M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce serait un événement !

Mme Éliane Assassi. … et que j’estime, moi aussi, que la délinquance des mineurs est en augmentation,…

M. Louis Nègre. C’est un fait !

Mme Éliane Assassi. … je me permettrais alors de lui demander à quoi servent les multiples lois sécuritaires que son gouvernement a fait adopter par sa majorité au Parlement depuis qu’il est au pouvoir.

M. Louis Nègre. À protéger les citoyens !

Mme Éliane Assassi. Entre nous, en effet, l’arsenal législatif que nous avons désormais à notre disposition devrait largement suffire pour éradiquer cette délinquance.

Alors, soyons francs et osons le dire : depuis qu’elle est au pouvoir, la droite a échoué lamentablement sur tout ce qui a trait à la justice, particulièrement à la justice des mineurs, et sur tout ce qui a trait à la sécurité des biens et des personnes !

Mais, comme chacune et chacun le sait, nous sommes à quelques mois d’une échéance électorale et la droite a besoin de nous ressortir le thème de la sécurité pour racler des fonds de tiroirs électoraux.

Mme Éliane Assassi. Mais revenons à cette proposition de loi et posons-nous la question de l’efficacité du dispositif proposé.

Beaucoup de questions se posent, c’est vrai. Et comme aucune concertation, aucune réflexion n’a présidé à l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Parlement, ces questions demeurent sans réponse et ne peuvent que susciter inquiétudes et oppositions.

C’est le cas parmi de nombreux magistrats de la jeunesse, parmi les personnels de la Protection judiciaire de la jeunesse, qui s’expriment dans leurs organisations syndicales. C’est le cas également d’organismes comme l’UNICEF ou la Convention nationale des associations de protection de l’enfant, qui nous demandent de rejeter cette proposition de loi.

Mais c’est aussi le cas au sein d’une large majorité des membres de la commission de la défense à l’Assemblée nationale. Il faut bien dire qu’une telle opposition est loin d’être anodine, d’autant plus qu’elle reflète manifestement les inquiétudes des militaires.

Ainsi, partant du postulat selon lequel les réponses à la délinquance des mineurs ne seraient pas assez diversifiées, ce texte instaure, à l’intention de mineurs délinquants de seize ans, un « contrat de service en établissement d’insertion », en l’occurrence, en centre EPIDE.

Ce contrat pourrait valoir après trois décisions : la composition pénale, l’ajournement de peine ou une peine de prison assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve.

Seraient donc concernés des mineurs ayant commis des actes relativement peu graves. Or, dans son rapport, Éric Ciotti évoquait les mineurs les plus difficiles, récidivistes ou multiréitérants ! Et le descriptif très inquiétant de l’état de la délinquance des mineurs dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi le suggérait, et ce d’autant plus que M. Ciotti y faisait état d’un sondage-plébiscite en faveur de sa proposition. Or la question posée à cette occasion portait sur l’application de son texte à des mineurs récidivistes. Le procédé est donc pour le moins contestable.

Il est vrai qu’appliquer ce service citoyen à des mineurs récidivistes paraissait d’emblée tout bonnement infaisable au regard des missions, du fonctionnement et du public accueilli dans les centres EPIDE.

Aujourd’hui, ces centres reposent sur un volontariat réel de la part des jeunes accueillis, et c’est un critère essentiel si l’on veut des résultats positifs. Or peut-on parler de décision volontaire quand le mineur est placé devant un choix réduit, entre deux sanctions ? Certes non ! Comme il est indiqué dans le rapport, il s’agit alors d’un « consentement sous contrainte ».

Ce texte, manifestement, crée une confusion, faisant du centre EPIDE une alternative pénale, ce qui n’est pas du tout sa mission : c’est avant tout un lieu de réinsertion pour des jeunes rencontrant des difficultés scolaires, marginalisés ou en voie de marginalisation.

De surcroît, en plaçant ensemble, ces jeunes et de jeunes délinquants sous le coup d’une sanction pénale, on n’évitera pas que l’attention soit portée sur ces derniers. Il paraît en effet évident qu’ils seront stigmatisés, du fait de différences de traitement, comme en matière de pécule ou d’autorisations de sortie. Or stigmatisation et efficacité se contredisent.

