M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, pour le cinéma. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème du dernier Forum d’Avignon, qui s’est déroulé du 17 au 19 novembre dernier, était le suivant : « Investir la culture. »

Or pour investir la culture, il faut aussi investir dans la culture. À ce titre, le secteur du cinéma nous apparaît emblématique.

Grâce au dispositif vertueux des soutiens du CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, notre pays peut s’enorgueillir d’avoir su conserver, et développer, un cinéma national puissant et divers. À cet égard, je citerai quelques bonnes nouvelles.

Tout d’abord, la production cinématographique bat un nouveau record historique, avec 261 films agréés en 2010 et une fréquentation des salles en hausse – nous n’avions pas connu cela depuis 1967 !

En 2010, le record de 206 millions d’entrées a été franchi et, en 2011, pour la troisième année consécutive, le seuil des 200 millions d’entrées sera dépassé.

Ensuite, la part du cinéma français est très élevée par rapport à la plupart des autres pays, avec 35,7 %.

Cependant, si le nombre des salles, donc d’écrans et de fauteuils, s’accroît, celui des établissements cinématographiques, lui, diminue, en raison de la poursuite d’un mouvement de concentration du secteur.

Il faudra donc que nous soyons particulièrement attentifs au soutien à la modernisation des petites exploitations, notamment celles qui sont classées « art et essai ».

À ce titre, en tant que membre du comité de suivi parlementaire chargé d’évaluer l’application de la loi de septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques, je vous confirme que nous pouvons être globalement satisfaits des avancées réalisées.

Je relève néanmoins que les distributeurs et exploitants de taille moyenne ou de petite taille ont rencontré davantage de difficultés que les autres, même si celles-ci semblent s’être considérablement atténuées depuis juin 2011.

On a attiré mon attention sur l’importance des différentiels de contributions demandés par certains distributeurs, voire des délais de paiement de ces contributions, selon la taille des exploitations.

Il faudra, par ailleurs, être particulièrement vigilant sur les conditions d’accès de ces petites salles aux films, y compris aux films chimiques, qui représentent encore la majorité des films.

À cet égard, l’ADRC, l’Agence pour le développement régional du cinéma, devra continuer à jouer pleinement son rôle.

De plus, l’aide mise en place par le CNC pour les plus petites exploitations – trois écrans maximum – a déjà profité à près de 245 établissements, soit 331 salles.

En revanche, les établissements dits « peu actifs » et les circuits itinérants sont dans l’attente des modalités de leurs aides spécifiques. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ce point.

Cela étant, en septembre 2011, quelque 58 % de l’ensemble des écrans actifs étaient équipés pour la projection numérique. Je me réjouis de la rapidité avec laquelle notre parc de salles s’équipe en écrans numériques, limitant ainsi la durée de la transition technologique et faisant de la France le pays le mieux équipé d’Europe.

Je veux saluer ici l’implication du CNC, qui a pleinement joué son rôle.

Avec le « plan numérisation » 2010-2015, qui concerne non seulement les salles, mais aussi les œuvres patrimoniales, les missions que le CNC assume s’accroissent, le transfert de charges du budget de l’État étant de 21,15 millions pour 2012.

En outre, l’ensemble des soutiens seront confortés avec la réforme du soutien automatique à la distribution cinématographique, la nécessaire mise en place d’un soutien automatique à la vidéo à la demande, la création d’un nouveau dispositif sélectif dénommé « aide aux Cinémas du monde » et le renforcement des soutiens à la musique originale de films.

Néanmoins, l’ensemble des dépenses du CNC, évaluées à 700,8 millions d’euros, sont en baisse de 6,5 %, dans la mesure où la réserve numérique constituée depuis 2009 permettra à l’établissement de mobiliser les moyens nécessaires au déploiement du plan de numérisation. Il conviendra simplement de veiller à ce que les ressources du CNC permettent d’en assumer le financement jusqu’à son terme.

Les ressources du CNC proviennent, pour l’essentiel, du produit de taxes affectées, prélevées sur les diffuseurs de films – exploitants de cinéma, chaînes de télévision, fournisseurs d’accès à internet, diffuseurs de vidéo –, en vue d’alimenter le compte de soutien aux professionnels du secteur.

