M. Paul Blanc. Très bien !

M. Jean-Louis Lorrain. Il faut dire que, à notre époque, la biologie alliée à l’imagerie fonctionnelle devient dominante. Toutefois, elle ouvre aussi la voie à une vision réductrice de l’individu.

Le succès des neurosciences ne peut se concevoir qu’encadré par une « neuroéthique », qui reste à définir face aux transgressions potentielles.

Certains déçus du prétendu choix de la stabilité montrent l’incompréhension du questionnement. Les lois de bioéthique devraient répondre à de nouvelles demandes sociales, au risque d’être à la traîne. Au désir de certains relevant avant tout de questions sociales, nous préférons la protection du plus faible, donc de l’enfant. Cela nécessite de légiférer en limitant notre liberté individuelle ; mais c’est un choix !

Le don de gamètes, c'est-à-dire de cellules permettant le développement de la fécondation, doit rester neutre. Ces cellules ne sont pas porteuses de filiation, ni d’une histoire sociale et affective. La levée de l’anonymat ne doit pas induire un bouleversement de l’existence de l’enfant. Néanmoins, on doit entendre un adulte qui est à la recherche de ses origines et on doit pouvoir l’accompagner. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il soit nécessaire de lever l’anonymat, car le retentissement de cette levée ne concerne pas seulement un donneur et un receveur. En effet, pourquoi serait-il si suspect d’écouter les CECOS, acteurs depuis plusieurs décennies et dont les compétences sont reconnues ?

Renoncement, refus, statu quo, immobilisme, principe intangible… Le changement pour quoi faire ? Pour un nouveau modèle de la responsabilité.

Au fil des siècles, la responsabilité s’est affrontée au changement. Même si l’on ne légifère pas en fonction de la sociologie du moment et de ses nouveaux « produits », tel le don d’engendrement, on peut néanmoins dire que l’approche éthique est mouvement : elle se situe dans l’agir et, donc, dans le changement. Les fins ne sont pas, à elles seules, le changement.

II nous paraît bien inutile de parler de familialisme, de traditionalisme. Nous préférons affirmer des valeurs et des principes de gratuité et de don. Si le débat éthique est celui du compromis en fonction d’intérêts particuliers, au détriment de la protection du plus faible, de la confiance, nous allons à l’échec. S’il existe une éthique minimaliste, ce sera la bioéthique. La science peut nous libérer, mais les scientistes peuvent nous soumettre.

L’intérêt du débat est de faire apparaître un positionnement clair. Le rapporteur, qui a notre estime, pose clairement le principe d’intégration de la recherche sur l’embryon. II lève l’anonymat par l’accès à l’identité de tout tiers dont les gamètes ont permis la conception. La levée d’une interdiction serait la réponse à une éventuelle hypocrisie institutionnelle, mais elle ne peut venir que des acteurs.

Au nom de la cohérence, de la lisibilité et de la simplification, nous ne pouvons abandonner nos valeurs. Même si c’est discutable, nous restons profondément kantiens : la fin ne justifie pas les moyens.

Pour le professeur Sicard, « la bioéthique n’est pas une énonciation, elle est une dénonciation », et nous tentons, modestement, de mettre en œuvre cette définition.

Lorsque le savant médiatique parle de ses recherches, on l’écoute, on l’aide : parler du saint Graal – vase ayant recueilli le sang du Christ – à propos des cellules embryonnaires est peut-être excessif. Mais ces chercheurs pensent-ils un instant aux autres chercheurs, en sciences humaines par exemple, qui inspirent aussi ce débat, mais avec des moyens tout à fait dérisoires ?

Le principe du respect, de la dignité n’a pas la même signification en fonction de notre histoire ou de notre culture personnelle. C’est pourquoi, très en amont, il serait nécessaire d’accorder à l’éthique le titre de matière reconnue par l’université, ce qui éviterait un usage abusif et l’alimentation de postures diamétralement opposées.

Malheureusement, nous nous reconnaissons peu, malgré le travail sincère qui ressort de certaines des propositions de la commission, outre le refus de l’implantation post mortem ou celui de la gestation pour autrui. Pourquoi ne pas faire confiance au médecin qui œuvre dans le cadre d’une relation privilégiée avec le malade, en lui évitant d’imposer des prescriptions légales ?