En matière d’encadrement, le texte flatte l’opinion publique en mettant en avant les notions d’autorité et de discipline, bref, la « rigueur militaire ». Or l’activité des centres EPIDE n’est pas militaire ; elle est de type éducatif.

Les encadrants ne sont pas des militaires d’active : ce sont d’anciens militaires, des enseignants, des éducateurs. User d’une certaine image de l’armée est donc ici illégitime et procède d’une manipulation des symboles, source d’inquiétude parmi les militaires eux-mêmes.

Quid aussi du financement du dispositif ? Le budget pour 2012 ne nous renseigne pas sur ce sujet.

Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à financer ce dispositif à hauteur de 8 millions d’euros, 2 millions étant à la charge du budget de la justice. Il s’agit d’un financement « en interne », nous a-t-il été indiqué. Autrement dit, il se fera au détriment d’autres actions de suivi, indispensables au quotidien, ou au détriment d’autres structures. Or la Protection judiciaire de la jeunesse, après avoir perdu 117 postes l’an dernier, perdra encore au minimum 106 équivalents temps plein en 2012. Et l’ouverture programmée de nouveaux centres éducatifs fermés aura pour conséquence, paradoxale, la fermeture de 20 foyers éducatifs.

Quand on sait, par ailleurs, que le nombre de jeunes concernés par la proposition de loi – entre 200 et 500, peut-être, mais rien n’est sûr... – sera ridiculement faible, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de l’opération.

En tout état de cause, l’accueil des mineurs dans les centres EPIDE n’est aujourd’hui pas effectif, malgré une décision prise il y a deux ans. Les premiers mineurs sont attendus dans les tout prochains mois.

Ces établissements, créés par une ordonnance du 2 août 2005, ont une certaine utilité dans leur domaine. Procéder à un détournement de leurs missions et de leur fonctionnement en décidant qu’ils accueilleront un nouveau public, c’est prendre le risque d’un échec.

Je rappelle aussi que les objectifs assignés au dispositif « Défense deuxième chance » n’ont jamais été atteints. En effet, ni le gouvernement qui a créé ce dispositif en 2005 ni ceux qui lui ont succédé n’y ont consacré les moyens nécessaires. Avec la révision générale des politiques publiques et l’abandon par l’État de nombre de ses missions, permettez-moi de douter que cela change.

Si ce texte devait être adopté, ce serait la sixième réforme de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante depuis 2007, et la dixième en dix ans.

La précédente réforme, relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, n’était pas encore entrée en vigueur que la proposition de loi de M. Ciotti était déjà sur le bureau de l’Assemblée nationale, avec le soutien du Gouvernement. Encore une fois, cherchez l’erreur !

Cette réforme, très controversée, du 10 août dernier a pourtant procédé à un renversement des valeurs qui prédominaient lors de l’élaboration de l’ordonnance de 1945 : elle a instauré des sanctions plus sévères et plus rapides, un enfermement accru, la mise à l’écart du juge des enfants, du fait, notamment, de la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, l’extension des pouvoirs du Parquet, un nouveau rapprochement avec la justice des majeurs...

Mais, pour vous, ce n’est jamais suffisant. Il vous faut, encore et encore, modifier cette ordonnance.

C’est toute la conception défendue par le Gouvernement et M. Ciotti qui pose problème. Elle est bien connue, et l’auteur de la proposition de loi la rappelle dans l’exposé des motifs : les responsables, ce sont les parents. Entendons, par là, les parents appartenant aux classes populaires, qui seraient défaillants, démissionnaires.

Hélas, les gouvernements successifs se sont engouffrés dans cette impasse, choisissant de culpabiliser les parents plutôt que de les aider à surmonter leurs difficultés, notamment économiques et sociales. On les infantilise, on les culpabilise, on leur fait peur...

Rappelez-vous, mes chers collègues, la mise en scène imaginée par M. Ciotti, l’hiver dernier, pour vanter les avantages supposés de son contrat de responsabilité parentale. Il avait fait jouer à son attachée de presse, devant les caméras de télévision, le rôle d’une mère de famille éplorée !

