PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Article 22 quater (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Articles additionnels après l’article 22 quater

Bioéthique

Suite de la discussion d'un projet de loi

(Texte de la commission)

M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 22 quater.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 23 A (nouveau)

Articles additionnels après l’article 22 quater

M. le président. Je suis d’abord saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié quater est présenté par M. Milon, Mmes Dini et Bout et MM. Beaumont, Carle et Mayet.

L'amendement n° 75 rectifié est présenté par M. Godefroy, Mmes M. André et Le Texier, M. Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga et Lepage, MM. Yung, Kerdraon, Rebsamen, C. Gautier, Lagauche, Botrel et Frimat, Mme Campion, MM. Madec et Courteau, Mme Schillinger, MM. Guillaume, Mazuir, Piras, Marc, Signé et Desessard, Mmes Boumediene-Thiery et Blandin, MM. Andreoni et Chastan, Mme Laurent-Perrigot, M. Badinter, Mme Blondin et M. Carrère.

L'amendement n° 160 rectifié est présenté par MM. Collin, Baylet et Detcheverry, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 22 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

I. - Le titre IV du livre premier de la deuxième partie est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Gestation pour autrui

« Art. L. 2144-1. - La gestation pour autrui est le fait, pour une femme, de porter en elle un ou plusieurs enfants conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation en vue de les remettre, à leur naissance, à un couple demandeur selon les conditions et modalités définies au présent titre.

« Art. L. 2144-2. - Peuvent bénéficier d'une gestation pour autrui les couples qui remplissent, outre les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 2141-2, celles fixées aux alinéas suivants :

« 1° L'homme et la femme doivent tous deux être domiciliés en France ;

« 2° La femme doit se trouver dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans un risque d'une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître ;

« 3° L'enfant doit être conçu avec les gamètes de l'un au moins des membres du couple.

« Art. L. 2144-3. - Peut seule porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui, la femme majeure, domiciliée en France et ayant déjà accouché d'un enfant au moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la grossesse puis l'accouchement.

« Une femme ne peut porter pour autrui un enfant conçu avec ses propres ovocytes.

« Une mère ne peut porter un enfant pour sa fille.

« Une femme ne peut mener plus de deux grossesses pour autrui.

« Art. L. 2144-4. - Les couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui et les femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui doivent en outre obtenir l'agrément de l'Agence de la biomédecine.

« Cet agrément est délivré après évaluation de leur état de santé physique et psychologique par une commission pluridisciplinaire dont la composition est fixée par décret.

« Il est valable pour une durée de trois ans renouvelable.

« Tout refus ou retrait d'agrément doit être motivé.

« Art. L. 2144-5. - La mise en relation d'un ou de plusieurs couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui et d'une ou de plusieurs femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui ne peut donner lieu ni à publicité ni à rémunération. Elle ne peut être réalisée qu'avec l'agrément de l'Agence de la biomédecine.

« Art. L. 2144-6. - Le transfert d'embryons en vue d'une gestation pour autrui est subordonné à une décision de l'autorité judiciaire.

« Le juge s'assure du respect des articles L. 2144-1 à L. 2144-5.

« Après les avoir informés des conséquences de leur décision, il recueille les consentements écrits des membres du couple demandeur, de la femme disposée à porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte et, le cas échéant, celui de son conjoint, de son concubin ou de la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité.

« Le juge fixe la somme que les membres du couple demandeur doivent verser à la femme qui portera en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte afin de couvrir les frais liés à la grossesse qui ne seraient pas pris en charge par l'organisme de sécurité sociale et les organismes complémentaires d'assurance maladie. Cette somme peut être révisée durant la grossesse. Aucun autre paiement, quelle qu'en soit la forme, ne peut être alloué au titre de la gestation pour autrui.

« Art. L. 2144-7. - Toute décision relative à une interruption volontaire de la grossesse est prise, le cas échéant, par la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui.

« Art. L. 2144-8. - Aucune action en responsabilité ne peut être engagée, au titre d'une gestation pour autrui, par les membres du couple bénéficiaire de cette gestation, ou l'un d'entre eux, à l'encontre de la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte. »

II. - Après le quinzième alinéa (11°) de l'article L. 1418-1, il est inséré un 11° bis ainsi rédigé :

« 11° bis De délivrer les agréments prévus aux articles L. 2144-4 et L. 2144-5 ; »

III. - Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 1418-3, les mots : « et 11° » sont remplacés par les mots : «, 11° et 11° bis ».