Les convictions dites « de la société » sont celles de certains chercheurs qui prescriraient en même temps les normes. Or ces acteurs sont soumis aux pressions des investisseurs, qui ne sont pas obligatoirement des philanthropes.

L’éthique comprise comme une gêne est une profonde erreur. Elle n’est pas une partie de la politique ; elle est politique ! Elle nous protège dans l’incertitude, dans le doute. Elle inspire, mais, si elle peut dire le bien, elle ne se targue pas de dire la vérité.

Nous devons écouter les philosophes, tel Emmanuel Hirsch, qui souhaite l’organisation régulière d’états généraux de la bioéthique soumis à l’arbitrage du Parlement. II faut développer une culture de la réflexion éthique, afin d’affaiblir les positions extrêmes où prévalent les idéologies, les intérêts et les pressions. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la bioéthique est une matière compliquée.

Parce qu’elle cherche à résoudre des questions de nature morale soulevées par l’avancement de la recherche et le développement des technologies dans les domaines de la médecine, de la biologie et de la santé, elle interroge notre conscience individuelle et fait appel à nos convictions les plus personnelles.

Il reste que, en tant que parlementaires, nous faisons la loi au nom de l’intérêt général : nous devons donc trouver un équilibre entre nos convictions personnelles, les attentes de la société et les principes fondamentaux qui régissent notre droit et notre organisation sociale.

Alors que, en 2004, le débat sur le clonage thérapeutique avait dominé pendant l’élaboration de la loi, il a aujourd’hui complètement disparu en raison du discrédit porté sur ces recherches. Aujourd’hui, de nouveaux débats ont émergé au sein de la société civile, qui mobilisent l’attention des médias et du monde politique : par exemple, la demande d’autorisation de la gestation pour autrui émanant de femmes dans l’incapacité de procréer, celle de l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ou encore celle de certains enfants nés d’une assistance médicale à la procréation qui veulent connaître leur origine.

Sur tous ces sujets, il n’y a pas de réponses simples ou évidentes. Pourtant, il nous faut bien y apporter des réponses tranchées et cohérentes. La tâche est ardue. Même si, aujourd’hui, je défends certaines positions, je n’ai pas de certitudes absolues.

En effet, derrière les questions qui sont aujourd'hui soumises à notre examen, il y a des enjeux sous-jacents complexes qui nous conduisent, que l’on ait ou non une formation médicale ou scientifique, à une certaine forme d’humilité.

En tant qu’homme de gauche, ma réflexion a été bien entendu guidée par le respect des principes d’égalité, de solidarité, de laïcité et de dignité, par le refus de l’obscurantisme et du conservatisme, par la volonté d’encourager la recherche. Mais, sur un tel terrain, qui touche à la vie, à la mort, à la maladie, à la reproduction, entrent aussi en considération des principes plus intimes, qui, parfois, nous amènent à prendre des positions différentes.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. J’en viens au contenu du projet de loi et je concentrerai mon propos sur quelques points essentiels.

En premier lieu, j’aborderai la question de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Nous sommes satisfaits que la commission ait eu le courage d’adopter un dispositif clair et cohérent. À cet égard, le régime d’interdiction assortie d’une dérogation permanente adopté par l’Assemblée nationale était d’une totale hypocrisie, d’autant qu’il n’était assorti d’aucune clause de révision, ce qui revenait à geler le dispositif à perpétuité.

L’’interdiction, dès lors qu’elle est assortie d’une exception, ne fournit pas plus de garanties contre les dérives et les abus que ne le ferait une autorisation pure et simple. Bien au contraire, l’abandon du régime d’exception permet de concentrer la réflexion sur les modalités d’application de la recherche, dont certaines, en l’état actuel du droit, s’avèrent insatisfaisantes ou lacunaires. La consécration d’une autorisation, précisément encadrée et soumise à conditions, est le signe d’une évolution maîtrisée, pleinement justifiée, révélatrice de la volonté de la représentation nationale d’assumer sa responsabilité en conciliant la protection de l’embryon et l’intérêt général servi par la recherche.

La loi de 2004 s’inscrivait d’ailleurs dans cette logique. Le régime dérogatoire qu’elle instaurait avait été conçu comme un régime transitoire : un temps d’expérience, destiné à évoluer si l’ouverture à la recherche n’entraînait pas des abus. En cas de bilan positif, l’esprit de la loi était de basculer dans un régime d’autorisation. Or le bilan est, de l’avis général, très positif : les dérives n’ont pas eu lieu.

