M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je débuterai mon intervention par une question : était-il nécessaire de changer le statut de VNF pour rassembler sous une même bannière – ce qui est évidemment nécessaire – les quelque 5 000 personnes œuvrant pour les voies navigables ?

En droit, la réponse est non.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Exact !

M. Daniel Dubois. Il n’y a pas d’obstacle juridique à ce que des agents publics intègrent un établissement public industriel et commercial.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Très bien !

M. Daniel Dubois. Il n’existe pas non plus d’ailleurs d’obstacle en opportunité : à l’heure où le Gouvernement recherche plus de souplesse dans sa gestion administrative, il aurait eu intérêt à ce que les futurs employés de VNF aient systématiquement un contrat de droit privé.

Pour l’image que renvoie VNF, j’aurais naturellement souhaité le maintien du statut d’EPIC, car c’est bien une mission industrielle et commerciale que réalise VNF. La logique économique doit d’ailleurs dicter la cohérence de la gestion du domaine public fluvial, et notamment de ses investissements stratégiques, pour le développement du fret fluvial et multimodal. Malheureusement, on en parle assez peu.

C’est tout à fait dommage car, comme cela a été souligné tant par M. le rapporteur qu’en commission des affaires économiques, le présent projet de loi offrait justement l’opportunité de renforcer cette approche.

Le changement de nature de l’établissement est donc pour moi et pour le groupe que je représente une contorsion plus qu’une nécessité.

Du coup, on fait rentrer artificiellement dans un établissement public administratif des missions et des financements propres aux établissements publics industriels et commerciaux, faisant finalement en l’occurrence de VNF une structure ad hoc, voire – j’ose le dire – un bâtard. (M. le président de la commission de l’économie proteste.) J’assume mes propos !

Au demeurant, madame la ministre, il me semble opportun de souligner l’intérêt évident qu’il y a à rassembler les salariés sous une même bannière, un même commandement. Nous sommes sur ce point tout à fait d’accord. Je crois d'ailleurs que la plupart d’entre nous souscrivent à cette réforme de bon sens.

En effet, jusqu’à présent, comme cela a été dit tout à l’heure, si VNF employait directement 369 salariés de statut privé, il utilisait également 4 400 agents des services déconcentrés de l’État mis à sa disposition par le ministère chargé des voies navigables. Le personnel relevait donc à la fois de l’autorité fonctionnelle de VNF et de l’autorité hiérarchique du ministère, ce qui posait évidemment des difficultés de gestion, de responsabilisation du personnel et de modernisation de l’établissement.

Cette réforme me semble donc tout à fait nécessaire. Elle donne à VNF une structure managériale plus solide, plus lisible, lui permettant de mener plus efficacement ses missions de modernisation et de développement des voies navigables. Et, dans ce domaine, il y a effectivement du travail !

Ce n’est donc pas l’objet même de la réforme que nous contestons. Ce sont plutôt les montages juridiques.

Les voies fluviales navigables ont longtemps été délaissées. L’entretien et l’exploitation des quelque 2 000 ouvrages – écluses, barrages... – appartenant à VNF font l’objet d’un sévère sous-investissement. En conséquence, notre réseau fluvial n’est pas compétitif aujourd’hui, alors même que le trafic de conteneurs explose ! Le réseau fluvial national dispose de réserves de capacité importantes et pourrait recevoir trois à quatre fois plus de trafic selon les sections concernées.

À l’instar de nos façades maritimes, c’est de l’or bleu qu’il met entre nos mains. Or nous ne faisons pas assez pour son développement, même s’il est vrai que le Gouvernement a engagé des réformes de fond qui étaient nécessaires ; je pense à la réforme des ports.

Il est donc urgent d’entreprendre aujourd’hui la modernisation et le développement du réseau et de réaliser des plateformes logistiques multimodales sur le domaine public fluvial. Cela permettrait l’accroissement du trafic fluvial.

Des chantiers d’ampleur doivent être engagés, selon une stratégie bien définie. Ainsi, nous pourrons nous approcher de l’objectif du Grenelle de l’environnement, qui vise à faire passer le fret non routier de 14 % à 25 % en quinze ans.

Monsieur le ministre, il aurait été souhaitable, à ce propos, que le Gouvernement inscrive ces objectifs dans le présent projet de loi. Nous déplorons ce manque. Le texte aurait dû prendre en compte cet enjeu, et c'est la raison pour laquelle nous soutiendrons un amendement tout à fait cohérent qui va dans ce sens.

M. Daniel Dubois. Au vu de l’ampleur de la modernisation des voies fluviales à entreprendre, on peut se féliciter, d’une part, que le nouvel établissement conserve ses leviers financiers de péages et de taxes et, d’autre part, que l’État finance la « dot de la mariée », à hauteur de 840 milliards d’euros. Le réseau en a effectivement bien besoin.

Je ne doute pas que cette somme sera bien utilisée et qu’elle sera reconduite pour que le schéma national des infrastructures de transport que l’on a adopté en début d’année puisse tenir ses promesses.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Daniel Dubois. En outre, monsieur le ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur l’intérêt qu’il y a à mieux associer les collectivités dans le fonctionnement de l’Agence.

Il nous faudrait réfléchir par exemple à une ouverture plus large du conseil d’administration aux élus locaux, pour améliorer le dialogue entre VNF et les collectivités. Par ailleurs, l’opacité de nombreuses décisions prises ces dernières années en matière de police de l’eau a multiplié les contentieux. Élargir le conseil d’administration serait donc vraiment souhaitable.

À défaut, l’institution d’un médiateur permettrait de régler les problèmes, en relation avec les collectivités concernées.

Il y a en tout état de cause sur ce sujet un vrai problème, qu’il convient de régler.

Enfin, dans la perspective de la modernisation du réseau de fret fluvial et en tant qu’élu de la Somme, je souhaite saluer l’engagement du Président de la République. (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mais, mes chers collègues, il faut reconnaître ce qui est ! Vous ne pouvez pas à la fois défendre les voies fluviales et ne pas noter que, si le canal à grand gabarit Seine-Nord Europe voit le jour, c’est bien grâce à la volonté du Président de la République !

M. Claude Bérit-Débat. On ne peut en dire autant du canal du Midi !

M. Daniel Dubois. En tous les cas, dans le Nord et dans la Somme, nous en sommes conscients.

Il est évident que, si le Président de la République n’avait pas lancé la procédure de dialogue compétitif, le chantier du canal Seine-Nord Europe n’aurait pas été engagé. Or il s’agit d’un enjeu majeur à la fois pour le développement du fret fluvial et pour le renforcement de la présence de notre pays dans ce secteur. Ce constat est incontournable.

Le fait de relier le nord de l’Europe au Bassin parisien va permettre de transporter de l’ordre de 13 millions à 15 millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de 500 000 poids lourds, par an (Pas mal ! sur les travées de l’UMP.), sur l’un des corridors de transit les plus empruntés d’Europe, à savoir l’axe Paris-Amsterdam.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe de l’Union centriste et républicaine soutient l’ensemble du projet de loi, à l’exception des deux points que j’ai soulevés tout à l'heure : la forme juridique de la nouvelle structure et le manque d’ambition au regard de l’enjeu stratégique qui est en cause.

J’espère que le nouveau statut de VNF ne fera pas obstacle à son développement industriel et commercial, qui est attendu par les territoires et par les entreprises. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.

M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est important et je suis très heureux, en tant que sénateur récemment élu dans les Yvelines, de m’être vu confier la charge d’exprimer la position du groupe socialiste sur un tel sujet.

En effet, nous voterons dans quelques minutes sur une série de mesures, techniques certes, mais essentielles pour l’organisation et les conditions de travail de près de 5 000 agents – 4 400 agents publics de l’État et 400 agents privés employés à ce jour par Voies navigables de France. Il s’agit de permettre à l’ensemble de ces agents de mieux travailler ensemble à la promotion et à l’exploitation du réseau fluvial français en les regroupant au sein d’un même établissement. Nous verrons au cours de notre discussion si les conditions sont remplies pour atteindre cet objectif ; mais c’est à ces femmes et à ces hommes, qui travaillent chacune et chacun au service de notre pays, qu’il nous faut d’abord penser en abordant l’examen de ce texte.

Ce projet de loi s’insère bien évidemment dans une stratégie plus globale d’essor du trafic fluvial, plus particulièrement du transport de marchandises et de fret, qui relève, j’y insiste, d’une impérieuse nécessité, notre pays ayant accumulé un grave retard en termes d’investissements publics et d’infrastructures depuis de trop nombreuses années.

Sur ce sujet, monsieur le ministre, vous ne trouverez chez les socialistes que des alliés. En effet, la promotion du trafic fluvial est une préoccupation que nous partageons sans réserve, comme nos amis écologistes bien évidemment.

La France est dotée de 8 500 kilomètres de voies navigables. Or nos routes sont saturées, notamment par le trafic de marchandises, et le report modal n’est plus une simple option : il est devenu nécessité.

En ce domaine, le Grenelle de l’environnement, aux objectifs duquel nous souscrivons largement, même si nous déplorons souvent l’insuffisance des moyens affectés à leur réalisation, fixe un chiffre clair : porter de 14 % à 25 % la part cumulée du fret ferroviaire et fluvial dans le transport de marchandises.

Il y aurait beaucoup à dire – et à redire – sur la manière dont la politique de fret de la SNCF est réduite à la portion congrue. Les fermetures de gares de triage, l’absence de volonté politique et la frustration des cheminots sont des éléments suffisamment parlants… Mais tout cela ne fait pas partie de notre ordre du jour.

Concernant le transport fluvial, l’enjeu consiste tout simplement à doubler le trafic actuel. Cet objectif, nous pouvons l’atteindre, tant nous sommes en retard au regard de nos possibilités et par rapport aux grands ports fluviaux du nord de l’Europe, comme Rotterdam ou Bruges. Nous sommes en retard, surtout, en termes d’investissements publics. Songez que nos infrastructures fluviales ont été modernisées pour la dernière fois dans les années 1920, qui ont vu l’achèvement du programme Freycinet ! Il nous faut passer à une nouvelle étape du transport fluvial et remettre en état un réseau qui ne répond plus aux normes internationales, accroître les capacités et les gabarits du réseau principal, assurer la sécurisation des voies, garantir la mise en conformité environnementale du réseau et de son exploitation, permettre, aussi, l’essor du réseau secondaire dans les domaines du tourisme, des loisirs et de la plaisance, qui sont réellement porteurs de développement au niveau local.

Sur tous ces sujets, nous considérons qu’il faut faire confiance à Voies navigables de France et lui donner les moyens d’agir, en réalisant notamment le plan d’investissement annoncé pour la période 2010-2018.

Vous comprendrez que l’élu des Yvelines que je suis insiste tout particulièrement sur la nécessité d’une stratégie globale et coordonnée avec les collectivités territoriales, dans tous les programmes d’aménagement conduits dans ce cadre. La ville de Conflans-Sainte-Honorine, dont je suis le maire, participe à l’opération d’intérêt national « Portes de Paris », dont l’enjeu majeur est le développement du trafic et le renforcement de la Seine en tant qu’axe principal d’échanges depuis l’Atlantique vers le reste de l’Europe ainsi que, bien sûr, en sens inverse.

Concernant ces points vitaux, sur lesquels, je le répète, nous visons les mêmes objectifs que le Gouvernement, le groupe socialiste déposera des amendements tendant à la précision et à l’amélioration du projet de loi.

Nous voulons, d’une part, nous assurer que l’établissement nouvellement créé par le projet de loi conserve dans ses missions une obligation de respect des territoires, de leurs activités et de leur cohérence, très concrètement en veillant à la compatibilité des opérations d’aménagement avec les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, qui auront été votés localement par les collectivités territoriales concernées.

Nous voulons, d’autre part, dissiper un malentendu qui pourrait résulter de la rédaction actuelle du projet de loi et qui ne doit pas perdurer. Vous verrez que, si nous ne sommes pas hostiles par principe à ce que le nouvel établissement puisse procéder à la création de filiales et à des prises de participations, nous proposerons des amendements qui permettront de beaucoup mieux les encadrer légalement, afin d’écarter toute tentation d’en faire une activité de pure valorisation foncière et immobilière. De telles activités, vous en conviendrez, ne relèveraient pas d’un exercice correct des missions assignées à un établissement chargé de la promotion et de l’exploitation de notre réseau fluvial... Mais nous reviendrons dans le détail sur ces questions au cours de la discussion des articles.

Venons-en enfin à ce qui constitue le cœur de ce projet de loi, à savoir le regroupement des personnels publics et privés au sein de VNF. Sur ce sujet, nous sommes très clairs : c’est le respect absolu du dialogue social qui doit toujours prévaloir, à savoir le respect des accords négociés et acceptés par les syndicats représentatifs.

Parmi les points mis en avant, à juste titre, par les syndicats, figure bien évidemment le respect de la double représentation, au sein du comité technique unique comme du conseil d’administration, des personnels de droit public, d’une part, et des personnels de droit privé, d’autre part. Nous refuserions, à l’évidence, une fusion des personnels à marche forcée, comme votre gouvernement en a malheureusement conduit dans de désastreuses conditions et avec de déplorables résultats ; je pense à Pôle emploi en particulier.

M. Ronan Kerdraon. Très bien !

M. Philippe Esnol. Aussi, le groupe socialiste, ainsi que ses amis et partenaires, sera extrêmement vigilant sur ces points tout au long de la discussion. Nous savons que des difficultés juridiques ont été soulevées par le Conseil d’État dans la transcription textuelle de l’accord ; mais nous veillerons à ce que les demandes des organisations syndicales et les engagements pris à leur égard par le Gouvernement soient strictement et rigoureusement respectés.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Philippe Esnol. Tel est, en quelques mots, l’état d’esprit des sénateurs socialistes et de leurs amis au début de l’examen du projet de loi qui nous est soumis : état d’esprit constructif, enthousiaste quant à la nécessité de développement du transport fluvial, attentif au devenir des personnels qui en auront la charge dans la nouvelle entité, vigilant quant au respect intégral du dialogue social, exigeant sur les missions de service public – et seulement de service public ! – que remplira l’agence.

Vous le voyez, nous sommes ouverts à la discussion et à l’amélioration de ce projet de loi ; je suis heureux que nous nous y engagions ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi constitue une étape cruciale, comme l’a dit Mme la ministre, mais il a suivi une route sinueuse avant d’arriver dans notre hémicycle : entre le projet initial avancé par le Gouvernement et le texte discuté aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de commun.

Ainsi, c’est en prenant appui sur une disposition votée dans le cadre de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite loi Grenelle 1, relative à l’étude de la pertinence du transfert en pleine propriété des voies navigables à VNF, que le Gouvernement a engagé sa réflexion sur la refonte du cadre organisationnel du secteur des voies navigables.

Ce secteur présente en effet une particularité institutionnelle, avec l’existence d’un EPIC, Voies navigables de France, disposant en propre de 380 agents, auquel s’ajoutent les 4 400 agents de l’État mis à disposition de cet établissement public. Cette particularité constitue, selon le Gouvernement, une anomalie mettant à mal l’efficacité de ce service. La volonté qui a présidé à l’élaboration de ce texte est donc celle de l’unification des personnels au sein d’une structure unique, en dehors – comme le soulignait notre rapporteur – de toute considération de la nature des missions confiées au nouvel établissement et de tout effort pour la relance de la voie d’eau. Ce projet de loi est donc avant tout celui de la gouvernance.

Cette question a pourtant toute son importance et mérite que nous l’examinions sérieusement. Ainsi, la démarche initiale du Gouvernement a bien été engagée dans une logique libérale d’externalisation des missions de service public, voire, à terme, de privatisation – les syndicats ne s’y sont d’ailleurs pas trompés !

Ainsi, de manière très claire, la nouvelle organisation revêtait également aux yeux de ses partisans l’avantage non négligeable de permettre une « optimisation des ressources affectées à la voie d’eau », objectif très éloigné de toute relance de la voie d’eau, de la révolution écologique prônée par le ministre de l’époque, …

M. Jean-Jacques Mirassou. Et même annoncée !

Mme Mireille Schurch. … et qui revient au contraire à livrer ce secteur, pieds et poings liés, aux politiques de rigueur et d’austérité.

Aussi, nous souhaitons saluer les avancées considérables obtenues dans le cadre des protocoles d’accord signés, respectivement, le 24 juin 2011 entre le ministère et les trois organisations syndicales représentatives des personnels d’État et le 1er juillet 2011 entre VNF et la CFDT, seule organisation représentative de ses salariés, concernant la préservation des droits des personnels dans le nouvel établissement public.

Par ailleurs, le Gouvernement a reculé en abandonnant le projet de constitution de la nouvelle agence sous la forme d’un EPIC, pour privilégier la solution de l’établissement public administratif, ou EPA. Nous sommes en accord avec cette évolution qui correspond à l’affectation normale des personnels fonctionnaires et ouvriers des parcs et ateliers de l’équipement.

Au demeurant, compte tenu du besoin de cohérence de l’ensemble des acteurs de la voie d’eau et des missions de service public de cet établissement, nous considérons que le statut le plus adapté est bien celui d’établissement public administratif, y compris au regard des compétences marginales de cette agence en termes de réglementation et de police de la navigation.

Nous sommes également satisfaits que l’État renonce, par cet accord, au transfert de la propriété des voies d’eau, mais également à la fermeture de voies navigables : il s’agit d’un acquis précieux. Nous sommes en effet particulièrement attachés à l’unicité et à l’intégrité des réseaux de transports en général, qu’ils soient ferroviaires ou fluviaux, car il s’agit d’un élément clef de l’aménagement du territoire, dont dépend la qualité du service et son niveau d’ambition.

Sur le fond, comment appréhender toute évolution, ne serait-ce qu’institutionnelle, de la voie d’eau sans tenir compte des enjeux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et donc du développement des transports alternatifs à la route, conformément aux objectifs de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement ?

Je pourrais évoquer également les autres enjeux liés au développement de la voie d’eau, comme la gestion de la ressource aquatique – notamment la régulation des plans d’eau pour assurer l’équilibre hydraulique et hydrologique du système complexe des voies et cours d’eau – ou des questions relatives à la préservation de la biodiversité.

Pour concrétiser cette ambition, des pistes étaient évoquées, notamment par l’article 11 de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement indiquant que le réseau fluvial magistral ferait l’objet d’un plan de restauration et de modernisation dont le montant financier devra être clairement établi. Mais il n’est plus question de cet engagement dans nos débats et nous le regrettons !

Comme nous le pensons tous, le principal problème dont souffre la voie d’eau tient au sous-investissement chronique qui la frappe et qui a conduit à un délabrement du réseau, principalement des digues. Ainsi, selon un diagnostic mené par VNF, une part importante des ouvrages est aujourd’hui en fin de vie ou d’une qualité fonctionnelle médiocre : 54 % des écluses et 63 % des barrages présentent au moins un risque majeur de dégradation de performance et un risque important de perte complète de fonction assurée. La performance du réseau est ainsi fragilisée et insuffisante pour offrir le niveau de sécurité de fonctionnement hydraulique et la qualité de service indispensable au développement du transport fluvial.

À cette étape, je vous ferai remarquer que nous comprenons mieux pourquoi, au travers des lois de décentralisation, l’État a voulu se défausser sur les collectivités, au moins pour le réseau dit secondaire, de ce fardeau devenu trop lourd à porter. Notons que les tentatives d’expérimentation menées mettent au moins en lumière un élément : l’importance des investissements à réaliser, ne serait-ce que pour entretenir ce réseau et, a fortiori, pour le régénérer.

Concernant les engagements financiers, nous prenons acte de l’annonce d’investissements dans les voies d’eau à hauteur de 840 millions d’euros d’ici à 2013 – Mme la ministre vient d’en faire état. Toutefois, nous serons extrêmement vigilants quant au provisionnement concret de ces crédits, notamment dans la loi de finances : nous sommes en effet malheureusement habitués à ce que des annonces fracassantes de la part du Gouvernement ne soient finalement que peu suivies d’effets. Je tiens aussi à rappeler que, d’ici à 2018, d’après le schéma national d’infrastructures de transport, plus de 2,5 milliards d’euros devraient être investis dans la régénération des voies navigables, pour l’aménagement à grand gabarit des liaisons Seine-Nord Europe, Bray-Nogent, Saône-Moselle et Saône-Rhin.

Comment réussir ce tour de force, alors même que les ressources des collectivités territoriales, comme celles de l’État, sont restreintes par les politiques gouvernementales ?

Nous craignons alors le renforcement du recours au partenariat public-privé, type de marché public alléchant alors même que les collectivités se trouvent asphyxiées.

Pourtant, et nous déposerons un amendement sur ce thème, les partenariats public-privé ont fait la démonstration de ce qu’ils étaient une sorte de miroir aux alouettes et que, loin de soulager les collectivités, ils se révélaient être sur le long terme une forme de marché public plus coûteuse que les marchés traditionnels tout en laissant craindre pour la sécurité des infrastructures, des personnels et des usagers – et ce sans compter la perte de compétence de la maîtrise d’ouvrage publique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !

Mme Mireille Schurch. Nous sommes en conséquence défavorables au recours à cette forme de marché qui met à mal le principe d’unité du réseau par une privatisation des infrastructures.

Mais revenons au cœur du présent projet de loi. Comme je l’ai indiqué, la volonté initiale du Gouvernement de libéralisation et d’externalisation s’est ici confrontée très directement au mouvement social du printemps dernier. D’ailleurs, je tiens à vous alerter sur le signal particulièrement négatif qui serait envoyé aux agents de l’État intégrant la nouvelle structure si le nom avancé et reconnu dans les protocoles d’accord n’était pas celui qui est retenu par la loi.

Vous nous parlez de psychologie, monsieur le rapporteur, mais les symboles sont importants. En effet, la grande majorité des personnels de la nouvelle agence seront des fonctionnaires et ouvriers des parcs et ateliers qui ne souhaitaient pas être simplement « aspirés » par Voies navigables de France. Je vous incite donc, en la matière, à la prudence. Nous avons d'ailleurs déposé un amendement sur ce point.

Nous considérons également que le texte qui nous est soumis aujourd’hui, à la suite des travaux de la commission, doit encore évoluer pour que l’unification des services dépasse des considérations organisationnelles, tout en respectant les acquis des différents agents, pour aller vers un renforcement des missions de service public confiées à cette agence.

Pour cette raison, nous continuons de formuler en séance publique les exigences que nous avons présentées en commission. Celles-ci sont de deux ordres : le statut des personnels et de leur représentation, ainsi que les missions de service public.

Sur le premier point, par respect pour le modèle choisi qui est celui de l’établissement public administratif, l’EPA, nous souhaitons supprimer tous les éléments qui feraient de cet établissement un établissement public sui generis, qui sont à nos yeux des éléments de fragilisation de ce statut et de contentieux, allant à l’encontre des considérations qui ont prévalu à la naissance de ce texte.

Plus largement, nous souhaitons également, par nos amendements, interdire pour l’avenir tout recrutement de personnel contractuel de droit privé, conformément au principe reconnu, y compris de manière jurisprudentielle, selon lequel les besoins permanents d’un EPA doivent être pourvus par des agents de droit public.

Nous considérons par ailleurs que le regroupement des personnels au sein de l’EPA doit être l’occasion d’une clarification des missions de service public, en conformité avec les engagements du Grenelle.

Ainsi, si nous souhaitons que la part des modes alternatifs à la route dans le transport de marchandises atteigne 25 %, il faut donner les moyens à ce nouvel établissement de remplir ses missions.

Pour cette raison, la première des mesures devrait être de stopper l’hémorragie de la révision générale des politiques publiques dans ce domaine. En effet, depuis vingt ans, nous ne pouvons que regretter la perte de 2 000 emplois dans le secteur des voies navigables, secteur qui a trop longtemps été considéré comme l’un des secteurs clefs de contraction et de restriction des personnels publics. Les objectifs pour la période 2011-2013 sont à ce titre éloquents puisqu’ils prônent la suppression de 271 emplois équivalents temps plein. Nous y sommes, pour notre part, opposés.

Par ailleurs, nous voulons, par nos amendements, réaffirmer l’importance d’une complémentarité renforcée avec les modes ferroviaire et maritime. Il serait en effet incohérent de penser le développement fluvial en termes de concurrence avec le transport ferroviaire ou maritime.

À ce titre, je voudrais indiquer au rapporteur que, contrairement à ce qu’il a indiqué en commission et au début de la séance, l’ensemble des voies d’eau du réseau magistral et secondaire peut être utilisé pour le transport de fret. Dédier le réseau secondaire exclusivement au tourisme est, à ce titre, un non-sens au titre du respect des objectifs du Grenelle de l’environnement.