M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. C’est cohérent !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut éviter les polémiques sur ce sujet difficile.

Personnellement, j’ai participé au groupe de travail de Mme André et voté contre la légalisation de la GPA. Aujourd’hui, la majorité des membres du groupe CRC-SPG voteront contre les amendements identiques nos 2 rectifié quater et 75 rectifié.

Je voudrais essayer d’expliquer cette position en m’appuyant sur des raisons qui me paraissent objectives.

Nul ne nie la souffrance des couples qui ne peuvent satisfaire leur désir d’enfant. J’ai néanmoins toujours considéré qu’il n’existait pas de droit à l’enfant à tout prix.

Contrairement à la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui fait intervenir plusieurs acteurs : le couple demandeur, la femme qui assumera la grossesse, ses enfants, voire son conjoint ou concubin, et enfin l’enfant à naître.

L’argument principal des auteurs des amendements est que, quoi que l’on pense de la gestation pour autrui, elle se pratique dans d’autres pays et qu’il convient donc de la légaliser et de l’encadrer en France.

Toutefois, compte tenu du faible nombre de femmes susceptibles de porter un enfant pour autrui, je pense que la légalisation de cette pratique dans notre pays n’empêchera pas le recours, dans des conditions diverses, à des mères porteuses vivant à l’étranger.

En effet, je ne crois pas que beaucoup de femmes de ce pays se déclarent prêtes à s’engager dans une telle démarche, sauf à accepter que la mère porteuse puisse être apparentée à l’un des membres du couple demandeur… On entend dire que des mères pourraient porter un enfant pour leur fille : imaginez l’imbroglio familial que créerait une telle situation ! Ce serait revenir à d’anciennes pratiques, où par exemple une sœur portait un enfant pour sa sœur et que couvraient des secrets de famille.

Par conséquent, j’estime que très peu de femmes accepteront de porter un enfant pour un couple demandeur en étant simplement défrayées. On n’empêchera pas que, dans la majorité des cas, un contrat marchand ne soit établi entre les deux parties, la femme qui assumera la grossesse y trouvant un intérêt économique. Au sein du groupe de travail auquel j’ai participé, certains ont établi un parallèle entre les mères porteuses et les nourrices d’antan, mais cette référence ne me semble guère encourageante…

La femme porteuse signera donc un contrat stipulant qu’elle remettra l’enfant au couple demandeur au terme de la grossesse. Une telle situation me semble compliquée à vivre, et j’estime qu’il serait bien imprudent de permettre que l’on s’engage dans cette voie. Aux États-Unis ou en Ukraine, il est manifeste que les femmes porteuses ne signent de tels contrats marchands que poussées par des nécessités économiques.

Enfin, quelle idée des enfants déjà nés se feront-ils de leur mère si elle accepte d’assumer une grossesse pour une autre femme ? Ne se demanderont-ils pas pourquoi elle donne à quelqu’un d’autre un enfant qui pourra leur apparaître comme leur frère ou leur sœur ?

M. le président. Ma chère collègue, il faut conclure !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La gestation pour autrui induit donc des situations assez lourdes, et la légaliser me semble être une fausse bonne solution. Il faut à mon sens admettre que, dans certains cas, un désir d’enfant puisse ne pas être satisfait.

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. Je m’exprimerai non pas en tant que rapporteur pour avis, puisque la commission des lois n’a pas été saisie de cette partie du texte, mais à titre personnel.

Je voudrais d’abord rappeler que ce que l’on appelle communément la GPA est aujourd'hui sanctionné à la fois civilement et pénalement.

En outre, la grande majorité des travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique ont abouti à la proposition de maintenir l’interdiction de la gestation pour autrui.

Je comprends parfaitement la souffrance des femmes qui ne peuvent avoir d’enfant faute d’utérus ou pour cause de malformation de ce dernier. Je propose cependant de maintenir cette prohibition du recours à la maternité de substitution et de voter contre ces amendements.