La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 2 rectifié quater.

M. Alain Milon. Cet amendement vise à modifier le code de la santé publique afin d'inscrire la gestation pour autrui, la GPA, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Elle deviendra ainsi un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l'infertilité, sans que soit reconnu pour autant un « droit à l'enfant ».

Aux termes du texte proposé pour l'article L. 2144-2 du code de la santé publique, seuls pourront bénéficier d'une gestation pour autrui les couples composés de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure de justifier d'au moins deux années de vie commune, en âge de procréer et domiciliées en France. La femme devra se trouver dans l'impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans prendre un risque d'une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l'enfant à naître. L'un des deux membres du couple au moins devra être le parent génétique de l'enfant.

Aux termes du texte proposé pour l'article L. 2144-3 du même code, seule pourrait porter en elle un ou plusieurs enfants pour autrui une femme majeure, domiciliée en France et ayant déjà accouché d'un enfant au moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la grossesse puis l'accouchement. De surcroît, une femme ne pourrait ni porter pour autrui un enfant conçu avec ses propres ovocytes, ni porter un enfant pour sa fille, ni mener plus de deux grossesses pour autrui.

Aux termes du texte proposé pour l'article L. 2144-4, les couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui et les femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui devraient obtenir l'agrément de l'Agence de la biomédecine, cet agrément étant destiné à vérifier leur état de santé non seulement physique, notamment le respect des conditions posées aux articles L. 2144-2 et L. 2144-3, mais également psychique.

Le texte proposé pour l'article L. 2144-5 tend à autoriser la mise en relation d'un ou de plusieurs couples désireux de bénéficier d'une gestation pour autrui avec une ou plusieurs femmes disposées à porter en elles un ou plusieurs enfants pour autrui, à condition qu'elle ne donne lieu ni à publicité ni à rémunération. Cette mise en relation ne pourrait, de surcroît, être réalisée à titre habituel qu'avec l'agrément de l'Agence de la biomédecine.

Le texte proposé pour l'article L. 2144-6 subordonne le transfert d'embryons à une autorisation du juge judiciaire. Le magistrat devra vérifier les agréments, recueillir les consentements écrits des parents intentionnels et de la « gestatrice », ainsi que, le cas échéant, celui du conjoint, du concubin ou du partenaire de PACS de cette dernière, après les avoir informés des conséquences de leur engagement au regard notamment du droit de la filiation. Il fixera également la somme devant être versée par le couple bénéficiaire à la gestatrice afin de couvrir les frais liés à la grossesse qui ne seraient pas pris en charge par l'organisme de sécurité sociale et les organismes complémentaires d'assurance maladie. Cette somme pourrait être révisée en cas d'événement imprévu au cours de la grossesse. La gestation pour autrui ne pouvant être admise qu'en tant que don de soi, aucun autre paiement, quelle qu'en soit la forme, ne pourrait être alloué.

En vertu du texte proposé pour l'article L. 2144-7, il appartiendrait à la gestatrice, et à elle seule, de prendre, le cas échéant, toute décision relative à une interruption volontaire de grossesse.

Enfin, le texte proposé pour l'article L. 2144-8 fait interdiction aux membres du couple bénéficiaire d'une gestation pour autrui, ou à l'un d'entre eux, d'engager une action en responsabilité à l'encontre de la femme ayant accepté de porter en elle un ou plusieurs enfants pour leur compte.

Les modifications proposées aux articles L. 1418-1 et L. 1418-3 opèrent des coordinations dans les dispositions du code de la santé publique relatives aux compétences, à l'organisation et au fonctionnement de l'Agence de la biomédecine.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour présenter l'amendement n° 75 rectifié.

M. Jean-Pierre Godefroy. La liberté de procréer est un droit fondamental dans notre société. Elle est aujourd’hui plus grande qu’elle ne l’a jamais été, grâce à certaines avancées médicales telles que la fécondation in vitro, le transfert d’embryons, les micro-injections de sperme. Quelle que soit notre opinion sur la GPA, force est de reconnaître qu’elle est un produit de ces avancées et que, d’une certaine façon, elle permet d’accroître encore cette liberté de procréer.

