M. Robert Badinter. Tous les gardes des sceaux ne les ont pas défendus ainsi, hélas ! Ils sont sans cesse attaqués !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le Président de la République est un spécialiste !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ils ont été attaqués, vous le savez bien, de tout temps et sous tous les gouvernements. Malheureusement, monsieur Badinter, ni vous ni moi ne sommes des perdreaux de l’année ! Nous avons exercé des responsabilités, nous connaissons bien la réalité des choses. J’assume parfaitement les propos que je viens de tenir, et je suis sûr que toutes ces explications auront convaincu M. Mézard de retirer son amendement ! Dans l’hypothèse contraire, je serais contraint d’émettre un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, vos efforts sont louables, mais même l’amendement de M. Mézard est insuffisant…

En effet, cet article, qui prévoit que la garde à vue est une mesure de contrainte décidée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, introduit une ambiguïté fondamentale, car si l’autorité judiciaire est certes constituée des magistrats du parquet et des magistrats du siège, il faudrait indiquer d’emblée que la garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sur l’autorisation du parquet et sous le contrôle du juge.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non !

M. Jean-Pierre Michel. D’ailleurs, aux termes de l’alinéa 13 de l’article, le procureur de la République « apprécie » si le maintien de la personne en garde à vue et la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits. Or apprécier, c’est juger ! Le procureur de la République est-il donc un juge ? Vous dites vous-même que non ! Nous sommes en pleine confusion ! Le procureur de la République n’a rien à apprécier : il a autorisé initialement la garde à vue, c’est tout !

Il faut en revenir à ce qu’est véritablement la garde à vue. Dans son traité de droit pénal, Émile Garçon écrivait que la garde à vue, c’est la prise de corps par la police, rien d’autre ! Ensuite, c’est le juge qui intervient.

Dans ces conditions, bien que l’amendement de M. Mézard constitue une avancée, je pense qu’il est insuffisant. Il faut indiquer d’emblée que la garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sur l’autorisation du procureur, et placée sous le contrôle d’un juge du siège.

Il faut sortir de l’ambiguïté que j’ai soulignée, tout le reste n’est que littérature ! Vous aurez beau invoquer toutes les jurisprudences possibles ou triturer les déclarations de la Cour européenne des droits de l’homme en expliquant qu’elles sont mal traduites de l’anglais, vous ne pourrez échapper à cette réalité !

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellent !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Si j’ai bien compris les explications de notre collègue Jean-Pierre Michel, mon amendement est finalement plutôt centriste, monsieur le ministre… (Sourires.) Je m’étonne donc que vous n’y souscriviez pas ; son adoption permettrait pourtant d’atteindre cet équilibre auquel vous prétendez aspirer.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit ne pas être un perdreau de l’année ; pour ma part, je ne suis pas un pigeon. (Nouveaux sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça vole haut, dites donc !

M. Jacques Mézard. Je crois vraiment, monsieur le ministre, qu’il s’agit là d’un problème de fond. Deux conceptions s’affrontent ici : vous voulez continuer à donner à la partie poursuivante…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Au procureur !

M. Jacques Mézard.  … un avantage, ce qui signifie très clairement que, contrairement à nous, vous ne voulez pas d’un procès équitable.

Je n’épiloguerai pas sur l’indépendance du parquet. Nous savons qu’une immense majorité de parquetiers accomplissent en toute indépendance leur difficile mission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est bien de le souligner !

M. Jacques Mézard. Cela étant, monsieur le garde des sceaux, vous nous affirmez que vous ne donnerez jamais d’instructions au parquet,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai dit que je n’en n’avais jamais donné, pas que je n’en donnerai jamais !

M. Jacques Mézard. … mais j’observe que vous aviez dit le contraire, d’ailleurs avec fermeté, en prenant vos fonctions ! Relisez vos déclarations de l’époque ! Cela dit, c’est votre droit, vous assumez votre fonction politique. En revanche, personne ne vous croira si vous dites qu’il n’y a jamais eu d’instructions dans des dossiers sensibles et que le parquet est totalement indépendant !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage le point de vue de M. Michel, mais je voterai néanmoins l’amendement de M. Mézard.

Vous entretenez la confusion à dessein, monsieur le garde des sceaux,…

M. Jean-Pierre Michel. Un mauvais dessein !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … mais nous ne sommes pas dupes !

La notion d’autorité judiciaire est nécessairement ambiguë en droit français, puisqu’elle recouvre à la fois les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Tout le monde le sait, et il n’est nullement besoin d’épiloguer sur ce point.

