M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En réalité, c’est soit l’assemblée concernée qui, lors de la conférence des présidents, décide, en toute liberté, d’inscrire ou non une proposition de loi à son ordre du jour, soit le Gouvernement qui, s’il considère une proposition de loi intéressante, en demande l’inscription sur son ordre du jour prioritaire. Heureusement, un tel cas de figure arrive. À titre d’exemple, je vous citerai la réforme de la prescription en matière civile.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Prochainement, nous allons examiner, et sans doute adopter, une proposition de loi relative aux sapeurs-pompiers volontaires, texte qui a déjà été voté par l’Assemblée nationale.

Cependant, monsieur Cointat, constitutionnellement, on ne peut rien imposer. L’inscription par une assemblée à son ordre du jour de propositions de loi émanant de l’autre assemblée relève d’un échange de bons procédés.

Mais les groupes peuvent également prendre l’initiative. Ainsi, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale peut fort bien demander l’inscription à l’ordre du jour de l'Assemblée nationale d’une proposition de loi du groupe socialiste du Sénat.

Vous le savez bien, mon cher collègue, l’adoption par le Sénat de propositions de loi émanant de l'Assemblée nationale fait l’objet de négociations et obéit, en quelque sorte, à la règle du donnant-donnant. Je pourrais faire un pointage, mais je sais que, du moins pour ce qui concerne les textes relevant de la compétence de la commission des lois, nous arrivons à un résultat assez équilibré.

Mon cher collègue, je comprends votre préoccupation, mais, constitutionnellement et à mon grand regret, je ne peux pas, au nom de la commission des lois, émettre un avis favorable sur l’amendement n° 37.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’article 48 de la Constitution établit le principe de la souveraineté des assemblées parlementaires sur leur ordre du jour, sous réserve du respect des deux semaines de séance réservées chaque mois par priorité à l’examen des textes et débats dont le Gouvernement a demandé l’inscription. Ces dispositions sont protectrices au premier chef du Sénat, qui doit en avoir pleinement conscience.

Comme l’a rappelé de façon allusive M. Hyest, la commission des lois du Sénat ne manifeste pas toujours un très grand enthousiasme en faveur de l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de certains textes votés par l’Assemblée nationale, sauf s’ils agréent au président de ladite commission. (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. En réalité, il y va de la souveraineté et du respect de chaque assemblée.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 37. Monsieur Cointat, oserais-je vous demander une nouvelle fois, dans l’intérêt même du Sénat, de le retirer ?

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Monsieur le rapporteur, lorsqu’une proposition de loi a été adoptée par une assemblée, il est logique qu’elle soit examinée au plus tard dans les six mois suivants par l’autre assemblée. Sinon, nos débats ne servent à rien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certaines propositions de loi étudiées par une assemblée ne sont jamais inscrites à l’ordre du jour de l’autre assemblée !

M. Jean Desessard, rapporteur. Votre argument selon lequel les groupes peuvent prendre l’initiative est irrecevable. Certes, ils jouent un rôle lors de l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi en première lecture dans la première assemblée. Mais ensuite doit se dérouler un cheminement logique jusqu’au terme de l’examen du texte.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Jean Desessard. C’est rabaisser le rôle parlementaire de la première assemblée que de laisser le choix à la seconde d’inscrire ou non la proposition de loi à son ordre du jour.

L’amendement n° 37 instaurant une sorte de suivi parlementaire, je le voterai.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Moi aussi, j’ai envie de voter cet amendement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela ne va pas durer !

M. François Fortassin. « Les assemblées sont souveraines », nous dit-on. Certes, mais n’y aurait-il pas un télescopage avec le bicamérisme ? Si les propositions de loi d’une assemblée peuvent être réduites à néant par l’autre assemblée, alors il faut supprimer l’une des deux assemblées – personne ne souhaite –, ou admettre que les propositions de loi n’ont pas de raison d’être.

Un moyen terme consisterait peut-être, tout en reconnaissant la souveraineté de chaque assemblée, à fixer un délai - un an ou deux ans – pour que la seconde assemblée examine la proposition de loi de la première. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle la votera.

M. Jean Desessard. Très bien !

(M. Roger Romani remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. Monsieur Cointat, l'amendement n° 37 est-il maintenu ?

M. Christian Cointat. J’ai beaucoup d’estime pour M. Mercier – il le sait, d’ailleurs –, mais j’ai annoncé tout à l’heure la couleur, si je puis dire, et, pour une fois, je ne retirerai pas cet amendement. Ce serait d’ailleurs rendre un mauvais service au Sénat, et au Parlement, que de ne pas l’adopter.

En effet, comme l’a fort justement souligné M. Fortassin, le bicamérisme a une réalité essentielle : la coordination entre deux chambres qui forment un Parlement. À partir du moment où une autonomie prétendument totale serait donnée à chaque chambre, il y aurait non plus un Parlement mais deux chambres, et ce n’est plus du tout la même chose. (M. le rapporteur s’exclame.)

Monsieur le rapporteur, constitutionnellement, dites-vous, vous ne pouvez pas émettre un avis favorable. Mais c’est justement pour cette raison qu’il faut modifier la Constitution ! Sinon, l’article 48 de la Constitution, qui donne l’initiative de l’inscription à l’ordre du jour des textes au Parlement et au Gouvernement reste lettre morte, et ce en violation de l’esprit de la Constitution.

Il n’est absolument pas acceptable, alors que l’initiative des textes législatifs est reconnue conjointe, que les uns puissent, et les autres pas !

C’est au contraire grandir le Parlement que de donner à une proposition de loi débattue dans une assemblée la possibilité d’être au moins examinée par l’autre assemblée, même si c’est pour être repoussée.

Mes chers collègues, trouvez-vous normal de vous lier les mains une fois de plus ? On invoque les vertus de la négociation, qui permet en effet à certaines propositions de loi d’être examinées par chacune des assemblées. Mais tous les auteurs de propositions de loi ne sont pas égaux sur ce point : certains sont plus égaux que d’autres, ce qui est scandaleux et inacceptable ! (M. Jean Desessard applaudit.) Ne nous faisons pas hara-kiri ! Ayez le courage d’adopter le présent amendement, mes chers collègues, et nous verrons bien dans la navette si l’Assemblée nationale le maintient.

Nous devons faire preuve de responsabilité car, je le répète, s’il y a deux chambres, il n’y a qu’un Parlement, lequel doit pouvoir travailler dans le respect de tous les termes de la Constitution française, initiative parlementaire comprise !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont pris la parole avec une certaine solennité pour soutenir l’amendement présenté par M. Cointat.

Pour ma part, je souhaite en revenir au droit positif et vous rappeler les dispositions de l’article 48 de la Constitution.

Premièrement, chaque assemblée fixe son ordre du jour.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Deuxièmement, deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité à l’examen des textes dont le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour.

Troisièmement, l’examen des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale est, à la demande du Gouvernement, inscrit à l’ordre du jour par priorité.

Quatrièmement, une semaine de séance sur quatre est réservée, dans chaque assemblée, au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.

Cinquièmement, un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l’initiative des groupes d’opposition ou des groupes minoritaires.

Sixièmement, enfin, une séance par semaine au moins est réservée aux questions des membres du Parlement.

Pour que l’amendement n° 37 puisse prospérer, monsieur Cointat, il faudrait indiquer clairement sur quel ordre du jour serait inscrit le texte voté par l’autre assemblée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Christian Cointat. Excellente idée, monsieur le garde des sceaux ! Proposez-le !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Cointat, il s’agit ici de la Constitution et des droits du Parlement. Vous n’indiquez pas sur quel ordre du jour seront inscrites les propositions de loi. En tout état de cause, il ne peut pas s’agir de l’ordre du jour prioritaire.

Si certains groupes sont prêts à renoncer à une partie du temps dont ils disposent, fort bien. Il leur suffit de s’entendre avec les auteurs du texte de l’autre assemblée, comme l’a rappelé M. Hyest.

M. Christian Cointat. Cela ne se fait pas !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement, de principe, n’a pas de portée opératoire. C'est pourquoi le Gouvernement, je le confirme, émet un avis défavorable, et même très défavorable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je suis bien las de ces débats répétitifs !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 37.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7
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Article 8

Article additionnel après l'article 7

M. le président. L'amendement n° 40, présenté par M. Cointat, est ainsi libellé :

Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 48 de la Constitution, il est inséré un article 48-1 ainsi rédigé :

« Art. 48-1. – Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa des articles 39 et 47 et de l’article 48, tout projet de loi comportant des dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ou des modifications apportées à ces dispositions est déposé et discuté dans les conditions prévues au présent article.

« Ce projet de loi est accompagné d’un projet de loi de finances ayant pour unique objet d’approuver les mesures précitées et d’en tirer les conséquences sur l’équilibre des finances publiques.

« Les deux projets sont déposés le même jour sur le bureau de la même assemblée. Dans chaque assemblée, le projet de loi de finances est discuté à la suite du projet de loi ordinaire adopté en première lecture, et, le cas échéant, lors des lectures suivantes. Le projet de loi ne peut être adopté définitivement qu’en cas d’adoption définitive du projet de loi de finances qui l’accompagne. En cas de rejet définitif de l’un de ces projets, l’autre est réputé caduc.

« Lorsque les projets sont déposés en première lecture au Sénat et que cette assemblée ne s’est pas prononcée dans un délai quinze jours sur le projet de loi de finances, le Gouvernement saisit l’Assemblée nationale qui doit statuer dans un délai de quarante-cinq jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.

« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa des articles 39 et 47-1 et de l’article 48, les dispositions du présent article sont également applicables aux projets de loi comportant des dispositions relatives aux principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale ainsi que les modifications apportées à ces dispositions et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale qui les approuvent.

« Une loi organique détermine, en tant que de besoin, les dispositions du présent article. »

Cet amendement n'a plus d’objet.

Article additionnel après l'article 7
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Article 9

Article 8

À la première phrase du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « de loi-cadre d’équilibre des finances publiques, ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 22 rectifié est présenté par MM. Frimat, Collombat et Yung, Mme Bricq, MM. Daudigny, Marc, Frécon, Desessard, Bérit-Débat, Sergent et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 67 est présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Foucaud, Fischer et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

Ces amendements n'ont plus d’objet.

Je mets aux voix l'article 8.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
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Article 9 bis (nouveau)

Article 9

L’article 61 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « organiques », sont insérés les mots : « et les lois-cadres d’équilibre des finances publiques » ;

2° (nouveau) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, avant leur promulgation, doivent être soumises au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la loi-cadre d’équilibre des finances publiques. » ;

3° (nouveau) Au début de la première phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, » sont supprimés ;

4° (nouveau) Au début du dernier alinéa, les mots : « Dans ces mêmes cas, » sont supprimés.

M. le président. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Frimat, Collombat et Yung, Mme Bricq, MM. Daudigny, Marc, Frécon, Desessard, Bérit-Débat, Sergent et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. À partir du moment où les lois-cadres d’équilibre des finances publiques existent, cet amendement n’a plus d’objet.

M. le président. Cet amendement n’a effectivement plus d’objet.

Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 72, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Foucaud, Fischer et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Alinéas 3 à 6

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Nous souhaitons revenir sur une disposition lourde de conséquences adoptée par l’Assemblée nationale.

Les nouveaux alinéas de l’article 9 exigent que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale soient soumises, dans le cadre donc d’une saisine automatique, au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la loi-cadre d’équilibre des finances publiques adoptée précédemment.

Cette disposition est inacceptable à plusieurs titres.

Tout d’abord, le principe même d’encadrer un débat budgétaire par une loi supérieure apparaît antidémocratique. C’est là une remise en cause de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme cela a déjà été dit.

Ensuite, une telle disposition permettra au Conseil constitutionnel, constitué en tout ou en partie par une majorité précédente, de juger du travail législatif d’une nouvelle majorité. Il s’agit là indirectement d’une remise en cause du suffrage universel.

Enfin, cet article pose une nouvelle fois la question, grave, de la légitimité du Conseil constitutionnel. Au nom de quel principe des hommes et des femmes, quelles que soient leurs compétences, désignés de manière arbitraire, peuvent-ils dicter leur loi, au propre comme au figuré, aux députés et aux sénateurs ?

Ces trois motifs, brièvement exposés, justifient pleinement à notre sens le rejet des alinéas 3 à 6 de l’article 9 du projet de loi constitutionnelle.

M. le président. L'amendement n° 32, présenté par MM. Arthuis et Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée : 

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent alinéa.

La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Cet amendement a pour objet de préciser ce qu’il adviendra dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel censurerait une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale.

