compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Marc Massion.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un document

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article L.O. 111-10-1 du code de la sécurité sociale, l’état semestriel des sommes restant dues par l’État aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale au 31 décembre 2010.

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l'égalité salariale et sur les conditions d'exercice de la parentalité
Discussion générale (suite)

Modernisation du congé maternité

Discussion et rejet d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l’égalité salariale et sur les conditions d’exercice de la parentalité, présentée par Mme Claire-Lise Campion et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 492 [2009 2010], rapport n° 555).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l'égalité salariale et sur les conditions d'exercice de la parentalité
Article 1er

Mme Claire-Lise Campion, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont je suis la première signataire, est le fruit d’un constat et d’un contexte.

Le constat est le suivant : malgré la politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis le début des années quatre-vingt-dix, qui explique dans une large mesure le niveau élevé de la natalité en France, concilier vie familiale et vie professionnelle demeure difficile, en particulier pour les parents dont les ressources sont les plus faibles. En outre, l’égalité entre les hommes et les femmes reste un principe éloigné des réalités : dans les faits, les mères continuent d’assumer l’essentiel des tâches de la vie quotidienne et des soins aux enfants, et ce sont elles qui paient le plus lourd tribut à ce titre en termes d’emploi et de carrière professionnelle.

Le contexte, lui, est européen. Le 3 octobre 2008, la Commission européenne a transmis au Conseil et au Parlement européen une proposition de directive relative à la sécurité et à la santé au travail des femmes enceintes ou ayant accouché. Ce texte, qui est une refonte de la directive fondatrice de 1992, contient deux mesures phares : d’une part, l’allongement de la durée minimale européenne du congé de maternité, qui passerait de quatorze à dix-huit semaines ; d’autre part, la garantie d’une indemnisation à hauteur de 100 % du salaire mensuel moyen, dans la limite d’un plafond déterminé par chaque État membre.

La commission des affaires sociales du Sénat a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur cette directive en cours d’élaboration, puisque, sur l’initiative de notre collègue Annie David, elle a adopté, le 27 mai 2009, une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat le 15 juin suivant.

Depuis cette date, les négociations européennes ont suivi leur cours. Le 20 octobre dernier, le Parlement européen, à une très large majorité, a modifié la proposition de directive, en suggérant notamment de porter la durée du congé de maternité à vingt semaines intégralement rémunérées.

Pour sa part, le Conseil a consacré, en décembre, un débat d’orientation à cette proposition de directive, mais sans encore parvenir à définir une position commune. Lors de ce débat, la France s’est déclarée ouverte à l’idée de porter la durée du congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines, mais a indiqué ne pas souhaiter aller au-delà. S’agissant de la rémunération à hauteur de 100 % du salaire, elle a considéré que cette proposition ne serait acceptable que si les États membres avaient la faculté de définir un plafond d’indemnisation.

Je suis convaincue que ces négociations européennes, qui se révèlent particulièrement vives, sont l’occasion d’approfondir le débat sur le plan national et de faire « bouger les lignes ».

Tel est le sens de la présente proposition de loi, qui traduit une triple ambition : moderniser le congé de maternité ; renforcer la protection juridique des femmes enceintes ou ayant accouché, qu’elles exercent une activité salariée ou non salariée ; enfin, adapter le congé de paternité aux évolutions des structures familiales.

J’en viens aux mesures proposées pour atteindre ces objectifs, qui peuvent être regroupées selon quatre grands thèmes.

Le premier de ces thèmes est l’instauration d’un congé de maternité plus long et mieux indemnisé.

Le congé de maternité est une période, essentielle aux yeux des professionnels de santé, au cours de laquelle les femmes nouent des liens privilégiés avec leur enfant. C’est une période de fragilité durant laquelle la femme doit retrouver un équilibre, tant physique que psychologique. C’est également une période charnière, déterminante pour l’avenir de l’enfant et de la nouvelle famille.