Sur le plan juridique, dès 1994, le Conseil constitutionnel avait ouvert la voie à une consécration du principe d’autorisation de la recherche sur les embryons, estimant que l’article 16 du code civil, qui interdit toute atteinte à la dignité de la personne et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, cette protection étant étendue à l’embryon, n’était pas applicable à l’embryon in vitro.

Sur le plan scientifique, il ne fait guère de doute que les recherches sur les cellules embryonnaires sont porteuses de grands espoirs.

Enfin, on ne peut totalement ignorer l’argument industriel. Ces recherches nécessitent de lourds investissements. Or le maintien d’un régime d’exception fragilise la position de la France au sein de la communauté internationale, en suscitant la méfiance des investisseurs, inquiets devant l’incertitude et le manque de lisibilité de la loi française.

Il est donc temps de franchir le pas. Il y a même urgence puisque, depuis le 6 février dernier, la dérogation prévue par la précédente loi est arrivée à échéance. Depuis cette date, plus aucun projet de recherche nouveau ne peut être engagé.

En matière d’assistance médicale à la procréation, le moins que l’on puisse dire est que le texte reste très en retrait.

M. Jean-Pierre Godefroy. Alors que l’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui devenue « banale » avec la naissance chaque année de plus de 10 000 bébés issus d’une fécondation in vitro, ce sont les conditions pour y avoir accès qui posent désormais problème, dans un contexte radicalement nouveau, où la question du désir d’enfant devient une question sociale à part entière.

Force est de constater que la législation française mise en place en 1994 est très limitative et qu’elle se fonde sur un modèle familial dominant, ignorant assez largement les évolutions à l’œuvre dans la société française. Elle ne laisse aucune place à d’autres modes de parentalité. Or c’est une réalité : la parentalité se décline désormais sous plusieurs formes.

Dans ce débat, il ne doit pas, selon moi, y avoir de place pour des considérations naturalistes conduisant à des jugements d’ordre moral ou subjectif. Les seuls éléments à prendre en considération devraient être l’intérêt de l’enfant, d’une part, la consistance du projet parental, de l’autre. Le plus important est la capacité de la famille à rendre heureux l’enfant qu’elle accueille et à le mener à l’âge adulte dans les meilleures conditions.

M. René-Pierre Signé. Évidemment !

M. Jean-Pierre Godefroy. L’argument selon lequel il ne saurait exister de « droit à l’enfant » sert bien souvent à écarter toute velléité d’ouvrir les portes de la parentalité et de l’assistance médicale à la procréation, en particulier aux couples de même sexe.

Les motifs qui excluent aujourd’hui les couples homosexuels du droit d’être parents sont moins fondés sur des raisons objectives que sur des préjugés sociaux. Les recherches réalisées aux États-Unis et en Europe du Nord montrent assez clairement qu’il n’y a pas d’impact majeur de l’homoparentalité sur le bien-être et le devenir psychologique des enfants.

C’est pourquoi nous sommes favorables à un élargissement aux couples de même sexe de l’accès à la parentalité, donc à l’assistance médicale à la procréation et à l’adoption.

M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on en juge par le texte issu de la commission, il nous reste encore un long chemin à parcourir avant d’en arriver là !

Alors que l’Assemblée nationale avait fait un pas en supprimant la condition de durée de vie commune de deux ans pour les couples non mariés, le Sénat fait, lui, un pas en arrière en réintroduisant une condition de stabilité et de continuité du couple. Celle-ci doit, en plus, avoir « un caractère suffisant ».

Sur un plan strictement juridique, cela me semble pour le moins compliqué, voire porteur de risque d’inégalités : qui jugera de ce caractère suffisant ? Selon quels critères ? Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet parental ?

En ce qui concerne le transfert d’embryon post mortem, je suis satisfait – je m’exprime là à titre personnel – que la majorité de la commission ait voté la suppression du dispositif adopté par l’Assemblée nationale. Je me suis longtemps interrogé sur ce point. Si je comprends la détresse de ces femmes qui ont attiré l’attention de l’opinion publique, je ne peux me résoudre à ce que la loi autorise sciemment la naissance d’orphelins.

