M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, je ne sais pas si vous lisez, comme je le fais chaque matin, la presse tunisienne. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.) Je vous le dis franchement et en toute sincérité, cela permet de mesurer quelle pente la France va devoir remonter après le naufrage diplomatique qu’elle a connu…

Madame la ministre, je m’entretiens chaque jour au téléphone avec des amis tunisiens, de Tunisie ou de France, qui me disent à quel point ils ont mal perçu l’attitude de la France, ainsi que certains propos sur la diplomatie française tenus par celui qui fut un temps ministre des affaires étrangères de Tunisie.

Dans une telle circonstance, il faut dire les choses. M. Jacques Blanc a eu raison de rappeler que le groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat a, le premier, dénoncé clairement la répression sanglante et barbare qui s’est abattue sur les manifestants tunisiens.

La première des choses que nous soyons maintenant en droit d’attendre, madame la ministre, c’est une révolution diplomatique. Il faut en finir avec certaines formes contournées du langage. Il a été fait allusion tout à l’heure aux déclarations officielles de la France. Mme Bariza Khiari faisait observer qu’il arrivait que l’on salue le « courage » des dictateurs qui s’en vont… Il ne serait pas mauvais de saluer aussi le courage des peuples qui osent relever la tête ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Au lendemain de la démission du secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, M. Ahmad Massa’deh, le porte-parole du Quai d’Orsay a fait la déclaration suivante : « Le porte-parole du ministre des affaires étrangères appelle tous les gouvernements et peuples de la Méditerranée à donner un nouvel élan afin que la Méditerranée cesse d’être un lieu de conflits, de violence et de tragédie et devienne un lieu de partage, de coopération, un espace de codéveloppement, de culture et de paix. »

Que peuvent penser les Tunisiens ou les Égyptiens d’un discours aussi amphigourique, emphatique, ampoulé ? On aimerait plutôt entendre un discours de vérité. On aimerait, madame la ministre, que la diplomatie française soit celle de la France de 1789, de la France de 1848, de la France de la Résistance, de la France de la décolonisation, de celle qui est toujours, parce qu’elle est la France, du côté des peuples qui se battent pour la liberté ! Cette France, on a vraiment besoin de l’entendre !

De même, on a besoin d’entendre clairement affirmer que le rempart contre l’islamisme radical, le fanatisme et l’intégrisme, c’est la démocratie et la laïcité, et non plus des régimes autoritaires. La France doit le dire avec beaucoup de force !

J’en viens maintenant à l’Union pour la Méditerranée.

Dès le début, il s’est agi d’une structure extrêmement complexe, qu’ont très bien décrite Bariza Khiari, Simon Sutour et Roland Courteau. De nombreux Maghrébins m’ont fait part de leur crainte de voir l’Europe se rééquilibrer vers le Nord et vers l’Est, au détriment du Sud. Il est vrai que, en associant quarante-trois pays au processus, on prenait le risque de l’immobilisme et de l’illisibilité.

Pierre Pascallon a déclaré que « force est bien de reconnaître qu’au terme de ce laborieux marchandage – dont l’Allemagne sort victorieuse –, le projet d’Union pour la Méditerranée perd quasiment toute sa substance ».

Dorothée Schmid, quant à elle, considère, un an après la mise en place de l’Union pour la Méditerranée, que « la mise en œuvre progresse de façon inégale. Les “autoroutes” sont au point mort, tandis que le reste des projets donne surtout lieu à des séminaires d’études. »

La question de la configuration de l’UPM doit être posée. Certes, le processus de Barcelone avait ses limites. On nous a dit qu’il ne suffisait pas et qu’il fallait faire mieux et plus, mais je m’interroge : ne sommes-nous pas moins avancés avec l’Union pour la Méditerranée telle qu’elle existe aujourd'hui qu’avec le processus de Barcelone, qui relevait d’une démarche concrète et pragmatique associant des pays du nord et du sud de la Méditerranée ?

À mon sens, il faut véritablement s’orienter vers une démarche plus pragmatique, articulée autour de projets concrets. Je connais des universitaires, par exemple en Tunisie, qui s’emploient à faire vivre l’Union pour la Méditerranée avec des collègues de différents pays. Or, madame la ministre, ils sont confrontés à un incroyable casse-tête et dépensent en vain une énergie considérable ! Il faudrait simplifier les choses, faire preuve de davantage de pragmatisme. Le budget de l’Union pour la Méditerranée ne prévoit que 1 million d’euros pour l’université, plus précisément pour une université euro-méditerranéenne située en Slovénie. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu !

Il me semble que nous irions beaucoup plus loin en misant sur la science, sur la recherche, sur des projets concrets, construits avec pragmatisme. Mais pour réussir, il faut d’abord être au côté de ces peuples qui, les mains nues, se battent pour la liberté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous soyons amenés à échanger sur ce beau sujet, tout à fait d’actualité, que l’ensemble des orateurs ont bien traité, selon des points de vue différents.

J’estime que, loin de remettre en cause l’UPM, les événements auxquels nous assistons en ce moment en Tunisie, en Égypte et dans l’ensemble du monde arabe confirment au contraire l’ardente obligation de consolider les liens entre les deux rives de la Méditerranée.

Comme le soulignait à juste titre Jacques Blanc, l’Union pour la Méditerranée doit nous aider à prendre en compte la nouvelle exigence d’une démocratie décomplexée, ancrée dans un islam modéré, rejetant toute agressivité à l’égard des anciens colonisateurs. Aujourd'hui, ces peuples se sentent fiers de ce qu’ils sont et veulent avoir leur mot à dire dans la construction du monde. Dans ce contexte, l’Union pour la Méditerranée est plus que jamais d’actualité !

Bien entendu, je n’ignore pas les difficultés que certains intervenants ont soulignées.

En particulier, il est vrai, monsieur Hue, que la situation au Proche-Orient pèse sur l’ensemble de la région, et donc sur l’UPM. Ainsi, les représentants de certains pays refusent de siéger aux côtés de certaines personnes. Quoi qu’il en soit, notre devoir est de faire avancer le processus de paix. L’Union pour la Méditerranée peut y contribuer, tout comme le déblocage de ce processus permettra à celle-ci de recommencer à progresser dans la voie de sa vocation initiale. Je me suis entretenue hier soir avec Mme Clinton au téléphone, afin d’envisager comment nous pourrions profiter de cette période qui peut être propice à un progrès vers la paix : la fenêtre qui s’est ouverte peut se refermer dès demain. Le déblocage du processus de paix est ainsi un de mes principaux axes de travail. Je me suis rendue au Proche-Orient voilà trois semaines et j’ai des contacts très réguliers avec le Premier ministre Salam Fayyad, qui est d’ailleurs venu déjeuner au ministère la semaine dernière, avec le président Mahmoud Abbas et avec le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Par ailleurs, comme cela a été rappelé, l’Égypte assure avec la France la coprésidence de l’UPM. Bien entendu, en ce moment, la priorité de ce grand pays ami de la France est de conduire sa transition vers la démocratie. Ce n’est donc sans doute pas dans les jours ou les semaines à venir que nous progresserons sur le dossier de l’Union pour la Méditerranée.

La démission du secrétaire général de l’UPM – pour convenance personnelle, je le rappelle – implique naturellement la désignation d’un successeur dans les prochaines semaines.

En tout état de cause, madame Khiari, la mise en place de l’Union pour la Méditerranée est aujourd'hui à mes yeux un processus irréversible. L’UPM doit contribuer de manière concrète à la prospérité de la zone euro-méditerranéenne.

L’UPM est à la fois une nécessité et une réalité ; ce n’est pas une institution fantôme.

Madame Khiari, vous avez à juste titre rappelé les nombreux liens, affectifs, culturels, historiques, qui unissent les deux rives de la Méditerranée.

Mais l’enjeu réside encore ailleurs. À l’heure où des pôles démographiques, économiques, technologiques de l’ordre d’un milliard d’habitants sont en train de s’affirmer sur tous les continents, l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée ont besoin de se rapprocher pour continuer à peser sur la scène internationale. Même avec 450 millions d’habitants, l’Europe n’est pas suffisamment forte pour faire face à ces géants que sont la Chine, l’Inde, mais également l’Indonésie, l’Afrique subsaharienne, dont la population se développe, ou encore l’Amérique latine, qui représente un ensemble de près de 850 millions d’habitants.

Par conséquent, il est indispensable que les pays européens et ceux de la rive sud de la Méditerranée s’unissent pour constituer un pôle fondé certes sur une histoire commune, mais aussi sur des ambitions pour l’avenir.

Alors que se dessinent de nouveaux équilibres et de nouvelles alliances, l’UPM est le fruit d’un constat et d’une ambition.