La difficulté tient au fait que, dans la procédure que vous entendez perpétuer, c’est la partie poursuivante qui est chargée d’exercer le contrôle de la garde à vue. Là est l’ambiguïté ! Elle n’existe pas dans d’autres pays, où l’enquête est dirigée par un fonctionnaire, qui n’appartient donc pas à l’autorité judiciaire, à laquelle est confié le contrôle de la garde à vue.

En pratique, dans notre pays, l’officier de police judiciaire demande au procureur d’autoriser la garde à vue. Ce dernier donne son autorisation en se fiant aux seuls dires de l’OPJ, sans rien vérifier du tout. Par conséquent, tout se passe entre les deux personnes qui dirigent l’enquête : elles sont supposées contrôler en outre la garde à vue !

M. Michel Mercier, garde des sceaux, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est précisément ce qui est reproché à notre procédure ! Cessez donc de prétendre que nous comprenons mal les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou ce que recouvre la notion d’indépendance du parquet !

Nonobstant toutes les critiques formulées tant dans notre pays par les tenants d’un contrôle par un juge du siège que hors de nos frontières, vous persistez à vouloir confier le contrôle d’une mesure privative de liberté à ceux-là mêmes qui mènent l’enquête. Ce n’est pas ainsi que vous garantirez des droits aux personnes gardées à vue !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Il est beaucoup question, à l’heure actuelle, de conflits d’intérêts : en voilà un !

M. Alain Anziani. Il est tout de même extraordinaire que personne ne le relève ! En l’occurrence, il y a conflit d’intérêts dans la mesure où le procureur a la double fonction de poursuivre et de garantir les droits de la personne poursuivie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Alain Anziani. C’est là toute l’ambiguïté du texte ! C’est ce point qui achoppera devant la Cour européenne des droits de l’homme. Si la mission du procureur est de poursuivre, il ne peut pas dans le même temps contrôler le respect des droits de la personne poursuivie. Il faut mettre un terme à ce conflit d’intérêts !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est transparent !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tous les arguments méritent d’être entendus, mais je ne vois pas en quoi le fait d’être chargé d’exercer un contrôle entraînerait un conflit d’intérêts ! Sinon, il serait impossible d’assumer certaines fonctions.

Monsieur Mézard, j’ai apprécié que vous ayez quelque peu corrigé vos propos sur les procureurs.

De mon point de vue, il est plutôt positif que les parquets contrôlent les conditions de la garde à vue. D’ailleurs, s’ils exerçaient davantage cette mission, peut-être aurions-nous évité depuis longtemps que de telles mesures soient prononcées en aussi grand nombre, car les officiers de police judiciaire seraient tenus de justifier les demandes d’autorisation de placement en garde à vue qu’ils présentent. Si ce contrôle n’est pas toujours satisfaisant – je connais des procureurs qui sont extrêmement vigilants –, sans doute est-ce dû à un manque de moyens. Mon cher collègue, vous le savez bien, si le contrôle était confié au juge, il faudrait opérer une restructuration complète de l’ensemble du système.

Concernant la garde à vue, il s’agit d’assurer un contrôle par un magistrat, car les libertés publiques sont en jeu. Nous réaffirmons ce principe, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Les dispositions du texte constituent à mes yeux une avancée, contrairement à ce que certains disent. Simplement, monsieur le garde des sceaux, je souhaite qu’elles trouvent une traduction dans la réalité et que les parquets assument complètement leur mission de contrôle sur les gardes à vue décidées par les officiers de police judiciaire.

Quand nous aurons atteint cet objectif, je peux vous garantir que ce sera un grand progrès au regard des libertés publiques. Les magistrats ont le sens de ces dernières ; les officiers de police judiciaire aussi, en principe, mais il faudrait peut-être améliorer la formation de certains d’entre eux sur ce sujet.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. La garde à vue, madame Borvo Cohen-Seat, est décidée non par le procureur, comme vous l’avez affirmé tout à l’heure, sans doute par mégarde, mais par l’officier de police judiciaire, sous le contrôle du procureur. Cela est très clair.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela m’a échappé !

M. François Zocchetto, rapporteur. Évidemment, si le procureur décidait la garde à vue, on voit mal comment il pourrait aussi la contrôler.

Quant à la question de savoir si le contrôle devrait être assuré par un juge – qui ne pourrait être que le juge des libertés et de la détention – dès le début de la garde à vue, j’indiquerai simplement que nous nous sommes longuement interrogés sur ce point. Nous avons pesé les avantages et les inconvénients respectifs des différentes options : comme l’indique mon rapport, il est plus avantageux, notamment en termes de délais de procédure et de garanties, de confier le contrôle au procureur.