Actuellement, la durée légale de ce congé est, en France, de seize semaines pour les mères de un ou de deux enfants et de vingt-six semaines pour les mères de trois enfants ou plus. Cette durée est jugée bien trop courte, tant par les professionnels de santé que par les mères elles-mêmes – selon une enquête récente, 84 % d’entre elles souhaiteraient qu’elle soit prolongée.

Ces seize semaines ne permettent pas en effet d’assurer une transition sereine entre le nouvel équilibre familial et le retour à la vie professionnelle, qui nécessite la recherche d’un mode de garde satisfaisant. Trop vite et trop tôt, la question de l’accueil de l’enfant se pose et peut être source de culpabilité et de stress pour bon nombre de mères dont la préoccupation principale est encore la relation à leur nouveau-né.

Ces appréciations sont confirmées par la pratique, puisque la durée moyenne de l’ensemble des congés effectivement pris à l’occasion d’une naissance s’élève à cent cinquante jours pour un premier ou un deuxième enfant, soit un mois et une semaine de plus que le seul congé légal de maternité. Ces trente-cinq jours supplémentaires correspondent à la prise de congés pour grossesse pathologique et/ou à la mobilisation de jours de congés, annuels ou prévus par les conventions collectives.

Ainsi, la prescription fréquente de congés pour grossesse pathologique par les professionnels de santé – plus de 70 % des femmes sont concernées – démontre que la période de rétablissement psychologique et physique de la mère dépasse largement la durée légale du congé de maternité. Il paraît donc nécessaire de donner une dimension législative, un cadre juridique sécurisé et généralisé, à ces pratiques qui correspondent aux besoins de la mère et de l’enfant.

Par ailleurs, de nombreux facteurs viennent ajouter à la difficulté d’articuler convenablement vie familiale et vie professionnelle. Je pense notamment à la détérioration sensible des conditions de travail, en partie due à l’évolution de la législation sur le travail le dimanche ou le travail de nuit, ainsi qu’à l’augmentation du recours aux horaires décalés ou à l’allongement des temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail.

Contrairement à une idée reçue, la France n’est pas particulièrement généreuse en matière de durée du congé de maternité. Notre pays se situe certes, à cet égard, dans la moyenne des États membres, mais derrière nombre de ses voisins, allant du Portugal – où le congé de maternité est de dix-sept semaines – à l’Italie, en passant par le Royaume-Uni ou l’Irlande, pays dans lesquels la durée du congé de maternité atteint vingt-six semaines.

Les auteurs de la présente proposition de loi sont donc convaincus qu’un congé de plus longue durée permettrait aux femmes de se remettre dans de meilleures conditions de leur grossesse et de leur accouchement, de passer davantage de temps avec leur nouveau-né, de s’occuper des aînés si nécessaire et d’organiser la vie de la nouvelle structure familiale.

Le vote très large de nos collègues députés européens, en octobre dernier, en faveur de l’allongement du congé de maternité constitue donc un signal très fort envoyé aux parlementaires nationaux que nous sommes.

Dans ce double objectif d’amélioration de la santé et de la sécurité de la mère et de l’enfant et de conciliation des vies professionnelle et familiale, l’article 1er de la proposition de loi vise à porter la durée du congé de maternité à vingt semaines. Il s’agit donc d’un allongement de quatre semaines – et seulement de quatre semaines, aurais-je envie d’ajouter !

À ce titre, l’argument de l’éloignement des femmes du monde du travail, invoqué pour remettre en cause le congé parental d’éducation, dont la durée peut aller jusqu’à trois ans, n’est pas recevable dans ce cas précis.

Par ailleurs, la salariée enceinte a actuellement droit, en contrepartie de la suspension de son contrat de travail, à des indemnités journalières de maternité servies par l’assurance maladie pendant toute la durée légale de son congé. Or, ces indemnités, égales au salaire journalier de base, diminué de la part salariale des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée, versées dans la limite du plafond de la sécurité sociale, ne correspondent pas à un maintien du salaire. De ce fait, la maternité continue à être perçue par certaines femmes comme une sanction financière.