Le constat, c’est celui d’une proximité géographique, historique et culturelle. C’est aussi celui de la nécessité de faire face à la concurrence politique, économique et sociale des autres pôles.

L’ambition, c’est celle de relever ensemble les défis de la mondialisation et de la concurrence économique internationale, de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, de la prévention des risques naturels et technologiques, de la dépendance énergétique et alimentaire, source de nouvelles vulnérabilités dans les décennies à venir.

Quelles que soient les difficultés, l’UPM est aussi une réalité.

Un cadre juridique est désormais fixé. Le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée a été installé au mois de mai, et six secrétaires généraux adjoints ont été mis à sa disposition par leurs pays respectifs.

Plusieurs réunions ministérielles à quarante-trois, certaines informelles, d’autres à caractère technique, ont pu se tenir, notamment sur les problèmes de l’eau, du tourisme, du commerce et de l’emploi. Elles ont permis la mise en place effective du secrétariat, l’adoption du budget et la définition d’un programme de travail important pour 2011.

Par ailleurs, l’UPM soutient des projets concrets, de nature à répondre aux attentes des populations. Il faut insister sur ce point, car, tout comme pour la construction européenne, si nous voulons convaincre les populations du bien-fondé de la démarche, nous devons leur montrer que l’UPM permet d’améliorer concrètement leur vie quotidienne. C’est ainsi que nous pourrons dépasser certaines réticences. Dans cette optique, il était sans nul doute pertinent de retenir des projets peut-être plus limités que ce qui avait été envisagé à l’origine, mais mieux ciblés sur des objectifs prioritaires. Il s’agit de projets réalisables rapidement, dont les opinions publiques, qui jugent en dernier ressort du succès ou de l’échec d’une démarche et guident leurs gouvernements, pourront voir les effets bénéfiques. C’est ainsi que l’on obtiendra leur adhésion. Cela répond bien, me semble-t-il, au souci de pragmatisme exprimé par M. Bizet !

Afin de renforcer la coopération universitaire, la première université euro-méditerranéenne a été mise en place à Portoroz, en Slovénie.

Pour garantir un approvisionnement électrique durable, un plan solaire méditerranéen a été engagé. Il s’agit d’un enjeu essentiel ! Le programme Desertec, lancé au mois de juillet 2009, permet d’installer à une grande échelle des fermes solaires et éoliennes en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, le projet Medgrid, lancé au mois de décembre dernier et qui regroupe une vingtaine de sociétés, majoritairement françaises, vise à permettre l’acheminement d’électricité d’origine photovoltaïque du Sud vers le Nord.

Pour favoriser le développement des infrastructures au Maghreb, sujet de préoccupation majeur pour mes interlocuteurs tunisiens, en particulier, un fonds InfraMed a été mis en place. Il bénéficie de la contribution de l’Agence française de développement et de son équivalent allemand, ainsi que de celle de la Caisse des dépôts et consignations et des homologues de cette dernière dans plusieurs pays partenaires, de la Banque européenne d’investissement, de la Commission européenne et de la Banque mondiale. Il ne s’agit donc pas de financements modestes, assurés seulement par la France et l’Allemagne.

Pour renforcer la solidarité face aux catastrophes naturelles, monsieur Courteau, un accord a été obtenu sur la création d’un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée. J’avais commencé à lancer ce projet quand j’étais au ministère de l’intérieur. Faire travailler ensemble des gens de nationalités différentes sur un tel projet n’était pas forcément évident, mais, aujourd'hui, cette structure existe. J’ai pris bonne note de vos propos sur le centre d’alerte aux tsunamis, qui devrait effectivement intégrer cette dimension euroméditerranéenne.

Instituée voilà deux ans et demi, l’Union pour la Méditerranée est donc à la fois une nécessité et une réalité. Elle doit maintenant contribuer à accompagner les évolutions en cours et les aspirations démocratiques des peuples du sud de la Méditerranée.

Plusieurs orateurs ont évoqué un « printemps arabe ». Peut-être aurons-nous l’occasion d’organiser un débat sur ce beau sujet.

J’ai réuni au ministère un groupe d’experts, d’universitaires et de chercheurs pour réfléchir sur ce thème. Selon eux, le printemps arabe a manifesté une volonté exacerbée de retrouver de la dignité et de mettre un terme aux humiliations, tant intérieures qu’extérieures. Gardons bien cette idée à l’esprit lorsque nous nous exprimons sur les événements actuels. Ces révoltes nées du peuple, de la jeunesse, de la société civile, sont une protestation contre la faillite de la gouvernance. Des richesses ont été créées dans bon nombre de ces pays, mais elles sont parfois insuffisantes et, surtout, leur répartition est perçue comme inéquitable.

