M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. Mon cher collègue, conformément au règlement, je vous donnerai la parole pour fait personnel à la fin de la séance.

La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Madame la ministre d’État, je vous remercie de votre réponse, qui est globalement satisfaisante, sauf vers la fin.

Nous avons souhaité tirer ce débat vers le haut. Il eût mérité une réponse sans polémique de votre part, polémique que nous avons, quant à nous, voulu éviter. (Mme la ministre d’État s’exclame.) Nous aurions pu aller plus loin sur le mode du réquisitoire.

Je remercie mes collègues pour leurs interventions. La question de l’avenir de l’Union pour la Méditerranée prend une résonance particulière à la lumière du réveil des peuples du Sud. Les événements que nous connaissons viennent parachever, après quelques décennies, l’espoir soulevé par le mouvement nationaliste arabe, vecteur des luttes contre la colonisation, qui a échoué faute d’avoir satisfait les aspirations des peuples.

J’espère, pour ma part, que le mouvement actuel sera le bon. Ces peuples ont lutté contre le colonialisme et, en fait, ils ont simplement changé de maîtres. Et leurs nouveaux maîtres, que nous avons soutenus, ont été plus difficiles à démasquer parce qu’ils n’avaient pas le visage de l’étranger.

Madame la ministre d’État, comme vous l’avez souligné à juste raison, à la prédation que dénoncent les peuples, s’ajoute une carence de la gouvernance. Nous avons donc l’ardente obligation d’accompagner les transitions.

En ce qui concerne la polémique que vous avez ouverte voilà quelques instants sur l’attitude du parti socialiste et l’Internationale socialiste, je peux vous affirmer – nous l’avons vérifié – que, pendant dix ans, le parti socialiste français n’a eu aucune relation avec le Rassemblement constitutionnel démocratique, le RCD.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Allons donc !

Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Monsieur Jacques Blanc, on peut certes concevoir que la France ne saurait être tenue pour seule responsable de l’échec de l’Union pour la Méditerranée et que cet échec lui-même ne doit en rien condamner l’idée d’une politique méditerranéenne. Je me réjouis de vous entendre dire que l’Union pour la Méditerranée est désormais un processus irréversible.

Nous devons remettre l’ouvrage sur le métier en tenant compte des avancées actuelles, en répondant avec franchise et courage aux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous n’avons que trop longtemps préféré les chuchotements des potentats dictateurs aux cris de détresse des hommes et des femmes qui n’aspirent finalement qu’à vivre leur siècle comme les autres.

Les révolutions actuelles semblent constituer une réelle opportunité pour un projet bâti autour des peuples, à condition toutefois que les gouvernements cessent d’agiter le spectre de la menace islamiste chaque fois qu’un soubresaut secoue une région du Sud. Les Frères musulmans ne se sont pas associés aux premiers tumultes égyptiens. Les islamistes tunisiens n’ont pas cherché, au début des événements, à devenir des leaders. Ils sont restés en retrait devant un mouvement qu’ils ne comprenaient que partiellement.

Je le répète, nous devons cesser de tout considérer à la lumière d’une révolution iranienne vieille de trente ans et qui est elle-même secouée par des demandes fortes de démocratie de la part de sa population. Les jeunes arabes n’ont guère envie, pour leur pays, de ce modèle que je qualifierai de répulsif. Il faut mettre à leur crédit leur créativité, leur souhait d’ouvrir une autre voie.

La situation évolue dans ces régions du monde, et pour mieux la comprendre, nous devons adopter une nouvelle grille d’analyse. Notre paresse intellectuelle est bien commode de ce côté-ci de la rive de la Méditerranée, pour légitimer les propos parfois indignes tenus en direction des Français venus d’ailleurs.

Faut-il le rappeler, les citoyens de la rive sud, notamment les jeunes, accèdent, avec la même facilité que ceux de la rive nord, aux informations en temps réel, mais en plus, ils s’en saisissent avec un appétit qui en dit long sur leur soif de connaissances, de progrès et de liberté ! C’est peut-être le seul espace où ils ont conscience de jouer pleinement leur rôle de citoyens.