Une fois de plus, la seule question à se poser est celle de l’intérêt de l’enfant. Or je crois pour ma part que l’absence de père, eu égard aux circonstances de sa naissance, pourrait être de nature à créer des troubles psychologiques importants pour cet enfant né d’un deuil. Je souhaite vivement que l’article 20 bis ne soit pas rétabli. Je développerai plus largement mes arguments lors de la discussion des articles, afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti.

À ce stade, je souhaite aussi aborder la gestation pour autrui. Comme la présidente et le rapporteur de la commission des affaires sociales, avec trente de mes collègues, j’ai déposé un amendement légalisant la gestation pour autrui.

En 2009, j’ai participé, sans a priori ni idées préconçues, au groupe de travail présidé par Michèle André et j’ai été convaincu de l’intérêt de légaliser la gestation pour autrui dans des conditions strictes.

Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de reconnaître un quelconque « droit à l’enfant » ni d’autoriser une pratique de confort qui permettrait à une femme de faire porter son enfant par une autre, parce qu’elle souhaiterait, par exemple, éviter les « désagréments » d’une grossesse. Il s’agit de faire de la gestation pour autrui un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l’infertilité. Les conditions prévues sont d’ailleurs extrêmement strictes : seuls pourraient ainsi en bénéficier les couples dont la femme se trouve dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître.

Face à certaines dérives permises par des législations étrangères, je crois que la France a tout intérêt à se doter d’une législation rigoureuse, qui éviterait les drames que l’on connaît actuellement. Nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement lors de l’examen des amendements.

Toutefois, je voudrais vous faire part de ma conviction : nous ne parviendrons pas à lutter contre la « marchandisation » du corps de la femme si la situation que nous connaissons perdure !

M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. La lutte ne sera possible dans les pays périphériques que si la loi française encadre très strictement cette pratique et définit bien les conditions dans lesquelles elle sera possible dans notre pays.

M. Alain Milon, rapporteur. Exactement !

M. Jean-Pierre Godefroy. En tout cas, mes chers collègues, c’est un débat qui honore le Sénat, quand l’Assemblée nationale, elle, a fait l’impasse sur cette question.

Que l’on soit partisan ou opposant de la gestation pour autrui, il reste un point important à régler : celui de l’état civil des enfants nés à l’étranger grâce à cette pratique.

Le service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes, seul tribunal compétent pour statuer sur la nationalité française, refuse de délivrer des papiers à ces enfants, qui peuvent ainsi se retrouver sans mère officielle et même parfois apatrides – ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler de ces enfants nés en Ukraine que leurs parents ne peuvent ramener en France.

Officiellement, on recense une quinzaine de dossiers problématiques. Le plus connu est celui des époux Mennesson, sur lequel la Cour de cassation rendra son arrêt définitif demain : le parquet général s’est d’ailleurs prononcé en faveur de l’inscription à l’état civil ; je regrette que l’on doive attendre une décision de la plus haute juridiction française pour éventuellement légiférer !

Sans préjuger les conclusions de l’arrêt qui sera rendu demain, je pense qu’il existe un risque de conflit entre la position que nous prendrons sur la légalisation ou non de la gestation pour autrui et le problème de l’inscription à l’état civil de l’enfant né de cette pratique. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Un autre sujet sensible est celui de l’anonymat des donneurs de gamètes.

Le conflit entre vérité biologique et apparence sociale ne date pas d’hier ! Mais, depuis 1972 et la création des CECOS, l’anonymat du donneur a été conçu dans le corpus juridique français comme un principe éthique autant que comme un moyen d’assurer l’acceptabilité sociale et morale de la pratique de l’insémination artificielle avec donneur.

L’anonymat est aujourd’hui contesté par des associations d’enfants issus d’un don de gamètes. Devenus adultes, certains vivent comme une souffrance ce silence sur leur identité et revendiquent le droit d’accéder à leurs origines.

À l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays européens, le texte initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de lever l’anonymat du donneur à la demande de l’enfant et avec le consentement du donneur. L’Assemblée nationale a supprimé ces dispositions du texte.

Sur l’initiative du rapporteur, la commission des affaires sociales a non seulement rétabli le dispositif, mais a aussi choisi d’aller plus loin puisqu’elle rend cette levée de l’anonymat automatique à partir de 2013. Le donneur sera alors informé, au moment du don, que l’enfant éventuellement conçu avec ses gamètes pourra, à sa majorité, demander à avoir accès à des données non identifiantes le concernant, voire à son identité, et qu’il sera fait automatiquement droit à sa demande, sans vérifier que le donneur y consent toujours.