Les événements récents expriment les aspirations politiques légitimes des peuples à davantage de démocratie, de libertés individuelles et publiques. À cet égard, internet a joué un grand rôle dans la diffusion des idées.

Ils expriment aussi la volonté d’être reconnu sur la scène internationale, de peser sur le cours des événements. À cet égard, la non-résolution du conflit israélo-palestinien n’est pas sans conséquences. Il est donc urgent que les négociations reprennent, et c’est pourquoi je m’investis autant dans ce dossier.

Monsieur Sueur, la France soutient les aspirations à davantage de démocratie. Sans doute auriez-vous souhaité que ce soutien se manifeste différemment… Mais chacun s’exprime à sa manière.

La France ne se désintéresse pas du sort des populations civiles qui sont prises en otage. C’est d’ailleurs le message que j’ai délivré lors de ma visite dans la bande de Gaza. J’ai été, dois-je le rappeler, le premier ministre français à retourner à Gaza depuis le coup de force.

La France tient compte la fierté des peuples du printemps arabe et c’est pourquoi elle respecte le principe de non-ingérence, qui est par ailleurs souvent mal compris. La non-ingérence, c’est reconnaître aux peuples le droit de choisir eux-mêmes ce qu’ils veulent et qui ils veulent ; nous n’avons pas à leur dicter ce qui doit être.

Au-delà du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat, je fus sans doute la première à dénoncer les violences contre les manifestants tunisiens, à l’Assemblée nationale, puis, plus longuement, le même jour, sur Europe 1. Je les ai aussi dénoncées sur la chaîne Al Jazeera, lorsque je me trouvais à Doha pour défendre la liberté des religions. Comme l’atteste une dépêche de l’AFP, j’ai déploré les morts et les violences, affirmer le droit de chacun de manifester dans le respect, sans craindre pour sa vie.

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a un petit problème de chronologie !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’ai également, avec le Premier ministre, jeudi soir ou peut-être vendredi matin, déploré l’usage excessif de la force. De temps en temps, il est bon de rétablir la réalité les choses, d’en rappeler la chronologie.

M. Paul Blanc. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous avons toujours encouragé les aspirations légitimes des peuples à davantage de démocratie et de reconnaissance. Mais à terme, il appartient aux peuples de trouver les voies et moyens de réussir.

Il est essentiel de ne pas en rester, comme nous l’avons fait trop souvent, à des déclarations d’intention. Nous devons agir. Face aux mouvements qui se produisent dans le monde arabe, notamment en Tunisie et en Égypte, la France se mobilise, d’abord de façon bilatérale. Ce matin, en Conseil des ministres, le Premier ministre a présenté un plan en quatre points, qui a été élaboré en liaison constante avec les autorités égyptiennes, aves lesquelles j’ai de nombreux contacts. Nous avons ainsi pu de déterminer la nature de leurs besoins. Car nous ne devons pas imposer notre façon de faire ; nous devons au contraire écouter les autorités de ces pays et prendre en compte leurs demandes. Des crédits ont été mobilisés et, la semaine prochaine, plusieurs ministres en charge de secteurs prioritaires se rendront en Tunisie.

Donc, la France agit. Elle se mobilise aussi avec ses partenaires, notamment avec ceux de l’Union pour la Méditerranée et de l’Union européenne, pour relever un triple défi.

Le premier défi est d’ordre institutionnel. Les institutions de l’Union pour la Méditerranée, notamment le secrétariat de Barcelone, doivent disposer des moyens humains et financiers nécessaires pour mettre en œuvre leurs actions et pouvoir apporter une aide à certains pays.

Madame Khiari, la question de l’orientation de la politique de voisinage de l’Union européenne est clairement posée : quelle politique de voisinage l’Europe des 27 entend-elle conduire, et avec quels moyens ? J’ai posé ces questions au Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne et j’ai de nouveau abordé ce sujet dans une lettre que j’ai adressée à Mme Ashton.

Monsieur Jacques Blanc, monsieur Sutour, les conclusions du dernier Conseil européen constituent, de ce point de vue, un signal positif.

