M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, le Gouvernement ou la commission des affaires européennes pourront répondre.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Cela fait six mois que, à la veille de chaque sommet européen, les médias nous servent un nouvel opus de « l’Élysée, sauveur de l’Europe ». À chaque fois, l’enjeu est dramatisé, car l’exercice précédent montre vite ses limites.

Aujourd’hui, une modification des traités européens est présentée comme l’unique solution de sortie de crise. Ce n’est pas sérieux, et ce pour deux raisons.

Premièrement, une modification des traités ne saurait se faire dans l’urgence. En réalité, il semble que seul compte l’effet d’annonce.

Deuxièmement, si nous sommes nombreux depuis vingt ans à souligner l’asymétrie actuelle des traités qui fondent l’union monétaire et l’absence de gouvernance politique, rien dans ce qui semble envisagé ne répond aux problèmes rencontrés.

Mutualiser nos politiques budgétaires et fiscales est aujourd’hui essentiel, mais mutualiser ces politiques en les soustrayant au contrôle des peuples n’est pas acceptable.

Continuer à accepter une Banque centrale européenne qui n’est pas en mesure aujourd’hui d’assurer seule la supervision bancaire et financière en Europe et toutes ses conséquences n’est pas convenable.

Nous avons constaté, ces derniers mois, que le fonctionnement intergouvernemental de l’Union n’est ni démocratique ni efficace. J’oserais même dire que l’inefficacité des Conseils européens disqualifie totalement cette institution.

La solution réside probablement dans un changement radical, j’allais dire dans un fédéralisme radical, où les politiques mutualisées conservent toutes leurs marges de manœuvre sous le contrôle exclusif des peuples – pas d’un tribunal –, via le Parlement européen d’abord, la Commission européenne ensuite, dans le cadre d’une coopération renforcée innovante entre les pays qui sont prêts à cette mutualisation.

Mettons-nous bien en tête que, en oubliant la démocratie, sa valeur première, l’Union européenne risque de devenir une nouvelle Union soviétique. Ce serait un péché mortel pour elle !

Enfin, permettez-moi d’évoquer trois points précis sur des enjeux actuels.

Les premières élections liées au printemps arabe arrivent aujourd’hui. Quelle politique l’Europe va-t-elle développer à l’égard de ces pays pour faire de la Méditerranée, non plus une frontière, mais une région de démocratie ?

La Serbie est aux portes de l’Union. La position allemande à l’égard de la candidature serbe n’est pas encore très claire. Il faudrait vraiment éviter que cette région de l’Europe ne sombre, ou ne risque de sombrer, à nouveau, par un refus de cette candidature, dans les crises, les drames, qu’elle a vécus voilà vingt ans.

Enfin, l’Ukraine et l’Union européenne ont négocié ensemble un traité d’association qui n’est pas encore tout à fait terminé. Signera-t-on ce traité ou le mettra-t-on entre parenthèses, compte tenu de la situation démocratique en Ukraine actuellement ? Selon moi, mieux vaut signer et poser après la question de la ratification en fonction des évolutions démocratiques du pays, car, effectivement, la situation y est inquiétante, je dirai même dramatique. Toutefois, la meilleure manière de dépasser cette situation serait d’en parler au moment de la ratification de ce traité d’association.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Monsieur le sénateur, je vais éprouver des difficultés à répondre en deux minutes à toutes vos questions.

Que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu de sommet européen ? La Grèce serait en faillite et toute la zone euro aurait probablement été emportée. Par conséquent, dire que le sommet européen ne sert à rien est, selon moi, une vision qui ne correspond pas à la réalité.

Vous avez parlé du passage à un fédéralisme radical. Je n’ai pas très bien compris si le terme évoquait ma formation politique ou si c’était une vision particulièrement forte que vous vouliez imprimer.

Quoi qu’il en soit, nous sommes vingt-sept en Europe et dix-sept au sein de la zone euro. Nous ne pourrons franchir les étapes qu’ensemble. Vous l’avez constaté, la critique arrive rapidement lorsque la France et l’Allemagne prennent des initiatives qui peuvent être considérées comme solitaires ou duales.

L’Union européenne accompagne les printemps arabes en matière de démocratie et d’aide, et dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, avec des éléments concrets. Effectivement, les politiques nationales s’ajoutent aux politiques européennes.

La France est favorable à la candidature de la Serbie et au statut de candidat de ce grand pays, qui a fait d’énormes efforts, mais qui doit, à nos yeux, les poursuivre en dialoguant avec le Kosovo, son voisin, les conflits ayant laissé des traces dans cette zone des Balkans.