En résonance avec les événements de ces pays, nous ne pourrons plus ethniciser ici les rapports sociaux. Les problématiques des révoltes actuelles sont celles de la pauvreté, de la vie chère et du déclassement social ainsi que l’exigence démocratique : rien de plus, rien de moins. Cela nous renvoie de manière nette au fait que la question sociale prime aussi bien à l’étranger que dans nos quartiers.

La soif de démocratie des jeunes manifestant dans les rues des capitales arabes doit nous inciter à mener des projets concrets autour des besoins des peuples et non à persister – j’espère que la leçon sera retenue – à soutenir des régimes autoritaires, croyant nous mettre à l’abri du risque terroriste derrière des gouvernements remparts qui ne nous protègent de rien.

Nous ne serons jamais protégés du terrorisme par des dictateurs ; nous le serons par la démocratie, car la misère et la privation de liberté sont un terreau propice dans lequel prospère l’intégrisme.

Et si le développement nous protège du terrorisme, il présente aussi l’avantage de fixer les populations. Or, l’exil et l’immigration sont toujours une souffrance.

La question reste donc de savoir si nous pourrons être au rendez-vous pendant cette période de transition, non pas en proposant une énième usine à gaz institutionnellement peu fiable, mais en offrant une réelle politique méditerranéenne tournée vers la reconstruction des liens et d’un avenir commun.

Madame la ministre d’État, le groupe socialiste souhaite ardemment que la France soit à la hauteur de ce grand rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, tout à l’heure, je vous ai demandé la parole pour un fait personnel. Je souhaite pouvoir intervenir maintenant.

M. le président. Je ne puis vous donner la parole en l’instant à ce titre. Le règlement prévoit en effet que les interventions pour fait personnel ont lieu à la fin de la séance.

M. Jean-Pierre Sueur. Mon intervention n’aura alors plus de sens, puisqu’elle fait écho aux propos de M. de Rohan.

M. le président. Je peux en revanche, si vous me le demandez, vous donner la parole pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Alors, je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. Vous avez donc la parole pour un rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je vous remercie de votre compréhension. Je ne pouvais laisser sans réponse l’admonestation de M. le président de la commission des affaires étrangères.

Monsieur de Rohan, le groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat fut longtemps présidé par Mme Monique Cerisier-ben Guiga, à qui l’on ne peut pas reprocher de n’avoir pas défendu avec constance l’opposition tunisienne. On lui a au contraire reproché de le faire, au mépris des relations avec les réalités institutionnelles.

Mme Bariza Khiari. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Devenu président de ce groupe depuis quatre ans, j’ai – comme le font tous les présidents de groupes d’amitié – entretenu des rapports avec les autorités légitimes, ce qui est normal. On ne peut pas reprocher au président d’un groupe d’amitié ses relations avec les dirigeants d’un pays dans lequel les libertés s’expriment difficilement.

Monsieur Rohan, sachez que le groupe d’amitié France-Tunisie a reçu officiellement, au Sénat, Mme Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Après les événements !

M. Jean-Pierre Sueur. … et de nationalité tunisienne, que nous avons assurée de notre soutien.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’était avant qu’il fallait le faire !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous l’avons fait bien avant. Nous avons également reçu Mme Khadija Cherif, secrétaire générale de la Fédération internationale des droits de l’homme, que nous avons assurée de notre soutien.

J’ai reçu, au nom du groupe d’amitié, Mme Ben Brik, dont le mari a été maltraité dans les prisons tunisiennes. Toujours au nom du groupe d’amitié, j’ai écrit à M. Ben Ali, au Premier ministre tunisien et, bien entendu, aux autorités françaises, au Président de la République et au ministre des affaires étrangères, pour les alerter sur la situation de M. Ben Brik. Je me suis rendu à une réunion de soutien avec les représentants de toutes les oppositions de la Tunisie pour soutenir M. Ben Brik, qui s’est d’ailleurs exprimé récemment.

