M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.

Mme Catherine Tasca. Au moment où nous abordons l’article 1er de ce texte, je veux revenir sur l’introduction des jurés populaires à plusieurs stades de la procédure pénale.

Comme unique réponse à l’état de faiblesse de la justice en France, le texte du Gouvernement constitue, en dépit de vos dénégations, monsieur le garde des sceaux, un nouvel acte de défiance à l’égard des magistrats. Il est la traduction législative de la campagne politique de mise en cause systématique de leur travail.

Le Président de la République, toujours prompt à rejeter sur d’autres la responsabilité de ses propres échecs, a distillé dans l’opinion, à la faveur de plusieurs faits divers, l’idée selon laquelle les magistrats agiraient, par leurs décisions, contre la volonté des Français en matière de sécurité publique. À en croire Nicolas Sarkozy, tout irait mieux avec des jurés « citoyens » !

Je souhaite revenir sur les quatre raisons principales qui nous poussent à refuser ce dispositif.

La première est liée à sa complexité.

Aux termes du projet de loi, deux citoyens assesseurs, tirés au sort sur les listes électorales, siégeraient pour une semaine aux côtés des trois magistrats professionnels qui composent les tribunaux correctionnels. Ce « service judiciaire obligatoire » de huit jours n’est demandé ni par les magistrats ni par les justiciables. Ceux-ci ont pourtant en commun de subir en première ligne la dégradation du service public de la justice.

Ce dispositif créera des difficultés matérielles majeures, dont le Gouvernement semble vouloir se délester sur les magistrats et les élus locaux. Ainsi, les maires auront pour charge d’adresser aux personnes tirées au sort sur les listes électorales « un recueil d’informations ». Une commission, sur la base de ces recueils qu’elle devra traiter, dressera la liste annuelle des citoyens assesseurs pour chaque tribunal de grande instance. La justice française, d’ores et déjà engorgée, a-t-elle besoin qu’on lui impose ainsi de nouvelles lourdeurs administratives ?

La deuxième raison a trait à la charge financière du dispositif.

L’indemnisation de quelque 8 000 citoyens assesseurs appelés chaque année nécessitera des moyens financiers importants, évalués à plus de 20 millions d’euros. Sachant que l’institution judiciaire est déjà exsangue, au point qu’elle a des difficultés à payer les jurys d’assises et les juges de proximité, et que le budget du ministère de la justice, de par sa faiblesse, classe la France au trente-septième rang européen, tout cela n’est pas sérieux !

La troisième raison tient au risque de dégradation des conditions de jugement.

J’y insiste, l’introduction de citoyens assesseurs contribuera à dégrader un peu plus les conditions de jugement. Ces citoyens, novices en droit, devront prendre connaissance de l’intégralité des éléments des dossiers. Les délais de jugement, déjà longs du fait de l’encombrement des tribunaux, seront encore allongés. Le risque d’une paralysie du système est donc réel, au détriment des personnes jugées et des victimes. Sur ce point, je vous renvoie aux propos de M. Garraud, secrétaire national de l’UMP en charge de la justice.

Le Gouvernement a choisi de réserver à certains délits la présence de citoyens assesseurs, sans que l’on connaisse d’ailleurs les critères qui ont présidé à cette « sélection ». La commission a décidé d’inclure dans la liste les infractions au code de l’environnement passibles d’une peine égale ou supérieure à cinq ans, quand bien même celles-ci sont souvent d’une grande technicité et nécessitent une expertise juridique qui touche aussi bien au droit de l’environnement qu’au droit international ou européen. En revanche, les affaires liées à la délinquance en col blanc ont étonnement été exclues. Comment justifier que les citoyens assesseurs, présentés comme une panacée par le Gouvernement, en soient tenus à distance ?

La quatrième raison a trait à la question de la constitutionnalité du dispositif.