L’observation du travail des parquets sur le terrain, dans des juridictions de tailles extrêmement variées, m’a plutôt rassuré. J’ai également recueilli sur ce point l’avis d’un certain nombre d’avocats : en règle générale, ils ne se plaignent pas du contrôle exercé par le parquet. Pour des raisons théoriques, certains voudraient que cette fonction soit confiée au juge, mais je crois pouvoir dire que, en pratique, les choses se passent plutôt bien.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 104 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 69, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner

par les mots :

un ou plusieurs indices laissant présumer

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 69 est retiré.

L'amendement n° 105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

plausibles

par le mot :

sérieuses

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. L’alinéa 3 de l’article 1er prévoit que « la garde à vue est une mesure de contrainte décidée par un officier de police judicaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ».

Compte tenu de sa nature, la garde à vue doit rester une mesure exceptionnelle. Ce principe est fondamental, mais, pour l’heure, avec quelque 800 000 gardes à vue par an, il n’est guère respecté… Dans cette perspective, il nous semble préférable de prévoir que les raisons de soupçonner la personne devront être « sérieuses », l’adjectif « plausibles » ne paraissant pas assez fort. Il renvoie au champ lexical du vraisemblable, sinon du possible. À l’évidence, ce n’est pas suffisant pour garantir que le placement en garde à vue aura bien un caractère exceptionnel, surtout si le texte devait être adopté en l’état, c’est-à-dire si le recours à cette mesure devait être autorisé pour toute infraction passible d’une peine d’emprisonnement.

Nous souhaitons renforcer les critères de la garde à vue, sans toutefois faire peser de contraintes excessives sur les enquêteurs. Il nous apparaît donc indispensable que la garde à vue ne puisse être décidée qu’au vu d’éléments suffisamment sérieux, en d’autres termes beaucoup plus importants que ce que prévoit aujourd’hui le texte.

Certes, l’adjectif « plausible » figure aussi dans la loi Lebranchu de 2002 ou à l’article 5, paragraphe 1 c), de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais nous rappelons que le paragraphe 3 de ce même article 5 de ladite convention précise bien qu’une personne détenue dans ces conditions « doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ».

Or, en l’état, l’article 1er du projet de loi confie au procureur de la République le contrôle de la garde à vue, alors que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Moulin c. France du 23 novembre dernier, a dit que le procureur ne pouvait être considéré comme un « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».

Dans ces conditions, il nous paraît important de relever le niveau des critères du placement en garde à vue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. C’est en 2002 que nous avons adopté la terminologie en question.

Nous avons bien fait de retenir cette formulation, puisque la notion de raisons plausibles figure à l’article 5, paragraphe 1 c), de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg a donné à cette notion un sens très précis : « Les soupçons sont plausibles lorsque les faits ou les renseignements sont propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir commis l’infraction. »

Je trouve pour ma part très sécurisant de conserver une notion qui non seulement a fait ses preuves au regard de la jurisprudence française, mais est de plus adossée à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je remercie M. Anziani d’avoir retiré son amendement,…

M. François Zocchetto, rapporteur. … et je suggère à M. Mézard d’en faire autant. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage tout à fait l’avis de M. le rapporteur, et je joins ma voix à la sienne pour prier M. Mézard de retirer son amendement, même si je connais déjà sa réponse !

M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 105 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Si le terme « plausibles » était efficace, 800 000 gardes à vue n’auraient pas été décidées l’an dernier dans notre pays… Par réalisme, je maintiens l’amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 105 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 16 rectifié est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 106 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Après les mots :

d'une peine

insérer les mots :

supérieure ou égale à trois ans

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 16 rectifié.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde semble souhaiter une diminution du nombre des gardes à vue, celles-ci ayant concerné, en 2008, 1 % de la population…

Cette dérive tout à fait inquiétante tient, bien entendu, à l’aggravation des sanctions pénales et au contexte politique, caractérisé par un discours sécuritaire et la mise en œuvre d’une politique du chiffre.

Dans ce contexte légal et politique, la rédaction du projet de loi ne nous semble pas suffisante pour atteindre l’objectif affiché par le Gouvernement, et partagé par tous, de réduire le nombre des gardes à vue.

Je voudrais plus particulièrement m’attarder sur la condition définie à l’article 62-3 du code de procédure pénale, qui prévoit que, pour pouvoir être placée en garde à vue, la personne doit être « soupçonnée d’avoir commis un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».