Cette situation n’est pas conforme au principe d’égalité des chances entre les femmes et les hommes, dont le respect impliquerait que les femmes en congé de maternité ne soient pas pénalisées financièrement par rapport à leurs homologues masculins.

Mes collègues et moi-même estimons qu’un congé de maternité, quelle que soit sa durée, ne sera réellement protecteur que s’il donne droit au maintien de la rémunération de la salariée. C’est pourquoi l’article 4 du texte pose le principe du versement, pendant le congé de maternité, d’une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à celui du salaire.

J’en arrive au deuxième thème : le renforcement de la protection juridique des femmes salariées enceintes ou ayant accouché.

Nous savons que la reprise de l’activité professionnelle constitue souvent, pour la femme qui vient d’avoir un enfant, un moment délicat, car il lui faut trouver les moyens de concilier obligations familiales et professionnelles. Certaines conventions collectives prévoient la possibilité d’adapter les rythmes et horaires de travail des femmes revenant d’un congé de maternité, mais tel n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité.

Afin que l’ensemble des salariées puissent bénéficier de telles adaptations, l’article 2 prévoit que l’entretien professionnel auquel elles ont droit à l’issue de leur congé de maternité porte non seulement sur leur orientation professionnelle, mais aussi sur l’évolution de leurs conditions et horaires de travail. Cette mesure, directement inspirée de la proposition de directive européenne, peut, je le crois, faire l’objet d’un consensus entre nous aujourd’hui.

Par cohérence avec l’allongement de la durée du congé de maternité proposé à l’article 1er, et dans un souci de plus grande protection des femmes enceintes ou ayant accouché, l’article 3 vise, d’une part, à prolonger de deux semaines la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée avant et après son accouchement, pour la porter à dix semaines au total, et, d’autre part, d’étendre d’une semaine la période au cours de laquelle il est interdit d’employer une salariée après son accouchement, pour la porter à sept semaines.

Le troisième thème est l’extension des droits aux femmes exerçant une activité indépendante.

En effet, il est urgent de prendre en considération la situation des femmes exerçant une activité non salariée : qu’elles soient chefs d’entreprise, femmes artisans, commerçantes, conjointes collaboratrices, exploitantes agricoles, elles ne peuvent, actuellement, placer entre parenthèses leur travail trop longtemps, sauf à mettre en danger leur entreprise. Le problème se pose d’ailleurs aussi pour les professions libérales. La législation française apparaît très insuffisante pour permettre à toutes ces mères de vivre pleinement et sereinement l’expérience de la maternité : nombre d’entre elles sont contraintes de reprendre rapidement leur activité, bien avant le terme légal fixé pour les salariées.

Je ne citerai qu’un exemple à cet égard : les affiliées au régime social des indépendants, qui ne sont pas concernées par la durée légale du congé de maternité de seize semaines, ne perçoivent l’indemnisation journalière forfaitaire d’interruption d’activité que pendant soixante-quatorze jours au maximum en cas de naissance simple, ce qui est très inférieur aux cent douze jours d’indemnités journalières de maternité du régime général.

Afin de remédier à cette inégalité de fait, l’article 5 pose le principe d’une égalité des droits à congé, que l’activité exercée par les femmes soit ou non salariée.

Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les spécificités des activités non salariées, lesquelles imposent – plus encore que les activités salariées – de trouver un équilibre entre obligations professionnelles et familiales. Mais le souci de la continuité de l’entreprise, parfaitement légitime et louable, ne saurait justifier que la santé et la sécurité de la femme enceinte et de son enfant passent au second plan.

Le dernier thème est la création d’un congé d’accueil de l’enfant.