La réforme de la taxe sur les services de télévision, la TST, dans son volet « distributeurs », s’imposait pour lutter contre l’évasion fiscale, et l’article 5 bis du présent projet de loi y procède.

L’article 16 ter du projet de loi de finances pour 2012 a pour effet de plafonner le produit de chacune des taxes affectées au CNC, afin de limiter ses ressources à 700 millions d’euros, le surplus, évalué à 70 millions d’euros, étant reversé au budget de l’État.

J’espère que la commission mixte paritaire saura trouver une solution équilibrée, qui pourrait être fondée sur le sous-amendement que je vous avais proposé et que le Sénat a d’ailleurs voté mardi soir.

Écrêter cette taxe très dynamique au-delà de 229 millions d’euros permettrait d’associer le CNC aux efforts demandés à l’ensemble de la Nation, tout en lui permettant de financer pleinement ses missions. Grâce à ce compromis, nous éviterions de fragiliser les soutiens automatiques, tout en mettant les recettes du CNC en adéquation avec ses besoins.

En tout état de cause, il serait plus sain que cet objectif soit atteint par le biais d’une adaptation des taxes.

L’article 49 sexies prévoit un aménagement du crédit d’impôt international que nous avions proposé l’an dernier, ce qui est positif.

Le crédit d’impôt national à la production cinématographique ne nous semble plus assez attractif, alors que son caractère efficient, y compris pour le budget de l’État, a été reconnu. Quelles sont les intentions du Gouvernement dans ce domaine ? Peut-on le faire évoluer ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, pour le spectacle vivant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon regard en tant que rapporteure pour avis de la commission sur les crédits consacrés au spectacle vivant s’est trouvé enrichi par les nombreuses auditions organisées au premier semestre de 2011 par notre groupe de travail sur le spectacle vivant, co-animé par notre collègue Jean-Pierre Leleux et moi-même.

Ce rapport budgétaire nous donne l’occasion d’examiner le budget du ministère de la culture à la lumière de nos travaux.

Tout d’abord, il faut améliorer l’observation et la connaissance du secteur du spectacle vivant.

À cette fin, pouvoirs publics et professionnels travaillent à la création d’une plate-forme d’observation. Cependant, beaucoup s’inquiètent du retard pris, la plupart des groupes de travail ayant vu leurs travaux suspendus. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire part d’un calendrier précis sur ces questions ?

Ensuite, il faut répondre aux inquiétudes relatives au financement du secteur, dans un contexte structurel de raréfaction des ressources publiques, provenant de l’État comme des collectivités territoriales, qui assument plus des deux tiers du financement public. Dans le même temps, les demandes culturelles et la création de nouvelles structures viennent renforcer les besoins. Ce sujet préoccupe évidemment de nombreux professionnels, qui déplorent la dégradation de leurs marges artistiques.

Davantage de cohérence et de clarification entre les interventions des uns et des autres, dans le dialogue et le respect mutuel, est nécessaire.

Vous avez, monsieur le ministre, lancé une mission sur le financement du spectacle vivant, dont nous devrions connaître les premières conclusions à la fin de cette année. N’aurait-il pas été préférable que les travaux de cette mission soient mieux coordonnés avec l’élaboration de ce budget et aussi avec ceux de la mission relative au financement du secteur musical, d’autant que le recoupement est important ?

M. Roland Courteau. Bien évidemment !

Mme Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis. Quelle est votre analyse quant aux perspectives de création d’un éventuel fonds de soutien bénéficiant à la musique enregistrée, au spectacle musical et au spectacle vivant non musical ?

Le bien-fondé de la création d’un Centre national de la musique, le CNM, en cette période est, semble-t-il, remis en question au sein même de la majorité présidentielle, comme en témoigne l’amendement voté, mercredi dernier, par la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, notre commission est préoccupée quant à l’appréhension par les institutions européennes de la question des aides d’État, avec la réforme du « paquet Monti-Kroes ». Quelle est votre position sur ce point ?

En outre, il faut trouver les moyens d’assurer un meilleur équilibre entre création et diffusion artistiques. Les professionnels s’inquiètent d’un relatif effacement de l’artistique face aux demandes socioculturelles.