En effet, je considère que la maternité de substitution porte atteinte à un principe fondamental qui a été consacré par le Conseil constitutionnel en 1994, à savoir la dignité de la personne humaine, qui repose sur le respect du corps humain, de son inviolabilité et de son caractère non patrimonial. Cette pratique est également contraire au principe d’indisponibilité du corps humain, ainsi que la Cour de cassation vient de le rappeler dans un arrêt rendu hier.

Plusieurs personnes que j’ai auditionnées m’ont indiqué que la maternité de substitution impliquait nécessairement la marchandisation de la mère porteuse et de l’enfant à naître.

Le dispositif des deux amendements identiques ne pourra, de fait, empêcher cette marchandisation, puisqu’il est prévu qu’un dédommagement sera versé à la mère porteuse pour les frais engagés mais non remboursés par la sécurité sociale. Le contrôle du juge ne pourra, en pratique, pas empêcher la remise d’autres moyens de rémunération, moins officiels.

La légalisation de cette pratique impliquera également un bouleversement de notre droit de la filiation, remettant en cause un principe ancien selon lequel la mère est celle qui accouche. Admettre cette pratique conduirait nécessairement, à terme, à réexaminer les modalités d’accès à l’aide à la procréation médicalement assistée, et en particulier à reconsidérer le refus actuellement opposé aux célibataires et aux couples homosexuels. Il est vrai, toutefois, que la situation vient d’évoluer sur ce dernier point.

Par ailleurs, il ne faut pas céder à l’argument du fait accompli et de l’existence de la GPA à l’étranger. En effet, aucun mouvement général allant dans le sens d’une légalisation de cette pratique n’est actuellement observé.

On doit en revanche s’interroger, me semble-t-il, sur les conditions de cette pratique et sur ses conséquences physiques et psychiques pour la mère porteuse et pour l’enfant.

On vient de le rappeler, les risques médicaux encourus par la mère demeurent importants.

En outre, les avis sont partagés sur l’existence de conséquences psychologiques pour la mère porteuse et l’enfant. Permettez-moi simplement de rappeler que, selon le professeur Grimfeld, président du Comité consultatif national d’éthique, les études concluant à l’absence de conséquences psychologiques pour les enfants nés de maternité de substitution seraient contestables, car elles porteraient sur un faible échantillon d’enfants et n’offriraient pas un recul suffisant.

Enfin, des questions très graves ne sont pas prises en compte. Que faire, mes chers collègues, si la mère porteuse souhaite finalement conserver l’enfant, en raison des liens affectifs insondables qu’elle a noués avec lui au cours de la grossesse ? Faudra-t-il saisir le juge en référé pour obtenir l’exécution de force du contrat ?

J’observe que le groupe de travail prévoyait que la mère porteuse puisse devenir la mère dans les trois jours de l’accouchement, recommandation qui n’a été intégrée ni dans les propositions de loi, ni dans les amendements qui les reprennent.

Sachant que la mère porteuse devra déjà avoir eu des enfants, comment ceux-ci comprendront-ils que leur mère porte un enfant pour le remettre à un autre couple, alors qu’elle les a gardés auprès d’elle ?

Je sais bien que plusieurs arguments peuvent militer en faveur de la légalisation de la gestation pour autrui, mais on ne saurait occulter un certain nombre de questions à mon sens fondamentales.

Les intérêts des uns ne sont pas forcément les intérêts des autres, et il n’est pas certain qu’il soit bon, pour un enfant, de venir au monde dans de telles conditions, si forte que soit l’attente du couple demandeur.

En conclusion, je voterai contre les amendements nos 2 rectifié quater et 75 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. M. Buffet venant d’excellemment dire tout ce que j’aurais souhaité exprimer, je me contenterai d’insister sur le fait que la mère est celle qui accouche. L’adoption du dispositif proposé risque de créer beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en réglera : que se passera-t-il, par exemple, si, après l’accouchement, la mère porteuse souhaite finalement garder l’enfant ou si le couple demandeur ne désire plus accueillir celui-ci ?