L’instauration du congé de paternité en 2002 a été une grande avancée sociale, permettant aux pères de s’impliquer davantage dans l’accueil et l’éducation du nouveau-né. Ce congé rencontre d’ailleurs de plus en plus de succès. En effet, deux pères sur trois le prennent.

Toutefois, en l’état actuel du droit, seul le père peut, après la naissance de son enfant et dans un délai de quatre mois, bénéficier de ce congé de onze jours consécutifs, ou de dix-huit jours en cas de naissance multiple.

Or, depuis plusieurs décennies, la société française connaît de profondes mutations des structures familiales. Le modèle familial traditionnel, fondé sur un couple composé d’une femme et d’un homme unis par les liens du mariage et ayant des enfants communs, n’est certes pas contesté, mais il ne constitue plus le seul mode d’organisation de la vie familiale. Ainsi, des hommes sont parfois amenés à participer à l’éducation d’un enfant qui n’est pas biologiquement le leur. De même, au sein des couples homosexuels, la femme n’ayant pas porté elle-même l’enfant est tout autant impliquée que sa compagne dans le projet parental.

C’est pour adapter la législation à ces changements sociétaux que l’article 6 tend à créer un congé d’accueil de l’enfant destiné non seulement au père biologique de l’enfant, mais aussi au conjoint de la mère, à son concubin ou à son partenaire de PACS. Pendant ce congé de quatorze jours consécutifs – vingt et un en cas de naissance multiple –, la personne recevra une indemnité compensatrice d’un montant équivalent à son salaire.

Enfin, je ne ferai qu’évoquer rapidement les deux derniers articles, qui organisent la mise en œuvre du texte : l’article 7 précise qu’il s’appliquera à l’ensemble des femmes en congé de maternité au moment de la publication de la loi, et l’article 8 gage son financement par le relèvement des droits sur les alcools.

Telles sont, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi, auxquelles, vous l’aurez compris, je suis pleinement favorable. Permettez-moi, avant de conclure, d’insister sur deux points sur lesquels, je l’espère, Mme la ministre ne manquera pas de revenir.

En premier lieu, j’évoquerai les conditions d’attribution des indemnités journalières de maternité, lesquelles sont loin d’être une réalité pour toutes les femmes salariées. En effet, la condition, exigée par l’assurance maladie, de deux cents heures travaillées au cours des trois mois précédant la date de début de grossesse ou la date de début du congé prénatal est particulièrement difficile à remplir pour les femmes en situation professionnelle précaire, travaillant à temps partiel ou selon des horaires discontinus. Je pense notamment aux employées de la grande distribution, ainsi qu’aux intermittentes du spectacle.

Le second point est de portée plus générale : la modernisation du congé de maternité que nous préconisons est indissociable d’une politique familiale volontariste et ambitieuse en matière de modes d’accueil de l’enfant, qui permette d’offrir à chaque ménage la possibilité de faire garder son ou ses enfants à un coût raisonnable. Malheureusement, nous en sommes encore loin.

Conformément à l’accord passé entre les présidents des groupes politiques, la commission des affaires sociales n’a pas adopté de texte, afin que notre proposition de loi soit discutée aujourd’hui dans sa forme initiale. Nous avons néanmoins eu des échanges très riches et très constructifs sur des sujets aussi importants que le retour à l’emploi des jeunes mères, l’implication des pères dans l’éducation des enfants ou les représentations sociales en matière de partage des tâches entre les hommes et les femmes.

Je souhaite, quant à moi, que nos débats de cet après-midi dans l’hémicycle parviennent à convaincre le Sénat du bien-fondé des mesures présentées et de l’intérêt d’adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier Claire-Lise Campion de soumettre à l’examen du Sénat cette proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l’égalité salariale et sur les conditions d’exercice de la parentalité. En tant que ministre chargée de la famille, des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes, je me réjouis que ces questions soient abordées dans notre pays, comme elles le sont d’ailleurs au niveau européen.