M. Jean-Pierre Michel. C’était scandaleux !

Mme Éliane Assassi. Vous préférez, en présentant des textes comme celui-ci, entretenir l’amalgame entre enfance en difficulté scolaire et enfance délinquante.

Cette conception n’est d’ailleurs pas étrangère au projet du ministre de l’éducation. Se targuant d’objectivité, il promet d’évaluer les enfants de maternelle, les enfants de cinq ans, pour les classer en trois catégories : « rien à signaler », « à risque » ou à « haut risque ». Le démenti de M. Luc Chatel sur ce point, obtenu à la suite d’une légitime levée de boucliers, ne convainc pourtant pas.

Vous refusez de considérer, comme l’ont fait les auteurs de l’ordonnance de 1945, que les enfants sont des mineurs et que les mineurs délinquants sont des enfants en danger.

Ce qui ressort des principes de cette ordonnance, à partir de la distinction établie entre mineur et majeur, c’est la prévalence de l’aspect éducatif, la spécificité des procédures, mais aussi celle des juridictions.

En sept ans, sept rapports ont été commandés par le pouvoir sur la délinquance des mineurs, sans jamais de véritable concertation avec les magistrats chargés de l’enfance et de la jeunesse, avec les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, les éducateurs sociaux, les associations de terrain.

Sept rapports, et presque autant de réformes pour détricoter l’ordonnance de 1945, plutôt que de consacrer les moyens nécessaires à sa mise en œuvre...

Monsieur le ministre, si le gouvernement auquel vous appartenez veut faire croire qu’il agit, c’est précisément parce qu’il échoue. Il cherche ainsi à détourner l’attention loin de sa politique économique et sociale désastreuse, et qui place nombre de familles dans des difficultés insurmontables. Il refuse de s’attaquer aux causes réelles du malaise de la jeunesse.

Favoriser des structures d’insertion professionnelle pour les jeunes délinquants est important, dites-vous. Qu’à cela ne tienne ! Décidons, mes chers collègues, de donner les moyens de concrétiser cet objectif, en concertation avec tous ceux qui sont susceptibles d’y contribuer.

La mobilisation des professionnels de la justice, après l’affaire de Pornic, était à la hauteur de ce que nous devons exiger pour la justice en général et, en ce qui nous concerne ici, pour la justice des mineurs. Mais vous demeurez sourd. Vous annoncez un budget de la justice en hausse ; la réalité est tout autre. L’exemple de la Protection judiciaire de la jeunesse est patent !

Dans le discours qu’il a prononcé à Réau, le Président de la République a vanté la perspective d’un projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines. Il s’inspirera, sans aucun doute, du rapport de M. Ciotti. (M. le garde de sceaux opine.)

Ce projet comprendra, a-t-il dit, un volet consacré au traitement de la délinquance des mineurs. Un de plus ! Pourquoi, dans ces conditions, vous précipiter pour soumettre la présente proposition de loi à l’examen du Parlement ?

Tout concourt donc à ce que nous refusions quelque nouvelle modification que ce soit de l’ordonnance du 2 février 1945, et tout particulièrement ce texte.

Permettez-moi de dire, une nouvelle fois, qu’il est dangereux de faire de la surenchère sécuritaire, au moment où d’importantes échéances électorales se profilent.

Mes chers collègues, il nous faut refuser ce nouvel affichage pénal. Pour sa part, notre groupe s’oppose à cette nouvelle loi de circonstance, irrecevable sur la forme comme sur le fond. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Je veillerai, monsieur le garde des sceaux, à ne pas prononcer de propos susceptibles de vous faire élever la voix ou monter la température. (Sourires.)

M. Louis Nègre. C’est très gentil !

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, horresco referens ! Oui, monsieur le ministre, je tremble et je suis horrifiée en réalisant que le législateur, en moins de dix ans, a modifié dix fois déjà l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, et nous propose aujourd’hui de la modifier une onzième fois.

Loin de moi l’idée de ne pas admettre l’évolution de la société et des phénomènes sociétaux, en particulier l’accroissement de la délinquance des jeunes, qui concerne des mineurs de plus en plus jeunes, et de plus en plus violents.