Le Conseil européen a décidé de faire de l’Union pour la Méditerranée la nouvelle dimension de sa politique de voisinage – ce qui répond aux souhaits qui se sont exprimés sur ces travées – et de consacrer la majorité de ses moyens à la coopération avec nos partenaires du Sud. Certes, monsieur Bizet, certains de nos partenaires européens regardent vers l’Est. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, dans un courrier adressé à Mme Ashton, au cours de la réunion des ministres des affaires étrangères et lors des réunions bilatérales qui se sont tenues cette semaine avec les ministres des affaires étrangères de plusieurs pays européens, il est essentiel de concentrer nos interventions sur les pays du Sud. Je souhaite que la réflexion se poursuivre dans ce domaine.

Monsieur Hue, je ne voudrais surtout pas paraître agressive (M. Robert Hue sourit.), mais, contrairement à ce que vous affirmez, les Tunisiens et les Égyptiens attendent beaucoup de la France et de l’Europe. Les contacts quasi quotidiens que j’ai avec des ministres, mais aussi avec des représentants de la société civile tunisienne et, dans une moindre mesure, égyptienne, montrent que ces pays attendent une implication privilégiée de la France et, à travers elle, de l’Europe.

Le deuxième défi que nous devons relever est de nature démocratique. L’Union pour la méditerranée, j’en suis persuadée, peut contribuer à répondre aux aspirations de modernisation et de démocratisation exprimées par les peuples, en se fixant un double objectif.

En premier lieu, il convient d’élargir les projets de l’Union pour la Méditerranée aux préoccupations exprimées par le Conseil de l’Europe. Il faut, sur certains sujets, trouver une articulation entre les actions de l’Union pour la Méditerranée et celles du Conseil de l’Europe, ce dernier étant sans doute mieux armé pour les mener à bien.

En second lieu, il faut que l’Union pour la Méditerranée développe des projets de société. Le Centre méditerranéen pour la jeunesse est, à cet égard, emblématique puisqu’il permet la mobilité des étudiants sur la base d’accords conclus entre les universités dans le cadre d’une formation diplômante. C’est un peu ce que l’Europe a réalisé voilà quinzaine d’années avec le programme Erasmus.

De la même façon, les projets qui ont trait à la formation professionnelle ou à l’égalité entre les hommes et les femmes doivent être renforcés.

Monsieur Badré, il faut en effet fortifier le dialogue dans la société civile. Pour ce faire, nous devons soutenir les acteurs impliqués au sein de la famille euro-méditerranéenne, telle la Fondation Anna Lindh, dont le rôle est essentiel. La France l’a aidée à hauteur de 1 million d’euros depuis sa création. Si nous voulons qu’elle continue à se développer, nous devons obtenir le soutien de tous nos partenaires.

Il faudra également aider la plateforme non gouvernementale Euromed. Cet organisme est soutenu par l’Union européenne, mais force est de constater que son budget demeure limité.

Le troisième défi que nous devons relever est en effet, monsieur Bizet, d’ordre financier.

Si nous voulons conduire des politiques communes d’envergure et efficaces dans les secteurs de l’eau, des transports, de l’énergie, de la dépollution, de l’agriculture, il faut diversifier les financements de l’Union pour la Méditerranée, car, compte tenu des contraintes économiques et budgétaires actuelles, on ne peut pas s’appuyer sur les seuls budgets des États.

Le secrétariat de l’Union pour la Méditerranée a un rôle essentiel à jouer pour donner confiance aux investisseurs étrangers. Il devra notamment préparer et sélectionner des projets d’intérêt commun, les encadrer dans un maillage institutionnel de grandes signatures et contribuer à la sécurisation juridique et financière des promoteurs et des prêteurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je considère, comme M. Collin, que l’Union pour la Méditerranée est plus que jamais à l’ordre du jour. Le Processus de Barcelone doit être envisagé sur le long terme. Je suis trop jeune pour me souvenir où en était la construction européenne deux ans après la création de la Communauté économique européenne. Mais si on lui avait demandé tout ce que l’on attend aujourd’hui de l’Union pour la Méditerranée, sans doute aurait-on alors considéré que cette nouvelle institution n’était en fait qu’un fantôme. Regardons ce qu’elle est devenue !