Priorité doit être donnée à la structuration des réseaux, avec les salles et les compagnies. À cet égard, la politique de contractualisation entre l’État et certains types d’établissements est plutôt positive. Néanmoins, les collectivités territoriales devraient y être davantage associées !

Enfin, nous nous sommes intéressés à la question du maillage culturel de la France et à celle des politiques culturelles à l’échelle territoriale.

Là encore, il est nécessaire de développer une approche globale de la politique culturelle du territoire au-delà d’une logique d’équipement. Or le budget pour 2012 viendra aggraver cette situation.

En effet, les crédits alloués au spectacle vivant s’établissent à 665 millions d’euros en autorisations d’engagement et 719 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 2,7 % des autorisations d’engagement et une hausse de 8,37 % des crédits de paiement par rapport au projet de loi de finances initial pour 2011, à structure constante, et donc hors inflation.

Je vous l’avoue, monsieur le ministre, cette diminution des autorisations d’engagement me préoccupe.

Par ailleurs, je relève que 81 % des nouveaux moyens d’investissement, soit 45 millions d’euros, seront absorbés par le projet de la Philharmonie de Paris. Le coût global de cette opération est évalué à 336 millions d’euros, contre 203 millions en première estimation. Comment a-t-on pu aboutir à un tel dépassement des devis et à une progression aussi chaotique du projet ?

Dans ce budget, on note d’ailleurs une attention particulière portée au secteur musical : de nouveaux lieux seront créés en faveur des musiques actuelles. Toutefois, il faudra, là aussi, veiller à répondre aux réels besoins des territoires, en s’appuyant, par exemple, sur les schémas d’orientation pour le développement des lieux de musiques actuelles.

En outre, cet effort en faveur des musiques actuelles s’accompagne d’une baisse des crédits alloués aux orchestres et ensembles musicaux, ainsi qu’aux festivals, tous types confondus ! L’enveloppe de crédits qui leur est destinée diminue de 858 000 euros, alors que leur nombre augmente et qu’ils ont un fort pouvoir d’irrigation culturelle des territoires.

Vous avez annoncé un Plan d’actions pour le spectacle vivant, pour un montant de 12 millions d’euros sur trois ans, dont 3,5 millions d’euros pour 2012. Si nous souscrivons aux objectifs et thématiques de ce plan, nous estimons que ces crédits nouveaux restent bien modestes.

Par ailleurs, nous assistons, encore une fois, à un jeu de passe-passe, des redéploiements de crédits étant opérés au bénéfice des compagnies non conventionnées, mais au détriment des compagnies conventionnées. Un équilibre doit être trouvé entre le soutien à l’émergence et l’aide dans la durée.

Enfin, je vous alerte sur les conséquences de l’article 16 ter du projet de loi de finances, qui fait beaucoup débat. Je regrette, évidemment, que le sous-amendement n° I-165 rectifié déposé au nom de la commission de la culture à l’amendement n° I-28 rectifié n’ait pas été adopté, car son vote aurait permis d’améliorer les budgets des organismes du secteur culturel.

Je rappelle que cette exception culturelle française est particulièrement encadrée et observée par Bruxelles. Si le reversement à l’État du trop-perçu s’opérait, cela pourrait être considéré comme un détournement de taxe et donc remettre en cause le dispositif.

Par conséquent, les raisons n’ont pas manqué pas pour conduire notre commission de la culture à donner un avis défavorable à l’adoption du programme « Création » de la mission « Culture » pour 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, rapporteur pour avis.

Mme Cécile Cukierman, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, pour les arts visuels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de l’analyse des crédits du programme 131, la commission de la culture a souhaité rendre un avis sur les arts visuels, qui se rattachent à l’action n° 2, Soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques, dont les précédents rapports ont déjà fait état.

Mon premier constat est celui d’une diminution des crédits de paiement comme des autorisations d’engagement. Cette baisse de l’effort budgétaire n’est pas cohérente avec votre très récente annonce, monsieur le ministre, d’un plan d’action en faveur des arts plastiques.