Enfin, la France et l’Union européenne sont extrêmement prudentes pour signer des traités avec l’Ukraine. Nous voulons bien signifier que le partenariat oriental n’est pas une étape vers l’intégration européenne ; c’est une clarté totale de la part de la France et de l’Union européenne. Dans le même temps, nous considérons que des progrès démocratiques doivent encore être effectués dans ce pays pour que nous puissions établir des échanges commerciaux libres et équilibrés.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, je vais vous poser deux questions, mais peut-être ne répondrez-vous qu’à une seule.

La première, plus générale, vous semblera quelque peu provocatrice, mais c’est ce que je pense sincèrement.

Étant entendu que, de Conseil de la dernière chance en Conseil de la dernière chance, vous soumettez la France aux agences de notation, et les Français et les Européens à toujours plus d’austérité ; étant entendu que vous refusez, par exemple, un fonds de développement social soutenu par la BCE pour relancer l’investissement et la croissance ; comment entendez-vous sortir d’une crise que vous déplorez ?

Par ailleurs, le fait que vous déclariez être fortement attaché à la démocratie et à la souveraineté du peuple signifie-t-il que vous consulterez les Français par référendum sur un nouveau traité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Madame la sénatrice, j’ai compris que vos deux questions étaient provocantes ! (Sourires.)

Je ne pense pas qu’un responsable politique ait parlé de dernier Conseil de la dernière chance. Reste que personne ne peut contester le risque d’explosion de la zone euro. Cette construction lente, patiente, de paix, de démocratie et de liberté pourrait s’effondrer si nous ne trouvions pas un accord ou si un grand pays de la zone euro devenait défaillant.

Il n’est pas question de dramatiser ni de dire que, après le 9 décembre, tout sera réglé. Chaque étape doit apporter une sécurisation supplémentaire nous permettant d’avancer vers cette intégration plus importante à laquelle, j’en suis sûr, vous souscrivez.

Comment instaurer la démocratie au sein de l’Union européenne ? Mon propos va peut-être vous choquer, mais le référendum ne me paraît pas être la solution la plus adaptée. En effet, il arrive que les gens répondent plus à celui qui pose la question qu’à la question elle-même !

Que diriez-vous si le Président de la République décidait d’organiser un référendum ? Vous seriez, à juste titre, encline à penser que c’est une manœuvre en pleine campagne électorale ! Et que diriez-vous de quelqu’un qui, pour prendre une décision par référendum, attendrait la fin de l’élection présidentielle et resterait donc inactif dans l’intervalle ?

Selon moi, une chose est importante : ce sont les représentants du peuple qui doivent décider. Certes, si l’intergouvernemental présente des inconvénients, il a au moins un intérêt : les représentants ont une légitimité démocratique. Personne ne conteste la légitimité démocratique d’Angela Merkel ou du Président de la République française.

Si le Parlement européen devient un jour – c’est mon souhait – un parlement de la zone euro associant les parlements nationaux, ce sera une étape démocratique. Comment imaginer que les parlementaires puissent être court-circuités par une question simpliste sur un problème complexe à un moment où les décisions doivent être prises en urgence et où les tensions peuvent être fortes ?

Il est déjà difficile, pour vingt-sept pays démocratiques, de s’entendre. Dans la situation d’urgence à laquelle nous sommes confrontés, il convient selon moi d’en passer par des décisions intergouvernementales.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le ministre, je souhaite réagir à votre première intervention.

Vous avez dit qu’il était nécessaire, dans la période que nous traversons, de tenir un langage de vérité. Qui prétendrait le contraire ? Pourtant, nous avons parfois le sentiment que cette vérité est à géométrie variable. Voilà quelques semaines, le Président de la République était favorable aux euro-obligations ; aujourd’hui, il ne l’est plus ! Il plaidait en faveur d’une intervention forte de la Banque centrale européenne ; il n’en parle plus aujourd’hui !

Ces changements de pied successifs posent manifestement des problèmes. Ils ne sont pas faits pour instaurer la confiance ni dans notre pays ni à l’extérieur de nos frontières.

Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité d’écrire une nouvelle aventure européenne. Qui pourrait être hostile à ce principe ? Sauf que cette aventure ne pourra pas concerner uniquement la France et l’Allemagne ! Elle devra se faire dans le respect attentif, presque pointilleux, des peuples et des États-nations qui composent l’Union européenne. Sinon, cela ne fonctionnera pas.

Par ailleurs, je ne vous ai pas entendu prononcer les mots d’« Europe sociale », sujet évoqué tout à l’heure par Michel Delebarre. Pour ma part, je veux renforcer, si c’est possible, la portée de ses propos. En effet, ceux qui souffrent de la crise, ce sont les plus démunis, les exclus de notre société. Si, dans la période douloureuse que nous traversons, aucun plan d’urgence en faveur de ces hommes et de ces femmes ne venait à être discuté au cours de ce Conseil européen, je considérerais que nous n’aurions pas fait correctement notre travail de politique, de démocrate et de républicain.