J’ai le sentiment que cela pose plus de problèmes que cela n’en résout. L’anonymat du don est l’un des principes fondateurs de notre droit de la bioéthique et je ne crois pas que l’on doive y déroger.

Je considère, en effet, que la levée de l’anonymat est discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique. Elle alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et elle remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. Elle fragilise la position tant du couple receveur, qui sera plus enclin à garder le secret sur les conditions de conception de son enfant, que du donneur, qui n’est pas un parent et n’a donc pas sa place dans la famille.

Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.

Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’ai de sérieux doutes quant à l’efficacité du « remède » et au bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, ce qui introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Je crois au contraire qu’il pourrait s’en trouver déstabilisé et bien plus en souffrance que du fait de la méconnaissance de son donneur.

Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir accordé un peu plus de temps de parole. J’aurais encore quelques sujets à aborder, mais nous y reviendrons lors de la discussion des articles. Je pense notamment, monsieur le rapporteur, au problème de l’état civil des enfants mort-nés – c’est l’article 79-1 du code civil –, qu’il nous faudra également régler Je suis décidément trop bavard ! (Sourires. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est pour moi majeur et pose de vraies questions qui nous concernent tous. Pour autant, c’est sur un point en particulier que je me mobilise : celui de la levée de l’anonymat du don de gamètes.

En première lecture, l’Assemblée nationale a purement et simplement supprimé le titre V du projet de loi initial portant sur l’identité des donneurs de gamètes, ce que, à titre personnel, j’avais vivement regretté.

Or, sur l’initiative de son rapporteur, notre excellent collègue Alain Milon, que je salue, la commission des affaires sociales a décidé de revenir sur cet anonymat et de le lever partiellement, dans des conditions qui me semblent équilibrées.

Je me félicite de ce choix courageux de la commission des affaires sociales et souhaite que le Sénat maintienne cette position lors de l’examen des articles, cela pour les raisons suivantes.

En tant que sénateur, je défends les libertés individuelles et je considère qu’imposer à un être humain un secret sur ses origines est une violation pure et simple de ses libertés.

C’est cette même conviction qui me fait prendre des positions résolues quant à la suppression de l’accouchement sous X. Bien que les histoires de vie des enfants nés par don de gamètes et des enfants nés sous X ne soient évidemment pas comparables, la souffrance issue de l’absence d’une partie ou de la totalité de leurs origines est tout aussi révoltante.

En fait, c’est précisément sur ce point – le droit d’accès aux origines, tel qu’il est affirmé dans de nombreux traités internationaux, dont la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 à New York par l’Assemblée générale des Nations unies – que se sont appuyés les recours déjà déposés par une douzaine d’enfants nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.

C’est pourquoi, avant d’aborder les conséquences de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes sur la vie de ces derniers, je veux parler de ceux qui restent systématiquement à l’écart des débats, à savoir les enfants, adultes en devenir, nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.

Je veux dépasser le clivage entre parents et donneur pour m’attacher à ceux qui devraient être au cœur de nos réflexions : les enfants.

En effet, mes chers collègues, comment imaginer vivre et se construire sans savoir d’où l’on vient ? En serions-nous capables, nous qui connaissons nos origines ? Il est utopique de penser que l’amour de ses deux parents suffit à éluder la question. Ces enfants-là sont différents des autres et ils ont le droit de mettre un nom sur leur différence. Or ce nom-là ne se résume pas à un tube à essai !

Un homme a donné son sperme ou une femme a donné ses ovocytes pour qu’un enfant naisse. Cet enfant a le droit de savoir qui était ce donneur parce que cet adulte en devenir a hérité d’un patrimoine et que, tant qu’on le lui taira, il sera bancal. Tout l’amour dont il peut être entouré par ses parents, toute la stabilité qu’ils peuvent lui offrir ne saurait effacer ce questionnement.

Cet enfant, cet être humain, ne recherche pas une famille : il en a déjà une. Il recherche son histoire. Et cette histoire était multiple bien avant sa naissance, car un tiers a donné ses gamètes pour qu’il naisse.