L’inspiration des partisans de la légalisation de la GPA est peut-être généreuse, mais beaucoup de questions juridiques et pratiques ne sont pas réglées. Il faut éviter de créer des situations dramatiques.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.

Mme Raymonde Le Texier. Il s’agit d’un sujet difficile, qui soulève beaucoup d’interrogations. J’ai entendu des propos justes et sensibles de part et d’autre.

Pour autant, on ne peut nier le fait que cette pratique existe ailleurs et que l’interdiction absolue qui prévaut en France encourage nombre de couples à chercher des solutions à l’étranger.

Dans un article paru dans un quotidien, le professeur Israël Nisand rappelle que la « prohibition complète engendre plus d’effets pervers que d’avantages. […] Il est en effet difficilement admissible de ne pas se préoccuper de ce qui se passe ailleurs en conséquence des interdits que nous édictons. À l’interdit total de façade correspond de fait un hyperlibéralisme dans l’arrière-salle où le marché est roi. »

L’amendement que nous soutenons, issu de la proposition de loi de notre collègue Michèle André, définit strictement les conditions de la gestation pour autrui : elle concernera des femmes n’ayant pas d’utérus, une femme ne pourra porter un enfant pour autrui qu’à deux reprises au plus et toute transaction financière au-delà de la prise en charge des frais de la grossesse sera interdite.

Il s’agit de tendre vers l’exemplarité afin de sortir du déni de l’existence du phénomène et de lutter efficacement contre les pratiques de marchandisation des corps à l’œuvre dans certains pays.

On ne peut balayer d’un revers de main tous les risques éthiques que cette pratique comporte : aliénation de la femme, réduction de celle-ci à une fonction biologique, marchandisation de l’enfant. Cependant, on ne peut pas non plus ignorer tous ces enfants nés à l’étranger de mères porteuses et dont l’inscription à l’état civil français pose problème.

La pratique de la GPA soulève d’autres questions. Elle porte en elle l’affirmation d’une vision génétique de la filiation alors que, dans tous nos débats, nous avons mis le projet parental au cœur du lien filial. Pour autant, des réponses ont pu être esquissées par les praticiens ou les intellectuels que ce débat a amenés à faire connaître leur position.

Le professeur Nisand, déjà cité, estime ainsi qu’« il ne suffit pas d’être enceinte pour attendre un enfant ». « La maternité, dit-il, voit converger trois mécanismes qui s’intriquent profondément : le phénomène de transmission génétique, la grossesse et l’accouchement et l’adoption de l’enfant au terme de la grossesse psychique. »

Quant à l’intérêt de l’enfant, si souvent brandi, s’il était vraiment au centre des préoccupations, nul n’aurait le cœur de refuser aux enfants nés par GPA à l’étranger la filiation maternelle qui leur revient.

Cet amendement, parce qu’il encadre strictement la gestation pour autrui, nous semble fidèle aux valeurs qui sous-tendent nos réflexions en matière de bioéthique : non-exploitation des humains les uns par les autres, filiation liée au projet parental, origine claire des gamètes…

Au moins aura-t-il permis que la question soit abordée dans toute sa complexité et dans toutes ses conséquences : à défaut de pouvoir la trancher aujourd’hui, nous ouvrons, en la posant, une discussion qu’un vote ne saurait clore.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Il s’agit d’un sujet délicat, je le reconnais, et j’ai écouté avec intérêt les positions des uns et des autres, qui toutes sont pertinentes. Cependant, il faut faire un choix.

Je crois que, finalement, nous n’avons rien inventé : c’est l’évolution des techniques qui nous donne d’autres perspectives.