En outre, je note que les efforts réalisés depuis deux ans ont pour objectif de financer des projets d’envergure qui, en quelque sorte, « aspirent » les crédits de l’action n° 2 au détriment de l’irrigation des structures contribuant au développement des arts plastiques et à la démocratisation de la culture sur l’ensemble du territoire.

Ainsi, en 2011 déjà, le projet du Palais de Tokyo absorbait près de 72 % des crédits d’intervention.

Si ce projet est évidemment un très bon signe pour la dynamique de l’art d’aujourd’hui, on peut s’inquiéter du contraste saisissant entre le soutien accordé à cette dynamique parisienne et les difficultés qui prévalent au sein des structures plus modestes, telles que les centres d’art. Ces derniers sont aujourd’hui déstabilisés par la réforme des collectivités territoriales, ces dernières étant leurs principaux financeurs. De plus, ils craignent une multiplication des fermetures. C’est déjà le cas pour le Centre d’art du Domaine de Kerguéhennec, en Bretagne, ou celui du Domaine départemental de Chamarande, dans l’Essonne.

Par ailleurs, je note que le budget attribué aux centres d’art n’a pas été réévalué depuis dix ans, ce qui ne leur permet pas de faire face à la hausse des coûts observée dans le domaine de l’art d’aujourd’hui.

En outre, comme le soulignait notre collègue Jean-Pierre Plancade dans son récent rapport d’information Agissons pour l’art d’aujourd’hui, expression vivante de notre société, la politique de diffusion est très insuffisante, puisque c’est seulement un peu plus de la moitié des œuvres du Fonds national d’art contemporain qui circulent sur le territoire. La construction de Fonds régionaux d’art contemporain de seconde génération n’est pas une raison pour diminuer les efforts en faveur d’une diffusion plus importante par ailleurs.

On peut donc s’interroger sur l’accès du plus grand nombre à la culture et sur la pertinence d’une stratégie de développement de la collection publique d’art contemporain qui n’est pas accompagnée d’une politique de diffusion plus efficace.

Les arts visuels concernent aussi la photographie. La photo d’art est, elle aussi, contrainte par les mêmes tendances de hausse des coûts, avec une multiplication des supports, plus onéreux, et l’intermédiation nouvelle des collectionneurs pour l’organisation d’expositions qui, de fait, augmente les coûts.

La photographie d’art est au cœur de problématiques importantes, telles que la conservation et la valorisation des fonds photographiques, la recherche de nouveaux espaces d’exposition, mais aussi le phénomène de la numérisation, qui la rend plus accessible, mais aussi plus fragile aussi au regard des enjeux de propriété intellectuelle.

C’est particulièrement vrai et criant pour le photojournalisme, secteur en crise depuis les années quatre-vingt-dix. L’irruption des techniques numériques, qui apparaît comme l’un des principaux bouleversements des modes de production et de diffusion, a fait émerger de nouveaux risques. J’en citerai deux.

Le premier est l’apparition des microstocks, qui permettent de vendre des photos sur Internet pour quelques centimes d’euros seulement. À cet égard, je trouve très inquiétante l’attribution du label PUR – promotion des usages responsables – au microstock Fotolia par la HADOPI, c'est-à-dire la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet.

Le second phénomène dangereux est la pratique abusive des droits réservés, ou DR, dénoncés avec force par la présidente de la commission de la culture, Marie-Christine Blandin, à l’occasion de l’examen de sa proposition de loi relative aux œuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle, un texte qui est actuellement en instance à l’Assemblée nationale.

Comme vous le rappeliez la semaine dernière, monsieur le ministre, plusieurs mesures ont été annoncées pour soutenir la photographie. Je citerai, notamment, la création d’un observatoire du photojournalisme, une mission de la photographie au sein du ministère, des actions de sensibilisation en milieu scolaire ou encore l’ouverture d’une concertation sur les sujets relatifs aux œuvres orphelines et aux droits réservés.

Toutefois, il me semble particulièrement regrettable, compte tenu justement de toutes ces annonces, que l’on ne soit pas capable de mesurer précisément les efforts consentis dans ce domaine.