Comme le note très justement le Syndicat de la magistrature, cette disposition, présentée par le Gouvernement comme un gage de réduction du nombre des gardes à vue, aura en réalité une portée très limitée. En effet, seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Force est donc de constater que le nombre de procédures concernées est minime ! D’ailleurs, les officiers de police judiciaires appliquent déjà cette règle dans la pratique.

Nous proposons de relever à trois ans le quantum de peine en deçà duquel il est impossible de placer une personne en garde à vue. Nous sommes parfaitement conscients des éventuels effets pervers que pourrait avoir l’instauration d’un tel seuil, eu égard notamment à la possibilité de voir rehausser, à terme, les peines encourues pour certaines infractions ou encore de constater un recours systématique à une « surqualification de la peine ».

Nous sommes également tout à fait conscients de l’inadaptation de l’échelle des peines, compte tenu de l’aggravation sécuritaire, qui a entraîné un alourdissement des peines sanctionnant divers délits, tels que l’occupation d’un hall d’immeuble, désormais susceptible de déboucher sur un emprisonnement… En revanche, il est vrai que d’autres infractions n’ont pas donné lieu à la même évolution, sans doute en raison d’un manque de visibilité médiatique.

Quoi qu’il en soit, l’instauration d’un tel seuil nous paraît être le moyen le plus efficace d’obtenir une diminution significative du nombre des gardes à vue, sans que cela nuise aucunement aux enquêtes.

En adoptant cet amendement, le Sénat enverrait un véritable message et montrerait qu’il est attaché à faire de la garde à vue une mesure de contrainte exceptionnelle. Pour l’heure, une peine d’un an de prison pouvant s’appliquer à toutes sortes de délits, la garde à vue ne saurait être une mesure d’exception.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 106 rectifié.

M. Jacques Mézard. Cet amendement est extrêmement important.

Je regrette que la commission ait suivi le Gouvernement, car prévoir la possibilité de placer en garde à vue toute personne soupçonnée d’avoir commis un délit puni d’une peine d’emprisonnement, quelle que soit sa durée, contredit complètement l’objectif affiché au travers de ce projet de loi.

Une nouvelle fois, vous marchez à reculons,…

M. Jacques Mézard. … au lieu d’adopter une vision prospective, innovante du droit pénal.

M. le rapporteur nous a affirmé que si l’on fixait le seuil à trois années d’emprisonnement, il ne pourrait pas y avoir de placement en garde à vue dans le cas de certaines atteintes sexuelles. Je pourrais tirer du code pénal des exemples d’infractions réprimées par des peines d’emprisonnement de cinq ans ou plus qui feraient sourire notre assemblée… Je pense en particulier aux jeux, à la pêche maritime et à bien d’autres domaines encore. Il faudrait revoir tout cela, car une telle échelle des peines n’a plus guère de sens.

En tout cas, considérer que le placement en garde à vue doit être possible quel que soit le quantum de la peine d’emprisonnement encourue, ce n’est pas aller dans le sens de la décision du Conseil constitutionnel et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En effet, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait fondé la censure des articles 62, 63-1 et autres du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue sur le fait que l’évolution de la pratique avait contribué à en banaliser l’usage, de telle sorte que la procédure était devenue déséquilibrée au détriment de la personne gardée à vue. Il avait notamment relevé que la garde à vue pouvait être prolongée sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité.

Nous sommes vraiment là au cœur du débat.

Monsieur le ministre, si vous voulez réellement réduire le nombre des gardes à vue, dont l’augmentation est devenue intolérable et va à l’encontre d’une bonne administration de la justice, ce n’est pas en refusant de fixer un seuil de peine encourue que vous y parviendrez.

Il est illusoire d’affirmer que limiter la garde à vue aux seules infractions passibles d’emprisonnement en fera diminuer le nombre. Nous savons tous que seuls 7 % des délits ne sont pas punis d’emprisonnement et qu’il s’agit d’infractions mineures, comme les outrages les moins graves ou le défaut d’assurance. Il s’agit donc d’être raisonnables, tout simplement.

Quand M. le rapporteur nous dit que fixer un quantum de peine risquerait d’entraîner un développement sans frein du recours à la prétendue audition libre prévue à l’article 11 bis, il nous fait un aveu : s’il soutient cet argument irrecevable, cela signifie que, hors de la garde à vue, il n’existe aucune garantie pour les personnes mises en cause ni aucun respect de la liberté individuelle.