Enfin, lorsque j’ai été invité ès qualités à un symposium économique par les autorités tunisiennes, j’ai exigé de pouvoir rencontrer, au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, son président, M. Moktar Trifi. J’y suis allé, accompagné d’un représentant de l’ambassade de France, après avoir reçu des autorités tunisiennes de nombreuses mises en garde contre cette personne et contre cette institution, qui, me disait-on, présentait beaucoup de défauts. M. Moktar Trifi m’a indiqué que, depuis cinq ans, il n’avait reçu aucune visite de l’ambassadeur de France au siège de la Ligue des droits de l’homme. Nous avons été reçus au milieu de trente policiers en civil et nous avons fait savoir que nous avions apporté notre soutien à la Ligue tunisienne des droits de l’homme.

Voilà ce que je voulais dire pour rétablir la réalité des faits. Nous avons agi avec clarté et avec responsabilité, et il était juste, me semble-t-il, qu’il en fût ainsi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Communication du conseil constitutionnel

M. le président. M. le Président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 16 février 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-122 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'institution d'une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France
Discussion générale (fin)

Institution d'une journée de l'Amérique latine et des Caraïbes en France

Adoption d'une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à l’institution d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-Marc Pastor, Roland du Luart, Philippe Adnot, Gérard Cornu et Bernard Piras et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 159).

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution.

M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je prends la parole dans cette enceinte pour soutenir devant vous une initiative qui s’inscrit dans une démarche que l’on voudra bien qualifier d’ « historique ».

En effet, ce n’est pas tous les jours que, par-delà les contingences de l’actualité, nous sommes réunis pour examiner un texte qui, je l’espère, marquera les relations entre la France et tout un continent.

Nous sommes respectueux de la tradition française : celle qui fait notre richesse, qui rapproche les peuples, qui mobilise avec enthousiasme la joie de vivre ensemble, celle de la main tendue vers l’autre, des droits de « l’homme et du citoyen » ! Cette force, nous l’avons en nous, elle sort de tous nos pores, de nos entrailles !

Notre assemblée a tenu, l’an dernier, à s’associer aux célébrations qui ont marqué, pour un grand nombre de pays, les premières manifestations de leur indépendance, ces premiers cris de libération des peuples, comme l’a écrit un historien en termes excellents.

Ces derniers jours, nous avons pu voir en direct la joie d’hommes et de femmes qui, sans connaître le sort qui leur serait réservé, venaient de gagner leur liberté d’être humain.

Mais nous, nous le savons, sans accompagnement, sans soutien, le pire peut aussi être à craindre !

La liberté est le fruit d’une guerre à un moment donné et il faut un combat permanent pour la maintenir et la protéger. Ce soutien de tous s’impose à nous. Soyons vigilants, la liberté est si fragile ! Brandissons l’étendard sanglant, comme l’évoque notre hymne national, mais pour éviter que le sang ne coule !

En Amérique latine, les premiers mouvements, de portées très diverses, ont été, pour beaucoup, inspirés par les différents courants de ce qu’on a appelé les Lumières.

Même si la France ne fut pas l’unique inspiratrice des élites de l’époque, on peut rappeler, sans solliciter l’Histoire, qu’elle en fut largement à la source.

Dès la deuxième moitié du xviiisiècle, les imprimeries du nouveau monde diffusaient largement les œuvres des philosophes français. Toute bibliothèque digne de ce nom se devait de compter sur ses rayons l’Encyclopédie, et les échanges épistolaires entre les gens d’esprit prouvent que ceux-ci empruntaient nombre de thèmes au continent européen. L’étude de l’histoire des différents pays montre la densité et la multiplicité des références à la Révolution française.

Les grandes figures, que l’on appellera plus tard les « pères fondateurs », parlaient souvent le français ou étaient pétries de culture française. N’est-ce pas un certain Antonio Nariño qui traduira, dans son cabinet de Bogota, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la répandra dans tout le pays, au grand dam des autorités coloniales ?