Je vous poserai enfin trois questions, monsieur le ministre.

Quels soutiens seront accordés à l’activité économique lors du prochain Conseil européen ? Quelles initiatives européennes seront envisagées pour un indispensable accompagnement social ?

Enfin, vous avez évoqué tout à l’heure, en réponse à une précédente intervention, les agences de notation, dont le fonctionnement est fort critiquable. Qu’en est-il de la perspective d’une agence de notation publique européenne ? Il ne suffit pas d’en parler, encore faut-il avoir l’ambition de la porter sur les fonts baptismaux.

Le pire serait bien sûr la récession ou le repli sur soi. Pour l’éviter, les efforts indispensables doivent être partagés ; ils ne peuvent pas peser toujours sur les mêmes, ceux qui ne sont pas responsables de la crise.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Je n’aurai pas la capacité, monsieur le sénateur, de répondre intégralement à votre question.

La nouvelle aventure européenne, nous la construirons ensemble Elle portera sur des sujets très divers, qu’il s’agisse de la politique extérieure de l’Union européenne, de ses frontières, de ses valeurs ou de la reconfiguration de l’espace Schengen. Comment l’Union européenne peut-elle devenir un espace de liberté, un facteur de relance de la croissance face aux difficultés et aux contraintes budgétaires que rencontrent ses États membres et leurs peuples ?

Je n’aborderai pas tous ces chapitres. J’évoquerai simplement ce que vous avez nommé les « volte-face » de la France et, en particulier, du Président de la République.

Sur les euro-obligations, la France a toujours défendu la même position. Elle considère que c’est une bonne solution finale, mais non une bonne solution préalable. Permettez-moi de vous le démontrer en quelques secondes.

Si, demain, la dette était totalement mutualisée, êtes-vous bien certain que l’ensemble des pays européens feraient les efforts budgétaires nécessaires ? Ne se reposeraient-ils pas plutôt sur les euro-obligations ou sur l’intervention massive de la Banque centrale européenne ? Dans ce cas, les vieux démons – je veux parler du laxisme budgétaire – ne reprendraient-ils pas le dessus ?

Si la France a pu quelquefois s’irriter de voir la Banque centrale européenne rester inactive, elle sait pourtant que l’indépendance des États-membres est indissociable de leur capacité à prendre leurs responsabilités.

Au demeurant, nous avons vu que la Banque centrale européenne est intervenue dernièrement, en coordination avec l’ensemble des banques mondiales, pour permettre notamment aux banques européennes de s’approvisionner en dollars. Par conséquent, à un moment donné, la prise de responsabilité de la Banque centrale européenne, qui reste indépendante, conformément aux traités, peut être très utile. Une telle situation nous satisfait.

Certes, la France et l’Allemagne ne sont pas seules, mais ces deux pays représentent, au sein de la zone euro, plus de 50 % du produit intérieur brut et plus de la moitié de la population. Par ailleurs, nous le savons, ils constituent le moteur indispensable de l’Union européenne : c’est une condition nécessaire, même si elle n’est pas forcément suffisante. Pour autant, le fait qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy aient invité Mario Monti traduit bien l’obligation qu’il y a, à un moment donné, de rassembler autour d’un projet fédérateur.

Vous avez évoqué l’Europe sociale. Effectivement, la modification du traité instituant la Communauté européenne, en particulier de son article 136, permettrait d’ouvrir des possibilités en la matière et d’inclure un socle de stabilité sociale. Je pense à cet égard à l’initiative prise par le Président de la République dans le cadre du G20. Moi aussi, je pense que l’Europe n’est pas uniquement une organisation financière et économique ; les peuples également doivent bénéficier de son institution.

Je rappelle que le programme européen d’aide aux plus démunis, grâce à l’action que nous avons menée Bruno Le Maire et moi-même, mandatés par le Président de la République, a pu poursuivre son activité. C’est bien la preuve que l’Europe est aussi celle des plus démunis.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen du 9 décembre 2011.

10

Communication d’un avis sur un projet de nomination

M. le président. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application de l’article L. 5312-6 du code du travail, la commission des affaires sociales a émis un vote favorable (14 voix pour, 0 voix contre et 18 bulletins blancs) en faveur de la nomination de M. Jean Bassères aux fonctions de directeur général de Pôle emploi.

Acte est donné de cette communication.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 8 décembre 2011 :

De neuf heures à treize heures :

1. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif (n° 255, 2010-2011).

Rapport de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 149, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 150, 2011-2012).

De quinze heures à dix-neuf heures et à dix-neuf heures et le soir :

2. Proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants de l’Union européenne résidant en France (n° 329, 1999-2000).

Rapport de Mme Esther Benbassa, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 142, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 143, 2011-2012).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART