compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

M. Philippe Nachbar,

M. Jean-Paul Virapoullé.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

Mme la présidente. J’informe le Sénat que le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de ce projet de loi.

3

Communication relative à des commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que sont parvenues à l’adoption d’un texte commun la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l'exercice du droit de préemption
Discussion générale (suite)

Exercice du droit de préemption

Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l'exercice du droit de préemption
Articles additionnels avant l'article 1er (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l’exercice du droit de préemption (proposition n° 323, texte de la commission n° 617, rapport n° 616).

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que la proposition de loi de M. Hervé Maurey a été inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe de l’Union centriste, c’est-à-dire dans une limite de quatre heures.

Je vous rappelle également que la conférence des présidents a programmé à dix-huit heures trente l’examen de la proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est soumise vise à améliorer et à sécuriser l’exercice du droit de préemption urbain.

Elle est issue des travaux menés par la commission de l’économie sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, déposée par M. Jean-Luc Warsmann et examinée par le Sénat en première lecture à l’automne dernier.

Ce texte comportait une réforme d’ampleur du droit de préemption urbain, ou DPU, que le Sénat avait refusée, pour des raisons tant de fond que de forme.

Sur la forme, nous avions jugé qu’une réforme d’ampleur du droit de préemption n’avait pas sa place au détour d’une proposition de loi de simplification du droit.

Sur le fond, la réforme proposée risquait d’entraver gravement l’exercice du droit de préemption par les collectivités, alors qu’il s’agit d’un instrument très efficace pour l’aménagement urbain.

Tout en étant convaincus de la nécessité d’éviter la remise en cause du DPU telle qu’elle était alors suggérée, nous avions constaté qu’un certain nombre d’évolutions du droit applicable en matière de préemption étaient souhaitables. Une étude du Conseil d’État de 2007 avait d’ailleurs souligné ce point.

Nous nous étions donc engagés à élaborer un texte sur le sujet.

Ce texte, que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, s’inspire largement des conclusions du groupe de travail relatif aux stratégies foncières constitué dans le cadre de la démarche entamée au mois de juin 2010 par le secrétaire d’État chargé du logement, Benoist Apparu, intitulée Vers un urbanisme de projet.

La présente proposition de loi, qui se veut avant tout pragmatique, vise non pas à révolutionner le droit de préemption, mais à en améliorer le cadre juridique et l’usage.

Au terme des auditions réalisées, nous avons pu constater que l’objectif paraît atteint, car ce texte semble susciter un consensus entre les différents acteurs concernés – propriétaires privés, aménageurs, élus locaux, opérateurs fonciers –, dont les intérêts peuvent parfois être divergents. Tous ont estimé qu’il était équilibré entre le droit des propriétaires à disposer de leur bien et la nécessité de donner à la puissance publique des leviers d’aménagement urbain.

De tels leviers sont particulièrement nécessaires, dans un contexte de tension des marchés foncier et immobilier. Ils permettent en effet aux collectivités de disposer d’un outil pour mener à bien leur projet.

Le droit de préemption répond à cet objectif et présente de nombreux avantages.

Je rappelle que ce droit est institué très fréquemment, précisément par 80 % des communes dotées d’un document d’urbanisme. En revanche, il ne s’exerce que sur environ 1 % des transactions. Cela montre que ce droit est utilisé par les collectivités pour mieux connaître les conditions auxquelles les transactions se déroulent sur un territoire donné. Cette pratique leur permet de constituer un observatoire foncier, dans un contexte de relative opacité du marché foncier.

Par ailleurs, et vous le savez, mes chers collègues, cet outil est beaucoup moins contraignant que l’expropriation : il concerne des biens dont le propriétaire avait l’intention de se séparer ; de plus, il est d’utilisation beaucoup plus souple.