Qui se souvient du jeune Francisco de Miranda, citoyen de ce qui n’était pas encore le Venezuela et qui, grand admirateur de la Révolution française, s’engagera dans l’armée de Dumouriez pour en sortir avec le grade de général !

Quant à Bolivar, la grande figure par excellence de l’émancipation des peuples latinos, il avait pour précepteur un disciple affiché de Rousseau. Ses années de jeunesse et de formation furent durablement marquées par la lecture de l’Émile.

Je n’aurai garde de m’engager dans une énumération qui serait fastidieuse et, au demeurant, certainement inutile : les faits sont suffisamment connus pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir dans le détail.

Pour évoquer ces moments historiques qui ont compté dans la formation de l’identité nationale des États du continent latino-américain, la République française se devait de prendre une initiative symbolique et forte.

Tel est le sens de la proposition de résolution que j’ai déposée avec mes collègues membres des différents groupes d’amitié du Sénat, que je tiens à saluer ici, et qui a reçu l’accueil enthousiaste de pas moins de cent quinze collègues appartenant à tous les groupes politiques de notre assemblée.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jean-Marc Pastor, auteur de la proposition de résolution. Au-delà de des faits historiques, tous ces pays, avec des degrés différents de rattachement à l’histoire française, gravissent, tous les jours un peu plus, les marches de la liberté et de la démocratie. Ils sont non plus des pays en voie de développement, comme on les dénommait il y a peu encore, soumis à des régimes parfois autoritaires, mais des acteurs, de vrais acteurs du monde, à part entière, libres, souverains, maîtres de leur destinée.

Leurs niveaux de formation, leur souci de protéger une démocratie parfois chèrement acquise et les valeurs qui s’y attachent, leurs richesses intellectuelle, économique, culturelle, artistique, mais aussi leurs besoins, font qu’ils peuvent être les partenaires irremplaçables de notre pays et qu’il nous appartient de répondre à leurs attentes. Nous avons tant à échanger pour nous enrichir mutuellement.

L’année 2010 fut exceptionnelle, une sorte d’expérience de vie commune, partagée non seulement avec les ambassadrices, les ambassadeurs et tout le corps diplomatique des pays d’Amérique latine et des Caraïbes réunis dans le GRULAC, Group of Latin American and Caribbean Countries, mais aussi avec les institutions nombreuses qui, en France, œuvrent pour l’amitié avec ce continent : mes collègues présidents des groupes d’amitié, le Sénat et son président, le Quai d’Orsay, fort d’une grand savoir-faire.

Oui, cette expérience nous a conduits à participer et à organiser ensemble diverses manifestations pour honorer avec tout l’éclat qu’il méritait le bicentenaire de la libération de ces pays.

Aujourd’hui, nous avons presque un goût d’inachevé, et nous devons perpétuer notre œuvre de façon différente, nouvelle, innovante, audacieuse, car le lien qui s’est tissé au fil du temps ne fut absolument pas programmé ; ce fut une réaction spontanée, naturelle, celle du peuple, celle du cœur !

Pour prolonger ces commémorations, leur donner un sens, en conserver une trace pérenne et célébrer mutuellement nos valeurs, il vous est proposé, mes chers collègues, d’adopter une proposition de résolution visant à demander au Gouvernement l’instauration d’une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France, célébrée le 31 mai de chaque année.

Ainsi pourrons-nous, tous les ans, à date fixe, organiser des manifestations sur l’ensemble du territoire de la République et rassembler, à cette occasion, nos compatriotes, ainsi que tous les amis de l’Amérique latine et des Caraïbes, qui sont plusieurs milliers sur notre sol, pour partager des moments de convivialité et, je veux l’espérer, d’allégresse mêlant à la fois culture et réflexion.

Les anniversaires ne doivent pas être uniquement l’occasion d’évoquer le passé. Ils sont aussi, et surtout, le moyen de se projeter dans l’avenir, afin de mieux le préparer à la lumière des acquis de l’histoire.

Sur ce chemin du partage, des difficultés nous attendent parfois ; à nous de savoir les analyser et de les surmonter pour aller de l’avant. Notre proximité historique, notre latinité, notre patrimoine culturel commun en seront davantage fortifiés et, avec eux, les liens d’amitié qui nous unissent.