Pour ma part, je vois dans la GPA d’abord et avant tout une technique supplémentaire pour lutter contre l’infertilité. C’est la raison pour laquelle cette légalisation doit être strictement encadrée, dans les conditions prévues par la proposition de loi déposée par Mme André en janvier 2010.

La GPA serait ainsi réservée aux couples dont la femme se trouve dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne peut la mener sans prendre un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou celle de l’enfant à naître. Il s’agit donc non pas d’autoriser je ne sais quelle pratique de confort, mais de répondre à des demandes très précises, très limitées et surtout très douloureuses, celles de ces couples qui ont le « matériel biologique » pour concevoir un enfant, mais dont la femme ne peut mener une grossesse à terme parce qu’elle est privée d’utérus ou qu’elle courrait un risque vital pour sa santé ou celle de son enfant.

La gestatrice devrait être majeure, domiciliée en France et avoir déjà accouché d’un enfant au moins sans avoir rencontré de difficulté particulière durant la grossesse puis l’accouchement. De surcroît, elle ne pourrait ni porter un enfant pour sa fille ni mener plus de deux grossesses pour autrui, et surtout elle ne pourrait pas porter pour autrui un enfant conçu avec ses propres gamètes.

C’est en cela que la GPA se différencie totalement de la pratique dite des mères porteuses, lesquelles donnent en plus leur patrimoine génétique. Cette différence fondamentale n’est pas seulement biologique, elle influe fortement sur la perception du rôle de la femme qui porte l’enfant.

Pour moi, la GPA, que l’on peut aussi appeler « don gestationnel », est loin d’être une réalité honteuse ; elle s’articule autour des notions de don et de vie, et permet aux membres d’un couple infertile de sortir d’une situation de souffrance et de devenir parents. Cette raison est suffisante à mes yeux pour que nous nous engagions sur la voie d’une légalisation de la GPA.

Cette légalisation doit être strictement encadrée. C’est pourquoi la proposition de loi de notre collègue Michèle André prévoit un certain nombre de garde-fous, afin d’éviter des dérives. Ainsi, les couples désireux de bénéficier d’une gestation pour autrui et les femmes disposées à porter un ou plusieurs enfants pour autrui devraient obtenir l’agrément de l’Agence de la biomédecine, qui serait chargée de vérifier notamment l’état de santé physique et psychique de la gestatrice, mais aussi l’autorisation du juge judiciaire, chargé, quant à lui, de vérifier le consentement libre et éclairé de chacune des parties. La GPA ne donnerait lieu ni à publicité ni à rémunération.

Je suis persuadé qu’il est possible de légaliser la GPA dans une perspective éthique, altruiste et non lucrative, en évitant toute marchandisation du corps humain.

J’irai même plus loin : je crois que c’est en refusant d’autoriser cette pratique en France que l’on encourage une telle marchandisation dans des pays où la législation est laxiste. L’analyse de la situation dans les pays développés et démocratiques qui ont légalisé la GPA dans un esprit éthique montre qu’il est parfaitement possible d’éviter toute marchandisation en organisant la GPA dans une perspective altruiste. La situation est bien sûr différente dans des pays comme l’Inde et l’Ukraine, où l’absence de cadre législatif, combinée à une grande pauvreté, conduit à des dérives non seulement dans la pratique de la GPA, mais également en matière d’adoptions ou de dons d’organes.

Je le reconnais volontiers, la question de la gestation pour autrui est loin d’être simple. Mais, au-delà de certains jugements moraux ou de prétendus arguments d’autorité, nous devons essayer, me semble-t-il, d’être à la fois réalistes, pragmatiques et rigoureux : réalistes, parce que la GPA existe ; pragmatiques, parce que tant que la GPA sera interdite en France, certains couples iront à l’étranger ; rigoureux, parce que nous pouvons concilier cette pratique avec nos principes éthiques et juridiques fondamentaux.

Le Sénat s’honore d’avoir ouvert ce débat, que l’on ne peut occulter.

M. le président. L'amendement n° 160 rectifié n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 2 rectifié quater et 75 rectifié ?

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. La commission est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Autoriser la gestation pour autrui, même dans un cadre strict, serait profondément contraire à nos principes et à nos valeurs. Toutes les instances consultées à l’occasion de la révision de la loi de 2004 se sont d’ailleurs prononcées contre l’autorisation de la GPA, qu’il s’agisse du Conseil d’État, du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, des états généraux de la bioéthique ou de l’Académie nationale de médecine.