Comment ne pas souscrire à votre constat initial, madame Campion ?

J’ai déjà moi-même maintes fois rappelé l’absolue nécessité de permettre une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle et de garantir un meilleur partage des responsabilités familiales et professionnelles. Ce sont là des exigences incontournables si nous voulons faire avancer les droits des femmes, mais aussi bâtir une société plus juste et plus humaine.

Pour autant, si je partage votre constat, je discuterai les moyens que vous préconisez aujourd’hui.

En effet, comme dans toute bonne négociation, avant de demander l’application d’un accord pour améliorer les droits des femmes, je préfère évaluer préalablement les différents intérêts en jeu. J’essaie également d’imaginer des pistes permettant de procurer un bénéfice aux femmes, bien sûr, mais aussi à l’ensemble des entreprises et à l’État.

Une avancée sociale doit, en effet, contribuer à faire progresser l’intérêt général et être partagée par tous.

C’est pourquoi je vous proposerai tout à l’heure de nous investir d’abord dans la négociation collective, d’explorer les différents compromis possibles, avant de légiférer ou de prendre des dispositions réglementaires.

Mais permettez-moi d’abord de reprendre les quatre thématiques selon lesquelles s’articule la proposition de loi et de vous livrer, à leur sujet, mon sentiment, qui est évidemment celui du Gouvernement.

La première thématique est l’instauration d’un congé de maternité plus long et mieux indemnisé.

Pour mémoire, je rappellerai que la situation difficile de nos finances publiques ne permet pas, actuellement, d’envisager des dépenses nouvelles qui auraient pour conséquence d’augmenter les déficits publics ainsi que les charges des entreprises, puisque, pour l’instant, nous finançons notre politique sociale largement à crédit. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet lors du dernier Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs », dit EPSCO, le 6 décembre dernier.

Sans surestimer ces dépenses nouvelles, je souligne que, au-delà des coûts nets que cet allongement représente pour la sécurité sociale – 170 millions d’euros pour deux semaines, si nous passons de seize à dix-huit semaines dans le dispositif actuel d’indemnisation, sachant que le congé de maternité est aujourd’hui indemnisé à hauteur de quelque 95,4 % du salaire net de l’assurée, dans la limite d’un plafond égal, au 1er janvier 2011, à 2 946 euros, et 340 millions d’euros pour quatre semaines, si la durée du congé de maternité est portée à vingt semaines –, elles s’élèveraient à plus de 1,1 milliard d’euros si nous acceptions la disposition votée par le Parlement européen tendant à déplafonner l’indemnisation, en prenant comme référence la totalité du salaire réel. C’est évidemment une dépense inenvisageable dans l’état actuel de nos finances publiques.

Concernant les employeurs, cela pourrait constituer, dans certains cas, un frein à l’embauche des femmes, au développement de leur carrière et à leur progression salariale. Certains y verraient d’ailleurs une possibilité de renvoyer les femmes chez elles, en ne leur offrant pas un libre choix entre mener une carrière professionnelle et rester à la maison.

Les conditions de retour à l’emploi – dans les entreprises privées ainsi que dans le cadre de l’exercice d’une profession libérale – peuvent être compliquées, en France comme dans l’ensemble des pays européens.

Je souhaite donc qu’une expertise approfondie soit menée au préalable, pour bien cerner les conséquences réelles d’un allongement de la durée des congés dans ces cas particuliers.

Certaines comparaisons avec des pays étrangers peuvent comporter des biais d’évaluation importants.

Par exemple, en Suède, pays qui bénéficie d’une législation sociale très avancée et protectrice, après un an de congé parental pour la naissance d’un enfant, la quasi-totalité des mères intègrent en fait le secteur public. En effet, celui-ci garantit l’effectivité du retour à l’emploi, mais pas nécessairement les entreprises privées, où les conditions de fonctionnement et de gestion des ressources humaines sont évidemment beaucoup plus contraintes.