L’éparpillement entre plusieurs programmes budgétaires et le manque d’évaluation précise des crédits concernés ne me semblent pas à la hauteur des enjeux de la photographie. Je crois, je vous l’ai déjà dit, que la lisibilité budgétaire est aussi un exercice démocratique, qui nous permet d’étudier le budget et d’être en mesure de faire des comparaisons d’une année sur l’autre.

En conclusion, pour les raisons que j’ai évoquées, la commission de la culture a donné un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Culture ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Jacques Pignard.

M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Qu’un autre aux calculs s’abandonne ; moi, mon budget est facile et léger ».

Monsieur le ministre, lors de votre intervention en commission de la culture, vous avez pris soin, en invoquant les mânes d’Eugène Scribe, de préciser que votre budget ne s’inspirait pas de la légèreté du célèbre librettiste.

Je vous donne volontiers acte qu’en cette période de crise la sanctuarisation de votre budget est un exploit et relève aussi du courage politique, que vous assumez en même temps que le Premier ministre qui a arbitré.

Il ne faut pourtant pas s’illusionner : ce répit risque d’être de courte durée, car, les choses étant ce qu’elles sont, que la majorité présidentielle reste la même ou qu’elle change demain, la culture ne pourra s’exempter de l’effort collectif demandé à toute la Nation. (M. Roland Courteau s’exclame.)

Le temps du « toujours plus » me semble révolu. Il doit laisser place au temps du « toujours mieux », qui, paradoxalement, peut aussi se faire avec du moins, dès lors que l’on sait mobiliser toutes les ressources, faire preuve d’inventivité, d’efficacité et de discernement,...

M. André Ferrand. Très bien !

M. Jean-Jacques Pignard. ... et surtout sortir des raccourcis faciles que j’ai entendus tout à l’heure : Paris contre la province, la culture dite « savante » contre la culture dite « populaire », l’État contre les collectivités !

La crise nous oblige impérativement à améliorer la gouvernance de nos institutions culturelles ; elle ne nous contraint pas, heureusement, à verser dans le misérabilisme.

C’est pour cette raison, monsieur le ministre, que j’approuve votre volonté de doter Paris et nos grandes métropoles régionales d’équipements sans lesquels elles ne seraient plus des capitales.

Dans le domaine de la musique, que la ville de Paris puisse combler le déficit qu’elle a par rapport à Londres ou Berlin, je m’en réjouis personnellement. Que des musées puissent exister dans nos grandes métropoles régionales, Lyon, Marseille ou Lille, comme ils existent à Milan ou à Barcelone, je m’en réjouis également.

Ce n’est donc pas moi qui vous reprocherai les investissements que vous avez consentis, même si je n’excuse pas certains dérapages budgétaires pour le Palais de Tokyo, la Philharmonie, le Centre national des archives de Pierrefitte-sur-Seine, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille ou, bien sûr, la Maison de l’histoire de France.

Je vous ferai un seul reproche, mais vous le comprendrez aisément, c’est d’avoir oublié dans votre liste le musée des Confluences.

Soyons honnêtes, nous avons besoin de ces institutions. Néanmoins, me direz-vous, le fonctionnement suivra-t-il ? J’ai entendu ici des inquiétudes légitimes : peut-on concilier les impératifs de la révision générale des politiques publiques avec la nécessité d’élargir les publics ? Personnellement, je ne partage pas ces craintes. Même si le mot peut vous paraître trivial, mes chers collègues, je pense qu’il y a des gisements de productivité inexploités ou, en tout cas, paralysés par des inerties administratives, par le poids des habitudes, par le souci de ne rien changer. Oui, je pense que toutes nos institutions ont intérêt à penser l’avenir en termes nouveaux, en termes d’efficacité et de rigueur de gestion.

Je ne partage évidemment pas les reproches qu’adresse la Cour des comptes, si noble soit-elle, aux établissements publics, qui affaibliraient le pilotage de l’État. Si Mme Pécresse avait tenu compte de ces attendus, elle n’aurait sans doute jamais réformé l’université. Il me semble, au contraire, que, en période de crise, l’établissement public, qui permet de fusionner des ressources publiques et des recettes privées, constitue une réponse adaptée.