Chercher à mieux se connaître est la démarche de tout acteur politique et économique ; chercher à se rencontrer pour apprécier les modes de vie et les règles établies par chacun pour avoir, enfin, de vraies relations partagées.

Innover sur un continent laisse l’avantage de la souplesse, car, d’un pays à l’autre, des choses peuvent différer à un moment donné, mais, dans la durée, cela permet d’assurer la constance d’un lien fort et bénéfique pour tous, en partant de la protection de la démocratie et en évitant les crises.

Oui, madame la ministre d’État, la France retrouve là son visage du siècle des Lumières. C’est cette France-là que nous aimons, celle que les Latinos aiment, celle qui donne et qui partage avant de chercher à recevoir.

Tout au long du chemin qu’est la vie se trouvent en permanence, dissimulés par un virage, un danger, un obstacle, qu’il faut savoir dominer et vaincre. Or, un pays qui est seul, comme un homme qui est seul, a toujours plus de mal à surmonter les difficultés. Le groupe, quant à lui, est une union, une union de force, de joie, d’amour, qui permet à chacun de les franchir les obstacles plus allègrement. C’est à la France, de par son histoire et le message dont elle est porteuse, de proposer son concours et d’être, si possible, un acteur puissant.

Madame la ministre d’État, associez-vous à nous dans un acte unique qui scellera l’amitié de la France pour tout un continent ! Notre proposition de résolution est comme une étoile de vie ou, si l’on préfère, la flamme qu’il faut entretenir pour maintenir l’enthousiasme et l’espoir de ceux qui la contemplent.

L’édifice se bâtit, pierre après pierre. Certes, un pan peut parfois s’écrouler, mais les fondations sont inébranlables. À nous de maintenir l’envie de revenir sur le chantier, jamais fini, toujours en mouvement, ce chantier du cœur et des hommes, qui rassemble et qui permet de bâtir un monde meilleur.

Ce rendez-vous annuel permettra de s’assurer que la vie commune existe, que l’espoir est toujours vivace et que les valeurs partagées sont plus importantes que tout.

En maintenant la voie tracée par les Lumières, voilà plus de deux cents ans, la France est égale à elle-même : elle rassemble et unit.

Le 8 novembre 2010, au Sénat, lors de la célébration solennelle du bicentenaire des indépendances des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, dans la salle Médicis, M. Pierre Lellouche, alors secrétaire d’État chargé des affaires européennes, avait bien voulu apporter, au nom du Gouvernement, son soutien à notre proposition de résolution, ce dont je le remercie de nouveau.

C’est fort de cet appui et des encouragements des représentants des corps diplomatiques présents dans notre tribune présidentielle cet après-midi, et que je salue, fort de nos cent quinze collègues cosignataires qui, tous groupes confondus, partagent la même démarche, ainsi que de l’ensemble des groupes d’amitié et de leurs présidents, que je vous invite, mes chers collègues, à voter, avec l’enthousiasme qu’elle appelle, la présente proposition de résolution. Le peuple de France vous en remercie. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)

M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.

M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Brésil, que j’ai l’honneur d’animer depuis trois ans, après avoir présidé successivement, de 1991 à 2008, les groupes régionaux France-Amérique latine et France-Amérique du Sud, dont le Brésil couvre la moitié du territoire.

Comme tous ceux qui sont très attachés au renforcement des liens avec ce continent, qui s’intéressent à son avenir, qui veulent y travailler et déplorent la perte d’influence de la langue française, j’estime qu’il est grand temps d’accorder plus d’importance aux pays d’Amérique latine, dont la plupart ont connu, en quelques années, une formidable évolution, afin d’y réaffirmer la présence française.

En ce sens, l’adoption de la proposition de résolution qui nous est aujourd’hui soumise me paraît particulièrement opportune.