Le projet de loi instaure une justice à deux vitesses, comme l’ont souligné les auteurs des différentes motions de procédure. Nul doute que le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer sur la conformité à la Constitution de mesures qui portent atteinte à l’égalité entre les citoyens et à l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Les Français attendent de la justice qu’elle assure un traitement égal des citoyens devant la loi, qu’elle soit rendue dans des délais raisonnables et que ses décisions soient rapidement mises à exécution. Ce texte va à rebours de ces trois objectifs. Nous avons été nombreux à le dire, mais nous ne sommes manifestement pas parvenus à convaincre le Gouvernement pour le moment.

Pour conclure, je formulerai un grief supplémentaire à l’encontre de ce texte : nul ne peut ignorer aujourd’hui l’évolution de notre société et la part démesurée, mais malheureusement incontournable, que prennent la communication et les médias dans l’information et la désinformation de nos concitoyens.

Dès lors, comment peut-on croire que la présence de jurés « citoyens », ignorants du droit, et dont certains auront été extraits de chez eux à contrecœur, apportera une réelle plus-value au travail des magistrats ? Au mieux, ils seront dépendants des magistrats ; au pire, ils seront dépendants des médias et ils ne sauront exprimer qu’un état de l’opinion telle qu’elle peut être saisie dans l’instant.

On ne peut juger dans le sentiment ou dans le ressentiment. L’application de la loi doit rester notre commune garantie de justice et de liberté. C’est un métier et, comme l’a si bien dit notre collègue Jacques Mézard, le citoyen attend, non de rendre la justice, mais que justice lui soit rendue. Ce n’est vraiment pas la voie que vous empruntez. C’est pourquoi nous demanderons la suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est important pour nous de dire que l’article 1er nous semble ouvertement provocateur à l’égard des magistrats professionnels.

En voulant instaurer des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels et des tribunaux de l’application des peines, le Gouvernement ne met en place qu’un mécanisme attentatoire au bon fonctionnement de la justice, de nature à semer la suspicion.

Monsieur le garde des sceaux, vous prétendez vouloir restituer la justice au peuple et, pour ce faire, vous souhaitez associer aux magistrats professionnels des « citoyens assesseurs ». Cette participation des citoyens ne nous paraît pas fondée.

En effet, le système que vous tentez de mettre en place ne fera que ralentir considérablement une justice française déjà à l’agonie par votre faute. Vous associez à des professionnels des citoyens qui ignoreront tout de la subtilité du droit et de la complexité des éléments constitutifs des délits.

À l’alinéa 44 de l’article 1er, vous avancez comme principal argument l’intégrité de ces citoyens assesseurs et le fait qu’ils auront prêté le serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ». C’est tout simplement grotesque, car rien ne prouve que ce serment leur permettra de faire preuve de l’impartialité nécessaire à cette fonction.

Tout porte à croire que vous cherchez à défier les magistrats !

À l’alinéa 51, vous soulevez un problème auquel vous n’apportez pas de solution, à savoir celui de la formation de ces citoyens assesseurs. Selon le texte, « un décret en Conseil d’État » en fixera les modalités. Tout cela est fort obscur et ne laisse rien présager de bon.

Comme j’en ai formulé le souhait tout à l’heure, lors de la discussion générale, le contenu de cette formation doit être clairement énoncé. Il doit surtout répondre aux besoins liés à ce nouveau statut de « citoyen assesseur ». Ce dernier doit pouvoir faire preuve de la mesure et du discernement nécessaires pour mener à bien son « devoir civique », comme vous vous plaisez à le souligner à l’alinéa 49.

Enfin, un dernier aspect de cet article reste en suspens. Il concerne la façon dont le Gouvernement compte s’assurer de la présence de ces « jurés populaires » aux procès correctionnels.

Vous n’êtes pas sans savoir combien il est difficile de constituer un jury en cour d’assises. Or vous semblez penser que tous les citoyens désignés se précipiteront pour effectuer cette mission de huit jours par an, devant les tribunaux correctionnels comme devant les tribunaux de l’application des peines. Vous vous leurrez ! Vous vous heurterez en effet aux mêmes difficultés que devant les assises, lesquelles seront encore accentuées par un système de dispenses fort compliqué à mettre en œuvre.