N’oublions pas, mes chers collègues, qu’autrefois, avant l’apparition du lait maternisé et des « petits pots », nul n’était choqué qu’il soit fait appel à une nourrice quand une mère n’avait pas de lait. La nourrice n’était ni plus ni moins qu’une aide à la mère pour élever l’enfant et lui permettre, en le nourrissant, de rester en vie : c’était une mère porteuse externe, en quelque sorte ! Aujourd'hui, nous parlons de mères porteuses internes, mais il s’agit au fond de la même chose : dans un cas, c’est nourrir un embryon pour qu’il puisse naître ; dans l’autre, c’est nourrir un enfant pour qu’il puisse vivre !

M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait !

M. Christian Cointat. L’approche est donc identique, même si le cas qui nous occupe est plus complexe.

Étant très attaché à la famille et au respect de la volonté des couples qui désirent avoir un enfant, je ne peux pas être contre la gestation pour autrui. Je voterai donc les amendements.

Les garanties nécessaires sont prévues, quand bien même elles pourraient être encore accentuées, pour que la dignité du corps ne soit pas mise en cause. Bien au contraire, il s’agit de transcender le corps humain, pour donner la vie dans l’amour ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

Il convient effectivement, dans cette perspective, de faire évoluer le droit, monsieur Retailleau, mais ne sommes-nous pas, précisément, les législateurs ? C’est à nous que cette tâche incombe ! Pour autoriser l’IVG, n’a-t-il pas fallu changer le droit ?

J’ajoute que la mondialisation est une réalité que nous ne pouvons ignorer. Nous devons en tenir compte, et nous serons bien obligés, que nous le voulions ou non, de nous adapter, tôt ou tard. On jugera alors bien surannés les propos que nous tenons aujourd’hui !

Il faut avoir le courage d’aller vers l’avenir. Vous avez parlé de valeurs, madame la secrétaire d'État ; le vieux gaulliste que je suis place l’amour au premier rang des siennes. Il faut permettre à un couple qui veut un enfant de l’avoir : il s’agit non pas de décider à sa place, mais de le protéger et de protéger la société. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)

C'est la raison pour laquelle j’ai été atterré par le vote intervenu sur les transferts d’embryons post mortem : il ne nous appartient pas de décider qu’une femme n’a pas le droit d’avoir un enfant de celui qu’elle aimait et qui est mort, encore moins de lui demander de tuer son embryon ! C’est une chose affreuse, abominable ! Je le répète, nous n’avons pas à décider pour les gens ! Prenons les garanties nécessaires pour que les choses se passent bien, mais laissons-les choisir !

Voilà les valeurs qui sont les miennes. À l’heure où l’on se plaint de la dénatalité, essayons d’aider ceux qui aiment les enfants et qui en veulent !

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je constate que les sénateurs représentant les Français établis hors de France se retrouvent parfois, au-delà des clivages politiques !

À mon tour, je voudrais insister sur le fait que nous sommes les législateurs.

La maxime, évidente pendant des millénaires, selon laquelle la mère est celle qui accouche est déjà contredite par l’adoption plénière. Il y a donc belle lurette que ce grand principe a été dépassé !

Cela étant dit, la gestation pour autrui est un sujet sur lequel il est difficile de se forger une opinion.

Personnellement, je soutiens sa légalisation. J’ai arrêté cette position après avoir participé pendant un an aux réflexions du groupe de travail Terra Nova, lequel comprenait des psychologues, des psychanalystes, des anthropologues, des médecins obstétriciens, des spécialistes de déontologie, qui tous avaient beaucoup lu sur le sujet, essentiellement en anglais malheureusement, car il existe très peu d’études en français.

S’il est difficile de se faire une opinion, en particulier pour une femme, c’est d’abord parce que le vécu et les motivations d’une mère porteuse ne peuvent pas être évalués à l’aune d’une expérience de la maternité vécue dans le cadre d’une relation amoureuse. Une femme qui a l’expérience d’une maternité traditionnelle ne peut pas facilement admettre d’emblée la pratique de la mère porteuse.

Quoi qu’il en soit, nous sommes confrontés à une réalité qui a deux versants, l’un sordide, l’autre altruiste.