En effet, que de chemin parcouru dans nos relations bilatérales depuis 1964, année où le général de Gaulle effectuait sa tournée historique en Amérique latine ! Il avait été le premier à comprendre l’immense enjeu que représentait pour l’Europe, pour la France, ce continent si proche de nous par sa volonté d’indépendance nationale et par ses références culturelles. Le premier, il avait su lui adresser le message de liberté et de fraternité de la France.

Or les vicissitudes de l’histoire politique et économique, et d’autres, celles de l’Amérique latine, ont distendu nos liens avec ce continent, un temps assimilé, dans bien des esprits, à un tiers-monde lointain et instable.

Certes, des fragilités, des difficultés persistent, qu’elles soient de nature politique, économique ou sociale, et il ne faut pas les ignorer, mais que de progrès accomplis, en quelques années, par les pays de cette région !

À cet égard, j’évoquerai plus particulièrement le Brésil, notamment nos relations d’amitié, anciennes et durables, que j’ai désormais à cœur d’approfondir.

La France, vous le savez, mes chers collègues, éprouve pour le Brésil une amitié profonde. Ce pays occupe une place toute particulière dans notre vision du monde. Il représente, pour les Françaises et les Français, une civilisation porteuse d’un art de vivre, d’une culture, notamment d’une culture politique, d’un espoir pour l’avenir. Il est une source permanente de rêve et d’inspiration.

Je pense notamment à ce grand rêve d’or et de mystère qui mena sur les côtes et dans les villes brésiliennes, et jusqu’au tréfonds de l’Amazonie, tant de Français en quête d’une nouvelle vie et d’un nouvel horizon.

Je me dis que peut-être, à sa manière, la France a pu être un rêve pour le Brésil. Je pense à la France des Lumières, à la France républicaine, dont on retrouve le bonnet phrygien sur les pièces de monnaie, ou encore à la France d’Auguste Comte, dont la formule « Ordre et Progrès » est devenue la devise du Brésil.

Ce socle commun, cette latinité partagée expliquent la proximité qui est la nôtre aujourd’hui. Il est vrai que nous nous sentons d’autant plus proches de ce pays qu’il est limitrophe de la France. Nous avons en effet une frontière commune de plus de sept cents kilomètres, dans le département d’outre-mer de la Guyane.

Bientôt, un grand pont enjambera l’Oyapock. Ce ne sera pas seulement un ouvrage d’art audacieux ; ce sera aussi la concrétisation de l’amitié franco-brésilienne.

Ensemble, il nous appartient aujourd’hui de bâtir d’autres ponts dans tous les domaines. C’est tout le sens du partenariat stratégique avec le Brésil qui a été lancé en 2006 par le président Jacques Chirac et qui a connu une impulsion grâce à l’adoption d’un plan d’action ambitieux entre les présidents Lula et Sarkozy, en 2008.

Il ne s’agit pas d’un banal accord commercial, ni d’un traité de plus dans l’agenda des relations internationales. C’est un véritable pacte qui concrétise enfin, au niveau qu’elle méritait d’atteindre, une amitié cordiale et solide.

Ce partenariat a d’ailleurs dynamisé de manière spectaculaire nos relations bilatérales dans tous les domaines : militaire, spatial, énergétique, migratoire ou encore aide au développement.

Pour autant, comment ne pas être plus attentif, plus réactif et, finalement, plus entreprenant, quand on sait que le Brésil est le cinquième pays du monde en termes de population et de superficie, et la huitième économie mondiale devant la Russie et l’Inde ?

Désormais reconnu comme un acteur incontournable sur la scène internationale, le Brésil doit être pour nous un partenaire majeur. Dans ce monde multipolaire, il partage avec nous la même vision d’une mondialisation mieux maîtrisée, plus équitable et plus juste.

La France et le Brésil ont donc naturellement vocation à agir ensemble, avec les mêmes objectifs. Le partenariat stratégique permettra justement à nos deux pays de parler d’une même voix dans les grands rendez-vous internationaux.

Voilà pourquoi, comme le président Sarkozy et le gouvernement français, je suis favorable à l’accession du Brésil à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous devons adapter les institutions internationales au xxisiècle. Le Brésil, et à travers lui l’Amérique latine, ne peut en être exclu.