Ainsi, il reste bien des points à élucider, bien des zones d’ombre dans ce projet de loi insipide qui relève, en effet, du populisme judiciaire. Nous avons besoin de réponses précises afin de ne pas mettre en place de nouveaux mécanismes qui ne feront que ralentir l’appareil judiciaire.

Dans l’intérêt de la justice pénale, nous ne pouvons que nous opposer fermement à cet article.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 3 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 44 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 91 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 3.

M. Alain Anziani. Trois raisons nous poussent à demander la suppression de ces fameux jurés citoyens.

Premièrement, l’article 1er contient une ambiguïté.

Depuis le début de l’après-midi, vous nous expliquez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que la création de ces jurés citoyens n’a strictement rien à voir avec la sévérité ou le laxisme des décisions de justice. C’est également ce qui ressort de l’exposé des motifs du projet de loi. Pourtant, le 31 décembre dernier, le Président de la République affirmait, avec sa vigueur habituelle, qu’il voulait protéger les Français de la violence chaque jour plus brutale des délinquants multiréitérants. De quelle manière ? En adjoignant des jurés populaires aux tribunaux correctionnels ! Le peuple pourrait ainsi donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays.

Mettez-vous d’accord ! S’agit-il de rendre les jugements plus sévères – les juges professionnels ne l’étant pas suffisamment aux yeux du Président de la République – ou s’agit-il d’autre chose ?

J’aurais plutôt tendance à m’en remettre aux propos du Président de la République.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce serait bien la première fois !

M. Alain Anziani. Telle est en effet sa volonté !

Reste que le Président de la République a commis une magnifique erreur d’appréciation, comme cela lui arrive à l’occasion, ce qui explique l’embarras dans lequel vous vous trouvez aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux. Car, vous le savez bien, au fond, sa position n’est guère cohérente !

Rien ne prouve en effet, comme vous l’avez vous-même indiqué, et comme le souligne l’étude d’impact, que nos magistrats sont moins sévères que ceux des pays voisins. Un rapport du Conseil de l’Europe en fait d’ailleurs la démonstration, en procédant à une comparaison des décisions rendues dans les différents pays membres de cette organisation. Rien ne vient non plus étayer la thèse selon laquelle les jurés populaires se montreront plus sévères que les magistrats professionnels.

Deuxièmement, comme Mme Tasca vient de le rappeler, juger est un métier !

Avec votre texte, nous aurons, d’un côté, des gens ayant réussi un concours, après avoir suivi quatre à cinq années d’études universitaires, trente et un mois de formation et une formation continue, et, de l’autre, des gens ayant été tirés au sort. Les seconds donneront donc leur point de vue, voire s’opposeront aux premiers sans nécessairement avoir toute la qualification. Certes, me direz-vous, une formation leur sera dispensée. Cette formation d’une journée leur donnera certainement l’autorité et la qualification nécessaires pour aborder des questions difficiles …

Troisièmement, je veux relever un paradoxe sur lequel vous ne vous êtes pas beaucoup appesanti.

Votre texte a un effet magique : un citoyen chasse l’autre !

Les citoyens qui étaient jusqu’à maintenant présents dans les chambres de l’application des peines, qui sont membres d’associations de victimes ou d’associations de réinsertion, possédaient des compétences spécifiques. Or par qui allez-vous les remplacer ? Par des citoyens qui n’ont pas de qualification et qui n’ont manifesté aucun intérêt particulier pour ces questions ! (Mme Catherine Tasca applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 44.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai déjà expliqué au cours de la discussion générale et lors de mon intervention sur l’article les raisons qui nous poussent à demander la suppression de l’article 1er. Elles tiennent à la fois aux objectifs poursuivis, au mode de désignation et à la difficile applicabilité de ce dispositif, dont l’utilité semble dévoyée. En effet, qu’apporteront ces deux citoyens assesseurs, qui ne forment pas un jury, si ce n’est ce qu’en attend le Président de la République, qui est l’initiateur de cette réforme ?

Entendons-nous bien, nous considérons que la participation des citoyens à la justice est une bonne chose. En revanche, elle ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions.