La GPA ne peut, en effet, être considérée comme une simple technique d’assistance médicale à la procréation.

Certains défenseurs de la GPA font valoir qu’elle vise à remédier au problème d’infertilité des femmes qui ne peuvent enfanter, et qu’il est normal de faire bénéficier celles-ci des solutions médicales disponibles, au même titre que les couples qui ont recours aux gamètes de tiers donneurs ou qui accueillent des embryons.

Or la GPA ne se limite pas au recours à des gamètes. Elle suppose le recours au corps d’une femme qui assurera et assumera la grossesse, en renonçant par avance à garder l’enfant à sa naissance. Cette pratique contrevient donc au principe d’indisponibilité du corps humain, ainsi qu’au respect de l’enfant né et à sa protection.

Le désir de donner la vie ne peut primer sur toute autre considération. La dignité de la personne humaine, qui a valeur constitutionnelle, fonde le principe de l’indisponibilité du corps humain. Il s’agit particulièrement de garantir les personnes les plus fragiles contre les abus et les traitements dégradants. Les personnes ne peuvent ni aliéner ni vendre leur corps, quand bien même elles y consentiraient.

Un enfant ne peut pas non plus faire l’objet de contrats de cession à titre gratuit ou onéreux. L’objectif est de protéger les plus vulnérables et les plus démunis. Même si l’on peut comprendre la souffrance des femmes ne pouvant enfanter, cet argument ne saurait suffire à remettre en cause ces valeurs essentielles. (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

En outre, l’autorisation de la GPA risquerait de fragiliser l’ensemble de nos principes et de nos valeurs dans le champ de la bioéthique. Les défenseurs de la GPA font valoir que des relations sereines et constructives peuvent se nouer entre la femme qui porte l’enfant à naître et le couple demandeur. Cela implique qu’il soit dérogé au principe d’anonymat du don. Par ailleurs, le risque de marchandisation est évident.

Quelques femmes pourront peut-être, par altruisme, accepter une indemnisation minimale des contraintes subies, mais on peut craindre que les incitations financières ne soient déterminantes. La question de la légalisation de ces incitations risque d’être posée un jour ou l’autre, pour mieux les encadrer. C’est ainsi un pan entier de notre législation bioéthique qui risquerait, à terme, d’être fragilisé.

La GPA soulève, par ailleurs, des questions pratiquement insolubles sur les plans juridique et éthique.

Rappelons, tout d’abord, que la GPA comporte des risques sanitaires liés à la grossesse, pour la mère porteuse, et des risques psychologiques pour les enfants mis au monde et cédés à leur naissance.

Comment régler les cas de diagnostic d’une anomalie génétique en cours de grossesse, de retrait du couple demandeur en cas de handicap de l’enfant né, de décès accidentel du couple demandeur, pour ne prendre que ces quelques exemples ?

Au total, loin de constituer une preuve de la modernisation de notre société et de ses capacités d’évolution, l’autorisation de la GPA, même strictement encadrée, signerait notre renoncement collectif à préserver des pratiques conformes à notre éthique.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements.

M. le président. J’informe le Sénat que le Gouvernement a demandé que ces deux amendements identiques soient mis aux voix par scrutin public.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Les sénatrices et sénateurs écologistes sont cosignataires de l’amendement n° 75 rectifié.

Cet amendement de bon sens, qui vise à réglementer et à encadrer la gestation pour autrui en modifiant le code de la santé publique, reprend l’article 1er de la proposition de loi déposée le 27 janvier 2010 par notre collègue Michèle André, texte dont j’étais cosignataire. Il est d’ailleurs très significatif que cet amendement ait été repris par des sénateurs appartenant à plusieurs groupes, et que cette question fondamentale de la légalisation de la GPA transcende donc les clivages politiques.

Il semble aujourd’hui tout à fait nécessaire de légaliser et d’encadrer les protocoles de gestation pour autrui dans notre pays, en les autorisant dans le respect strict des dispositions prévues par cet amendement. Celui-ci tend en effet à imposer le respect de plusieurs conditions permettant d’encadrer le recours à la GPA. Elles sont relatives aux parents désirant y recourir, à la femme souhaitant porter l’enfant pour autrui et au contrôle du protocole.