Ces difficultés, nous ne pouvons les ignorer : comparaison n’est donc pas raison ! C’est pourquoi j’insiste sur la priorité de recourir d’abord à un approfondissement préalable par la négociation collective.

Dans ce cadre, il faut impérativement articuler deux priorités : la préservation de la santé des femmes et la promotion de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Si, du point de vue de la santé des femmes, l’allongement du congé de maternité se justifie, il peut constituer, notamment dans certains métiers du secteur privé, un frein plus ou moins important à l’emploi et à la promotion des femmes. Nous avons tous à l’esprit un certain nombre d’exemples de cet ordre : c’est une réalité, aussi regrettable soit-elle.

Mme Annie David. Justement, il faut se battre contre ça !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Par conséquent, il nous faut éviter qu’un allongement souhaitable du congé de maternité puisse aboutir à un résultat contraire à l’intérêt et à la promotion sociale des femmes dans certaines professions. Nous ne pouvons accepter que cet allongement puisse organiser un retrait plus durable des femmes du marché du travail et des interruptions d’activité qui pèseront sur leur niveau de rémunération et leur retraite.

Deuxième thématique de votre proposition de loi : renforcer la protection juridique des femmes salariées enceintes ou ayant accouché.

L’entretien professionnel auquel les femmes ont droit à l’issue de leur congé de maternité doit porter non seulement sur leur orientation professionnelle, mais aussi sur l’évolution de leurs conditions et horaires de travail.

Là aussi, avant la mise en œuvre d’une mesure législative, il est essentiel d’engager une discussion approfondie avec les partenaires sociaux. Cette mesure relève surtout du domaine de la négociation et des conventions collectives.

Comme vous l’avez précisé lors de la réunion de la commission du 25 mai dernier, certaines conventions collectives prévoient déjà la possibilité d’adapter les rythmes et horaires de travail des femmes revenant d’un congé de maternité. Mais tel n’est pas le cas dans tous les secteurs d’activité. Pour y parvenir, il faut faire mûrir les esprits et rechercher de nouveaux points de consensus.

Vous soulignez que cette mesure est directement inspirée de la proposition de directive européenne. J’ai justement fait remarquer, lors du Conseil EPSCO du 6 décembre 2010 relatif à l’emploi et aux affaires sociales, que les options du Parlement européen ne tenaient pas suffisamment compte du principe de subsidiarité et qu’elles laissaient trop peu de place au dialogue social.

Il est nécessaire d’approfondir les pistes de réflexion en vue d’établir des liens entre les différentes formes de congés familiaux ouverts aux pères et aux mères, notamment le congé de paternité. Il faut se donner le temps d’explorer toutes les options et de discuter avec les partenaires sociaux, qui doivent être étroitement associés au traitement de ce dossier.

Je serais plutôt favorable à l’établissement préalable d’un constat précis des difficultés actuelles sur le marché du travail en termes de protection.

De même, il est nécessaire d’évaluer les conséquences de cette mesure sur le marché du travail des femmes, son degré d’efficacité et ses différents coûts pour l’entreprise, l’assurance maladie et l’État. On ne peut prendre de décision en la matière sans disposer d’un tableau précis des différents besoins de financement.

J’en viens maintenant aux troisième et quatrième thématiques : étendre les droits aux femmes enceintes exerçant une activité indépendante, d’une part, créer un congé d’accueil de l’enfant, d’autre part.

Comme pour la deuxième thématique, j’ai tendance à juger plus adéquat d’engager préalablement une négociation avec les partenaires sociaux et une évaluation précise des difficultés actuelles, des coûts pour les différentes parties, de l’efficacité et des conséquences de telles mesures sur le marché du travail.

Concernant les femmes exerçant une profession libérale, en faveur desquelles j’ai pris, je le rappelle, un certain nombre de dispositions dans le cadre des derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, il convient de souligner un autre inconvénient : si le congé de maternité offre à toute salariée la garantie de retrouver son emploi à son retour, le poste qu’elle occupait, on ne peut apporter cette garantie aux femmes exerçant une activité libérale, celles-ci courant le risque de perdre une partie de leur clientèle.