Je le répète, nous sommes favorables à un système d’échevinage s’inspirant des assesseurs des tribunaux pour enfants ou des conseillers prud’homaux. Ces citoyens sont volontaires et, surtout, ils siègent au sein de ces juridictions en raison de leurs qualités, de leurs compétences professionnelles, de leur intérêt pour le sujet en cause. Ils peuvent, par exemple, appartenir à une association dont l’objet a un lien direct avec les problèmes traités par la juridiction.

Ce système a une grande utilité. Or vous supprimez les représentants des associations de victimes. Comme le disait Alain Anziani, ces citoyens, vous les chassez !

Pourquoi ne pas avoir choisi un dispositif qui a fait ses preuves au lieu d’opter pour un système relativement contre-productif, si je puis dire ? Ces jurés tirés au sort, qui ne seront pas vraiment des jurés, n’apporteront rien aux jugements en matière correctionnelle, voire ils les brouilleront.

Entre l’échevinage et le tirage au sort, vous avez choisi la méthode du tirage au sort, sans nous expliquer pourquoi. Sont-ce pour des raisons d’économie ? Pourtant, je ne crois pas que cela coûte plus cher. Est-ce parce que cette procédure ne correspond pas à ce que vous attendez de la présence de ces deux citoyens qui siégeront pendant huit jours dans un tribunal correctionnel ? Je crois plutôt que la réponse se trouve là.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 91 rectifié.

M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de suppression, le premier d’une longue liste.

Nous l’avons déjà dit : tout ou presque est à supprimer dans ce projet de loi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

Mme Catherine Tasca. C’est un bon point de départ !

M. Jacques Mézard. Nous sommes donc cohérents avec nos positions.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez peu répondu à nos questions, sauf par des artifices oratoires dans lesquels vous excellez. (Sourires.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’essaie de vous égaler…

M. Jacques Mézard. Vous n’aurez aucun mal, monsieur le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Quoique ce soit assez difficile pour les artifices !

M. Jacques Mézard. Je vous remercie de ce compliment, qui me va droit au cœur.

À la question portant sur l’engagement de la procédure accélérée, vous avez donné pour seule réponse le fait que cela figurait dans le programme du Président de la République. Partant de là, il vous reste peu de temps pour accomplir le reste de son programme, en particulier « travailler plus pour gagner plus » ! Il y en a d’autres, je peux en faire une longue liste.

Nous savons tous qu’il n’existe aucune justification sérieuse à ce texte. Il ne s’agit que d’une opération de communication.

Je souligne en outre l’absence totale de concertation. Les représentants professionnels nous l’ont dit : ils n’ont vu que très rapidement la Chancellerie, au mois de décembre 2010.

Au vu de la cadence à laquelle ce dossier a été mené dans le débat parlementaire, on ne peut pas non plus parler de concertation, même si nous reconnaissons que le rapporteur, comme à son habitude, a fait son maximum dans le minimum de temps dont il disposait.

Monsieur le garde des sceaux, il faudrait nous faire connaître une bonne fois pour toutes les objectifs de ce texte. Est-ce la sévérité ? Est-ce l’aggravation des peines ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non !

M. Jacques Mézard. Dans ces conditions, vous êtes en contradiction avec le Président de la République. Vous êtes aussi en contradiction avec l’étude d’impact, puisqu’il y est écrit qu’il faut « éviter une érosion de la peine pour des délits très graves » !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous n’aviez qu’à ne pas la lire ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Votre opinion du travail parlementaire est très révélatrice …

Si je vous entends bien, l’objectif n’est pas l’aggravation des peines. Heureusement, puisque nous avons appris aujourd’hui qu’il y a 64 000 personnes dans les prisons françaises et que les records sont en train d’être battus, une nouvelle fois !

Un autre objectif possible est l’accélération du cours de la justice, même si nous avons eu ce soir la démonstration que cette réforme était le meilleur moyen de la freiner.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Non !

M. Jacques Mézard. Vous nous avouez donc que l’objectif est de freiner le cours de la justice et de prendre plus de temps. Dont acte ! Cela figurera au Journal officiel.

S’agit-il de diminuer le coût des procédures ? Nous savons tous que c’est l’inverse qui va se produire. Le dispositif que vous préconisez coûtera plus cher, comme le montre également l’étude d’impact.