Loin de moi, aussi, l’idée de vouloir méconnaître l’indispensable adaptation des dispositifs, qu’ils soient de prévention ou de répression, qu’ils viennent modifier l’ordonnance de 1945, le code pénal, le code de procédure pénale, voire, comme dans le cas particulier, le code du service national.

Mais je suis farouchement hostile, comme beaucoup d’autres sur ces travées, à de nouvelles dispositions législatives qui, nous en sommes persuadés avant même qu’elles ne soient promulguées, ne sont ni bonnes ni opportunes, et méritent un nouvel examen, en vue d’améliorer les solutions au problème posé.

Quel est d’ailleurs ce problème, et en quels termes se pose-t-il ? C’est celui d’une délinquance des mineurs qui prend une ampleur inquiétante, englobant les phénomènes de bandes constituées de jeunes mineurs, garçons ou filles ; c’est celui des atteintes aux biens, mais surtout aux personnes, et des menaces : autant de clignotants qui s’allument dans le dernier rapport 2010 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

Si les analyses statistiques que fournit le ministère de l’intérieur sur la délinquance tendent à démontrer une stabilisation globale des différentes formes de délinquance, il n’en reste pas moins que la part qui revient aux délinquants mineurs progresse sensiblement.

Elle progresse de cinq points s’agissant des vols avec violence ou des destructions et dégradations. Le nombre des mineurs mis en cause pour violences aux personnes et menaces a augmenté de 51,5 % en cinq ans, et de 70,6 % pour les faits de violence non crapuleux, sans parler du nombre toujours croissant de violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, évaluées à près de 3 600 pour la seule année 2009 de référence.

Que faut-il en conclure ? Qu’une partie de notre jeunesse est malade et que, si le diagnostic est relativement facile à établir, le remède est plus difficile à trouver et à appliquer. Le « tout prévention » ne donne pas de meilleurs résultats que le « tout répression ». La potion magique n’est pas plus le vaccin que les électrochocs.

Or, que proposez-vous ?

Ce texte se veut une solution pour des délinquants mineurs de plus de seize ans, qui pourront donner leur accord pour effectuer un contrat de service dans un des centres de l’Établissement public d’insertion de la défense, dans le cadre d’une composition pénale, d’un ajournement de peine, ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve, le tout sur fond de décision du juge.

Je vois dans cette proposition de loi quatre obstacles majeurs.

Un premier obstacle réside dans la cible elle-même. Tandis que les chiffres avancés de la délinquance de ces mineurs pourraient laisser penser qu’ils sont multitude – un peu plus de 216 000 mineurs interpellés en 2010 par la police et la gendarmerie –, seuls 200 à 500 d’entre eux, au mieux, « bénéficieraient » d’un tel régime chaque année.

C’est un chiffre bien dérisoire pour une politique qui se veut efficace.

De fait, la cible serait réduite à ceux de ces mineurs qui sont primo-délinquants ou qui ont commis des actes de faible gravité. Cela revient à dire ou à reconnaître que s’appliqueront aux autres mineurs, les plus nombreux, les dispositions déjà existantes prévues dans l’un des dix textes de loi déjà évoqués.

Le deuxième obstacle tient aux établissements susceptibles d’accueillir ces jeunes délinquants, les centres EPIDE.

Par vocation, les vingt centres qui sont répartis sur le territoire ont pour vocation d’assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté scolaire, sans qualification professionnelle ni emploi, présentant un risque de marginalisation, et volontaires, au terme d’un projet éducatif global, la formation dispensée contribuant à une insertion durable.

Cette définition, vous en conviendrez, ne correspond pas pleinement à celle que traduit, le plus souvent, le profil des jeunes délinquants qui nous occupent.

Le risque serait grand, si ce nouveau dispositif venait à être mis en place, et les professionnels n’hésitent pas à le dire, de transformer complètement l’organisation, le mode de fonctionnement, l’état d’esprit même des centres EPIDE. Deux populations différentes n’ont pas, c’est évident, les mêmes besoins, les mêmes attentes, les mêmes objectifs.

Certes, on peut espérer que le contrat de service librement consenti saura rejoindre, dans ses effets, le contrat de volontariat pour l’insertion, mais permettez-moi d’en douter quelque peu, forte de l’expérience que j’ai pu me forger, en son temps, en discutant avec quelques jeunes mineurs délinquants désocialisés.