Je tiens à souligner, en particulier, l’importance des conditions d’encadrement et de contrôle, qui soumettent le recours à la GPA à un agrément de l’Agence de la biomédecine. C’est ensuite au juge qu’il appartiendra de statuer sur le transfert d’embryons en vue de la GPA. Il s’assurera de la réalité du consentement des parents et de la gestatrice, mais aussi de celui du concubin ou conjoint de cette dernière, si elle vit en couple. L’autorité judiciaire statuera également sur les éventuels frais liés à la grossesse qui ne seraient pris en charge ni par la sécurité sociale ni par les organismes d’assurance maladie complémentaires.

La rédaction proposée pour l’article L. 2144-6 du code de la santé publique prévoit que la somme allouée en vue du remboursement des frais liés à la grossesse pourra être révisée en cours de grossesse. Il s’agit ici de parer à toute éventualité et de faire en sorte que la gestatrice n’ait pas à supporter des frais liés à cette grossesse qu’elle accepte d’assumer pour le compte d’autrui. Je reviendrai ultérieurement, en présentant l’amendement n° 132, sur la question de la révision de la somme déjà allouée, car ses modalités judiciaires ou conventionnelles ne sont pour l’heure pas précisées.

Quoi qu’il en soit, je voterai évidemment cet amendement, en espérant que cette nouvelle technique destinée à lutter contre l’infertilité deviendra enfin accessible sur notre territoire. Sa légalisation permettra de reconnaître les droits des enfants nés à l’étranger de cette technique, actuellement considérés comme illégaux. Aujourd’hui, ils sont des clandestins, peut-être seront-ils demain des apatrides… Nous n’avons pas le droit d’accepter une telle situation, ne serait-ce que dans l’intérêt des enfants.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Il faut reconnaître à M. Godefroy, à Mme Dini et à M. Milon le mérite de la constance.

M. Godefroy a défendu, cet après-midi, un amendement tendant à permettre aux couples homosexuels de recourir à la procréation médicalement assistée afin d’avoir des enfants. Dès lors, il est logique qu’il propose la légalisation de la GPA.

Si nos collègues sont donc certes tenaces et constants, leur proposition me paraît cependant contraire à tout notre édifice législatif patiemment construit, ainsi qu’à la sagesse commune.

La Cour de cassation a indiqué très clairement, dans l’important jugement qu’elle a rendu hier, que la gestation pour autrui était notamment contraire à deux principes essentiels du droit français : le principe de la filiation, qui veut que la mère soit celle qui accouche, et celui de l’interdiction de la marchandisation du corps humain, affirmée solennellement au premier alinéa de l’article 16 du code civil.

Or, selon moi, avec la GPA, la marchandisation du corps humain est double.

Il s’agit, tout d’abord, d’une marchandisation du corps de la femme. Il faudra que l’on nous prouve qu’une femme en détresse loue son ventre par philanthropie, et non par nécessité !

Il s’agit, ensuite, d’une marchandisation de l’enfant, comme l’a indiqué le Conseil d’État en jugeant que la pratique des mères porteuses « [laissait] place à l’idée que l’enfant à naître est, au moins pour partie, assimilable à un objet de transactions ». Les choses sont claires !

La GPA représente également un double risque.

Il y a d’abord risque pour l’enfant. Les pédopsychiatres le disent, une relation particulière se construit, pendant la gestation, entre l’enfant et la mère.

Mme Raymonde Le Texier. Qu’en savez-vous ?

M. Bruno Retailleau. Ma chère collègue, si vous refusez à un parlementaire, parce qu’il est un homme, d’intervenir sur ce genre de sujet, c’est le degré zéro de la politique !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On ne vous l’interdit pas !

M. Bruno Retailleau. C’est heureux, car sinon tous les hommes devraient quitter cet hémicycle ! Que nous soyons hommes ou femmes, nous sommes, dans cette enceinte, avant tout législateurs !

Il y a également risque pour la mère porteuse, qui sera soumise à des contraintes, notamment économiques, que vous ne pourrez pas écarter.

Enfin, vous stigmatisez le principe d’autorité, mais affirmer, comme vous le faites, qu’il faut légaliser la GPA en France parce qu’elle se pratique à l’étranger, c’est recourir à un argument d’autorité ! Depuis quand serions-nous tenus d’importer de mauvaises normes ?