En effet, dans le contexte actuel de réduction du déficit public, une censure pourrait conduire à mettre en œuvre une politique moins vertueuse que les textes censurés si ne sont pas précisées les dispositions devant être prises en cas de censure pour non-conformité avec la loi-cadre.

En cas de censure, l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances s’applique.

Autrement dit, dans le cas des recettes, le droit en vigueur continue de s’appliquer. Concrètement, aucune des mesures d’augmentation des recettes n’entre en vigueur, ce qui est en contradiction avec l’objectif, recherché par hypothèse, de réduction du déficit public.

Dans le cas des dépenses, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, c’est-à-dire qu’il applique en gros le « zéro valeur » à l’ensemble des dépenses de l’État. Cela permet, certes, de faire des économies par rapport au « zéro volume » actuellement utilisé, mais il n’est pas certain que les lois de finances appliqueront toujours cette norme. Par ailleurs, une faible inflation pourrait réduire le montant des économies correspondantes.

La censure de la loi de finances pourrait ainsi conduire à la mise en œuvre d’une politique moins vertueuse que le texte jugé non conforme à la loi-cadre. Il convient de prévenir une situation aussi paradoxale.

En outre, en cas de censure de la loi de financement de la sécurité sociale, le droit en vigueur sur les recettes et les dépenses continuera de s’appliquer. Il n’y a pas de dispositions identiques à la LOLF concernant les lois de financement de la sécurité sociale. Autrement dit, toutes les mesures d’économies sur les dépenses et les recettes seraient purement et simplement annulées !

Ainsi, si l’on ne précise pas dans la loi organique ce qui se passera en cas de non-conformité à la loi-cadre de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, les conséquences d’une non-conformité ne seront pas neutres par rapport à la stratégie de réduction du déficit public.

En fait, il suffirait qu’un gouvernement décide d’appliquer le « zéro valeur » à l’ensemble des dépenses de l’État pour qu’une censure n’ait pour lui aucune conséquence ou conduise à une moindre réduction du déficit. Une telle situation serait pour le moins paradoxale.

Par ailleurs, si un gouvernement annonçait un plan de réduction du déficit et que celui-ci était annulé par le Conseil constitutionnel, l’effet pourrait être catastrophique sur les marchés. Cette censure ne manquerait pas de susciter une hausse des taux d’intérêt, lesquels ne baisseraient pas forcément une fois les mesures prises dans de nouveaux textes.

C’est pour ces raisons, qui relèvent non pas de la seule technique constitutionnelle mais de la mécanique des lois financières, que la commission des finances vous propose de renvoyer à la loi organique le soin de préciser les conséquences d’une non-conformité à la loi-cadre des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Vous trouverez dans le rapport de la commission quelques pistes de réflexion, qui méritent évidemment d’être approfondies d’ici à la discussion de la loi organique.

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. - Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil constitutionnel examine conjointement, avant le 31 décembre de l’année au cours de laquelle elles ont été adoptées, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale fixant les ressources et les charges d’un exercice. »

II. - Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° Au début de la première phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, » sont remplacés par les mots : « Sauf dans le cas prévu à l’alinéa précédent, » ;

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 72 et 32.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement vise à aménager les modalités de contrôle de la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale initiales à la loi-cadre.

En effet, les lois-cadres d’équilibre des finances publiques fixeront des normes d’évolution en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques.

Le contrôle systématique prévu par l’Assemblée nationale est une bonne chose, mais il se pourrait que le Conseil constitutionnel se prononce d’abord sur la loi de financement de la sécurité sociale, puis sur la loi de finances, ce qui risquerait d’aboutir à une absence d’équilibre global. Un examen simultané de ces deux lois est donc nécessaire.

Cet amendement est donc notre apport, modeste, aux mécanismes de contrôle de conformité par le Conseil constitutionnel.

Pour ce qui est de l’amendement n° 32, les explications du président Arthuis m’ont paru tellement élevées que je ne les ai pas toutes comprises ! Il faut dire que les membres de la commission des lois ont, eux, des raisonnements tellement basiques...

Pourquoi souhaitez-vous une nouvelle loi organique, monsieur le président de la commission des finances, alors qu’il existe déjà une loi organique relative aux lois de finances ?

Si une telle loi vous paraît véritablement indispensable, j’estime, pour ma part, que les textes existants – la loi organique relative aux lois de finances, les dispositions constitutionnelles – sont suffisants.