Dès le départ, l’histoire s’est écrite à trois. Dès le départ, le couple réuni autour de ce projet d’enfant a accepté qu’une tierce personne y participe. Comment refuser au principal intéressé de l’affaire de connaître son identité ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Trop souvent, nous jugeons ces situations à l’aune de nos propres expériences, essentiellement résumées à la dualité d’un couple de parents.

Pour la plupart d’entre nous, les filiations biologiques, affectives et juridiques sont portées par les mêmes personnes : les parents. Mais, chez les enfants nés par dons de gamètes, et à plus forte raison chez les enfants nés sous X, elles relèvent de plusieurs acteurs. Au cours des dernières années, la principale erreur a été d’occulter cette pluralité.

Combien de parents adoptifs ont affirmé être les parents biologiques de leur enfant ? Combien de parents ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ont tu cette vérité à leur enfant ? Que ce dernier soit à 50 % l’enfant biologique de ses parents n’y change rien. Lorsque la vérité éclate, c’est un cataclysme. Et les études qui ont été réalisées en témoignent : de nombreux parents taisent cette intrusion, pourtant voulue, dans leur parentalité.

Afin que les choses soient apaisées, il faut impérativement en passer par ce préalable : la prise de conscience en amont, par les parents, de la situation dans laquelle ils s’engagent et de l’héritage pluriel que recevra leur enfant. Ce n’est qu’à cette condition qu’eux-mêmes n’auront pas peur de ce qui se cache derrière le secret.

Car la peur de la vérité, mes chers collègues, fait souvent plus peur que la vérité elle-même. Le fantasme fait plus de ravages que la réalité. Les parents n’ont pas à craindre qu’un donneur, dès lors qu’il sera identifié, bouscule l’équilibre de leur famille. De la même manière, le donneur ne doit pas craindre qu’un enfant s’installe dans la sienne.

Cette réflexion me conduit à évoquer un second préalable, extrêmement important à mes yeux, à savoir la responsabilisation des dons : il convient en effet que les donneurs d’hérédité prennent conscience de la portée de leur acte. (Mme Marie-Thérèse Hermange, Mlle Sophie Joissains et Mme Janine Rozier manifestent leur approbation.)

Vous avez parlé tout à l’heure de générosité, mais on ne donne pas ses gamètes comme on donne du sang. On a besoin de sang pour vivre, mais on a besoin de gamètes pour naître, ce qui ne revient pas du tout au même.

Le don doit être assumé et relationnel. C’est ce qui se passe déjà en Suède, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Australie et dans bien d’autres pays. Alors même que certains agitent le chiffon rouge lorsque l’on évoque la levée de l’anonymat, je tiens à rétablir la vérité : non, le nombre de donneurs ne chute pas dans ce nouveau cadre et, s’il peut baisser dans un premier temps, il remonte ensuite.

Ce sont les profils des donneurs qui, sans conteste, changent. Dans les pays où les dons ne sont plus ou n’ont jamais été anonymes, les donneurs sont responsables, citoyens et tout aussi généreux. La différence, c’est qu’ils assument leur altruisme.

Dans le système tel qu’il existe en France, le don de gamètes ne s’adresse qu’aux parents ; même la générosité des donneurs est tenue secrète.

Ce sont tous ces tabous qu’il nous faut lever : le tabou qui pèse sur un couple confronté à l’infertilité de l’un des partenaires ; sur un donneur confronté aux conséquences de son acte ; sur un être qui possède plusieurs parents et qui choisit ou non de les aimer ou de les accepter.

Il est impossible de nier la revendication naturelle d’un citoyen à connaître ses origines, en pensant qu’un être humain peut se contenter d’une demi-vérité. Cela reviendrait à se construire à partir d’un puzzle incomplet. Une seule pièce manquante suffit à amputer le paysage, à rompre l’équilibre.

Oui, les enfants nés par dons de gamètes deviennent des adultes multiples, pluriels. Que l’on respecte leur héritage et, surtout, qu’on ne les en prive pas ! Les ravages et les souffrances liés au secret des origines durent toute une vie. Si nous défendons la liberté et l’égalité de chacun, nous ne pouvons pas tolérer que des êtres humains soient volontairement privés de leur histoire, de leur vérité.

Il faut questionner notre conscience, en plaçant l’enfant au cœur de nos débats. Son intérêt doit primer toute autre considération. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)