Je souhaite en cet instant souligner l’excellence des liens politiques qui unissent le Brésil et la France. Ils forment un arrière-plan très propice au développement de nos échanges économiques et commerciaux.

Notre coopération scientifique et technique, fondée sur le partenariat et le cofinancement, est également considérée comme exemplaire. La France est ainsi le deuxième partenaire scientifique du Brésil, après les États-Unis.

Bien que l’enseignement de l’espagnol tende à prendre le pas sur celui du français dans le cursus scolaire, notre coopération culturelle est également très encourageante. En effet, trois lycées français accueillent deux mille élèves, dont cinq cents Français. Les alliances françaises constituent le réseau le plus ancien et le plus dense du monde, avec trente-neuf implantations pour plus de trente-six mille quatre-cents élèves.

Pour autant, la France doit être attentive au maintien et au renforcement de ses liens politiques, économiques et commerciaux avec le Brésil.

Grâce à ce partenariat sans précédent, je suis convaincu que le Brésil saura accepter l’ouverture de ses propres marchés en réponse aux efforts significatifs opérés, notamment par l’Union européenne, en particulier dans le secteur agricole, et que le savoir-faire de nos entreprises, grandes ou petites, pourra s’exprimer pleinement dans ce pays ami.

La convergence d’analyse et d’initiative entre la France et le Brésil me conforte dans la certitude que l’amitié franco-brésilienne, aujourd’hui plus dense et plus riche de promesses que jamais, sert non seulement les intérêts de nos deux pays, c’est évident, mais encore ceux du monde, d’un monde plus juste et plus sûr qu’ensemble nous voulons construire.

Dans cette perspective, il me semble que la France ne tire pas suffisamment profit de sa situation et de sa position en Amérique du Sud ; elle doit se considérer comme partie intégrante de l’Amérique latine.

Je ne suis pas sûr que nous ayons suffisamment perçu le profond changement qui s’est opéré sur ce continent. Je sens que subsiste un décalage entre l’image que conserve une large partie de l’opinion publique française, même éclairée, de l’Amérique latine et ce que celle-ci est réellement devenue depuis quelques années. À mon sens, ses transformations appellent une mobilisation des énergies françaises pour répondre à un nouvel impératif : créer, recréer avec tous les pays d’Amérique latine qui le veulent la relation intense et forte qu’ils sont en droit d’attendre de notre pays et, au-delà, de l’Europe.

Nous devons aussi mieux faire connaître ce que nous sommes et, pour cela, mieux diffuser l’image et la voix de la France. Les distances sont largement abolies aujourd’hui. À nous d’en profiter pour diffuser notre langue et nos savoir-faire, pour assurer le rayonnement de nos idées et de notre culture.

Mais changer l’image de la France en Amérique latine, c’est aussi donner en France une image de l’Amérique latine conforme à la réalité, afin de sensibiliser l’opinion à ce que représentent aujourd’hui les pays de ce continent, notamment dans le domaine de la création artistique et culturelle.

Si, avec l’instauration d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes en France chaque année, notre proposition de résolution contribuait à cette prise de conscience, je crois que, rien que sur ce seul aspect, elle ferait déjà œuvre utile ! Le message que ses auteurs souhaitent finalement adresser à l’Amérique latine tient en quelques mots : la France, et au premier rang le Sénat, veut consolider avec les pays qui constituent l’Amérique latine des liens toujours plus étroits, respectueux de leur indépendance et de leur spécificité, et fondés sur une culture partagée, des valeurs et des intérêts communs ainsi que sur des objectifs définis ensemble.

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’apporter votre soutien à la présente proposition de résolution, dont l’objet est de marquer la force des liens qui unissent la France aux pays de l’Amérique latine et des Caraïbes.

Enfin, je remercie mon collègue Jean-Marc Pastor de son initiative. Il nous appartient en effet de vivifier ce capital de sympathie ! (Applaudissements sur l’ensemble des travées, ainsi que dans la tribune présidentielle.)