui risqueront d’être dictés par des impératifs politiques ou médiatiques (l’émotion de l’opinion publique) non sans risque d’arbitraire. » Je rappellerai également, monsieur le garde des sceaux, que le gouvernement auquel vous appartenez nous habitue régulièrement à ce genre de pratiques consistant à surfer sur la vague de l’actualité et de l’émotionnel populaire !

Vous prévoyez de mettre en place une véritable « braderie » de nos droits fondamentaux et de nos libertés individuelles. Avez-vous l’intention de poursuivre pendant longtemps encore les soldes de nos droits ?

Selon le projet de loi organique, le Défenseur des droits, autorité indépendante, ne recevrait aucune instruction. Il est pourtant nommé en conseil des ministres, donc par le Président de la République !

Si une telle nomination est en vigueur dans certaines des autorités administratives indépendantes qu’il est prévu d’intégrer au Défenseur des droits, nous disposions, au moins, de plusieurs institutions, qui pouvaient avoir une vision différente dans l’approche et le traitement des dossiers.

En Espagne, le Défenseur du peuple est élu par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. En France, c’est l’inverse : le Parlement peut seulement bloquer la nomination par trois cinquièmes des voix au sein de la commission permanente concernée de chaque assemblée... Une procédure envisagée pour être tout à fait inutilisable !

Vous vous appliquez donc, monsieur le garde des sceaux, à accentuer le recul des contre-pouvoirs et à renforcer la toute puissance du Président de la République et du Gouvernement à travers ce Défenseur des droits, qui sera souverain.

Permettez-moi, en cet instant , de saluer le travail qui a pu être effectué par la HALDE, depuis sa création, en matière de lutte contre les discriminations directes ou indirectes, par le Défenseur des enfants, qui a toujours veillé à la protection et à l’effectivité des droits de ces derniers, par la CNDS, que j’ai saisie à plusieurs reprises, comme d’ailleurs un certain nombre de mes collègues, à la suite de suspicions de bavures policières.

Je ne peux donc que regretter le fait que ces autorités administratives indépendantes disparaissent, et je réitère mes inquiétudes et mon opposition à ce projet.

Enfin, je souhaite aborder la question des obstacles conventionnels et constitutionnels à l’absorption de ces autorités administratives indépendantes et, plus particulièrement, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

La HALDE trouve son origine dans la disposition d’une directive de l’Union européenne. L’article 13 de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique prévoit effectivement la mise en place par les États membres d’un ou plusieurs organismes chargés à l’échelon national, d’une part, de promouvoir l’égalité de traitement sans discrimination raciale ou ethnique et, d’autre part, d’assister individuellement les victimes de discriminations dans leurs procédures.

Or, comme l’ont souligné certains éminents juristes et universitaires, la directive susvisée contient une clause de stand still qui dispose que « la mise en œuvre de la […] directive ne peut justifier une régression par rapport à la situation existant dans chaque État membre ». Il n’est donc pas possible au législateur organique d’adopter des mesures qui seraient en retrait par rapport au dispositif issu de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Le droit de l’Union européenne produit en l’espèce un effet de « non-retour en arrière ».

Le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, en englobant les missions de la HALDE dans celles du Défenseur des droits, porte gravement atteinte à ce principe. Dès lors, il est incompatible avec les exigences communautaires et les engagements que nous avons pris à l’échelon européen.

Le Conseil constitutionnel ne manquera pas, je l’espère, de sanctionner cette absorption de la HALDE lors de son examen de la future loi organique relative au Défenseur des droits.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas ce texte, qui porte à la fois atteinte au droit européen, au respect et à l’effectivité des droits humains, à l’existence de contre-pouvoirs français indépendants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)