Certes, notre ambition générale ne se réalisera pas en un jour. Pour autant, l’efficacité, le besoin de faire face aux situations impliquent que nous agissions dès maintenant. C’est la raison pour laquelle la France s’engage de toutes ses forces avec ses partenaires pour faire de l’Union pour la Méditerranée un instrument performant, au service de la paix et de la prospérité des peuples sur les deux rives de la Méditerranée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la Méditerranée mérite mieux que des incantations ou des discours politiciens, réducteurs, aveugles, voire ignorants. Nous devons tous faire preuve de modestie. De nombreuses voix se sont élevées sur ces travées pour déplorer que les gouvernements n’aient pas pressenti l’importance des mouvements qui se produisaient en Tunisie ou en Égypte. Mais je vous le demande, mesdames, messieurs les sénateurs, aviez-vous, vous-mêmes, prévu ces évolutions ?

Le régime tunisien, que nous aurions dû critiquer, s’appuyait sur un parti dont le président était M. Ben Ali. Or ce parti était toujours membre de l’Internationale socialiste le jour du départ de M. Ben Ali ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Sueur. Le PS n’avait aucun lien avec le RCD depuis dix ans !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il n’en a été exclu que trois jours après le départ du président tunisien !

M. Ivan Renar. Voilà un dérapage ! Vous n’êtes pas à une séance de questions d’actualité à l’Assemblée nationale !

M. Jean-Pierre Bel. Hors sujet !

M. Robert Hue. Allez régler vos comptes ailleurs !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Si M. Ben Ali et les responsables de son parti étaient aussi infréquentables, pourquoi n’avoir pas pris l’initiative de l’exclure de l’Internationale socialiste, au motif que le RCD défendait des idées qui ne correspondaient ni à vos valeurs ni à votre conception de la démocratie ?

M. Roland Courteau. Vous dérapez !

Mme Bariza Khiari. Le débat était correct jusqu’à maintenant, madame la ministre d’Etat !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Évitons donc de nous reprocher mutuellement de n’avoir rien vu venir, sinon, nous serons tous perdants !

La Méditerranée mérite mieux que de telles invectives. Ce débat a permis l’émergence, sur toutes ces travées, d’idées extrêmement intéressantes, l’expression d’une même volonté de comprendre, d’analyser et d’agir. Si nous parvenons à travailler ensemble, la Méditerranée, grâce à la réunion du Nord et du Sud, peut devenir une véritable référence, non seulement pour la région, mais également pour le monde. Notre histoire, nos intérêts et la nécessaire considération de l’avenir méritent que nous unissions nos efforts. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre d’Etat, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention le réquisitoire de notre collègue Jean-Pierre Sueur sur la Tunisie. Cette fois, l’attaque était directe, loin de ses habituelles homélies !

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai beaucoup de registres !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur Sueur, je suis de ceux, et ils sont nombreux, qui n’ont pas vu venir les événements de Tunisie. Ni à droite ni à gauche, reconnaissons-le, nous n’avons fait preuve de beaucoup de prescience, ce qui devrait nous conduire à une certaine humilité.

Néanmoins, nous ne pouvons que saluer, me semble-t-il, le courage du peuple tunisien et sa quête pour une dignité retrouvée ; il mérite que la France l’accompagne dans sa marche vers la démocratie.

Monsieur Sueur, M. Ben Ali régnait sur la Tunisie depuis trente-deux ans et l’on savait depuis dix ans que son régime était non seulement peu démocratique, mais aussi extrêmement répressif. Qui, et dans quelles enceintes, avons-nous entendu dénoncer le régime de M. Ben Ali ? Ici même, le président du groupe d’amitié France-Tunisie a-t-il alerté notre assemblée sur ce qui se passait là-bas ? Y a-t-il eu des questions à des ministres sur ce sujet ? Non ! On pourrait dresser une longue liste de voyageurs officiels qui ont été reçus en Tunisie et qui ont fait l’éloge de M. Ben Ali. On dénonce aujourd’hui avec force celui que l’on encensait hier, sans doute avec excès…

En vous écoutant, monsieur Sueur, je me rappelais les propos de Winston Churchill, qui déclarait en substance que ceux qui exercent leur sagacité après les faits devraient se taire.

En ce qui nous concerne, notre devoir est maintenant d’aider la Tunisie de toutes nos forces, sans vouloir imposer un modèle, sans donner aucune leçon. Il s’agira simplement d’être au côté de ce peuple, s’il nous demande aide et assistance, pour conforter la démocratie, parce que c’est le seul moyen d’établir une véritable Union pour la Méditerranée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)