Le versant sordide a été très largement médiatisé. En Inde et en Ukraine, des femmes pauvres sont exploitées par des cliniques spécialisées en vue de répondre à la demande de riches couples étrangers ; il s’agit alors d’une activité lucrative qui instrumentalise le corps humain et le transforme en un produit marchand.

Sénatrice représentant les Français établis à l’étranger, j’ai été confrontée à ces pratiques. Elles me révulsent, d’autant qu’elles ont de lourdes conséquences pour les enfants qui en sont issus, dont l’histoire n’est pas plus racontable que celle d’un enfant qu’on est allé acheter dans un orphelinat ; une telle histoire ne peut pas servir de base à la construction de leur personnalité.

Cela étant, la fécondation in vitro existe depuis maintenant vingt-cinq ans. L’enfant ainsi conçu n’est pas non plus l’enfant biologique de la mère porteuse. Cette expérience nous donne du recul.

En outre, des études approfondies font apparaître nombre de fort bons exemples, en matière de gestation pour autrui, en Grande-Bretagne, au Canada, ainsi que dans certains États américains. Je ne crois pas que le législateur anglais ou canadien ait moins de sens moral que le législateur français. Il a autorisé cette pratique exceptionnelle en l’encadrant de façon adéquate. Il s’agissait en particulier d’apporter une réponse aux nombreuses jeunes femmes dont les mères ont pris du distilbène pendant qu’elles étaient enceintes d’elles et qui sont aujourd'hui privées d’utérus.

C’est pourquoi je défends la législation et l’encadrement de la GPA en France, sur les bases de ce qui fonctionne dans des conditions d’humanité irréprochables dans des pays démocratiques semblables au nôtre.

De mon point de vue, le principe de base à respecter pour garantir la réussite de la GPA est que la future mère porteuse, femme en bonne santé dont les précédentes grossesses ont été faciles et heureuses, choisisse elle-même la femme privée de la capacité d’enfanter et décide d’être enceinte pour elle, avec elle. J’ai lu cette phrase écrite par une mère porteuse à la mère d’intention quand elle a appris que l’implantation de l’embryon avait réussi : « Nous sommes enceintes ! »

À cette condition, l’encadrement législatif va garantir la liberté de la mère porteuse, le suivi médical, social et psychologique des couples concernés, la mère porteuse étant le plus souvent une femme mariée.

Une relation de complicité et d’amitié est décrite dans tous ces cas entre la mère porteuse et la mère d’intention. La mère porteuse n’est pas au service de la mère d’intention ; c’est la mère d’intention qui est son obligée. En conséquence, la compensation financière est en réalité un contre-don au don qui est fait par la mère porteuse.

Il est grand temps de légaliser la GPA en France, afin que nous n’ayons plus à lire dans la presse que des enfants vivant dans notre pays, enfants biologiques de leurs parents français, sont privés du droit d’avoir un état civil français parce que leur mère porteuse résidait à l’étranger.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.

M. Bernard Cazeau. Tout a été fort bien dit, notamment par M. Cointat, Mme Cerisier-ben Guiga, sur le pôle biologique et génétique – sont en cause des gamètes qui proviennent des parents et, en général, aucune substitution n’a lieu – et sur le pôle éducatif et familial puisque, dès sa naissance, l’enfant est éduqué par ses parents, ceux qui l’ont fait.

S’ajoute à ces données la participation d’une tierce personne qui a facilité, par le prêt de son utérus, la possibilité d’évolution des gamètes, indépendamment du problème hormonal existant. Il ne s’agit, en quelque sorte, que d’un passage.

Madame Hermange, vous avez évoqué des problèmes médicaux. Heureusement, aujourd’hui, la plupart des femmes victimes d’une hémorragie de la délivrance survivent. Je ne sais si vous êtes médecin comme moi mais, pour ce qui me concerne, j’ai connu nombre d’hémorragies de cette nature. Ne nous racontez pas d’histoire !