On ne peut donc pas dire que vos objectifs représentent une solution merveilleuse pour un meilleur fonctionnement de la justice. Cela justifie pleinement la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces trois amendements identiques visent à supprimer l’article 1er, qui définit pour l’essentiel les modalités de désignation des citoyens assesseurs.

L’institution de citoyens assesseurs constitue l’un des volets essentiels de la réforme proposée par le projet de loi.

Dans son principe, la participation des citoyens aux juridictions pénales n’a pas suscité d’opposition de la part des interlocuteurs que j’ai auditionnés.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je dis bien « dans son principe » !

La participation des citoyens peut se prévaloir de l’expérience des jurés, dont les présidents de cours d’assises nous ont tous indiqué qu’elle était très fructueuse, tant pour les citoyens que pour les magistrats. J’ai d’ailleurs quelques difficultés à comprendre comment on peut être à la fois obstinément favorable aux jurés et obstinément défavorable aux citoyens assesseurs. Une certaine filiation existe malgré tout entre les responsabilités des uns et celles des autres.

Je ferai également observer que les critiques se sont plutôt cristallisées sur quatre aspects : le mode de désignation des citoyens assesseurs, le rôle qui leur serait confié pour le jugement des délits, notamment les catégories de délits qui leur seraient confiées, la substitution des citoyens assesseurs aux jurés pour la formation des cours d’assises dans leur composition simplifiée et enfin, bien sûr, la question des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la réforme.

Pour les trois premiers points – la question des moyens est plus compliquée –, la commission a cherché, dans le texte qu’elle soumet au Sénat, à apporter des améliorations qui permettent de mettre fin à beaucoup de critiques.

Il reste effectivement le choix entre les échevins et les citoyens assesseurs. Pour sa part, le Gouvernement a penché pour les citoyens assesseurs plutôt que pour l’échevinage. J’avoue que la réflexion était ouverte. Il y a des avantages et des inconvénients à chaque solution.

Cela étant, je m’étonne que personne ne se pose la question, par exemple, de la présence des associations de victimes dans le cadre des juridictions de l’application des peines. J’ai énormément de respect pour les associations de victimes, qui savent prendre une hauteur remarquable dans leurs prises de position, mais est-ce réellement leur place ? J’avoue me poser la question.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je veux avant tout préciser que, depuis que j’ai été nommé garde des sceaux, je n’ai jamais remis en cause la capacité des magistrats, la difficulté de leur travail et leur façon de rendre la justice. Personne ne peut rapporter une phrase que j’aurais prononcée en ce sens. J’ai au contraire toujours veillé à apporter le soutien de la Chancellerie aux magistrats.

Je n’accepte donc pas l’argument selon lequel ce texte vise à mettre en doute la capacité des magistrats à bien juger. Pour ma part, je ne l’ai jamais employé et j’aimerais que l’on m’en donne acte !

Mme Catherine Tasca. Vous non, mais le Président de la République…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est moi qui suis ici, madame la sénatrice. Je vous demande donc de m’en donner acte et de cesser de m’opposer un argument qui est faux.

J’accepte tous les arguments dans le débat, à condition qu’ils soient vrais.

Mme Catherine Tasca. Vous représentez le Gouvernement !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour ma part, je n’ai pas le moindre problème avec le principe d’une participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale.

J’ai entendu M. Anziani parler de « simples citoyens ». Je me revendique « simple citoyen », comme beaucoup d’autres Français, et j’estime qu’on n’a pas besoin d’avoir fait cinq ans d’études pour pouvoir juger. On n’a jamais demandé à un seul membre d’un jury d’assises d’avoir fait cinq ans d’études !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut avoir de la considération pour les « simples citoyens ».

Il y a dans cette attitude des relents de monarchie de Juillet : il faudrait avoir certaines capacités pour pouvoir participer à l’œuvre de justice.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous mélangez tout !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’objectif poursuivi n’est en aucun cas d’aggraver les peines. Je le répète : les magistrats ne sont pas laxistes ; ils appliquent la loi telle qu’elle a été votée et beaucoup de personnes sont condamnées. Les citoyens assesseurs apporteront simplement une vision différente.