Le constat que l’on peut faire pour les musées est le même que pour le spectacle vivant, le cinéma ou l’enseignement artistique cher à ma collègue Catherine Morin-Dessailly. En période de crise, l’essentiel, me semble-t-il, est de préserver et d’amplifier les marges artistiques par rapport à des frais de structure souvent surdimensionnés. J’aime beaucoup l’expression habituelle d’un « théâtre en ordre de marche », mais j’ai parfois le sentiment que nos théâtres sont en désordre de marche, tant le poids des corporatismes et des conservatismes empêche toute innovation.

Pourquoi nos théâtres subventionnés seraient-ils les seuls à pouvoir s’affranchir d’une gestion plus efficace, d’une optimisation de leurs ressources humaines et d’une maîtrise de leurs dépenses que les théâtres privés n’ont d’autre choix que de s’imposer ?

Alors, me direz-vous, voilà des questions posées par un centriste réactionnaire !

M. Jean-Jacques Pignard. Mais, dans le groupe de travail qu’évoquait Mme Blondin, il se trouve que M. Bernard Murat a posé à peu près les mêmes questions. Pour autant que je sache, M. Murat n’est pas réactionnaire et certainement pas centriste. Peut-être est-il un « hollandiste » ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Oui, l’organigramme de certaines de nos institutions que je connais bien me fait penser parfois à ces interminables génériques qui terminent nos films et où l’on s’aperçoit que celui qui place la caméra n’est pas celui qui l’enlève. Alors, quitte à vous choquer, chers collègues, vive la RGPP si elle permet de fusionner deux postes de techniciens, celui qui met une chaise sur le plateau et celui qui l’enlève ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)

Mme Cécile Cukierman. C’est irrespectueux !

M. Jean-Jacques Pignard. Madame, il faut parfois forcer un peu le trait pour être entendu !

M. André Ferrand. Tout à fait !

Mme Cécile Cukierman. Il faut respecter les femmes et les hommes qui travaillent !

M. Jean-Jacques Pignard. J’évoquerai enfin les rapports entre l’État et les collectivités territoriales. Voilà deux ans, nous avions tous été d’accord, à gauche comme à droite, pour faire en sorte que l’intervention des collectivités locales en faveur de la culture demeure possible après la réforme territoriale. Nous avions été entendus.

Pour autant, est-ce à dire, monsieur le ministre, que le même type de cofinancement, associant l’État, la région, le département et les communes, doit valoir pour tous les projets ? Les entretiens de Valois, au sujet desquels j’ai souvent exprimé mon scepticisme, ont au moins permis une hiérarchisation des financements et des labels. Dont acte !

Respectez le choix des collectivités de vous suivre ou non, monsieur le ministre, quand vous les sollicitez par l’intermédiaire de vos DRAC : oui au cofinancement de grands projets, non à la dispersion des crédits entre de multiples compagnies dont l’intérêt culturel est aléatoire mais qui possèdent l’immense avantage d’être labellisées au titre de la politique de la ville. Il suffit, pour cela, qu’elles invoquent la « citoyenneté », la « diversité » et les « publics empêchés ». Le politiquement correct y trouve son compte, pas la culture ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. On verra quand on évoquera le budget de l’Opéra national de Lyon !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Jacques Pignard. Culture dite populaire, culture dite savante : ce sont les termes d’un faux débat ! Ce n’est pas en nous contraignant à financer des compagnies qui organisent des happenings douteux au pied des immeubles que l’on gagnera le défi de la démocratisation !

Mme Cécile Cukierman. Ces propos sont honteux !

M. Jean-Jacques Pignard. Nous y parviendrons en envoyant les publics dits « empêchés » dans de vrais théâtres. Ce n’est pas parce qu’Abou Lagraa ou Mourad Merzouki sont issus de la « diversité » qu’ils ont transcendé la danse urbaine et qu’ils l’ont amenée sur la scène du théâtre national de Chaillot, c’est parce qu’ils ont du talent !

Alors, de grâce, en période de crise, ne nous payons pas de mots, allons à l’essentiel ! C’est parce que votre projet de budget, monsieur le ministre, répond à cette exigence que le groupe de l’Union centriste et républicaine le votera. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)