Le troisième obstacle serait le personnel d’encadrement des EPIDE lui-même. Qu’ils soient anciens militaires ou personnes issues du civil, tous disposent d’une solide expérience en matière d’encadrement et d’accompagnement des jeunes. Si la discipline, le respect des règlements sont bien le socle du « savoir-vivre ensemble » qui est inculqué aux jeunes volontaires, chaque personnel d’encadrement a néanmoins à cœur de distinguer la fonction militaire de la fonction éducative. Or ce qui est possible avec un public volontaire ne le sera probablement pas avec de jeunes mineurs délinquants, dont on peut douter du goût spontané pour adhérer au dispositif des centres EPIDE.

Les militaires eux-mêmes, outre le fait qu’ils s’interrogent sur leur disponibilité pour pouvoir assurer la mission d’encadrement nouvelle qui leur est assignée, sont très frileux à l’égard de ces orientations et refusent de donner de l’armée une image qui ne pourrait être que négative.

Je vois enfin un quatrième et dernier obstacle, et non des moindres, je veux dire l’obstacle budgétaire et financier.

Personne ne peut ignorer les contraintes budgétaires auxquelles sont soumises toutes les administrations de l’État : dans quelques jours, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, nous allons mesurer les murs auxquels nous allons nous heurter et que nous ne pourrons pas repousser.

Alors que les centres EPIDE commencent tout juste à trouver leur rythme de croisière, après un démarrage difficile dénoncé par la Cour des comptes, alors que la Protection judiciaire de la jeunesse ne cesse de voir se restreindre son budget,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est faux !

Mme Anne-Marie Escoffier. … alors que les emplois dont elle dispose ont été amputés de 529 unités en trois ans et que le nombre d’unités éducatives est passé, dans la même période, de 603 à 460, qui, en toute bonne foi, pourrait encore croire à une manne de moyens nouveaux qui viendrait se déverser sur les structures existantes pour encadrer une population quelque peu difficile et à laquelle il faudra accorder une attention particulière ?

Les bonnes intentions, moteur probable de la présente proposition de loi, trouvent là leurs limites et n’ont d’avenir que si elles sont débattues, réfléchies, révisées dans le cadre global du dispositif déjà existant, dont on devra se demander pourquoi il n’apporte pas pleinement les solutions escomptées.

Monsieur le garde des sceaux, je veux bien admettre avec vous le besoin de trouver un nouveau modèle social, éducatif, répressif même, qui réduise efficacement et durablement la montée de la délinquance des mineurs. Mais je suis sûre aussi que vous voudrez bien admettre, avec les membres de mon groupe et nombre de sénateurs siégeant dans cet hémicycle, que nous devons réviser notre copie, prendre l’avis des professionnels, des magistrats, de tous ceux qui, aujourd’hui, œuvrent à la resocialisation de nos jeunes, ces jeunes qui se sont écartés de la voie droite.

Pouvons-nous faire mieux ? Oui, nous le pouvons ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste- EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. François Pillet.

M. François Pillet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame le rapporteur, mes chers collègues, la lutte contre la délinquance juvénile doit susciter de la part de tous les élus, en particulier des parlementaires que nous sommes, un intérêt et une attention à la hauteur du questionnement et de l’inquiétude de nos concitoyens.

Madame le rapporteur, vous avez récemment déclaré que « la délinquance ne doit pas coller à la peau toute une vie ». À ce propos bien pensant, politiquement correct, tout responsable politique ne peut qu’adhérer.

Ils sont des nôtres, ils constituent une composante de notre société, ces enfants et ces adolescents en danger, pris dans la spirale infernale de la délinquance. Pourquoi aurions-nous peur de prendre en considération la souffrance de ces jeunes et de leur famille et de proposer aux Français des solutions alternatives à l’enfermement en prison de mineurs tout juste sortis de l’enfance ?

On ne peut pas toujours être les spectateurs assis, passifs, certes philosophant, mais au risque, hélas, d’être trop souvent verbeux !

Face à une évolution constante de la délinquance des mineurs, sous l’impulsion du Président de la République et du Gouvernement a été menée une action déterminée sur le plan tant de la prévention que de la réponse judiciaire. Nous tenons d’ailleurs à saluer la démarche de M. le garde des sceaux, qui a conduit avec une grande détermination des chantiers importants pour apporter des améliorations aux initiatives prises sur le plan judiciaire.

Cependant, en dépit de cette démarche conduite depuis 2002 pour améliorer les dispositifs de prévention de la délinquance et les réponses judiciaires données aux infractions commises par les mineurs, les solutions apportées paraissent encore trop peu variées.

Les délais de mise à exécution des décisions des juridictions pénales sont anormalement longs, au point de faire perdre à la sanction toute vertu pédagogique. En outre, il existe, aujourd’hui encore, un écart trop grand entre, d’une part, des structures au fonctionnement peu contraignant – les internats scolaires, les foyers – et, d’autre part, les structures privatives ou restrictives de liberté, comme les centres éducatifs fermés, les quartiers pour mineurs ou les établissements pénitentiaires pour mineurs.

Au mois de juillet dernier, j’ai cosigné avec mon collègue Jean-Claude Peyronnet un rapport d’information qui a été publié sous le titre Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ?. Nous avons, à cette occasion, émis certaines conclusions et formulé des propositions.

Je souscris pleinement à ce que la commission d’enquête menée en 2002 par notre Haute Assemblée avait conclu : l’enfermement des mineurs doit être repensé, afin de revêtir une véritable dimension éducative et de s’inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion.

Dès lors, toute proposition de loi respectant ces objectifs doit retenir notre attention et susciter un travail approfondi, surtout lorsque des idées nouvelles, mais semblables, sont portées par des personnes appartenant à des courants de pensée différents, par exemple par M. Ciotti et Mme Royal.

Une telle situation ne peut que renforcer le besoin, voire l’urgence de réfléchir et de légiférer. Notre devoir se situe à ce niveau, ce qui devrait exclure définitivement toutes postures politiciennes abortives. Notre devoir est de nous attacher exclusivement à l’étude du texte qui nous est soumis et d’en analyser objectivement son opportunité et sa portée.

Ce faisant, que constatons-nous ?

Premièrement, la présente proposition de loi prévoit un élargissement des mesures d’ores et déjà à la disposition des magistrats qui devront bien évidemment proposer la mesure visée en prenant en compte la personnalité du mineur.

Deuxièmement, elle a pour objet, non pas d’instaurer une nouvelle sanction, mais d’ouvrir de nouvelles mesures d’éducation et d’insertion.

Troisièmement, les hypothèses dans lesquelles le juge peut envisager cette solution se limitent à trois : la composition pénale, l’ajournement de la peine, le sursis avec mise à l’épreuve.

Quatrièmement, et c’est un point essentiel, le juge ne pourra mettre en œuvre cette mesure qu’avec l’accord du mineur et de ses représentants légaux.

Cinquièmement, l’assistance de l’avocat aux côtés du mineur est obligatoire.

Sixièmement, la Protection judiciaire de la jeunesse intervient pleinement dans le contenu du projet.

Septièmement, enfin, le contrat de service en établissement public d’insertion de la défense ouvre droit à un pécule remis au terme du contrat.

La lecture et l’analyse purement technique de la présente proposition de loi effaçant et contredisant l’image souvent caricaturale dont on affuble ce texte, certains se réfugient derrière l’argument selon lequel l’utilisation des centres EPIDE dans ce nouveau dispositif pourrait nuire au succès qu’ils enregistrent.

Certes, nous devons veiller à ne pas introduire de toxicité dans le fonctionnement des centres EPIDE. Mais pourquoi craindre qu’un fonctionnement qui repose sur le volontariat ne soit affecté par la venue dans l’établissement de mineurs consentants au passé pas plus chargé que celui de ceux qu’ils y rencontreront ?

C’est précisément sans doute à ce stade de notre réflexion que nous ne devons pas refuser de modifier, d’amender, de réécrire la proposition de loi que nous examinons, et que nous devons proposer de confier aux centres EPIDE de plus larges prérogatives dans l’élaboration du projet et dans la décision d’accueillir le mineur concerné.

Les mots excessifs, voire trop indignés pour être crédibles, dissimulent mal des desseins dénués de l’humanisme que nos concitoyens veulent encore espérer.

La création du service citoyen pour les mineurs délinquants ne sera pas la solution miracle : une telle solution n’existe pas ! C’est une option supplémentaire, un nouvel outil bénéficiant du bilan positif des centres EPIDE, pour que ces mineurs prennent conscience de l’avenir qu’ils ont à construire et de leur capacité, et pour qu’ils trouvent une issue sociale et professionnelle grâce à un accompagnement encadré, assorti d’une formation qui leur inculquera des valeurs souvent ignorées, telles que le respect de l’autre, les règles de vie en communauté, l’effort, la citoyenneté et, par-dessus tout, l’estime de soi.

Notre groupe soutient l’idée innovante de ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, apprentissage de la citoyenneté, lutte contre la délinquance des mineurs, établissements de la deuxième chance : évidemment, on ne peut y être opposé, au premier abord. Mais, en analysant de façon détaillée la proposition de loi, je me demande si la partition qui nous est proposée aujourd’hui est réellement la bonne.

Comme nombre de collègues présents sur ces travées, depuis de nombreuses années, lors de l’exercice de mandats tant nationaux que locaux, j’ai fait de la prévention de la délinquance une priorité. Je sais, par conséquent, à quel point cette question est complexe, essentielle pour notre société : elle intègre de nombreux paramètres et son traitement implique une approche globale, c’est-à-dire tout à la fois familiale, scolaire et judiciaire.

Évidemment, les moyens employés doivent être adaptés et pérennes, car cette prévention ne peut réussir que dans la durée.

La présente proposition de loi tend à une réelle prise en charge de cette délinquance. Devrait-elle se résumer à l’ajout d’une simple pierre à l’édifice des dispositions déjà existantes ?

Depuis 2007, six modifications de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante sont intervenues. Celle qui nous est proposée est la trente-sixième depuis l’édiction de ce texte. Pour autant, le taux de délinquance des mineurs a-t-il subi une chute importante à la suite de cette inflation de textes ? Je n’en suis pas sûr.

En tout cas, la proposition de loi que nous examinons, et c’est son mérite, est sûrement le moyen d’amorcer une discussion plus générale non seulement avec les pouvoirs publics, les institutions judiciaires et éducatives, mais aussi avec les collectivités territoriales concernées, qui sont souvent forces de propositions mais ont parfois du mal à coordonner leurs actions.

Pour ce qui concerne le choix de l’EPIDE, je veux souligner deux points.

L’EPIDE, mis en place en 2005, est un dispositif prometteur auquel, dès l’origine, j’étais favorable. D’ailleurs, j’avais fait acte de candidature pour ma propre commune, mais le projet n’avait pas pu être concrétisé, le dispositif, à l’origine très ambitieux – rappelez-vous, mes chers collègues, 20 000 jeunes volontaires devaient bénéficier d’une réinsertion –, a été réduit d’emblée pour des raisons, je l’imagine, budgétaires.

En 2010, à l’occasion du cinquième anniversaire de ce dispositif, quel bilant a-t-on pu en tirer ? Lors de l’exercice de responsabilités précédentes, j’ai eu l’occasion, sur place, d’en constater les effets positifs. Sur le fond, le bilan est excellent, mais, sur la forme, il reste très insuffisant, puisque seuls 2 250 jeunes en ont bénéficié dans les vingt centres répartis sur le territoire français. Comme nous pouvons le constater, contrairement à ce qu’était l’idée initiale, c’est-à-dire un centre par département, cela représente moins d’un centre par région métropolitaine.

Pour l’instant, ces formidables centres EPIDE ne sont que l’embryon d’un outil qui doit croître encore, selon moi, de manière importante.

Je me pose donc, dans un premier temps, la question de l’affaiblissement éventuel du dispositif existant, si, dans l’hypothèse de l’adoption de la présente proposition de loi, sont accueillis dans les centres EPIDE des mineurs primo-délinquants, indépendamment de leur choix personnel. En effet, ces derniers devront construire, en quelque sorte, leur motivation, contrairement à ceux qui sont entrés en EPIDE qui l’ont fait volontairement, qui sont motivés, qui savent pourquoi ils sont là.

En effet, si l’on incite un mineur délinquant à rejoindre un centre en échange d’un abandon des poursuites, d’un ajournement de peine, d’un sursis, ou que sais-je encore ? l’implication personnelle de l’individu dans son processus de réinsertion, qui est la caractéristique du dispositif existant, restera, dans ce cas, à bâtir.

Dès le départ, la démarche est donc différente.

Par ailleurs, qu’en est-il des jeunes qui, eux, ont fait le choix de séjourner en EPIDE ? Conscients de bénéficier d’une seconde chance, acceptant de s’engager dans un parcours professionnel, ils seront confrontés à leurs propres difficultés, certes, mais aussi à des difficultés nouvelles, et majeures, nées de la confrontation avec de jeunes délinquants qui, je le répète, en seront encore souvent à bâtir leur propre motivation et souffriront de troubles du comportement – nous pouvons le constater dans certains établissements que nous connaissons bien aujourd’hui –, bref autant de problèmes dont la résolution nécessitera naturellement une aide.

Pour ma part, je suis favorable à une alternative pédagogique aux peines lorsque celle-ci ne nuit pas au droit à la réussite des jeunes volontaires.

Cette proposition de loi, initiée par notre collègue Éric Ciotti à l’Assemblée nationale, présente l’intérêt de poser cette question. Toutefois, nous pourrions mettre en œuvre un dispositif plus vaste, afin de proposer aux jeunes qui en bénéficieraient une approche différenciée, je pense aux classes ou au suivi. Nous pourrions peut-être mêler les deux types de publics, mais moyennant des conditions extrêmement strictes, qui doivent être pensées en amont, sinon le mieux risque d’être l’ennemi du bien et ce dispositif se révélera préjudiciable aux uns comme aux autres.

Si la motion tendant à opposer la question préalable est adoptée tout à l'heure, comme c’est probable, nous n’aurons pas la possibilité d’amender ce texte, notamment dans le sens que j’évoquais à l’instant, même si, à mon avis, le problème est plus de refondre globalement le concept d’EPIDE, pour ouvrir le dispositif, que d’amender ce texte.

En tout cas, si nous pouvions présenter des amendements, nous proposerions, par exemple, la création de sections spécialisées au sein des centres EPIDE ou l’insertion de quotas de mineurs délinquants dans chaque promotion. Ainsi ces derniers seraient-ils confrontés et associés à des jeunes volontaires, qui sont habitués eux aussi à gérer des situations difficiles mais qui choisissent la voie de l’apprentissage et de la réinsertion plutôt que celle de la délinquance. Nous pourrions ainsi mettre en place, je le répète, un véritable outil de partage, mais à des conditions qui restent à définir.

Quoi qu'il en soit, tel ne sera pas le cas aujourd'hui, et je le déplore évidemment.

Comme j’aurai bientôt épuisé mon temps de parole, je n’évoquerai pas les quelques pistes que, sur ces questions me tenant particulièrement à cœur, j’ai proposées dans différents documents que j’ai pu signer, des rapports adressés au Président de la République ou d’autres remis dans le cadre de mes activités parlementaires. Du reste, d’autres sénateurs ici présents, ou d’autres députés, de toutes sensibilités politiques, en ont rédigé de même un certain nombre sur le sujet.

Nous avons les idées, me semble-t-il. D'ailleurs, nous les faisons vivre sur le terrain, où les maires, par-delà les débats idéologiques et leurs propres opinions politiques, s’accordent souvent sur l’action qu’il convient de mener.

Nous savons que, sur ce sujet, la France se trouve en situation d’échec par rapport à d’autres pays européens. Nous savons également à peu près ce qu’il faut faire, et nous prenons déjà les mesures nécessaires, ici ou là, mais sans parvenir à les généraliser.

Ce débat est extrêmement important ; je l’affirme sans aucun esprit polémique ou partisan, vous l’aurez compris, mes chers collègues, parce que, comme beaucoup d’entre vous, cette question me tient extrêmement à cœur. Il nous aura certainement permis de progresser, mais je ne suis pas sûr que la présente proposition de loi apporte une réponse à toutes les questions pendantes. (Applaudissements sur les travées de lUCR.)