Quant à la législation, les juges ont estimé que, dans le cadre de la législation actuelle, la gestation pour autrui était impossible. Mais si la législation évolue, cette pratique sera peut-être envisageable.

Par ailleurs, la marchandisation de la gestation pour autrui me paraît catastrophique. On exploite des femmes. Reconnaissons-le, très peu de mères porteuses réalisent une gestation pour autrui par compassion ; la plupart d’entre elles sont motivées par des raisons financières.

Je suis assez content que ces deux amendements aient été déposés. Ils sont le fruit de la réflexion menée sur ce sujet voilà déjà plus d’un an. Leur adoption pourrait permettre à la France de ne pas toujours être en retard dans l’évolution des mœurs. Je le concède, la gestation pour autrui n’est pas dans nos traditions, mais si, dans les années soixante, on m’avait dit que je pourrais procéder à des recherches par Internet sans recourir à un dictionnaire, j’aurais rétorqué que telles n’étaient pas mes habitudes et j’aurais fait preuve de scepticisme.

Soyons capables d’évoluer. Mettons fin à cette hypocrisie, parmi tant d’autres, dont celle à laquelle nous n’avons pas accepté de renoncer, malheureusement, cet après-midi.

Ne nous faisons pas d’illusion, ne soyons pas naïfs, des dessous-de-table auront très certainement cours, mais la pratique existe dans bien des domaines. On ne condamne pas la vente d’appartements parce que celle-ci donne lieu, parfois, à des dessous-de-table ! Il faut faire de justes comparaisons. On ne condamne pas un procédé au motif qu’il existe ailleurs.

Toutefois, si la gestation pour autrui est bien encadrée, j’estime envisageable, malgré mon scepticisme premier, une évolution de la législation, ce qui permettrait de gagner dix ans. Ne nous faisons pas d’illusion : dans dix ans, lors de l’adoption d’une prochaine loi sur la bioéthique, mes successeurs voteront la gestation pour autrui, et plus ils seront jeunes, plus ils y seront favorables.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Bernard Cazeau. Telles sont les raisons pour lesquelles je suis favorable aux deux amendements qui nous sont soumis.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Mme Catherine Tasca. Tous les collègues de mon groupe présents dans cet hémicycle ce soir sont favorables à l’adoption de ces deux amendements, à la gestation pour autrui. Je souhaite m’exprimer en cet instant par honnêteté, car ma position est inverse, et ce pour trois raisons.

La première raison est d’ordre instinctif, les deux autres sont beaucoup plus rationnelles. En tant que femme et mère, je ne peux pas m’imaginer demander à une femme qui a porté un enfant de me donner celui-ci. C’est un arrachement auquel je ne peux pas souscrire.

Toutes celles qui ont eu le bonheur de porter un enfant pendant neuf mois le savent, le lien qui s’établit avec l’enfant est inéluctable. Quoi qu’elle se dise, aucune femme mère porteuse ne pourra oublier que, pendant neuf mois, elle a été cette mère qui a permis à l’enfant de se développer.

La deuxième raison de mon opposition est d’ordre financier. Je respecte totalement les arguments développés par mes collègues en faveur de la gestation pour autrui, mais je ne crois pas que l’on puisse mettre cette procédure à l’abri de la marchandisation. Je suis même convaincue du contraire.

Actuellement, dans les pays étrangers pauvres, c’est évident, les femmes qui deviennent mères porteuses le font parce qu’elles en ont besoin pour vivre. Je ne vois pas pourquoi les futures mères porteuses en France manifesteraient un désintérêt total. Malheureusement, le sens de l’histoire du monde dans lequel nous vivons le démontre : inévitablement, elles seront choisies parmi celles qui ont si peu de moyens de subsistance qu’elles sont prêtes à tout accepter pour pouvoir vivre et obtenir de l’argent. Je ne crois absolument pas à l’efficacité des précautions qui nous sont proposées par ces amendements.