S’il offre des avantages, le droit de préemption doit néanmoins être sécurisé, notamment pour prendre en compte les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à répondre à un certain nombre de difficultés rencontrées actuellement par les collectivités dans l’exercice de ce droit, et à mieux garantir les droits de propriétaires.

Tout d’abord, le texte améliore les prérogatives reconnues aux collectivités.

Ainsi, l’article 1er enrichit le contenu des déclarations d’intention d’aliéner et apporte des améliorations à la publicité des décisions de préemption. Cette disposition doit permettre à la collectivité d’avoir une connaissance plus précise de la réalité du bien et des conditions de son aliénation, afin de pouvoir prendre sa décision en toute connaissance de cause.

Nous avons néanmoins voulu éviter l’alourdissement systématique et par là même inutile des déclarations d’intention d’aliéner. Cette amélioration de la connaissance du bien préempté sera particulièrement utile pour la préemption de biens « complexes », éventuellement affectés de pollutions.

Par ailleurs, le texte adopté par la commission prévoit que le titulaire du droit de préemption pourra visiter le bien qu’il souhaite préempter.

Autre disposition favorable aux collectivités : si celles-ci renoncent à exercer leur droit avant fixation judiciaire du prix, elles retrouveront de nouveau ce droit sur le même bien dans un délai de trois ans, ce délai étant actuellement fixé à cinq ans.

L’article 5, quant à lui, clarifie les dispositions relatives à l’utilisation du bien préempté, en précisant explicitement que le titulaire du droit de préemption peut utiliser le bien à d’autres usages que celui qui est initialement prévu, dès lors que ceux-ci sont inclus dans les objets légaux de la préemption. Vous le savez, mes chers collègues, il s’agit d’un élément très important et d’une avancée sensible pour les collectivités.

Enfin, le texte améliore les conditions de la préemption partielle.

L’autre axe de la présente proposition de loi réside dans les nouvelles garanties apportées aux propriétaires, dans le droit fil des recommandations formulées par le Conseil d’État en 2007.

L’article 2 précise ainsi que, après saisine du juge de l’expropriation, le titulaire du droit de préemption ne pourra plus renoncer à l’acquisition, sauf si le prix fixé est supérieur de 10 % à l’estimation des domaines. Après fixation judiciaire du prix, c’est-à-dire, en pratique, après des mois de contentieux, le propriétaire doit pouvoir vendre son bien à la collectivité, sauf si le juge a arrêté un prix justifiant son renoncement ou si la collectivité découvre un vice caché.

L’article 3 prévoit que le transfert de propriété intervient au moment de la signature de l’acte authentique de vente et du paiement du prix, dont le délai est raccourci de six à quatre mois. Cette mesure sera source de simplification, puisque, vous le savez, il existe aujourd’hui un décalage dans le temps entre, d’une part, le transfert de propriété qui intervient au moment de l’accord sur le prix et, d’autre part, la signature de l’acte authentique et le paiement. Cette situation crée une zone de flou juridique au cours de la période séparant l’accord sur le prix de la signature de l’acte de vente : la collectivité est virtuellement propriétaire, mais l’ancien propriétaire conserve la jouissance du bien.

De plus, le défaut de paiement dans le délai de six mois entraîne l’obligation de rétrocéder le bien, ce qui assez est lourd.

L’article 4 permet au propriétaire, en cas de renonciation du titulaire du droit de préemption avant fixation judiciaire du prix, de vendre son bien au prix indiqué dans sa déclaration révisé, s’il y a lieu, en fonction des variations du coût de la construction.

Enfin, l’article 7 améliore les garanties des propriétaires, en leur ouvrant la possibilité d’une action en dommages et intérêts, même en cas de renonciation à la rétrocession.

Vous le voyez, mes chers collègues, le texte qui vous est soumis, sans avoir vocation à bouleverser le régime du droit de préemption, permet de l’améliorer sensiblement.