M. Jean-Pierre Godefroy. On le fait tous les jours !

M. Bruno Retailleau. Nous sommes maîtres chez nous : il nous revient de définir librement nos propres normes, sans avoir à les aligner sur un « moins-disant » éthique pratiqué à l’étranger.

Nous devons certes faire preuve de réalisme, mais aussi et surtout d’idéalisme, car l’éthique est un idéal Un certain nombre de pratiques doivent être maintenues hors du champ de la loi : la gestation pour autrui en fait clairement partie. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Vous avez tenté, monsieur Retailleau, de jeter l’opprobre sur l’argumentation de M. Godefroy, en affirmant qu’il visait les couples homosexuels. Or, il n’en est rien : dans la très grande majorité des cas, ce sont des couples hétérosexuels qui souhaitent recourir à la GPA.

En vous écoutant, madame la secrétaire d’État, j’ai compris pourquoi ce projet de loi était totalement muet sur la GPA, ce qui est tout de même surprenant pour un texte relatif à la bioéthique censé prendre en compte l’évolution de la société : cela tient au fait que votre conception de la société remonte au xixe siècle, au temps de Balzac et d’Alexandre Dumas !

Or notre rôle de législateurs est précisément de faire en sorte que le droit suive l’évolution de la société. Nous y contribuons en exerçant notre droit d’amendement.

J’ai également compris, accessoirement, pourquoi le Gouvernement demandait un scrutin public sur ces amendements…

En ce qui concerne la Cour de cassation, c’est précisément un arrêt tel que celui qu’elle a pris hier qui doit nous amener à légiférer en la matière. En effet, si elle a refusé d’accorder la nationalité française et l’inscription à l’état civil français de deux petites filles nées aux États-Unis d’une gestation pour autrui, c’est parce que cela n’est pas conforme à l’état actuel du droit. Nous devons donc modifier le cadre juridique, et sa jurisprudence suivra.

Je souligne que le recours à la GPA se limitera aux assez rares cas où une femme ne peut mener une grossesse à terme, ou pas sans prendre un risque grave pour sa santé ou pour celle de l’enfant.

Enfin, si nous autorisons la gestation pour autrui en France, il ne devra plus être accepté que des parents français puissent recourir à une mère porteuse vivant à l’étranger.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Je ne voterai pas cet amendement, étant opposée à la gestation pour autrui pour des raisons à la fois médicales et juridiques.

Sur le plan médical, tout d’abord, si vivre une grossesse est une joie, cela peut aussi déboucher sur des situations douloureuses : près de 9 % des enfants ont un faible poids à la naissance, 7 % d’entre eux naissent prématurément, d’autres se révèlent handicapés… La décision de recourir ou non à une IVG appartiendra à la mère porteuse, quel que soit l’avis sur ce point du couple demandeur.

Par ailleurs, certains faits médicaux graves peuvent être consécutifs à une grossesse. Ainsi, le groupe de travail de l’Académie de médecine a entendu un couple dont la femme, qui avait porté un enfant pour le compte d’une autre, avait subi une hystérectomie à la suite de la grossesse. En outre, dans 2 % des cas, une hémorragie de la délivrance survient.

Sur le plan juridique, ensuite, je ne vois pas comment on pourrait conserver le principe de l’anonymat du don tout en légalisant la GPA. Dans le même esprit, si l’on maintient dans notre corpus juridique le principe mater semper certa est, légaliser la gestation pour autrui reviendrait alors à légaliser un abandon d’enfant, ce dernier ne devenant celui du couple demandeur qu’à partir du moment où la mère porteuse y aura consenti.

En outre, légaliser la GPA amènerait à faire entrer le droit des contrats privés dans le droit de la filiation. Mais, en l’occurrence, l’objet du contrat est l’enfant, et l’éventuelle résiliation de ce contrat s’effectuera sur sa tête, ce qui me gêne.

Enfin, quoi que l’on en dise, on ne pourra éviter une monétarisation du service rendu au couple demandeur par la mère porteuse, qui souhaitera une rétribution.

Je soulignerai en conclusion que, de toute façon, le présent débat n’a presque plus lieu d’être, puisque le fait d’avoir ouvert cet après-midi, en adoptant un amendement de M. Godefroy, le droit de recourir à l’AMP pour des raisons autres que thérapeutiques induit, indirectement, l’autorisation de la gestation pour autrui.