J’en arrive à ma troisième raison. J’ai beaucoup entendu dire : « Nous sommes le législateur. » Certes, c’est notre responsabilité. Mais ma conception de la loi est autre. Je ne pense pas qu’elle doive se caler, se calquer sur toutes les pratiques. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

Il est vrai que notre société évolue en profondeur, et la prédiction de mon ami Bernard Cazeau se réalisera peut-être : dans dix ans, la pratique des mères porteuses s’imposera éventuellement comme une évidence.

M. Christian Cointat. Bien plus tôt !

Mme Catherine Tasca. Nous devons résister à cette pente nous amenant à légaliser toutes les pratiques existantes. (Applaudissements sur certaines travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. M. Retailleau m’a fait remarquer tout à l’heure que j’avais une certaine constance. J’ai constaté qu’il faisait lui-même preuve de constance, toutefois en sens inverse, ce qui est logique.

Très sincèrement, je crois que c’est en légalisant la gestation pour autrui dans notre pays que l’on évitera la marchandisation du corps de la femme. On pourrait estimer que nous avons déjà fait le nécessaire. Mais comment ne pas prendre en compte ce qui se passe dans les autres pays ?

Je ne sais pas si les chiffres annoncés sont exacts, mais en Californie, la gestation pour autrui se monnaierait à hauteur de 100 000 euros et en Ukraine, pays qui pratique le dumping, à hauteur de 30 000 euros. De surcroît, les conditions ne sont certainement pas les mêmes d’un pays à l’autre. Sauf à faire preuve d’un égoïsme incroyable, nous ne pouvons pas nous désintéresser de cette marchandisation des femmes en dehors de nos frontières.

Quant aux problèmes liés à la grossesse – un enfant né avec des malformations, par exemple –, les femmes qui se rendent à l’étranger pour trouver une mère porteuse sont d’ores et déjà confrontées à ces risques, qui ne sont pas traités comme ils pourraient l’être en France, loin s’en faut.

Nous ne pouvons pas non plus laisser perdurer la situation des enfants dont l’acte de naissance n’est pas transcrit en France.

La Cour de cassation a rappelé que la mère est la personne qui accouche. Cette interprétation d’un adage romain n’est pas tout à fait juste ; la bonne traduction est plutôt que la mère est toujours certaine, même si ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.

Je ferai un rapprochement entre le cas des enfants morts nés que nous avons examiné hier et la gestation pour autrui. À chaque fois, la Cour de cassation nous renvoie à nous-mêmes, autrement dit au législateur. Elle ne fait que dire ce que nous faisons, à savoir la loi. Si nous estimons que la loi actuelle est injuste, nous devons la modifier. Ne nous abritons pas derrière la Cour de cassation, derrière les juges. Assumons notre responsabilité !

Monsieur Cointat, vous n’arrêterez pas la pratique de la gestation pour autrui. Elle continuera, et dans des circonstances de plus en plus dramatiques. Comme Bernard Cazeau, je pense inutile de dresser un mur artificiel, lequel, comme tous les murs, tombera un jour, mais au prix de quels sacrifices, de quelles douleurs ? Il nous appartient de faire cesser ces souffrances et de légiférer.

La proposition défendue aujourd’hui est un point de départ. Mme la secrétaire d’État a demandé un scrutin public, précaution que j’ai bien comprise. Nous connaissons donc par avance le sort qui sera réservé aux amendements que nous examinons. Mais nous ne pourrons pas laisser perdurer la situation et nous serons bien obligés de réexaminer la question.

Aujourd’hui, le débat, dont l'Assemblée nationale ne s’était pas saisie, est ouvert. Il serait bon qu’une discussion s’engage devant l’opinion publique en deuxième lecture, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Peu importe le résultat, mais nous aurons mené un vrai débat. Si, aujourd’hui, on s’arrête là, on aura mis une chape de plomb sur un problème de société.