La recherche du Gouvernement est autre. En participant au jugement des délits les plus graves, nous voulons avant tout que les Français exercent leur citoyenneté. C’est tout, mais c’est déjà beaucoup. Dans notre société, les occasions sont en effet rares de montrer que l’on est un citoyen, que l’on est capable de participer à la vie en commun. Tel est l’objectif poursuivi par ce texte. Voilà pourquoi le plus grand nombre possible de citoyens doit participer à cette œuvre !

Je conçois parfaitement que l’on puisse ne pas être d’accord avec ce projet de loi, voire qu’on le condamne. Cela fait en effet partie du débat. Mais ne déformez pas les intentions de ses auteurs !

Je le reconnais, le nouveau système sera plus coûteux et la procédure sera plus longue. Les citoyens assesseurs auront sans doute besoin d’explications plus nombreuses, ce qui est susceptible d’allonger les débats. C'est la raison pour laquelle M. le Premier ministre a accepté la mobilisation de moyens supplémentaires. Je ne dis pas pour autant que ceux-ci seront suffisants.

Si nous avons recours à l’expérimentation, c’est pour procéder à des vérifications. Nous voulons savoir si le dispositif fonctionnera correctement ou s’il sera nécessaire d’apporter des mesures correctives avant sa généralisation en 2014.

Dans une société où les individus se côtoient de plus en plus, mais où le « vivre-ensemble » se délite, il est indispensable de renforcer l’esprit de citoyenneté. Saisissons donc toutes les occasions qui vont dans ce sens !

Certes, on peut toujours discuter des modalités d’application du système proposé et chercher à les perfectionner. Comme je l’ai indiqué, je suis prêt à entendre tous les arguments. Mais je n’accepte pas que l’on m’accuse de critiquer les magistrats. Je ne les ai jamais critiqués ! Mon seul objectif est de faire participer les citoyens à la vie collective.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite répondre à l’interrogation de notre éminent rapporteur, qui affirme ne pas comprendre que l’on puisse être favorable aux jurés et défavorable aux citoyens assesseurs.

Je constate en tout cas que lui perçoit très bien la distinction. Grâce à lui, nous avons un amendement qui modifie le dispositif initialement prévu dans le projet de loi pour la composition des jurys d’assises !

En outre, puisque certains se réfèrent aux grands principes, je rappelle que, si la justice est effectivement rendue « au nom du peuple français » – dans les grands pays démocratiques, la justice est toujours rendue au nom du peuple ! –, c’est selon deux modalités.

La première est très ancienne et jouit d’une sacralisation quasi religieuse. Tout citoyen peut participer à l’administration de la justice, par exemple en faisant partie d’un jury. Les procédures d’élimination qui existent relèvent essentiellement de la responsabilité de la défense. Il n’y a pas de réelle sélection. Or le projet de loi prévoit que les citoyens assesseurs devront passer devant une commission chargée de vérifier s’ils ont bien la capacité de remplir leurs tâches. Avouez que c’est tout de même un peu curieux !

La seconde modalité se fonde sur le recrutement de magistrats professionnels ayant passé des concours ou des examens professionnels pour pouvoir rendre la justice au nom du peuple français.

En l’occurrence, vous instituez un système « intermédiaire ». Nous ne comprenons pas ce qui justifie une telle innovation. À mon avis, c’est là que réside le problème principal, en plus des aspects qui ont déjà été soulignés, notamment sur la lourdeur de la procédure. Pensant combiner les avantages respectifs des deux systèmes existants, les promoteurs de la réforme vont surtout ajouter des inconvénients.

En réalité, l’alternative est très simple : soit on souhaite que les citoyens participent à l’administration de la justice, et il faut recruter des jurés sans leur faire passer d’examens, soit on refuse qu’ils puissent se prononcer sur des délits, a priori moins graves que des crimes, et il faut confier cette mission à des magistrats professionnels. Mais nous ne comprenons pas le mélange que vous voulez nous imposer !