La commission s’est montrée particulièrement attentive et ouverte aux propositions formulées par l’ensemble de ses membres, comme nous pourrons le constater lors de l’examen des articles. Sur ce sujet très important pour les élus locaux, il nous semblait nécessaire qu’un large consensus se dégage.

C’est dans cet esprit que nous avons travaillé au sein de la commission, sous la présidence de Jean-Paul Emorine ; je ne doute pas qu’il en ira de même en séance aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’urbanisme est trop souvent vécu comme une contrainte, et je suis très heureux aujourd’hui d’examiner avec vous un texte qui permettra sans nul doute de faciliter la vie de nombreux élus locaux.

Certes, ce n’est pas le grand soir de l’urbanisme, mais la proposition de loi déposée par Hervé Maurey traite de l’un des sujets les plus complexes de l’urbanisme, à savoir le droit de préemption urbain.

Il s’agit d’un outil fondamental au service des politiques foncières, d’urbanisme et d’aménagement. Il donne la possibilité aux collectivités locales de se saisir d’un bien lors de sa mise en vente.

C’est un instrument avant tout stratégique, qui permet de constituer des réserves foncières en anticipation des projets de développement urbain, de restructuration ou de traitement des copropriétés.

Malheureusement, et vous le savez tous, dans la pratique, les élus locaux éprouvent parfois des difficultés à exercer ce droit. Le DPU peut alors devenir un « nid à contentieux » pour les communes, voire ralentir les projets d’aménagement. Ces difficultés avaient donné lieu à la réalisation d’un rapport par le Conseil d’État.

La dernière proposition de loi du député Jean-Luc Warsmann prévoyait une réforme en profondeur de la préemption, mais les sénateurs, dans leur sagesse, avaient préféré traiter le sujet dans un texte à part. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Cela fait d’ailleurs plusieurs années que les parlementaires, comme le Gouvernement, réfléchissent à une réforme du droit de préemption, mais ce sujet, si crucial, nécessite bien évidemment une concertation préalable avec l’ensemble des partenaires concernés.

Sur ce point, je tiens à saluer le travail de M. le rapporteur. Outre les multiples entretiens qu’il a conduits, un certain nombre d’acteurs ont été consultés dans le cadre de la concertation menée sur l’urbanisme de projet que j’évoquerai dans quelques instants.

Aujourd’hui, les travaux menés parallèlement par le Gouvernement et par le Parlement aboutissent à une solution équilibrée, me semble-t-il. Le texte que nous allons examiner dans quelques instants en est le fruit. Il apporte des réponses pratiques, auxquelles nous souscrivons, à une série de difficultés opérationnelles.

Deux finalités de fond, complémentaires et non contradictoires, sous-tendent cette proposition de loi.

Premièrement, améliorer l’outil DPU en tant que tel à l’intention des collectivités, en assurant, notamment, une meilleure information des collectivités locales sur la nature des biens, la possibilité, malgré une renonciation au DPU, de retrouver ce droit après un délai défini, ou encore la faculté d’utiliser le bien préempté pour un objet d’intérêt général autre que celui qui était initialement prévu.

Deuxièmement, préserver le droit des propriétaires, qu’il s’agisse du vendeur ou de l’acquéreur, grâce à de nouvelles modalités de rétrocession du bien ou à la publicité de la préemption.

Les acteurs publics ont besoin d’un DPU fiable, opérationnel et sécurisé du point de vue juridique, qui leur permette de prendre les bonnes décisions. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Le Gouvernement partage la volonté de faciliter la vie des porteurs de projets que sont les élus. Nous souhaitons donner de l’air aux collectivités territoriales et aux professionnels de l’aménagement, de l’urbanisme et de la construction.

M. Charles Revet. Ils en ont bien besoin !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Comme l’a souligné le Président de la République, le droit et les pratiques actuels en matière d’urbanisme ne sont pas toujours en phase avec la volonté de mettre le projet urbain au cœur du système. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité redonner la main à ceux qui portent des projets, en levant les obstacles auxquels ils sont confrontés et en simplifiant les règles d’urbanisme. Notre volonté est simple : clarifier la situation résultant de l’enchevêtrement des normes actuelles, et fixer enfin le cap d’un urbanisme de projet, durable et vertueux.

La loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 » comprend déjà plusieurs dispositions qui doivent permettre de faciliter la réalisation des projets, que ce soit à travers les nouveaux documents de planification, la définition des projets d’intérêt général ou la déclaration de projet, ou encore les quatre ordonnances de simplification dont le projet de loi de ratification devrait être déposé devant la Haute Assemblée à l’automne.

Je saisis cette occasion pour remercier les quatre sénateurs mandatés par leurs commissions qui ont participé à la rédaction de ces ordonnances, dans le cadre de la vaste concertation que j’ai évoquée à l’instant. En effet, j’ai lancé l’an dernier une démarche intitulée Vers un urbanisme de projet. L’objectif était de réunir tous les acteurs concernés – élus, professionnels, associations – et de leur demander d’alimenter la réflexion sur la simplification du droit de l’urbanisme et de ses documents.

Cette démarche a d'ores et déjà permis de réformer, de manière très consensuelle, la fiscalité de l’urbanisme, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2010. En effet, il existait une multiplicité de taxes, avec des dispositifs divers, des strates différentes et particulièrement complexes ; bref, c’était une véritable jungle fiscale pour les élus locaux ! Cette réforme a permis de passer de douze taxes et participations à seulement cinq, simplification notable qui entrera en application dès le mois de mars 2012.

Au-delà de ces mesures portant sur la fiscalité de l’urbanisme, ce sont au total plus de soixante-dix mesures qui ont été avancées par les partenaires de la démarche. Une fois mises en œuvre, elles permettront au particulier, à l’élu ou au professionnel de disposer d’outils novateurs et appropriés pour développer ses projets.

Je pense notamment à la création de secteurs de projets qui permettraient aux collectivités territoriales de développer un projet urbain global, en énonçant ses objectifs et en négociant la mise en œuvre des normes classiques. Je pense également à la réduction des contentieux et à l’accélération de leur traitement, très attendues par les élus. Je pense enfin à la modification de la méthode de calcul de la surface, qui se fondera non plus sur une surface habitable intégrant les murs, mais sur une surface « plancher », plus lisible et plus respectueuse des objectifs du Grenelle de l’environnement.

À travers cette vaste concertation, c’est un véritable changement de culture qui est en marche. Il repose sur le désir de faire primer l’initiative sur la norme, de favoriser l’audace et de démultiplier les projets, sans pour autant déréglementer le secteur.

L’urbanisme, vous le savez tous, est un exercice ardu, technique et globalement méconnu, mais qui est pourtant essentiel lorsque l’on veut dessiner un projet urbain à très long terme. C’est une responsabilité majeure qui nous incombe à tous, car elle détermine le futur cadre de vie de nos compatriotes.

Grâce à cette proposition de loi, nous faisons un pas de plus vers l’urbanisme de projet. Le Gouvernement vous proposera d’autres avancées dans les semaines et mois à venir ; nous aurons donc rapidement l’occasion de nous retrouver pour aborder de nouveau ces questions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’Union centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Thierry Repentin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi consacrée au droit de préemption urbain.

C’est une bonne chose, d’abord parce que le sujet mérite un texte ad hoc, ensuite parce que cela illustre, me semble-t-il, l’intérêt croissant des élus pour les outils de politique foncière. Il est toutefois regrettable que nous demeurions bien en deçà de la grande loi d’orientation foncière que nous attendons tous, et dont la nécessité a été réaffirmée par l’ensemble des partis politiques, dans une belle unanimité, à l’occasion des États généraux du logement réunis le 8 juin dernier au Théâtre du Rond-Point.

À travers l’examen des huit articles que comporte cette proposition de loi issue des travaux de la commission, nous n’aborderons pas uniquement la réforme d’un outil d’urbanisme, aussi précieux soit-il. Le DPU « convoque » devant la Haute Assemblée des enjeux aussi essentiels que le droit de propriété, l’usage des sols ou le juste du prix du foncier. Autant de questions qui touchent au cœur de notre pacte républicain.

J’évoquerai tout d’abord la question du droit de propriété.

Le respect de la propriété est sans doute l’une des plus anciennes manières de réguler une communauté humaine et de garantir la paix : pensons aux conséquences dramatiques des conflits territoriaux qui durent depuis des temps immémoriaux, ou, à l’inverse, au commandement gravé sur les tables de la loi qui proclame depuis l’Ancien Testament : « Tu ne voleras point » !

Du reste, les révolutionnaires ne s’y sont pas trompés, qui en ont fait l’un des fondements de la République depuis la toute première du nom : le droit de propriété figure déjà dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, où il est défini dès l’article II comme l’un « des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme… »

Toutefois, dans leur sagesse, les rédacteurs de la Déclaration de 1789 ont pris soin de rappeler que les droits individuels ont également des limites, afin de permettre le bon fonctionnement de la communauté humaine et de garantir le respect de chacun. Ainsi, l’article IV dispose que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits… »

Cet équilibre est précieux. Nous devons le garder à l’esprit au cours de nos débats, car le droit de propriété, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est trop souvent brandi comme un bouclier contre l’intérêt général. Or c’est mal comprendre le droit de propriété que de le placer au-dessus de ce qui fait société. Telle n’était pas l’intention des révolutionnaires ni des constituants, qui ont fait de la Déclaration de 1789 le préambule des Constitutions de 1946 et de 1958.

Ce qui fait société, c’est notamment notre façon de vivre ensemble et de partager des espaces. Ainsi, et j’aborde à présent le second point de mon intervention, l’intérêt général commande d’intervenir sur la destination des sols.

L’usage des sols relève de l’intérêt national : il doit donc être défini dans un cadre qui garantisse son caractère démocratique, équilibré et soucieux du bien commun.

Au sortir de la guerre, il fallait impérativement trouver les moyens de nourrir tous les Français, car un besoin essentiel de la personne était en jeu : subsister. Pour cela, le législateur a adopté une grande loi de remembrement rural.

Aujourd’hui, dans nos villes, un autre besoin fondamental est en jeu : avoir un toit au-dessus de la tête. Le droit au logement ayant été reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle, il faut créer les conditions qui permettront à chacun de bien se loger. Cela commande d’intervenir sur le foncier et sa destination.

La prééminence de l’intérêt général dans l’usage des sols mérite d’être réaffirmée dans le code de l’urbanisme, lequel manque encore d’un article fondateur sur ce sujet. Il est donc indispensable de poser, en ouverture de ce code, une sorte de boussole qui fixe le cap de l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires qu’il rassemble, comme de celles qu’il rassemblera à l’avenir.

C’est la raison pour laquelle les sénateurs socialistes ont déposé un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er de la présente proposition de loi, qui affirmerait, de manière solennelle, que « la destination prioritaire des sols est de servir l’intérêt général ».

Cette affirmation est d’ailleurs parfaitement cohérente avec la vocation assignée aux plans locaux d’urbanisme, les PLU. Les collectivités territoriales, garantes de l’intérêt général, ont la responsabilité de définir des destinations sectorisées sur leur territoire. Le DPU est l’un des outils qui permettent de mettre en œuvre le schéma ainsi établi. C’est même un outil puissant, dont l’usage doit être encouragé.

Les sénateurs socialistes proposent donc d’approfondir le DPU dans deux directions.

Tout d’abord, l’amendement n° 11 vise à reformuler les finalités du droit de préemption, en y intégrant explicitement trois motifs supplémentaires de recours à ce droit.