Vous l’aurez compris, de nombreux volets de cette proposition de loi me semblent devoir encore faire l’objet d’un examen approfondi, afin de nous assurer que nous allons bien dans le sens d’une conciliation juste et durable de la vie familiale et de la vie professionnelle. L’ensemble des aspects particuliers doivent être réglés avant d’aborder la phase législative.

La politique familiale de notre pays, extrêmement ambitieuse et saluée sur de nombreux points par nos partenaires européens, ne saurait être réduite au seul congé de maternité. En 2010, nous lui avons consacré 5,1 % de notre PIB, soit deux fois plus que la moyenne des autres pays européens, contre 4,7 %, je le rappelle, au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy. C’est grâce à cet effort remarquable que nous obtenons les meilleurs résultats en Europe en termes de natalité, tout en ayant un taux d’activité féminin figurant parmi les plus élevés du continent. Comme vous le savez, l’avenir de notre pays se joue aussi dans le renouvellement des générations.

Il faut donc engager préalablement la négociation collective pour faire progresser les droits des femmes.

Comme aucun texte législatif n’est parfait, il faut que la réponse aux contraintes que fait peser la maternité sur l’activité professionnelle des femmes puisse être déterminée au cas par cas, selon les besoins et les spécificités des branches professionnelles et pour l’adapter aux différences qui existent, en matière de travail, entre la fonction publique et le secteur privé.

Il faut également introduire plus de souplesse, encadrée par la loi après la négociation collective afin d’assurer le respect des principes fondamentaux du droit du travail dans les relations entre employeurs et salariées, en vue de permettre aux femmes qui souhaitent reprendre le travail plus rapidement après leur accouchement de pouvoir le faire, en ne figeant pas le dispositif du congé de maternité.

Parallèlement, il me semble utile d’étudier des dispositifs protecteurs de nature législative ou sociale pour les femmes exerçant une profession libérale ou des fonctions de cadre supérieur en entreprise, comme l’a souligné en commission M. André Lardeux.

Je crois en outre important de régler des cas particuliers, comme la naissance d’un enfant handicapé – la mère doit pouvoir bénéficier de mesures d’accompagnement et d’aide supplémentaires – ou l’adoption, avec la prise en compte des besoins spécifiques que celle-ci implique.

Enfin, nous devons maîtriser les coûts pour les finances publiques et réfléchir au mode de financement de ces mesures nouvelles, recourir à une augmentation des droits sur les alcools n’étant pas satisfaisant.

J’ajoute que la tenue d’un Conseil EPSCO le 17 juin prochain va dans le même sens : il me paraît plus opportun de réserver notre position en attendant de connaître les prochaines évolutions.

Ce qui est certain, c’est que nous devons adopter une vision et une approche globales, qui tiennent compte non seulement du congé de maternité, mais aussi de l’articulation de l’ensemble des congés existants, afin de conserver la cohérence des dispositifs actuels. Il faut aussi étudier les conditions de l’intégration des femmes au sein du marché du travail, de la répartition des rôles et des responsabilités entre les hommes et les femmes ou encore de l’accueil de la petite enfance.

En effet, ces différentes dimensions sont liées, et elles seront abordées lors de la conférence sur l’égalité professionnelle et familiale que j’organiserai, à la fin du mois, avec mon collègue Xavier Bertrand.

Je ne saurais approuver ce texte en l’état, mais je tiens à réaffirmer mon engagement en faveur des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Chère Claire-Lise Campion, je vous remercie de votre travail ; vous avez ouvert, avec cette proposition de loi, un important dossier, selon une philosophie que je partage, mais son examen mérite d’être encore affiné. Je suis sûre que tel était le sens de votre initiative ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)