Dans l’intérêt général, dans l’intérêt des forces de l’ordre et dans celui de la justice, il convient d’aller dans le sens que nous proposons, car c’est le sens de la mesure, monsieur le garde des sceaux. Puisque vous entendez être un homme d’équilibre et de mesure, suivez-nous sur ce point !

M. le président. L'amendement n° 71, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

d'emprisonnement

par les mots :

égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement ou, en cas de délit flagrant, d'une peine égale ou supérieure à un an d'emprisonnement

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Nous sommes sans doute tous d’accord sur le principe que la garde à vue, mesure privative de liberté, doit être proportionnée à la gravité des faits. Cependant, il convient de déterminer comment nous déclinons ce principe. Dans certains pays, des seuils de peine d’emprisonnement ont été fixés : deux ans en Italie, cinq ans en Espagne, par exemple. C’est une possibilité.

Vous faites d’ailleurs un pas modeste dans cette voie, puisque, aux termes du droit actuel, on peut être placé en garde à vue sans même qu’une peine d’emprisonnement soit encourue. Toutefois, ce n’est pas suffisant, dans la mesure où il est peu d’infractions qui ne soient pas punies d’une peine d’emprisonnement.

Par conséquent, il nous semble souhaitable de prévoir un seuil. Nous proposons de le fixer à trois ans, par cohérence avec le seuil en vigueur en matière de détention provisoire, ou à un an en cas de flagrant délit. Certes, je ne nie pas que la fixation d’un tel seuil puisse entraîner des effets pervers, évoqués par M. le rapporteur, mais ceux-ci sont sans doute liés à l’inadaptation de l’échelle des peines, qu’il conviendrait de revoir. Cela n’est pas simple, je le concède, mais c’est une nécessité au regard de la rationalité de l’ensemble de notre code pénal. En tout cas, il ne faut pas, au nom de cette difficulté, tourner le dos au principe de proportionnalité.

M. le président. L'amendement n° 99 rectifié quinquies, présenté par MM. Vial et Houel, Mme B. Dupont, MM. J. Gautier, Milon, Cléach et Dulait, Mme Lamure, MM. Doublet, Laurent, Portelli, Doligé, Bernard-Reymond, Hérisson, Leclerc, B. Fournier, Trillard, Gouteyron et Alduy et Mme Papon, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 3

Après le mot :

emprisonnement

insérer les mots :

d’une durée supérieure ou égale à trois ans

II. - Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Toutefois elle peut être décidée quelle que soit la durée de la peine en cas de flagrant délit contre les personnes ou les biens.

La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Je relève que, en 2004, le Conseil constitutionnel avait jugé les mêmes dispositions parfaitement conformes à la Constitution. C’est l’évolution de la politique pénale et l’augmentation exponentielle du nombre des gardes à vue qui l’ont amené depuis à changer d’avis…

M. Hugues Portelli. D’ailleurs, cette évolution a eu pour effet pervers qu’il a fallu plus que doubler le nombre d’officiers de police judiciaire, au point parfois d’accorder cette qualification à des gens qui n’avaient pas forcément reçu toute la formation nécessaire, y compris juridique, pour exercer la prérogative qui leur était octroyée.

Un vrai problème se pose donc. Ces amendements visent à garantir une diminution drastique du nombre des gardes à vue. On sait très bien que, de toute façon, une grande partie des personnes placées en garde à vue sont finalement relaxées, après avoir néanmoins subi une situation extrêmement dommageable. Atteindre cet objectif permettrait, parallèlement, de réduire le nombre des officiers de police judiciaire.

M. le rapporteur nous a très brillamment objecté, en commission, que le code pénal est fait – ou défait ! – de telle manière que l’échelle des peines est en fait assez arbitraire et que, parfois, des peines d’emprisonnement assez légères sanctionnent des infractions relativement graves, et inversement.

Mais là n’est pas le problème : cette loi devra être appliquée, or elle ne pourra l’être si nous ne fixons pas un seuil. Si le nombre des gardes à vue demeure élevé, les personnes concernées seront accueillies dans des lieux inadaptés, car on sait très bien que l’on n’aura jamais le temps de remettre aux normes tous les locaux de garde à vue. Des procédures seront alors annulées, et des recours seront formés devant la Cour de cassation, qui sera obligée d’appliquer la jurisprudence de la CEDH, beaucoup plus dure que celle du Conseil constitutionnel, lequel avait accordé au législateur un délai pour des considérations d’ordre public…

Nous pourrions alors nous trouver dans la situation où une loi votée par le Parlement et déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel serait sanctionnée par la Cour de cassation !