Il s’agit en premier lieu de la réalisation de projets de transports en commun. Toute infrastructure lourde de transports collectifs nécessite d’importantes acquisitions foncières. La modification de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme que nous proposons permettra de faciliter ces opérations.

En deuxième lieu, nous suggérons de permettre la préemption pour constitution de réserves foncières. Cet ajout est essentiel à mes yeux, et je pense pouvoir m’exprimer également au nom de mes collègues présidents d’établissements publics fonciers : il donne un fondement juridique solide aux politiques de réserves foncières menées par les collectivités.

Je tiens à souligner que, dans les grandes agglomérations et les zones tendues – ces fameuses zones auxquelles vous êtes très sensible, monsieur le secrétaire d’État –, ce sont les territoires ayant, par tradition, constitué de réserves foncières qui produisent aujourd'hui le plus de logements – tant mieux ! – et sont donc les mieux à même de répondre aux besoins de la population. Ces pratiques doivent impérativement être encouragées, d’autant qu’elles ne portent leurs fruits qu’à moyen et long termes.

En dernier lieu, l’amendement n°11 complète les motifs de préemption par l’acquisition de lots de copropriété en plan de sauvegarde ou en difficulté mais n’ayant pas atteint le stade de l’insalubrité. En effet, le DPU actuel ne peut s’exercer dans les copropriétés dégradées, ce qui limite les opérations de rénovation urbaine et contribue à précipiter l’aggravation de l’état de ces copropriétés.

Cette disposition sera sans doute un outil utile pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, dans le cadre tant de ses missions traditionnelles que de celles qui lui ont été confiées par le Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, le PNRQAD.

J’y vois également, en ma qualité d’élu d’un territoire de montagne, un nouvel outil pour les copropriétés à vocation immobilière délaissées par leurs propriétaires qui ont bénéficié d’investissements défiscalisés et qui, après quelques années d’utilisation, ne remettent pas leurs logements en état d’être loués.

Les collectivités territoriales, mais aussi les organismes HLM et les établissements publics d’aménagement auxquels le droit de préemption est délégué, pourraient ainsi acquérir des droits de vote dans les copropriétés et faire émerger de nouvelles majorités. Je suis convaincu que M. le secrétaire d’État y serait sensible.

J’en viens à la seconde direction d’approfondissement du DPU que nous proposons. Celle-ci consiste en la création de zones d’opérations futures d’intérêt communautaire. En effet, encourager l’usage du DPU est indissociable d’une réflexion sur les échelles de gouvernance.

Dans la mesure où la loi définit, depuis les lois Grenelle 1 et 2, qui furent largement améliorées par la Haute Assemblée, un objectif de mise en cohérence à l’échelle intercommunale des documents de planification et d’urbanisme, l’échelle de l’aire urbaine s’affirme progressivement, quoique pas toujours assez vite, comme celle de l’aménagement.

À partir de ce constat, nous proposons de doter les intercommunalités à fiscalité propre d’un nouvel outil, les zones d’opérations futures. Un tel outil serait une sorte de zone d’aménagement différé, ZAD, mais à maîtrise locale, contrairement aux ZAD existantes qui relèvent de l’État. Cela permettrait une gouvernance plus opérationnelle. Quant au DPU, il pourrait, dans ces secteurs, demeurer communal ou être délégué à l’établissement public de coopération intercommunale, l’EPCI. Les avantages des ZAD, notamment en termes de blocage des prix, seraient reproduits à l’identique dans les zones d’opérations futures.

Telles sont les pistes d’approfondissement que nous proposons.

J’évoquerai maintenant un « point de vigilance » lié au fonctionnement du DPU : si la collectivité doit, c’est bien légitime, respecter un certain nombre de règles du jeu en cas de préemption, le cédant doit lui aussi s’astreindre à jouer cartes sur table.

Par exemple, la transmission de propriété peut-elle s’affranchir de l’intérêt général dès lors qu’elle se fait à titre non onéreux ? Nous répondons que non.