Ces éléments vous permettront, monsieur Arthuis, de modifier la loi organique afin d’éviter les horreurs que vous nous annoncez !

J’avoue cependant que je ne comprends pas comment la censure d’une loi de finances pour non-conformité pourrait être moins vertueuse que l’absence de censure. À ce compte-là, il ne faut plus rien censurer, et il faut abandonner tous les projets que vous aviez !

Sans doute faudrait-il que j’effectue un stage d’au moins dix ans au sein de la commission des finances pour comprendre vos préoccupations et entrer dans la finesse de vos raisonnements, monsieur Arthuis…

La commission des lois s’en remet, sur l’amendement n° 32, à la sagesse du Sénat.

L’amendement de M. Vera est, quant à lui, en contradiction avec le texte que nous venons de voter. Il vise à supprimer les alinéas 3 à 6 de l’article 9. Or l’ensemble du dispositif est indispensable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 72. Il s’en remet à la sagesse du Sénat sur les amendements nos 32 et 3.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Tout d’abord, je remercie M. le président de la commission des lois, par ailleurs rapporteur, d’avoir bien voulu s’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 32.

Je le prie de me pardonner d’avoir été à ce point confus qu’il n’ait pas bien compris mon argumentation.

Pour faire plus simple,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Surtout pas !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. … il pourrait arriver qu’une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale contienne des dispositions qui ne permettent pas de respecter la loi-cadre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La loi sera alors censurée !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Le Conseil constitutionnel censurera ladite loi au motif qu’il y a insuffisance d’effort par rapport à la loi-cadre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Que se passera-t-il dans ce cas particulier ? On reviendra à la situation antérieure, et c’est la pire des situations. Imaginez que les marchés nous observent … S’ils constatent cette censure, ils nous sanctionneront immédiatement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si le budget n’est pas voté le 31 décembre, c’est pareil !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Je ne sais pas si j’ai été suffisamment clair, monsieur Hyest, mais c’est pour prévenir de telles occurrences que la commission des finances a jugé opportun de proposer cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l’amendement n° 32.

M. Bernard Frimat. J’ai hésité en écoutant le M. Arthuis, mais le dernier point de son argumentation a emporté ma conviction : je voterai contre les amendements nos 32 et 3, et je vais expliquer pourquoi !

Les lois-cadres dont nous venons d’adopter la création autoriseront le Conseil constitutionnel à vérifier si les hypothèses macroéconomiques et la stratégie économique choisies sont bonnes. Elles le plongeront au cœur de ce qui fait la décision politique et lui permettront, le cas échéant – situation tout à fait grotesque – de censurer les lois de finances et de financement.

Les deux lois étant examinées en même temps, on risque, à la fin de l’année, de se retrouver sans loi de finances et sans loi de financement de la sécurité sociale. Quels progrès pour la clarté ! Quels progrès vis-à-vis des agences de notation ! Que diront-elles d’un pays incapable de produire une loi de finances qui ne soit pas censurée par son Conseil constitutionnel ?

Les marchés nous observent, monsieur Arthuis, et même par le trou de la serrure ! Nous leur offrons là une magnifique occasion de constater l’incurie d’un gouvernement dont ils verront qu’il n’est même pas capable d’adopter une loi de finances qui franchisse le cap de l’examen par une instance dont on ne sait plus d’ailleurs si elle est encore une cour suprême juridique ou si elle n’est pas plutôt une cour suprême économique !

C’est là une preuve supplémentaire que votre système vertueux, qui vous a réjoui et qui a donné lieu à tellement de professions de foi sur la maîtrise des dépenses publiques, est un leurre.

La réalité impose tout au contraire de mener une politique qui réponde aux objectifs de maîtrise des dépenses publiques, qui permette de moins gaspiller, de moins brader les recettes en consentant de véritables cadeaux à certains. Ce qu’il faut, c’est définir une stratégie politique. Rien de tout cela n’est inscrit dans la Constitution.

Puisque vous prévoyez que le Conseil constitutionnel doit s’en mêler – c’est votre logique –, quelle est la solution ? C’est la solution miracle : une loi organique. Or que connaissons-nous de cette loi aujourd'hui ? Rien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par définition ! Il faut tout d’abord modifier la Constitution.